Le témoignage
qui suit est le fruit de quarante années de consultations privées selon la
méthode jungienne. Alain Valterio est un psychologue, également superviseur
d'équipes éducatives en institutions pour enfants de parents déficients, pour
malades psychiques, pour personnes âgées et handicapées. [NdR]
Il est toujours
difficile, pour un praticien psychologue, de s'exprimer par écrit : sa
vocation est en effet d'écouter. L'essentiel de ce qu'il croit avoir appris lui
vient de ce qu'il a entendu de la part d'une patientèle qui peut à juste titre
être considérée comme un échantillon représentatif de la population. Nous ne
sommes plus au temps de Freud qui psychanalysait
des baronnes cultivées : aujourd'hui, tout le monde se rend chez le psy.
On n'en voudra pas à ce dernier de ne pas s'exprimer comme un baron. Et je me
permettrai d'utiliser ici certaines expressions un peu crues, celles même qui
sont utilisées quotidiennement par ceux et celles qui consultent dans nos
cabinets de psychologues.
1. Le mythe du bon psy dans
l'éducation
Les mythes et
croyances psys
En guise
d'introduction, je dirai en deux mots ce qui m'occupe et me préoccupe depuis de
nombreuses années ! Ce qui est l'objet à la fois de mes réflexions et de
quelques-unes de mes inquiétudes : l'influence de la voix psy, aujourd'hui, sur les mentalités. Avec elle s'est installée
une véritable culture qui agit inconsciemment sur notre façon de penser et par
là même sur nos conduites, et cela, pas toujours positivement. La thérapie dans
le sens générique du terme est devenue aussi intouchable qu'une nouvelle religion.
Ce sont les psys
qui les premiers ont mis en évidence combien les personnes des générations
précédentes avaient été victimes de la culture judéo-chrétienne dont le bras
armé était le patriarcat. C'est ainsi qu'ils ont installé leur pouvoir. Dans
les années 70, de nombreuses publications de psychologie traitaient de ce que
l'on appelait alors la névrose chrétienne. La névrose chrétienne, c'était
toutes les inhibitions dont nous étions supposés souffrir, notamment au niveau
sexuel et que l'on allait, pour certains d'entre nous, soigner en des thérapies
pour le moins exotiques où l'expression se
déshabiller ne devait pas être prise que dans son sens figuré. Nous étions
supposés être tous trop raisonnables, trop obéissants, trop soumis à
l'autorité. La guérison, pour ne pas dire le salut, passait par la levée de ces
interdits...
On entend dire
parfois que le psy a remplacé le prêtre ou le pasteur. À la figure du
patriarche s'est substituée dans l'inconscient collectif celle du thérapeute
qui nous exhorte à prendre soin de nous-même et de ceux qui nous entourent,
avec des conséquences que j'essaie de mettre en évidence dans mes travaux. En
tant que psychanalyste jungien, je m'intéresse moins aux causes qui précèdent
les conduites qu'à l'esprit qui les anime.
L'éducation aux
prises avec ces croyances
La principale
victime de cette nouvelle culture de la
thérapie qui s'est établie en remplacement de la culture judéo-chrétienne
est l'éducation. Quand je dis éducation,
je ne parle pas de formation, ni d'instruction, je parle du rapport que les
adultes entretiennent avec des personnes qui doivent être prises en charge en
vue de les rendre autonomes.
Parmi ces
dernières, il y a non seulement les enfants, mais aussi les personnes sous
tutelle institutionnelle. J'ai, au cours de ma vie professionnelle, été amené à
travailler avec des parents qui me parlaient des difficultés qu'ils rencontraient
avec leurs enfants et, également, avec des équipes d'éducateurs dans des
institutions qui accueillaient tantôt des mineurs, des cas sociaux, des malades
psychiques, délinquants et autres.
Il m'a semblé
que, dans une certaine mesure, les impasses dans lesquelles ils se trouvaient
étaient les mêmes. Celles-ci tiennent pour une grande part à ce que la voix
psy, qui jouit d'une grande autorité dans notre société, leur a inconsciemment
mis dans la tête.
Les gens qui
croient avoir fait tomber les vieux stéréotypes entourant le patriarcat ont une
fâcheuse tendance à ne pas voir qu'ils en ont instauré d'autres, qu'ils défendent
avec beaucoup de dogmatisme et qui peuvent parfois s'avérer pathogènes.
Un nouveau tabou :
l'autorité
Le grand
problème qui gangrène l'éducation est à mettre sur le compte du tabou qui pèse
sur la notion même d'autorité. On observe que le simple fait de dire qu'il y a
dans l'éducation un sérieux problème d'autorité, c'est déjà prendre le risque
de passer pour un dangereux malfaiteur. J'ai moi-même été accusé de « prôner
la violence dans l'éducation » dans un quotidien, d'être un dangereux
réactionnaire sur les réseaux sociaux et d'être un partisan d'un retour au
châtiment corporel.
