Il faut offrir le Christ
Il y a quelques années, un indifférent
entrait dans une église. Un prêtre était à l'autel, c'était le moment de
l'élévation, l'Hostie montait lentement dans les doigts du Prêtre, les fidèles
baissaient la tête, un silence émouvant et plein d'adoration planait sur la
foule. La scène était si grande que l'homme pressentit qu'une chose immense se
passait, il fut bouleversé, il désira connaître la Messe. Quand il fut au courant,
il y vint tous les jours. Il est aujourd'hui Religieux : le fait est
raconté dans un beau livre d'un Dominicain.
Cette impression de grandeur
s'explique.
La Messe est un drame. Un drame
d'amour auquel nous sommes mêlés. Il s'agit du Fils de Dieu Lui-même qui donne Sa Vie pour nous. Non plus sur la
colline du Calvaire, mais sur la scène d'un autel, devant des milliards d'Anges
et de Saints en extase, tandis que
le rideau d'une hostie et d'un calice voile le drame.
Les fidèles, eux, ne voient rien. Ils
verront un jour. Mais ils savent, cela
suffit. Jésus a dit : « C'est mon Corps, c'est mon Sang répandu
pour la rémission des péchés ».
Ils ont un grand rôle à jouer dans cette tragédie non sanglante qui eut lieu pour la
première fois le Vendredi-Saint. Qui aura lieu pour la dernière fois à la fin
des temps, quand les hommes n'auront plus besoin d'être sauvés.
Ce rôle, hélas ! ignoré de
beaucoup, quel est-il ?
L'Église, dans les prières augustes
du Missel, le dit nettement.
Elle met plusieurs fois sur les
lèvres des fidèles ces mots riches de sens : « Nous vous offrons,
Seigneur ».
Il faut donc faire un acte, un
grand acte, quand on est à la Messe. Il faut offrir Jésus.
Celui-ci se remet, en effet, entre
vos mains comme Il se remit entre les mains de la Vierge à Bethléem et à
Nazareth. Vous L'avez à vous, tout à vous, quand Il est à l'autel, Il est votre chose. « Mon Bien-Aimé est à
moi » dit l'Écriture.
Il se livre avec joie au dernier des
pécheurs, qu'Il veut régénérer. C'est inconcevable ! C'est l'infini dans
la bonté.
Il faut donc monter en esprit jusqu'à
l'autel, pour offrir et réaliser ainsi la volonté formelle du Sauveur.
Il faut Le prendre comme Le prit dans le Temple le vieillard Siméon « accepit
eum in ulnis ».
Il faut, comme lui, vous rendre bien
compte que vous portez spirituellement le Corps du Christ avec Sa Sainte Face :
Son Cœur transpercé, Son Âme avec Ses adorations, Ses actions de grâces, tout
ce qu'Il a pensé, voulu, souffert. Pendant trente-trois années, tout ce qu'Il a
souffert sur la montagne sanglante. Oui, vous avez cette bonne fortune. Saint Paul le dit : « Divites facti
estis in illo », vous
êtes riches de Lui.
Une fois en possession du Christ,
comme le prêtre, il faut faire l'offertoire. Expliquons ces mots
essentiels.
N'avez-vous jamais été navrés de la
pauvreté de vos prières, de votre impuissance à aimer, à remercier, à réparer
vos fautes ?
N'avez-vous jamais eu ce noble
tourment de votre petitesse, de votre insuffisance, de vos distractions, de vos
sécheresses, devant l'infinie bonté de Dieu ?
Jésus a prévu ce tourment. Il y a remédié, Il a créé la Messe.
Il a décidé de venir près de vous,
pour vous aider à glorifier le Père, à réparer vos outrages, à payer vos dettes.
Il a eu la pensée généreuse de vous
donner ses prières, toutes ses prières : celles de sa Crèche, celles
de ses journées et de ses nuits apostoliques, celles de sa Passion surtout.
Il a eu la pensée de vous donner son
Cœur brûlant, consumé. L'eau et le sang qui sont sortis de ce Cœur.
Et ce Don, Il a voulu le faire, non
pas une fois dans votre vie, mais tous les jours de votre vie, et chaque jour,
plusieurs fois par seconde, seize mille six cents fois par heure. Il a rêvé de s'offrir par vous, sans arrêt, à tel
point que, même la nuit, vous puissiez vous dire en vous éveillant :
« Il est à moi, tout à moi, en ce moment sur des autels inconnus, et Il
désire, d'un grand désir, que je vienne à Lui, que j'ose Le prendre, prendre Sa
Prière et Son Sang pour les présenter devant la Face du Père ».
C'est cela la Messe. C'est tout cela.
Comment ne pas répondre à une telle
ardente volonté du Christ qui veut que nous L'élevions devant la Trinité
Sainte ?
