lundi 7 février 2011

En passant... Approche de l'amitié

Voici un essai d’ « approche » de cette chose étonnante qu'est l’amitié ; une image, très imparfaite évidemment, qui se voudrait quand même être un reflet de la réalité…
L’homme est créé à l’image de Dieu : au cœur, il est une merveille de lumière. Mais ce cœur n’apparaît pas immédiatement : il est recouvert par une « croûte » composée de nos blessures, de nos péchés. C’est ainsi qu’à la surface nous sommes cet être très imparfait, qui voudrait être ce qu’il n’est pas, qui se déguise, qui se dissimule. Cette croûte est plus ou moins épaisse, selon les endroits, selon les personnes, selon les moments. Lorsqu’elle est fine et translucide, l’entourage accède facilement au cœur ; lorsqu’elle est trop épaisse, c’est beaucoup plus difficile. Plus difficile, mais pas impossible : la chaleur de la lumière se diffuse quand même à travers l’épaisse croûte, réchauffant ainsi un peu la surface ; et puis sous l’impact de la joie ou de la souffrance (nos « météorites », nos « tremblements de terre »), les défauts de la croûte laissent parfois, tels des volcans, échapper brusquement et violemment la lumière.
L’amitié vient quand on atteint - fugitivement ou durablement - le cœur de l’autre, en cassant la croûte ou en se frayant un chemin dans les failles. Les parents ont eu la plupart du temps accès aux cœurs de leurs enfants, dont la croûte est encore très irrégulière ; ils sont ainsi des exemples de l’amour inconditionnel. Grâce à cet accès, des amitiés indestructibles se nouent, tout en pouvant sembler incompréhensibles à l’entourage, qui ne peut voir que la surface. C’est ainsi que les amitiés perdurent irrationnellement (voir le « parce que c’était lui, parce que c’était moi », de Montaigne) car, à un moment donné, le cœur a été touché. À l’inverse, quand une amitié n’est fondée que sur la surface, elle n’est qu’un échange d’intérêts (tu m’apportes cela, je t’apporte ceci), ou bien un miroir narcissique (tu me renvoies une image favorable de moi-même). C’est une amitié conditionnelle et provisoire, mais il est vrai que cette amitié imparfaite peut un jour donner accès au cœur et se transformer en vraie amitié.
Dieu nous aime inconditionnellement, infiniment et définitivement, car il voit à travers toutes les croûtes. Dieu s’est uni à l’homme pour que l’homme soit uni à Dieu (Saint Athanase). Dieu est venu sur terre pour que nous puissions faire diminuer l’épaisseur de nos croûtes et ainsi nous approcher du Royaume de Dieu. Au Jugement dernier, notre croûte sautera. Si elle a toujours été imperméable, le choc sera trop rude, et nous courrons le risque de nous détourner définitivement de Dieu ; c’est l’enfer. Si, au contraire elle a été - ne serait-ce qu’un bref moment - perméable, le contraste entre le cœur et la surface sera moindre, et donc supportable, et « nous verrons Dieu » ; …après peut-être une certaine période d’accoutumance !

C’est une des plus incompréhensibles disgrâces de l’homme, qu’il doive confier ce qu’il a de plus précieux à quelque chose d’aussi instable, d’aussi plastique, hélas, que le mot - Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne