jeudi 19 mai 2016

En sermonnant... Cardinal Newman, Le Christ caché au monde


La lumière luit dans les ténèbres 
et les ténèbres ne l'ont pas comprise.
Jean I, 5

De toutes les pensées qui surgissent dans notre esprit quand nous considérons le séjour de Notre-Seigneur Jésus-Christ sur la terre, aucune peut-être n'est plus émouvante ni plus impressionnante que celle de l'obscurité qui l'accompagna. Je ne veux point parler ici de l'humilité de Sa condition, mais bien de l'obscurité qui L'enveloppa, du secret qu'Il observa. Ce caractère de Son premier avènement qui n'est pas défini seulement dans notre texte : « La lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas comprise » mais en maint endroit de l'Écriture, contraste avec ce qui est prédit de Son second avènement. Alors « tout œil Le verra », ce qui implique que tous Le reconnaîtront ; tandis que, lorsqu'Il vint pour la première fois, beaucoup Le virent, mais peu Le reconnurent. Il avait été prédit : « Quand nous Le verrons, nous ne trouverons aucune beauté en Lui qui nous Le fasse désirer » ; et à l'extrême fin de Son ministère, Il dit à l'un des douze qu'Il avait élus pour amis : « Il y a si longtemps que Je suis avec vous, et pourtant tu ne Me connais pas encore, Philippe ? »
Je me propose de vous soumettre quelques-unes des pensées que suggère une circonstance si solennelle, dans l'espoir qu'avec la bénédiction de Dieu elles vous seront profitables.
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1. Passons d'abord en revue les circonstances principales qui marquèrent Son séjour sur la terre.
Sa condescendance à quitter la gloire qu'Il avait avec Son Père dans le ciel et à revêtir notre chair, excède de telle sorte le pouvoir des mots ou de la pensée que l'on pourrait croire au premier abord qu'il importait peu qu'Il vînt comme un mendiant ou comme un prince. Mais, tout bien considéré, il est beaucoup plus merveilleux qu'Il ait fait choix d'une basse condition, car on aurait pu croire que, s'Il condescendait à venir sur la terre, toutefois Il n'entendait pas essuyer l'indifférence et le mépris ; or les riches ne sont pas méprisés par le monde, mais les pauvres le sont. S'Il était venu comme un grand prince ou comme un noble seigneur, le monde n'en eût pas su davantage qu'Il était Dieu, mais L'eût du moins révéré et honoré en tant que prince ; en revêtant une basse condition, Il assuma une humiliation de plus, le mépris, car Il fut en butte au mépris, au dédain, à l'indifférence, aux insultes et aux profanations de Ses créatures.
Quelles furent en vérité les circonstances qui accompagnèrent Sa venue ? Sa Mère est une pauvre femme ; elle vient à Bethléem pour le recensement, voyageant contre son gré, qui l'eût fait rester chez elle. Là, elle trouve l'auberge pleine ; elle est obligée de s'abriter dans une étable ; elle met au monde son premier-né et Le couche dans une crèche. Ce petit enfant qui naît de la sorte, et qui a pareille couche, n'est autre que le Créateur du ciel et de la terre, le Fils Éternel de Dieu.
Ainsi donc Il naquit d'une pauvre femme, Il eut une crèche pour berceau, Il apprit l'humble métier de charpentier ; et quand Il commença à prêcher l'Évangile, Il n'avait pas un lieu où reposer Sa tête ; enfin Il fut mis à mort, Il souffrit une mort odieuse et infamante, la mort qui était en ce temps celle des criminels.
Pendant les trois dernières années de Sa vie, Il prêcha, dis-je, l'Évangile, comme nous le lisons dans l'Écriture ; mais Il ne commença pas cette prédication avant l'âge de trente ans. Pendant les trente premières années de Sa vie, Il semble avoir vécu tout comme un pauvre homme vivrait aujourd'hui. Les jours, les saisons, les années passèrent pour Lui comme elles font pour chacun de nous. Sortant de la première enfance, Il devint un jeune garçon, puis un adolescent, et Il grandissait ainsi « comme un tendre arbrisseau », croissant en taille et en sagesse ; dès lors il semble qu'Il ait suivi l'état de Joseph, qui passait pour Son père, et qu'Il ait mené une vie ordinaire sans grands événements jusqu'à Sa trentième année. Comme tout cela est merveilleux ! Comme il est merveilleux qu'Il ait vécu là, sans rien faire de grand, un si long temps ; comme s'Il eût vécu simplement pour vivre ; sans prêcher, ni rassembler de disciples, ni servir d'aucune manière visible la cause qui L'avait fait descendre du ciel ! Il y avait assurément dans les conseils de Dieu de profondes et sages raisons pour qu'Il persévérât si longtemps dans l'obscurité, mais elles nous sont cachées.