Je ne prescris
aucun comportement éducatif. Je ne dis pas ce qu'il faut faire, j'observe et
j'analyse le comportement des adultes dans leur rôle d'éducateur et je constate
qu'ils sont influencés dans leurs interventions par les stéréotypes que la voix
psy a mis en place. Le drame de cette éducation est qu'il y a plus de
psychologues que d'adultes.
Rappelons que ce
tabou qui pèse aujourd'hui encore sur l'autorité, était déjà écrit en grand sur
les murs de mai 68, à savoir interdit
d'interdire. Pour moi, il ne fait aucun doute que cet aphorisme s'inspirait
de cette culture psy qui émergeait à l'époque. Un demi-siècle plus tard on
observe que l'interdit n'a pas disparu mais qu'il a changé de camp. Parents et
éducateurs sont pétris d'autocensures quand il s'agit de s'adresser à ceux
qu'ils ont la responsabilité d'éduquer. Ils vivent dans la crainte continuelle
d'être de mauvais parents. Le phénomène est encore plus marqué chez les
professionnels de l'éducation. La voix psy a convaincu les adultes qu'ils sont
plus un danger pour leurs enfants qu'une protection. N'oublions pas que la
psychothérapie est un réquisitoire en règle des erreurs que les parents ont
commises avec le patient.
On l'a donc
compris. Mon point de vue est que si les adultes manquent à ce point
d'autorité, c'est qu'il leur est interdit d'en avoir. Tout le monde veut croire
qu'il existe des techniques éducatives qui devraient nous permettre de faire
l'économie de toute autorité. Éducation
sans contrainte, Éducation non
blâmante, Pédagogie positive, Communication
non violente, Convaincre sans lever le ton sont les concepts à la
mode, des concepts qui semblent prêcher une bienveillance à des adultes qui, la
plupart du temps, n'en manquent pas. Il ne fait guère de doute que cet éloge de
la bienveillance s'inspire de celle que le thérapeute devrait avoir avec son
patient.
Cette nouvelle
façon de penser l'éducation fait miroiter une nouvelle respectabilité éducative
avec ses figures emblématiques, le grand frère, super nanny, l'homme des bois
qui sait motiver les gosses, en remplacement du père fouettard qui se cacherait
derrière la figure traditionnelle du patriarche. On a l'impression que si la
gifle doit à tout prix tomber sous le coup de la loi, ce n'est pas pour
protéger l'enfant, c'est pour réécrire le conte du Chaperon rouge dans lequel
le loup serait absent. Or le loup n'est pas un accident, il est la vie...
Le thérapeutique
plutôt que l'éducatif
Au téléjournal,
un psychothérapeute délivre ses conseils pour guérir nos enfants de leur
dépendance aux écrans, un problème qui préoccupe de nombreux parents. Le psy en
question affirme qu'il n'y a pas de meilleurs moyens pour aider son gamin que
de s'intéresser aux jeux auxquels il s'adonne. De toute évidence, il en connaît
un bout sur la question : on le voit, au cours du reportage qui lui est
consacré, console en main, jouer avec son fils devant un écran. Ce psy ne nous
dit pas si un parent se doit de fumer du cannabis avec son fils lorsque
celui-ci ne peut plus s'en passer. Ce qu'il nous propose, c'est d'entrer dans
une relation horizontale avec l'enfant afin de le convertir à sa cause
d'adulte. Ces incursions dans l'horizontalité sont désormais l'alpha et l'oméga
de ce que l'on considère comme une bonne éducation, à tel point que les adultes
et les enfants s'habillent, parlent, raisonnent de la même façon. Les
institutions éducatives s'appellent désormais Chez Paou, Le Rado ou Fépalpa. La figure d'un saint barbu
serait non seulement considérée comme une atteinte à la laïcité, mais
susceptible de traumatiser les résidents.
L'influence de
la voix psy ne fait aucun doute dans cette dérive. C'est elle qui nous a tous
convaincus que nos principales difficultés psychiques venaient des interdits et
des maltraitantes délivrés par une éducation, par laquelle on sous-entend une éducation
trop judéo-chrétienne.
Ce serait
maltraitance et abus d'autorité de dire qu'un enfant échouant à l'école est
quelque peu fainéant. On se doit de dire qu'il n'est pas motivé. Pour la voix
psy, les chenapans, les sacripants et les cancres, ça n'existe plus, il n'y
aurait plus que des cas cliniques. Un psy ne juge pas, il pose des diagnostics,
il ne sanctionne pas, il met en thérapie. Aujourd'hui, on préfère avoir
des enfants malades que des enfants vifs. Dommage, la transgression, c'est la
vie ; la maladie, c'est la mort.
Le premier à
exploiter ces autocensures chez l'adulte, c'est l'éduqué lui-même qui se sent
autorisé à lui adresser des reproches sur la façon dont il s'occupe de lui. À
titre d'exemple, je me souviens d'une institution qui abritait des adolescents
ayant écrit une lettre à la direction pour faire savoir qu'ils ne se sentaient
pas respectés par leurs éducateurs. Les mots employés par ces jeunes dans leur
missive montraient à quel point ils savaient exploiter cette brèche. Ils
accusaient leurs éducateurs « de manquer d'empathie, de ne pas
suffisamment être à l'écoute, de ne pas tenir compte de leurs véritables
besoins ». De telles expressions sous la plume d'adolescents en rupture
scolaire avaient de quoi étonner. C'est là une phraséologie tellement à la mode
que même les coquins ont appris à s'en servir pour prendre à défaut leurs éducateurs.
