vendredi 7 juin 2019

En brûlant... Don Luigi Maria Epicoco, Prendre au sérieux la foi en Christ


Le christianisme ne se nourrit pas davantage de confiture que tout un chacun. Mon garçon, Dieu n’a pas demandé que nous soyons le miel de la terre, mais le sel. Aujourd'hui, notre pauvre monde ressemble au vieux Job, plein de larmes et d'ulcères, sur son tas de fumier. Le sel, sur une peau, est vivant : il brûle, mais il empêche aussi la pourriture. 
Georges Bernanos, journal d’un curé de campagne


Ainsi, si quelqu'un nous demandait pourquoi devenir saint, il nous faudrait lui répondre, à la manière de Bernanos : afin de ne pas pourrir.
Notre vie risque, à chaque instant, de basculer vers la pourriture. Ne pensez pas qu'il s'agisse ici de propos pessimistes. Bien au contraire ! Seul risque de pourrir ce qui est vivant, ce qui déborde même de vie. Tout ce qui est mort, desséché, ne risque plus la pourriture. Lorsque la vie disparaît, le risque disparaît aussi. Le sang jaillit d'un corps vivant ; une maladie se développe là où il y a la vie ; une blessure fait souffrir ce qui vit... La sainteté, justement, cherche à maintenir vraiment vivante la vie, dans un juste équilibre. Quelle erreur de penser la sainteté comme un angélisme de quatre sous ! C’est bien davantage une douceur de grand prix, comme seul le sel sait le faire sur une plaie. 
À une période de ma vie, j’ai imaginé la sainteté comme un mélange mielleux, bien peu en adéquation avec ma propre existence. Je me souviens de ces week-ends avec mes amis enfants de chœur, sur le thème de la vocation. Presque chaque soir, nous regardions ensemble des diapositives sur la vie d’un saint. Ces images étaient alors accompagnées de musique et de voix racontant la vie du saint du jour. Et je garde beaucoup de nostalgie de ces moments-là. Dans mon cœur, grandissait alors le désir de prendre au sérieux la foi en Christ, même si je vivais dans un monde habitué à la foi comme on l’est à une chanson populaire ou à un geste de la main pour saluer un ami dans la rue. Le problème était cependant cet imaginaire, et non pas le désir qui grandissait dans mon cœur. Longtemps, j'ai pensé que la sainteté était une vision romancée de la réalité, où le triomphe des bons sentiments et des sourires était comme la marque des saints. Être un héros simplement en étant bon. Hélas, j 'ai appris à mes dépens que la sainteté est une question plus brûlante. Être un héros en demeurant humain malgré la vie. Et pour demeurer humain, être fort et non pas bon. Rusé, et non pas naïf. Décidé, et non pas docile. Paradoxalement, la déception liée aux couleurs des diapositives m'a rapproché des saints qu'elles voulaient raconter. 
Par un mystérieux dessein de la Providence, j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreuses personnes, diverses communautés, plusieurs manières de vivre le christianisme. J'ai eu la grâce de fréquenter le silence des monastères, mais aussi les cantiques chantés à tue-tête des grands rassemblements. J’ai rencontré beaucoup de paroisses normales et j’ai parlé à ceux dont la vie a été bouleversée par des événements inimaginables. Quel est le point commun entre toutes ces personnes ? Qu'est-ce que je me suis efforcé de partager avec eux tous ? Simplement, quelle que soit la façon de vivre sa vie et sa foi, il y a, à la base, un dénominateur commun. Il s’agit du baptême nous ayant fait fils, nous donnant la certitude d'être aimés, la certitude de vivre sur un horizon marqué par la bonté et de savoir que l'Amour est le présupposé de toute vie digne de ce nom. Ce sont la Foi, l'Espérance et la Charité. Ce que nous avons reçu comme don au baptême et que nous sommes appelés à exprimer, quelle que soit notre vie. 
C'est une affaire sérieuse, car la qualité du reste du monde dépend de sa réussite : 
Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau : on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux.
Matthieu 5, 13-16
Pour qu'ils voient et que leur vienne le désir de lever le regard sur l'Autre.
Les mots de ce livre sont issus de ces rencontres. J’ai entendu beaucoup de paroles moi aussi ; je les ai prononcées telles que me le suggérait le regard de la personne en face. Il serait fastidieux de faire la liste de toutes les personnes, de toutes les communautés, de tout ce que j'ai partagé avec chacun et dont ces pages sont un modeste reflet. Ma gratitude va à tous. 

Luigi Maria Epicoco, in La foi n’est pas un bonbon au miel