C'est aussi chose digne de remarque que ceux qui L'entouraient semblent L'avoir traité en égal. Ses frères, j'entends Ses proches parents, Ses cousins, ne croyaient pas en Lui. Et il faut noter encore que lorsqu'Il commença à prêcher et que la foule se pressa autour de Lui, « Ses proches, l’ayant appris, vinrent pour se saisir de Lui, disant : Il a perdu l'esprit »1. Ils Le traitèrent comme nous serions enclins — et fort justement — à traiter aujourd'hui une personne quelconque qui se mettrait à prêcher dans la rue. Je dis fort justement, car cette sorte de prédicateurs prêchent habituellement un nouvel Évangile, et par conséquent sont dans l'erreur. En outre, ils prêchent sans avoir reçu de mandat, et contre l'autorité, par quoi ils sont encore dans l'erreur. Aussi sommes-nous tentés de dire qu'ils ne sont plus dans leur bon sens, ou qu'ils sont fous, cela à juste titre ; et non sans charité, car il vaut mieux être fou qu'indocile. Mais c'est précisément ce que les amis de Notre-Seigneur disaient de Lui. Quelque longtemps qu'ils eussent vécu auprès de Lui, ils ne Le connaissaient pas ; ils ne comprenaient pas qui Il était ; ils ne voyaient rien qui marquât une différence entre Lui et eux. Il était vêtu comme les autres, Il mangeait et buvait comme les autres, Il allait et venait, parlait, marchait et dormait comme les autres. Il était à tous égards un homme, hormis qu'Il ne péchait point ; et cette grande différence échappait à la foule, car nous ne comprenons point ceux qui valent beaucoup mieux que nous : en sorte que le Christ, Le Fils sans péché de Dieu, pourrait vivre à nos côtés sans que nous Le soupçonnions.
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2. Je dis que le Christ, le Fils sans péché de Dieu, pourrait vivre aujourd'hui dans le monde comme notre plus proche voisin, sans que nous soyons assurés de Le découvrir. C'est là une pensée qui mérite qu'on s'y arrête. Je ne veux pas dire qu'il n'y ait point un grand nombre de gens dont nous puissions être sûrs qu'ils ne sont point le Christ ; il en est ainsi, évidemment, de tous ceux qui mènent une vie mauvaise et irreligieuse. Mais il y a nombre de personnes qu'on ne saurait traiter d'irreligieuses ni censurer sérieusement, qui à première vue se ressemblent beaucoup, et qui pourtant sont fort différentes l'une de l'autre au regard de Dieu. J'entends ici la grande masse de ceux que l'on appelle les gens respectables, parmi lesquels il y a en vérité des caractères fort divers ; les uns ne sont que des personnes décentes, d'extérieur correct mais dénuées de véritable sens religieux, point du tout portées au renoncement, ne nourrissant point un ardent amour de Dieu, mais du monde ; comme leur intérêt est de mener une vie rangée et régulière, ou comme ils n'ont pas de passions violentes, ou encore comme ils ont pris de bonne heure l'habitude de se conformer à des règles, ils sont ce qu'ils sont, décents et corrects, mais guère plus. Il en est d'autres, au contraire, qui, pour sembler tout pareils aux yeux du monde, sont bien différents dans leur cœur ; ils font peu d'étalage, vivent tranquillement du même train que les autres, mais en vérité ils s'exercent à être des saints dans le ciel. Ils font tout ce qu'ils peuvent pour se transformer, pour devenir semblables à Dieu, pour obéir à Dieu, pour s'imposer une discipline, pour renoncer au monde ; mais ils le font en secret, autant parce que Dieu le leur ordonne que parce qu'ils répugnent à le publier.