Il y a, au fond, une telle douceur à dire ainsi la Messe, à la dire comme la
Vierge l'a dite au Calvaire, à la dire comme le Prêtre, avec le prêtre surtout
(qui lit sur son Missel) et en la disant – comme lui, sur votre Missel – à
entendre monter l'harmonie de la Voix de Jésus. Voix si chère au Père, si puissante devant Lui, puissante pour nous,
puissante pour l'Église, pour les grands intérêts des âmes.
Une seule Messe pourrait purifier
toutes les souillures du monde !
La Messe, la Messe ! c'est la
grande chose dans la vie d'un prêtre. Ce doit être la grande chose dans la vie
du Chrétien. C'est la gloire du prêtre, c'est ce qui le rend si vénérable aux
yeux du vrai fidèle, qui frémit en voyant l'hostie qui s'élève au-dessus des
assistants prosternés.
Songez que les Anges eux-mêmes
adorent le chef-d'œuvre enfanté par les lèvres sacerdotales ! « Que
j'aurais voulu être Prêtre ! » disait Thérèse de Lisieux.
Prêtre ! vous l'êtes dans une
certaine mesure, puisque Jésus veut S'offrir
par vos mains, comme Il s'offre par les mains de son Ministre écrasé par son
bonheur.
La Messe, votre Messe. C'est un vrai
Thabor pour vous, un Thabor où le Christ vous convie chaque matin, un Thabor où s'opèrent la
transfiguration du pain et du vin, puis la transfiguration de votre âme
rebaptisée dans le Sang de Jésus, dans ce Sang que vous offrez vous-même, en
présence de la Vierge, des Anges et des Saints.
Ah ! qu'il fait bon monter chaque matin vers ce sommet de gloire, pour dire au
Père : « Voici votre Fils bien-aimé, Il est à moi, Je vous Le donne ! »
Il faut vous offrir
Tous ceux qui ont connu le Père de
Foucauld disent qu'il avait la passion de
la Messe. Elle était le grand acte de sa vie.
Dans ses longs voyages, il chargeait
toujours sur un chameau sa chapelle portative et, chaque matin, au milieu des
dunes dorées du désert, dans ces immensités où jamais le Christ n'était
descendu, il célébrait l'auguste Mystère.
Il se donnait surtout avec son Dieu, Il offrait tout son être, toutes ses
souffrances, toute sa vie, pour les tribus abandonnées auxquelles il avait voué
sa vie et dont il voulait civiliser l'esprit.
La Messe était un don total de lui-même. C'est ce qu'elle
devrait être pour tous ceux qui y assistent.
Hélas ! la plupart des fidèles
ne savent pas qu'ils doivent s'offrir
avec leur Dieu.
Ils sont passifs devant le grand
drame de l'autel. Il y a ceux qui font simplement acte de présence, ils ne
prennent aucun intérêt à ce qui se passe : messe inintelligente et nulle. Il
y a ceux qui récitent du chapelet, c'est un peu plus que la simple présence,
mais ce n'est pas la note qu'il faut donner : le chapelet et la messe, cela fait
deux. Il y a ceux qui n'aiment que les messes en musique, les messes de mariage
par exemple ; c'est la musique qui compte pour eux, et non le drame divin,
qui passe au deuxième plan.
Tous ces fidèles croient au fond que
la messe est uniquement l'affaire des prêtres. Ils n'y participent pas, ils
sont là, voilà tout. Ils ne savent pas qu'ils ont quelque chose à faire et à
dire. Ils doivent non seulement offrir
Jésus comme on l'a dit. Ils doivent
aussi s'offrir eux-mêmes avec Lui.
N'ont-ils pas tout reçu de
Dieu ? Ne les comble-t-Il pas de bienfaits incessants ? Ne sont-ils
pas à Lui ? Ils ont donc des actes
à faire. Quels actes ?
***
D'abord, au début de la Messe, il
faut offrir votre repentir. C'est ce que fait le prêtre. Profondément
incliné, il demande pardon. Songez à vos fautes, il le faut. Vous ne pouvez pas
vous présenter devant la Sainteté divine sans être en état. Vous portez peut-être un lourd passé derrière vous. Et
vous l'avez si peu expié, oui, si peu ! Comprenez votre indignité.
Faites appel à l'intercession de la
Bienheureuse Marie toujours Vierge, de saint Michel Archange, de tous les
Saints si heureux de vous assister. Dites avec ferveur le Kyrie eleison, le Gloria in
excelsis. Ce sont des oraisons puissantes, guérisseuses, qui vont au cœur
du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Elles vous rétabliront dans une grande
pureté, et votre Messe aura plus de poids. Vous comprendrez mieux les idées
sanctifiantes contenues dans l'Épître et dans l'Évangile. Les âmes pures voient
mieux.