La direction de l'institution à qui fut adressée cette plainte se fit un devoir
de mettre en place une médiation entre les enfants et les éducateurs.
L'horizontalité, ici encore, est considérée comme une valeur. Des médiations
sont établies entre les parents et leurs enfants. Écouter l'enfant, ce n'est
plus seulement prendre note de ce qu'il nous dit, c'est lui demander son avis
sur tout.
Les clivages
induits par la voix psy
Chez certains
couples divorcés, les parents essaient chacun de son côté de discréditer
l'autre parent en se targuant d'avoir un meilleur lien avec l'enfant. À ce
sinistre jeu, c'est souvent la mère qui gagne. Croyant être mieux habilitée à
tenir compte des besoins de l'enfant, d'autant plus que la clientèle du psy est
majoritairement féminine, elle ne va pas se sentir le devoir d'obliger son
enfant à aller chez son père, et parfois elle l'en dissuade. Résultat : il
y a aujourd'hui en Suisse deux pères divorcés sur trois qui ne voient plus
leurs enfants. On a toujours insinué que c'était parce qu'ils démissionnaient
de leur rôle, alors qu'en fait, c'est parce que l'enfant est dans la plupart
des cas pris en otage par la mère. C'est ce qu'on appelle l'aliénation
parentale dont il faut préciser qu'elle existe aussi dans l'autre sens, quoique
bien moins fréquemment. L'influence néfaste de la voix psy dans ce chaos est
pour moi indiscutable... Les parents se sentent continuellement mis en rivalité
avec un idéal de bon parent, auquel ils s'efforcent sans fin de correspondre.
Dans le même
ordre d'idée, j'ai constaté que très nombreux sont les adultes qui, à plus de 40 ans, vont régler
leurs comptes avec leurs parents, avec des reproches qui débouchent souvent sur
des ruptures définitives. Dernièrement sont venus me voir des gens dans la septantaine
à qui la fille de 42 ans avait annoncé qu'elle ne voulait plus aucun contact
avec eux, et du même coup qu'ils ne verraient plus non plus leurs
petits-enfants. La raison en était que, au cours de la psychothérapie qu'elle
suivait, leur fille avait prétendument pris conscience que ses parents « ne
l'avaient jamais respectée ». Entre autres reproches, il était notamment
question que son père était entré plusieurs fois dans sa chambre sans frapper
lorsqu'elle vivait encore à la maison, ce que sa psychiatre avait jugé
inadmissible. Le fait que ses parents l'avaient aimée, nourrie, logée, entourée
et avaient financé ses études universitaires qui lui permettaient de bien
gagner sa vie, n'entrait pas en ligne de compte !... Sa psy avait
cautionné l'idée que sa guérison ne pouvait passer que par cette rupture.
On ne compte pas
le nombre de parents, devenus grands-parents, qui ne voient plus leurs enfants,
et du même coup leurs petits-enfants. La culpabilité qui les empêche d'en
parler explique le silence qui règne sur ce phénomène psychosocial qui fait
aujourd'hui tellement de dégâts dans le cadre familial.
L'inquisition
psy
Les psys n'ont
cessé de stigmatiser les erreurs que les parents ont commises avec leurs
enfants. En libérant l'individu du devoir d'honorer son père et sa mère, ils se
font forts de libérer la parole de l'enfant contre ses géniteurs. Ils
s'autorisent parfois des interventions qui montrent bien leur part de
responsabilité dans les clivages qui en résultent.
Une mère m'a
raconté qu'elle et son mari avaient été convoqués par l'hôpital psychiatrique
dans lequel leur fille de trente ans avait été placée pour dépression. Les psys
avaient mis sur pied une étrange cérémonie au cours de laquelle la fille fut
invitée à verbaliser les reproches
qu'elle avait à adresser à ses parents. Elle alla jusqu'à insinuer que son père
avait eu des attouchements avec elle, une accusation qu'elle retira plus tard.
Voici un autre
exemple tout aussi édifiant : celui d'une mère qui amène sa fille de 12 ans au service
des urgences parce que cette dernière se plaint d'une forte oppression dans la
poitrine. La mère est priée d'attendre dans la salle d'attente pendant que les
cardiologues auscultent la fillette. Très vite, ils en concluent qu'elle n'a
rien au cœur, qu'il s'agit d'une crise d'angoisse comme les jeunes en ont tant
aujourd'hui. On n'en restera pas là : la psy de l'hôpital est convoquée
pour cuisiner la petite et lui faire dire ce qui n'allait pas à la maison,
pendant que la mère se morfondait d'inquiétude clans la salle d'attente.