Enfin, il y a entre ces deux catégories de gens un grand nombre d'hommes qui sont plus ou moins mondains ou plus ou moins croyants. Aux yeux du vulgaire, ils se ressemblent tous parce que la vraie religion est une vie intime du cœur ; et bien qu'elle ne puisse exister sans actes, toutefois ce sont pour la plupart des actes secrets : secrètes charités, secrètes prières, secrets renoncements, secrètes luttes, secrètes victoires. Assurément, les hommes qui mènent une vie publique et qui par là se trouvent en vue, sont mieux examinés et, en un sens, mieux connus ; mais je parle ici de tous ceux qui n'ont qu'une vie privée et fort ordinaire, comme il en fut pour Notre-Seigneur pendant trente ans. Ceux-là se ressemblent fort, et ils sont si nombreux qu'à moins de les approcher de tout près, nous ne saurions distinguer entre eux ; mais nous n'avons aucun moyen de le faire, et cela ne nous regarde pas. Cependant, bien que nous n'ayons pas le droit de juger autrui et que nous devions laisser cela à Dieu, c'est chose très certaine qu'un homme vraiment pieux, un vrai saint, quelque pareil qu'il semble aux autres hommes, possède une sorte de pouvoir secret pour attirer à lui tous ceux qui ont les mêmes inclinations d'esprit, et pour influencer tous ceux qui portent en eux quelque chose de commun avec lui. Aussi est-ce souvent une manière de pierre de touche pour reconnaître si nous avons les mêmes inclinations que les saints de Dieu, que de constater s'ils ont sur nous de l'influence. Et bien qu'il nous soit rarement donné de discerner les saints de Dieu sur le moment, toutefois nous le pouvons après coup ; alors, en plongeant les yeux dans le passé, nous pouvons nous demander quel pouvoir ont eu sur nous, dans le temps que nous les avons connus, ces saints désormais disparus, s'ils nous ont attirés, influencés, rendus plus humbles, s'ils ont fait brûler nos cœurs au dedans de nous. Hélas, trop souvent nous découvrons que nous avons été pour un long temps tout près d'eux, que nous aurions pu les reconnaître et que nous ne les avons point reconnus ; et c'est là pour nous une lourde condamnation, en vérité.
De ceci l'histoire de Notre-Sauveur nous fournit un exemple d'autant plus frappant qu'Il était plus saint. Plus un homme est saint, moins il est compris des hommes mondains. Tous ceux qui ont une étincelle de foi vivante le comprendront dans une certaine mesure, et plus il sera saint, plus il les attirera ; mais ceux qui servent le monde seront aveugles à son égard : plus il sera saint, plus ils auront pour lui de mépris et d'aversion. Et c'est bien ce qui arriva à Notre-Seigneur. Il était Très-Saint, mais « la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas comprise ». Ses proches parents ne crurent pas en Lui. Mais s'il en fut ainsi, et pour la raison que j'ai dite, il est naturel de nous demander si nous L'aurions compris mieux qu'ils ne firent ; si, quand Il eût été notre plus proche voisin ou même un membre de notre famille, nous L'eussions su distinguer de tout autre homme aux mœurs correctes et tranquilles ; ou si au contraire, tout en Le respectant (hélas ! quel mot, quel langage pour parler du Très-Haut !) nous ne L'eussions pas trouvé étrange, excentrique, extravagant et lunatique. Bien moins encore eussions-nous discerné quelque étincelle de cette gloire qu'Il eut avec le Père avant que le monde fût, et qui se trouvait celée, non point éteinte par Son terrestre tabernacle. C'est là, en vérité, une pensée terrifiante ; car s'Il était près de nous un long temps, et que nous ne voyions rien de merveilleux en Lui, ne serait-ce pas une preuve manifeste que nous ne sommes pas des Siens, car « Ses brebis connaissent Sa voix, et Le suivent » ; ne serait-ce pas une preuve manifeste que nous ne saurions pas Le reconnaître, admirer Sa grandeur, adorer Sa gloire, ou chérir Son excellence, si nous étions admis au ciel en Sa présence ?