Vous voici à l'Offertoire. Le
prêtre présente l'hostie : offrez-la avec lui. Votre missel a une formule
frappante : dites-la lentement : « Recevez, Père Saint, Dieu
tout-puissant et éternel, cette hostie immaculée ». Remarquez la portée immense de votre demande, vous
parlez pour tous les fidèles, vivants et morts. Uni au Christ vous atteignez
l'Humanité entière, celle qui a vécu, celle qui vit encore. C'est une vision
grandiose ! Si vous n'aviez pas de puissance par votre intercession, on ne
comprendrait pas pourquoi l'Église vous ferait prier ainsi.
Le prêtre met alors du vin et
quelques gouttes d'eau dans le calice. Ces gouttes d'eau sont un symbole. Elles
représentent votre personne, votre vie, vos joies et vos peines, qu'il faut mêler à la personne, à la vie, aux
souffrances du Christ, qui a soif de vous prendre avec Lui dans sa montée vers
le Père. Il veut consacrer votre
journée et grandir votre mérite.
Perdez-vous donc en Lui. Cela,
l'avez-vous jamais fait ? Vous êtes-vous jamais ainsi fondu en Dieu ?
Pourtant, cela fait partie de la messe !
Quel acte personnel devez-vous faire encore ?
À la Préface : Louez Dieu avec les Esprits célestes, dites
avec eux : « Les cieux et la
terre sont remplis de votre gloire, ô mon Dieu. Hosanna au plus haut des cieux ».
Au Canon :
Faites appel à la
prière de la Vierge et des Saints. Vous entrez en communion avec eux. « Communicantes », dit la Liturgie. À
partir de cet instant, toute la création entoure l'autel, et se joint à vous.
Vos moindres cris d'âme ont une portée très grande. Ne soyez plus distrait. La
minute est précieuse.
À l’Élévation :
Mettez votre âme,
les âmes que vous aimez, les pauvres pécheurs entre les mains du Christ
réincarné. Ne faites avec Lui qu'une
Hostie, c'est Son désir (Son Désir !).
Après l'Élévation :
L'Église a des
phrases admirables, goûtez-les. On évoque le souvenir des défunts, c'est
l'heure de songer à vos morts, ils sont dans l'attente. On parle de bénédictions
célestes qui descendent de gloire infinie
rendue à la divine Majesté par le Fils de Dieu livré entre vos mains.
Ensuite, ce sont les demandes du Pater,
un appel à la paix : « Agneau
de Dieu qui effacez les péchés du monde, ayez pitié de nous ».
Trois prières préparatoires à la Communion :
« Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison, mais
dites une parole et mon âme sera guérie ».
La Communion du prêtre, la
vôtre.
Enfin l'Action de grâces. Lisez par curiosité les deux prières
que le prêtre récite en purifiant le calice, puis les dernières oraisons,
l'appel à la Trinité. Vous serez surpris de la densité spirituelle de ces formules vénérables qui ont alimenté
tant d'âmes au cours des siècles. Elles sont l'action de grâces du prêtre. Qu'elles soient aussi la vôtre, il n'y
a pas mieux.
Pour terminer, n'oubliez jamais que
vous n'êtes pas seul à la messe. Vous êtes dans un merveilleux ensemble. Le
Christ vivant, sa Mère, tous les Anges et tous les Saints prient avec vous.
Vous êtes associé à ces Êtres supérieurs, vous mettez votre note à vous dans ce
sublime concert. Et
cette note compte, Dieu la désire, Il l'écoute, Il l'exauce. En vous, Il entend
« la voix de son Fils
bien-aimé ».
On ne peut pas imaginer la puissance
du sacrifice de l'autel. En une demi-heure, vous gagnez d'incalculables
richesses, des milliards spirituels, que vous connaîtrez Là-haut.
Une seule messe, bien entendue,
efface tous vos péchés. Elle peut faire de vous une âme sainte. Songez au bon
larron, il a bien assisté à la première messe dite au Calvaire, il y a pris une
part personnelle, il a dit quelques mots bien sentis : « Seigneur ! souvenez-vous de moi »,
nous en disons autant au Memento. Il
a été complètement transformé, il a gagné une éternité (une éternité !) de
bonheur, il a pris place dans la sublime Légion des Saints, d'où ses crimes
l'avaient exclu. Ce jour-là, Jésus vous a montré clairement la valeur d'une seule messe, l'importance
qu'elle revêt à ses yeux, qu'elle doit avoir à vos yeux.
Un jour, bientôt, quand vous verrez
tout ce que Dieu dans son amour a renfermé dans l'auguste drame de l'Autel,
vous direz : « Si j'avais su ! ».
Vous savez maintenant, ou du moins
vous commencez à savoir.
Abbé Paul Marc, in L’Élite, beaucoup
d’appelés (1940)