Et je pourrais
citer bien d'autres exemples. Je me souviens de cette institutrice en formation
qui avait ceinturé un élève, lequel s'était montré agressif et refusait de
quitter la classe. Un tel manque de
psychologie ne pouvait être toléré, jugèrent ses formateurs :
l'institutrice dut renoncer à sa formation. Je pense ici aussi à un enseignant
qui m'avait été envoyé parce qu'il avait commis le crime insoutenable de
traiter d'imbécile un élève chahutant
en classe. Il se trouve que la mère de l'élève était elle-même psychologue et
qu'elle avait déposé plainte auprès de la direction.
La culture de la
thérapie suspecte l'adulte d'avoir toujours en lui un haut potentiel de
violence dès lors qu'il est en face de son enfant, ou un éducateur en face d'un
jeune. Une peur largement entretenue par les médias qui se chargent de bien
nous informer lorsqu'un psychopathe a tabassé son gamin à mort au fin fond du
Texas ou qu'il en a abusé. Ce genre de psychopathes existe certes, mais il est
loin d'être la norme.
Je me souviens
d'une institution en charge d'héberger des délinquants mineurs. Ces derniers
n'avaient rien trouvé de mieux que de vouloir imiter leurs aînés d'Alcatraz et
de Sing-Sing. Ils fomentèrent une fronde en se relayant jour et nuit pour mener
un tapage insurrectionnel en frappant contre les portes et sur des casseroles.
Les autorités eurent vent de ce qui s'était passé. L'épisode valut aux
éducateurs de la maison d'avoir la visite d'une commission fédérale contre la
torture pour vérifier s'ils n'avaient pas eu en la circonstance recours à de la
brutalité. Le comble, c'est que les principaux intéressés, les éducateurs,
trouvèrent cette intervention normale et légitime.
Dans le même sens,
la mère de la petite qui avait eu la crise d'angoisse, jugea bon que la psy se
mêle d'ausculter sa fille, même sans
son accord : « Si je faisais faux, disait-elle, il serait bon qu'on
me le dise ». Quant à l'enseignant qui m'avait été envoyé, je l'entends
encore me faire son mea culpa comme s'il s'était trouvé au tribunal de
l'inquisition. On est soumis à la voix psy comme certains l'étaient autrefois à
celle du prêtre.
Le clivage n'est
pas seulement entre les autorités éducatives mais également dans la tête des
adultes qui peinent à se positionner dans une juste mesure entre horizontalité
et verticalité. Je me souviens de cette mère qui sortait en copine avec sa
fille, allant jusqu'à s'habiller comme elle, et qui ne cessait de lui rappeler qu'elle
ne devait pas oublier qu'elle était sa mère. L'horizontalité apparaît à
beaucoup comme une émancipation. On trouve cool
qu'une mère et une fille s'habillent de la même façon ou qu'un fils appelle son
père par son prénom. Les choses peuvent aller plus loin encore. Certains pédagogues
se sont fait un devoir d'enseigner à l'éduqué la transgression. Qui ne se
souvient du film culte des années 80, le Cercle
des poètes disparus ?
L'inquisition du
soft
Parlons du débat
autour de la question de la gifle. Il semble impossible à certaines personnes
de comprendre que l'on peut s'opposer à l'interdiction pénale de la gifle, sans
être pour autant un partisan du châtiment corporel. Ici encore, la lettre le
dispute à l'esprit. Ce que m'ont rapporté les personnes des générations
précédentes au sujet des torgnoles
que leur avaient infligées leurs parents en des temps où la voix psy était
encore dans les limbes, ne laisse aucun doute sur le fait que ce n'était pas
arrivé très souvent.
La gifle est
probablement une erreur, mais il se trouve que je défends les parents qui ont
droit à l'erreur, y compris celle de perdre patience. Qu'un père divorcé ait
été contraint de rencontrer sa fille de quinze ans sous la surveillance d'une
assistance sociale suite à la gifle qu'il lui avait donnée après qu'elle l'ait
traité de connard, ne relève plus de
la protection de l'enfance, mais de cette inquisition du soft qui pèse
sur l'éducatif. Lui aussi avait des difficultés à établir le juste rapport
entre verticalité et horizontalité. Il avait un peu trop tendance à se confier
à sa fille sur ses amours.
La Suède est le
premier pays à avoir condamné la gifle. La Suède est aussi un pays qui a un
taux de suicide extrêmement élevé. Si on laisse entendre aux petits Suédois
qu'ils ne supporteront pas une gifle, il y a de fortes chances qu'ils
assumeront mal celles qu'ils recevront plus tard dans leur vie. Tout le monde
est voué tôt ou tard, en certaines circonstances, à en prendre plein la figure. En prenant un enfant
avec des pincettes pour ne pas le traumatiser, on lui transmet le message qu'il
n'a pas les moyens de supporter les coups durs qu'il va devoir assumer dans sa
vie. On ne s'étonnera pas que des idées de suicide lui traversent l'esprit
sitôt qu'il affronte une épreuve.
On ne cesse de
nous parler de la maltraitance des adultes à l'endroit des enfants, alors que
de toute évidence, le nombre de parents maltraités par leurs enfants est plus
élevé aujourd'hui que l'inverse. Je me souviens de ces parents dont la mère se
faisait frapper par leur fille. La seule réponse qu'ils trouvèrent à lui donner
fut d'aller suivre un séminaire sur la communication non-violente et de militer
pour la pénalisation de la gifle, tandis qu'ils continuaient de se faire insulter
tant et plus par leur fille.