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3. Et nous voici conduits à une autre pensée très sérieuse dont je veux vous parler. Nous souhaitons souvent d'être nés au temps du Christ et nous excusons ainsi notre inconduite quand notre conscience nous en fait reproche. Que si, disons-nous, nous avions eu l'avantage de vivre auprès du Christ, nous aurions été mieux prémunis, mieux fortifiés contre le péché. Je réponds : non seulement nos habitudes pécheresses n'auraient point été redressées par la présence du Christ, mais encore elles nous auraient empêchés de Le reconnaître. Nous n'aurions pas su qu'Il était présent, et quand bien même Il nous aurait dit qui Il était, nous ne L'aurions pas cru. Ses miracles mêmes, quelque incroyable que cela puisse sembler, ne nous auraient point fait une impression durable. Sans nous appesantir sur ce sujet, considérez seulement qu'il serait possible que le Christ fût près de nous, quoique sans faire de miracles, et que nous ne le sachions pas : je crois vraiment que ce serait le cas de la plupart des hommes. Mais assez à ce propos. Voici où je veux en venir : je veux que vous remarquiez quelle terrible lumière cela jette sur nos perspectives de vie dans l'au-delà. Nous pensons que le ciel sera pour nous un lieu de félicité si seulement nous y parvenons ; mais selon toute probabilité — si nous en pouvons juger par ce qui se passe sur cette terre — un méchant homme, transporté au ciel, ne saurait point qu'il est au ciel. Je ne pousse pas les choses plus loin, je ne me demande pas si, au contraire, le fait même de se trouver au ciel avec le fardeau de son impiété, ne serait pas pour lui un vrai supplice et n'allumerait pas au dedans de lui les flammes de l'enfer. Ce serait là en vérité une terrible façon de constater où il se trouve. Mais prenons un cas moins effrayant : celui d'un homme qui pourrait demeurer dans le ciel sans être foudroyé ; n'ignorerait-il pas du moins qu'il s'y trouve ? Il n'y verrait rien de merveilleux jamais, des hommes vinrent-ils plus près de Dieu que ceux qui Le saisirent, Le frappèrent, crachèrent sur Lui, Le chassèrent devant eux, Le dépouillèrent, étendirent Ses membres sur la croix, L'y clouèrent, L'élevèrent, restèrent là à Le regarder, Le raillèrent, Lui donnèrent du vinaigre, s'assurèrent qu'Il était mort, et enfin Le percèrent d'un coup de lance ? Combien terrible de penser que l'homme n'a jamais approché Dieu sur la terre de plus près que dans le blasphème ! Lesquels vinrent le plus près de Lui, de saint Thomas qui reçut permission d'étendre la main pour toucher respectueusement Ses plaies, et de saint Jean qui reposa sur Sa poitrine, ou bien des soldats brutaux qui Le profanèrent membre par membre et Le supplicièrent nerf par nerf ? Sa Bienheureuse Mère, en vérité, vint plus près de Lui encore, et nous encore davantage, si nous sommes de vrais croyants, puisque nous Le possédons d'une manière réelle, quoique spirituelle, au dedans de nous, mais c'est là une autre sorte, une forme intérieure d'approche. De ceux qui L'approchèrent extérieurement, ceux-là vinrent le plus près qui ne savaient rien de Lui. Ainsi des pécheurs : ils s'approcheraient du trône de Dieu, le contempleraient stupidement, le toucheraient, se mêleraient aux choses les plus saintes, laisseraient enfin libre cours, non par mauvais vouloir, mais par une sorte d'instinct stupide, à leur indiscrète curiosité, jusqu'à ce que la foudre vengeresse les anéantît ; tout cela parce qu'ils n'ont point de sens qui les pourraient guider en l'occurrence. Les sons, les parfums, les contacts nous renseignent sur ce qui nous entoure. Lorsque nous sommes exposés aux intempéries ou que nous nous surmenons, nous ne laissons pas de le savoir. Nous recevons des avertissements et nous sentons qu'il ne faut pas les négliger. Mais les pécheurs n'ont pas de sens spirituels ; ils ne peuvent rien prévoir ; ils ignorent ce qui va leur arriver au prochain moment. Aussi s'avancent-ils sans peur parmi les précipices jusqu'à ce qu'ils s'abîment dans une chute soudaine, ou qu'ils soient frappés et périssent. Misérables créatures ! Voilà ce que le péché fait à des âmes immortelles : il les rend semblables au bétail que l'on tue aux abattoirs et qui touche et flaire en vain les instruments mêmes de sa mort !
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4. Mais, direz-vous peut-être, en quoi ceci nous concerne-t-il ? Le Christ n'est pas ici ; nous ne saurions donc insulter à Sa Majesté de la façon que vous avez dite ou même de toute autre façon moins grave. En sommes-nous si sûrs ? Certes, nous sommes incapables de Le blasphémer d'une façon aussi ouverte, mais ne le pouvons-nous d'une façon aussi grave ? Ce sont souvent les plus grands péchés qui sont les moins retentissants ; les insultes les plus amères qui sont les moins bruyantes ; les maux les plus profonds qui sont les plus subtils. Ne nous souvenons-nous point de ce redoutable passage : « Quiconque aura parlé contre le Fils de l'Homme, il lui sera pardonné, mais quiconque aura parlé contre le Saint-Esprit, il ne lui sera point pardonné ? »2 Je ne déciderai pas si cette sentence s'applique ou non aux chrétiens d'aujourd'hui, bien que, si nous venons à nous rappeler que nous sommes à présent sous le règne de ce même Esprit dont parle Notre Sauveur, la gravité de la décision ne nous échappera pas ; mais j'ai cité ce passage pour montrer qu'il peut y avoir des péchés non pas plus flagrants et plus manifestes, mais plus grands encore que d'insulter et de frapper la personne du Christ, quelque impossible que cela nous paraisse. Considérons, sans perdre de vue cette pensée :
En premier lieu, que le Christ est toujours sur la terre. Il a dit expressément qu'Il reviendrait. L'avènement du Saint-Esprit est si réellement Son avènement que nous pourrions aussi bien dire qu'Il n'était pas ici aux jours de Sa chair, quand Il était visible dans le monde, que de nier qu'Il soit ici maintenant, alors qu'Il est ici par Son Divin Esprit. C'est là en vérité un mystère que Dieu le Fils et Dieu le Saint-Esprit, soit deux Personnes, puissent être un, que le Christ puisse être en l'Esprit et l'Esprit en Lui ; mais il en est ainsi.
Secondement, s'Il est encore sur la terre, bien qu'Il soit invisible (ce qu'on ne peut nier) il est clair qu'Il est encore dans la condition qu'Il avait choisie aux jours de Sa chair. Je veux dire qu'Il est un Sauveur caché et que, si nous n'y prenons garde, nous risquons de L'approcher sans le respect et la crainte qui Lui sont dus. Où qu'Il soit (car ceci est une autre question), il est certain qu'Il est ici, et qu'Il y est en secret ; quels que soient les gages de Sa présence, ils doivent être de telle nature qu'ils laissent douter les hommes du lieu de cette présence ; et si, pour en disputer, ceux-ci déploient toute leur finesse et toute leur subtilité d'esprit, ils s'embarrasseront et embarrasseront les autres dans leurs détours, comme firent les Juifs au temps même que Notre-Seigneur S'était incarné, tant et si bien qu'Il leur semblera n'être plus présent nulle part sur cette terre. Et quand les hommes viennent à penser qu'Il est loin d'eux, ils sentent naturellement qu'il est impossible de L'insulter comme les Juifs firent jadis ; et cependant, s'Il est là, peut-être ces mêmes hommes sont-ils en train de L'approcher et de L'insulter quoiqu'ils en aient. Tel était précisément le cas des Juifs, car eux aussi ne savaient point ce qu'ils faisaient. Il est donc probable que nous sommes aujourd'hui en mesure de commettre à Son égard un aussi grave blasphème que celui des Juifs, parce que nous sommes sous le règne de cet Esprit Saint contre lequel peuvent être commis des péchés plus hideux encore, et parce qu'aujourd'hui Sa présence porte aussi peu témoignage d'elle-même, est aussi peu frappante pour la foule que l'était jadis Sa présence corporelle.