J'ai participé
dernièrement à un cycle de conférences de psychologie dans le cadre d'une haute
école. Sur huit conférences, sept traitaient de l'enfance malheureuse, enfant
battu, enfant abusé, enfant surdoué, etc. On ne niera pas que cette réalité
existe, mais cela ne devrait pas nous fermer les yeux sur un nouveau phénomène :
celui de la parentalité malheureuse. Mon point de vue est qu'il n'y a pas de
plus sûr moyen de jeter un enfant dans l'angoisse que de tolérer qu'il
maltraite ses parents.
Aujourd'hui,
lorsque l'on parle de respect, les trois piliers du politiquement correct
imposent leur doxa jusque dans les écoles, où sont enseignés la lutte
contre le racisme, le sexisme et l'homophobie. Mais le respect ne peut pas être
le fruit d'un enseignement, il ne peut être intégré qu'à partir d'une verticalité,
du respect que je dois à ceux qui m'ont tout donné, mes parents, mes
enseignants et mes éducateurs. Dans la mesure où la voix psy laisse entendre
que ces derniers ne méritent pas un tel respect, celui-ci disparaît des valeurs
vécues. À quoi cela peut-il bien servir, comme je l'ai vu, qu'un jeune homme de
seize ans aille apporter dans un esprit humanitaire du matériel aux migrants de
Calais si, en parallèle, il frappe régulièrement sa mère ?
Les réactions de
l'usager
La réponse de
l'éduqué devant les nouveaux tabous que l'éducation a érigés me paraissent
assez bien illustrés par la façon dont se conduisait un résident placé dans une
institution pour personnes psychiquement perturbées. Sa façon propre d'affirmer son moi était de pisser où il voulait et quand il
voulait. Aussi bien au réfectoire qu'à la salle de télévision, il pouvait à
tout moment se lever pour lâcher un fil
sur la moquette ; quant à sa chambre, elle était devenue une véritable
pissotière. Ce fait paraît tellement invraisemblable qu'on croirait cette
anecdote inventée. Le fait que cet homme soit psychiquement perturbé empêchait
toute réaction un peu autoritaire. Voilà un effet néfaste de cette tendance à
poser des diagnostics à tour de bras : le diagnostic donne alors toutes
les permissions, et même des privilèges.
Remarquons que
le comportement de l'arroseur ne doit pas être vu comme une entorse au
règlement, mais comme une provocation. Il n'est écrit nulle part qu'il est
interdit de pisser partout. Il ne
s'agit pas d'une transgression au sens où celle-ci devrait lui permettre de
dépasser un interdit, comme on ne respecte pas une heure de rentrée pour
pouvoir s'amuser plus longtemps. Ce comportement ne peut être interprété que
comme un message adressé aux personnes chargées de l'encadrement : ce ne
sont pas les règles qui sont visées, mais ceux qui ont charge de les faire
appliquer. Ce résident avait même pissé contre une éducatrice : celle-ci
nous raconta comment l'urine avait coulé dans ses bottes. Belle métaphore !
On ne peut s'empêcher de se poser la question : de quoi en retourne-t-il
de cet adulte chargé d'éducation, qu'il soit parent ou éducateur, de se laisser
pisser dans les bottes par celui
qu'il doit rendre responsable de ses actes ?
Encore une fois :
je ne préconise aucun comportement éducatif, j'essaie seulement de mettre en
évidence que tout aura été entrepris pour mettre l'adulte dans une position
intenable en raison des interdits que la voix psy lui impose. Il ne s'agit pas
de mettre le nez du gars dans sa pisse
comme on le fait avec les chats, il s'agit de mettre en exergue, à partir d'une
situation qui a certes quelque chose de caricatural, l'esprit du temps qui pèse
sur la mentalité éducative.
Le rôle du père
Lorsque je me
suis installé, il y a de cela bien des années, ont débarqué chez moi des
adolescents qui tous m'avaient été envoyés par leur mère, parfois même à l'insu
du père. Très vite j'ai renoncé à les recevoir dans la mesure où je me suis
aperçu que ce n'était pas d'un psychologue qu'ils avaient besoin mais d'une
autorité. La relation du thérapeute avec son patient est par définition
horizontale, il n'a pas à se faire obéir... Croire en outre qu'une thérapie va
donner à l'enfant la discipline qui lui manque, est un leurre.
Dernièrement, un
père divorcé m'a confié qu'un service en charge de gérer les conflits parentaux
lui avait conseillé de renoncer à son activité d'entraîneur de football parce
que cette activité l'éloignait trop de son fils de huit ans, alors même qu'il
avait demandé que son enfant intègre l'équipe qu'il entraînait. La mère
cependant ne voulait pas qu'il pratique du football. Or il n'est même pas venu
à l'idée des professionnels du service en question de conseiller à la mère de
l'encourager à suivre son père aux entraînements de football. Dans l'esprit des
thérapeutes, c'est au père de s'adapter à l'enfant et non à l'enfant de
s'adapter au père, au premier de se faire aussi petit que le deuxième
et non au deuxième de se faire aussi grand que le premier.
Clairement,
c'est aujourd'hui la mère qui dicte au père la façon dont il doit tenir son
rôle. La thérapie, ce n'est pas du sexisme que de le dire, attire en majorité
des femmes et donc des mères ou futures mères. En fait, ce qu'attend la mère du
père de son enfant, c'est qu'il fasse comme elle. Le père doit être une
deuxième mère.
La dominante
maternelle se manifeste dans l'éducation par le fait qu'un enfant ou un usager
qui pose des difficultés sera envoyé en thérapie plutôt que d'être soumis à
l'épreuve d'une confrontation produite par une sanction. Dans ses
interventions, le thérapeute lui-même s'inspire d'un symbolisme très maternel
tel que l'écoute, le massage, l'hypnose... Le patient devient le centre de
toute l'attention, et le fauteuil sur lequel il est installé n'est pas sans
évoquer les bras de la mère.
Ce père devenu
maternel, pour ne pas dire maternant, ne serait pas complet s'il n'avait pas
d'activités avec son enfant. Ce père supposé animer les loisirs de son enfant
est défendu par l'angoisse d'une mère qui préfère parfois savoir son enfant
prémuni par son père plutôt que confronté à ses pairs (Remarquons au passage
que, dans l'éducation professionnelle, sera considéré comme bon éducateur celui
qui organise des activités plus que celui qui fait respecter le cadre éducatif).
Rien n'empêche le père de jouer au foot, de raconter une histoire à l'heure du
coucher ou de prendre le bain avec sa progéniture : ici encore, il s'agit
de mettre en exergue l'esprit qui anime ce genre de consigne très en vogue dans
l'éducation.
De mon point de
vue, le rôle du père n'est pas de fusionner avec son enfant, il est de
l'arracher des bras de la mère pour le projeter dans le monde de
l'extra-parentalité. Le maternel qui protège et qui soigne, a complètement
occulté le paternel qui met à l'épreuve et initie...
Ces propos
pourraient être interprétés comme une mise en accusation de la mère, mais ce
n'est pas du tout le cas. La seule responsable de cette dominante maternelle
qui s'est instaurée dans l'éducation, c'est la voix psy.
La
pathologisation
Cette éducation
sans contrainte, axée sur le dialogue et le libre consentement de l'usager, ne fait pas que rendre l'éduqué
insupportable et réfractaire à toute autorité : elle le fragilise.
Quand on traite un enfant comme un cas psy, on le traite comme un malade. Et
quand on traite un enfant comme un malade, il le devient.
On préfère
soigner qu'éduquer, d'où cette tendance à poser des diagnostics, et donc à
décréter de la pathologie là où il n'y en a pas. Prenons l'exemple de ce que
l'on appelle pompeusement les troubles de l'opposition : refus scolaire,
anorexie, insomnie... Depuis toujours, les enfants ont rechigné à finir leur
assiette, à aller à l'école ou à aller au lit. Mais voilà que pour la voix psy
actuelle, ces refus doivent être traités comme des pathologies. Et pourtant le
père fondateur de la psychanalyse, Freud le premier au début du XXe
siècle, avait largement expliqué comment l'enfant s'oppose à l'existence de son
père afin de posséder sa mère pour lui tout seul. Il a appelé cela le complexe d'Œdipe. Quelques années plus
tard, Jung alla dans le même sens avec cette jolie expression : « L'enfant
se pose en s'opposant ! ». Un enfant ne s'oppose pas parce qu'il est
malade, mais parce qu'il est un enfant.
En disant à un
enfant qu'il est malade plutôt que de lui dire qu'il se conduit mal, on prend
le risque de lui donner de dangereuses permissions, notamment celle de mépriser
son éducateur. Je me souviens d'un enfant placé en institution qui avait tout
cassé dans sa chambre. « C'est bien, ça sort ! », avait conclu
le staff éducatif.
Le mythe du bon
psy stipule que lorsqu'un enfant refuse de grandir, c'est qu'il a un problème
dont les principaux responsables sont les parents. Cela est vrai. Cependant,
leur problème n'est pas qu'ils se sont montrés maltraitants mais que leur
rapport à l'enfant est parasité par ce que dicte le mythe. C'est aussi en
obligeant un enfant à affronter ses peurs qu'on l'aide à grandir.
2. Liberté et sexualité
Souffrance et
frustration
Sur la question
de la liberté, je vais y aller à la franche
marguerite comme on disait naguère, en assénant un truisme qu'on voudra
bien me pardonner ! À mon sens, être libre, c'est assumer avec courage et
dignité le fait qu'on ne l'est pas. D'autres l'avaient dit. Cela vaut également
pour la sexualité. Contrairement à ce qu'on a voulu croire durant ces dernières
décennies, l'éducation d'un enfant à la liberté passe moins par les permissions
qu'on lui donne que par la discipline qu'on lui impose. Croire que la sexualité
peut échapper aux contraintes d'une discipline, c'est prendre le
risque de la mettre en péril...
Je ne vais pas
tenter de donner des recettes sur la façon dont on peut acquérir ce courage,
mais essayer de montrer en quoi la voix psy a contribué à ce que ce courage
fasse cruellement défaut aujourd'hui.
Les symptômes
qui amènent une personne à aller consulter un thérapeute participent plus
souvent de la simple frustration que d'un disfonctionnement psychique lié à un
traumatisme...
a/ Comme on l'a
déjà dit, la voix psy nous suggère que les interdits seraient la cause de nos
difficultés psychiques. On entend encore très souvent des personnes dire que,
si l'on n'est pas heureux, c'est qu'on s'interdit de l'être ! L'expression
courante est que l'on ne s'éclate pas !
Cette expression laisse supposer que l'idée que l'on se fait du bonheur est
envisagée à l'aune de l'orgasme. La thérapie se fait un point d'honneur de
lever les interdits qui nous empêchent de nous
éclater !
Pour la voix
psy, le bonheur ne peut être envisagé que si l'on vit une sexualité épanouie !
La principale accusation adressée à l'autorité concerne les dégâts qu'elle
pourrait commettre sur la sexualité. L'interdit serait supposé à l'origine de
nos difficultés sexuelles, de nos inhibitions. L'interdit est envisagé comme
étant la cause de troubles tels que la frigidité ou l'impuissance. Nombreux ont
été les psys qui se sont mis à faire l'éloge de la liberté sexuelle dans la
mouvance de mai 68. D'où ces exotiques thérapies de groupe mises en place
dans les années septante, qui, répétons-le, se rapprochaient plus de la partie
fine que du travail sur soi que devrait être une thérapie. On allait se soigner
en se faisant plaisir. Ne pas jouir prouve que l'on est malade : jouir,
dit-on, guérit !
b/ On est très
pointilleux sur la question des fonctions naturelles, pas seulement la
sexualité du reste. Les psychologues de la petite enfance ont beaucoup glosé
sur l'éducation au pipi et au caca. On insinue qu'un abus d'autorité sur la
gestion des sphincters pourrait avoir des répercussions négatives sur cette
fonction et par extension sur la sexualité. D'où ces exhortations à la plus
grande prudence : « Attention de ne pas laisser un enfant trop
longtemps sur le pot ! » ; « Évitez toute contrainte dans
ce sens-là ! » ; « Surtout, ne pas sanctionner ! ». Parents et éducateurs les
véhiculent dans leur inconscient comme une épée de Damoclès qui pèserait sur
leur progéniture.
Je crois que ces
injonctions ne sont pas pour rien dans le nombre croissant d'enfants qui souffrent
de troubles tels que l'énurésie. Je pense aussi que les difficultés de sommeil
que rencontrent certains enfants aujourd'hui, sont à mettre sur le compte de
cette éducation fondée sur la valorisation qui considère toute contrainte comme
facteur pathogène. À force d'être mis dans une priorité absolue par ses
parents, dormir représente pour l'enfant le danger qu'on pourrait l'oublier.
Étant considéré comme un roi toute la journée ; il ne supporte pas l'idée
qu'il pourrait ne plus l'être durant la nuit. On connaît la légende du roi de
l'île qui s'imposait de ne jamais dormir de peur qu'un autre ne le tue dans son
sommeil et ne prenne sa place.
Cette obsession
de mettre à mal les fonctions naturelles de l'enfant par un abus d'autorité
concerne aussi la sexualité. Parlons de ce couple de parents qui, revenant du
cinéma, avait trouvé la porte de leur appartement verrouillée. Il ne leur était pas possible
d'y glisser leur clef, car leur fille de 16 ans, en train de prendre du bon temps
avec son petit ami, avait laissé sa clef dans la serrure. Ces parents
estimèrent qu'il n'était pas question d'insister pour ne pas perturber la
sexualité des deux tourtereaux, et décidèrent de dormir à l'hôtel. Cette
anecdote montre en outre que l'on a complètement occulté une fonction
essentielle de la sexualité. Il faut savoir que laisser un enfant mener une vie
sexuelle chez ses parents, c'est enlever à la sexualité une fonction
primordiale qui ne se limite pas seulement au plaisir et à la reproduction. Ne
pas pouvoir le faire chez ses parents donne à l'enfant le désir de construire
son nid ailleurs et donc de grandir.
Une autre
remarque s'impose dans ce contexte. Elle concerne ce rapport confidentiel que
certains parents, en particulier la mère, peuvent entretenir avec leur enfant,
au sujet de leurs amours. La mère toxique,
pour utiliser une expression à la mode, est celle qui prête une oreille trop
complaisante à ce qui ne la regarde pas, et empêche ainsi son enfant de trouver
ailleurs cette confidentialité. Il n'est pas difficile de comprendre ce que
peut comporter d'ambigu le fait qu'une mère prenne soin de mettre tous les
soirs sur la table de nuit de son fils, âgé de 14 ans, une lingette propre afin qu'il
puisse s'essuyer après s'être masturbé. On excusera ici la vulgarité du propos,
mais c'est elle-même qui me l'a raconté en ces termes.
En même temps,
on ne peut pas en vouloir à ces mères d'être trop intrusives lorsqu'à longueur
d'articles et d'émissions médiatiques, on ne cesse de répéter les bienfaits de
l'écoute et de l'empathie. Une mère tiendra d'autant plus volontiers ce rôle
qu'elle lui permettra de garder son pouvoir de mère jusqu'à la fin de sa vie.
La mère qui changeait la lingette était du reste une thérapeute qui se rendait
dans les écoles pour éduquer à la
sexualité. Elle était persuadée d'être une mère en avance sur son temps
parce que son fils n'avait aucun secret pour elle. Cette conviction selon
laquelle moins un individu a de tabous sexuels, plus il est avancé, relève
encore de ces stéréotypes qui nous viennent de la voix psy.
La vie sexuelle
des enfants ne regarde pas les parents et la vie sexuelle des parents ne
regarde pas les enfants.
Je me souviens
de cette mère dont la fille de dix-huit ans sortait avec un garçon qu'elle-même
ne trouvait pas bien, et il est vrai qu'il ne répondait pas au stéréotype du
gendre modèle. Sa fille par contre était suffisamment lucide pour avoir pu s'en
rendre compte assez rapidement ; mais le fait que sa mère scrutait les
moindres faits et gestes de son couple empêchait cette prise de conscience.
Pareille ingérence agissait sur elle comme une protection ne faisant que
perpétuer une relation dans laquelle cette jeune fille aurait pu prendre
conscience que tout ne s'apprend pas à l'école, dans la musique et dans le
sport, trois domaines où elle excellait. L'ingérence de cette mère était un peu
comme si elle accompagnait sa fille dans la forêt à la rencontre du méchant
loup. C'est ce qu'on appelle ne pas laisser son enfant faire ses expériences
(Cette mentalité qui veut mettre l'enfant à l'abri de tout est tellement ancrée
dans l'éducation que certains pédagogues ont cru devoir transformer le conte du
Petit Chaperon Rouge en remplaçant le menaçant canidé par une gentille sorcière
qui lui explique les dangers de l'amour).
Je suis
consterné de voir à quel point certaines mères se font un devoir de prendre en
charge les chagrins d'amour de leur progéniture. Je ne compte pas le nombre
d'entre elles qui me téléphonent pour que je reçoive en consultation leur
adolescent qui venait de se faire quitter par un petit copain ou une petite
copine, toujours avec la crainte d'un éventuel suicide.
Il faut dire que
la voix psy ne tarit pas de mises en garde sur le risque d'un éventuel suicide.
Comme le médecin, le psy aime à penser qu'il sauve des vies ! Si les psychiatres n'y vont pas de main morte
avec les ordonnances, c'est avant tout pour se prémunir d'un tel danger.
Message reçu par les jeunes qui aujourd'hui ne se privent pas de menacer de se
suicider à la moindre contrariété. La menace de suicide n'est pas toujours un appel au secours, elle est aussi un
moyen de s'assurer que sa mère en est bien une, en la tenant dans
l'inquiétude... Et pour freiner le développement d'un enfant, il n'y a pas
mieux que l'inquiétude d'une mère.
On n'assume pas
un chagrin d'amour en pleurnichant chez sa mère ou chez un psy, mais en faisant
face. Je ne pense pas qu'un psychiatre qui prescrit des tranquillisants à une
fille de treize ans parce que son petit copain l'a quittée, y contribue
grandement...
Je le répète :
ce ne sont pas les mères qui doivent être mises au banc des accusés, mais la
voix psy qui aura tout fait pour annihiler la fonction paternelle de l'éducation.
Or, si vous
n'êtes pas partie prenante de ce genre de complaisance, vous pourriez avoir des
ennuis. Je me souviens de ce père divorcé qui avait dit à sa fille de 15 ans
qu'il en avait marre de la voir pousser une tête de martyr parce que le garçon
dont elle était amoureuse ne voulait pas d'elle. La fille décida de ne plus
aller voir son père, soutenue dans sa décision par sa mère, elle aussi férue de
développement personnel. Motif évoqué : l'ex-mari ne respectait pas la
souffrance de leur fille.
Non seulement la
souffrance ne mérite aucun respect, mais elle ne sanctifie personne. Je pense
ici aux égards auxquels ont droit ceux qui ont tenté de se suicider. Je pense
aussi à tous ces jeunes qui s'inventent une biographie dans laquelle ils
auraient été persécutés par leurs pairs. Le danger que des parents font planer
sur leur enfant lorsqu'il se fait taquiner par ces copains d'école en faisant
de lui un martyr, est extrêmement dangereux. La vocation du véritable martyr
étant de mourir par amour, il se pourrait que lorsqu'on soit devenu un bouc
émissaire, on soit tenté de se suicider pour écrire sa légende jusqu'au bout.
C'est l'un des
effets négatifs majeurs que la voix psy aura produit dans les esprits des
jeunes : en faire des victimes là où ils auraient dû apprendre à se
défendre.
Alain Valterio,
in Nova & Vetera 2020-2