Nous voyons encore une autre raison de nourrir cette crainte quand nous considérons ce que sont aujourd'hui les gages de Sa présence ; car il est constant qu'ils sont de nature à conduire à l'irrespect tous ceux qui ne font pas profession d'humilité et de vigilance. Par exemple, l'Église est appelée Son Corps ; ce qu'était Son Corps matériel lorsqu'Il était visible sur la terre, voilà ce qu'est aujourd'hui l'Église. Elle est l'instrument de Son divin pouvoir ; elle est ce dont nous devons approcher pour recevoir Ses bienfaits ; elle est ce que nous n'avons qu'à insulter pour éveiller Sa colère. Mais qu'est l'Église, sinon, pour ainsi dire, un corps d'humiliation, qui provoque presque l'insulte et l'impiété pour les hommes qui ne vivent point par la foi ? Un vase de terre bien plus encore que ne l'était Son corps de chair, qui du moins était pur de tout péché, alors que l'Église est souillée dans tous ses membres. Nous savons que ses ministres sont pour le moins imparfaits, enclins à l'erreur et esclaves des mêmes passions que leurs frères ; et pourtant Il a dit d'eux, en S'adressant non pas seulement aux Apôtres, mais aux soixante-dix disciples (dont les ministres chrétiens sont assurément les égaux par la fonction) : « Celui qui vous écoute M'écoute, et celui qui vous méprise Me méprise, et celui qui Me méprise méprise Celui qui M'a envoyé ».
De même, Il a fait des pauvres, des faibles et des affligés les gages et les instruments de Sa présence ; et ici encore, il est clair que la même tentation s'offre à nous de la négliger ou de la profaner. Tel Il était, tels sont Ses disciples choisis en ce monde ; et de même que Sa condition obscure et sans défense incitait les hommes à L'insulter et à Le maltraiter, ainsi ces mêmes qualités incitent les hommes à L'insulter aujourd'hui dans les gages de Sa présence. Que ces gages soient tels, ressort clairement de nombreux passages de l'Écriture. Il dit des enfants : « Quiconque recevra en Mon nom un de ces petits, Me recevra ». Il dit à Saul qui persécutait Ses disciples : « Pourquoi Me persécutes-tu ? » Et Il nous avertit qu'au Dernier Jour Il dira aux justes : « J'étais affamé, et vous M'avez donné à manger ; J'étais assoiffé, et vous M'avez donné à boire. J'étais un étranger, et vous M'avez recueilli ; J'étais nu, et vous M'avez vêtu ; J'étais malade, et vous M'avez assisté ; prisonnier, et vous M'avez visité ». Et Il ajoute : « Chaque fois que vous avez fait cela au plus petit de Mes frères, c'est à Moi que vous l'avez fait »3. Il observe la même relation entre Lui-Même et Ses disciples dans Ses paroles aux méchants. Ce qui rend ce passage terriblement adéquat, c'est, comme on l'a déjà remarqué 4, que ni les méchants ni les justes ne savaient ce qu'ils avaient fait ; les justes eux-mêmes sont représentés comme ayant approché le Christ à leur insu. Ils disent : « Seigneur, quand est-ce que nous Vous avons vu affamé et Vous avons nourri, quand est-ce que nous Vous avons vu assoiffé et Vous avons donné boire ? » À toute époque, donc, le Christ est en ce monde, mais non pas plus publiquement qu'aux jours de Sa chair.
Une remarque similaire s'applique à Ses commandements, qui sont très simples sans doute, mais aussi très intimement liés à Sa personne. Saint Paul, dans sa Première Épître aux Corinthiens, montre combien c'est chose aisée et terrible tout ensemble que de profaner la Cène de Notre-Seigneur, quand il flétrit les excès des Corinthiens et les attribue à ce qu'ils n'avaient point « discerné le Corps du Seigneur ». Quand Il naquit en ce monde, le monde ne Le connut point. Il fut couché dans une crèche grossière, parmi le bétail, mais « tous les Anges de Dieu L'adorèrent ». Maintenant aussi Il est présent sur un autel, de facture grossière peut-être et peu exalté par ce qui l'environne : la foi adore, mais le monde passe.
Prions-Le donc d'ouvrir les yeux de notre intelligence, afin que nous appartenions à l'Armée Céleste, non à ce monde. Si les esprits charnels seraient impuissants à Le reconnaître même dans le Ciel, un cœur spirituel peut L'approcher, Le posséder, Le voir, même sur la terre.
John Henry, cardinal Newman, in 12 Sermons sur le Christ

1. Marc III, 21.
2. Matthieu XII, 32.
3. Matthieu XVIII, 3 ; Actes IX, 4 ; Matthieu XXV, 35-40.
4. Voir Pascal.