Michel Ciry, église Saint-Valery de Varengeville-sur-Mer |
Loïc. Avant de commencer cette messe pour Gaspard, Anne-Dauphine et moi voudrions vous parler en cœur à cœur de ce qui s’est passé. La mort de Gaspard est un mystère. Elle est incompréhensible pour notre esprit et notre cœur d’homme, mais on peut tenter de l’éclairer en plongeant dans le cœur de Gaspard.
Anne-Dauphine. Il y a cinq ans, dans cette même église, Gaspard à 15 ans, est entré en portant le cercueil de sa sœur Azylis. Azylis était toute sa joie. Il l’aimait d’un amour extraordinaire. Il voyait à travers la vie et le cœur de sa petite sœur une fenêtre ouverte sur le Ciel. Les deux années qui ont suivi la mort d’Azylis ont été très compliquées pour lui. Mais son arrivée en prépa à Douai, tout à la joie de découvrir la vie étudiante, l’a rendu très heureux. Ses cours l’intéressaient. Il vous avait vous, ses amis, il avait rencontré Albane. Nous le sentions heureux.
L. Mais début décembre, Gaspard est rentré à la maison pour nous dire qu’il allait très mal. Depuis un an, malgré toutes ces raisons d’être heureux, il était envahi par une souffrance insondable. La mort d’Azylis lui avait peu à peu ôté tout sens et toute envie de vivre. Cette souffrance l’a plongé dans une grave dépression. Avec lui, nous avons alors mis en place tout ce qu’il fallait pour qu’il guérisse, et qu’il avance sur son chemin de deuil. Son retour à la maison, en famille, lui a fait du bien, et lui a donné un espoir de guérison. Au bout d’un mois, pourtant, il nous a demandé à être hospitalisé parce qu’il se sentait en danger. Il voulait vraiment guérir, il voulait vivre. Après deux jours d’hôpital, il nous a dit être content d’y être, et commencer à sentir des effets bénéfiques. Les médecins étaient confiants dans une amélioration rapide de son état. Jeudi soir, il nous a demandé de lui apporter des affaires pour le lendemain, il nous a parlé de son avenir. Et surtout, il nous a dit qu’il pensait enfin qu’il allait vraiment s’en sortir. Mais dans la nuit, il s’est donné la mort.
AD. Alors qu’il avait tout fait pour se libérer de cette souffrance ; alors qu’il avait eu le courage de nous en parler puis d’être hospitalisé ; alors qu’il aimait la vie et qu’il voulait vivre ; quelque chose de plus fort que lui l’a emporté. Arthur, son frère, nous a dit vendredi : « ce n’est pas Gaspard qui s’est suicidé, c’est autre chose qui a pris possession de lui ». Les médecins nous l’ont confirmé : rien ne laissait présager un tel geste. Tous ses actes montraient au contraire qu’il se battait pour vivre. Mais une lame de fond l’a emporté.
L. Nous nous adressons particulièrement à vous, ses amis : soyez absolument certains que Gaspard est aujourd’hui en paix. Il voulait vivre. Il se savait immensément aimé et il aimait. Il ne s’est pas suicidé par désespoir, mais parce qu’au cœur de sa souffrance, une force a vaincu son courage et sa volonté. Il avait la certitude que Thaïs et Azylis l’attendaient auprès de Jésus. Le Ciel lui était familier, car ses sœurs y habitent. Et surtout, surtout, ne vous dites pas que vous auriez pu y changer quelque chose. Il nous l’a dit : vous ne pouviez rien voir, car je ne le voulais pas. Sa volonté de cacher cette souffrance ne permettait à personne de déceler ce qu’il vivait intérieurement.
AD. Loïc et moi sommes en paix. Nous n’avons aucune colère. Nous ne cherchons pas de réponse à ce mystère. Nous l’avons aimé de toutes nos forces, et nous l’aimons encore.
AD & L. Alors Gaspard, nous te demandons d’aider chacun ici à trouver la paix. Et puisque tu es entré dans le plein Amour de Dieu, aide-nous aussi à trouver cette lumière. Gaspard, veille sur nous.
Jean 11, 17-27
À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà. Comme Béthanie était tout près de Jérusalem – à une distance de quinze stades (c’est-à-dire une demi-heure de marche environ) –, beaucoup de Juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère.
Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera ». Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera ». Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour ». Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde ».
Père François Potez.
La réaction de Marthe est tellement compréhensible. Bien sûr, elle respecte Jésus, elle a un infini respect pour lui, et beaucoup d’amour, mais il y a un peu de colère, quand même, dans sa voix. Il y a un petit reproche quand même : « Seigneur, si Tu avais été là, cela ne serait pas arrivé. Pourquoi est-ce que Tu as laissé faire, pourquoi est-ce que Tu as traîné pour venir ? Si Tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Il y avait beaucoup de monde qui était venu pour réconforter Marie et Marthe. Lazare était très connu à Jérusalem, à Béthanie à côté de Jérusalem. C’était des grands amis de Jésus. C’est curieux d’ailleurs la réaction différente entre Marthe et Marie. Marie reste à la maison elle pleure, Marthe se précipite pour aller rencontrer Jésus. Chacun son caractère, chacun son tempérament, chacun sa manière, Marthe est assez… vive.
Je repense au psaume que nous avons lu et chanté. C’était le psaume qui était proposé par la liturgie vendredi, le jour de la mort de Gaspard : « Pitié mon Dieu, pitié pour moi. En Toi je cherche refuge, je crie vers Dieu le Très Haut, vers Dieu qui fera tout pour moi ». Oui, je crois qu’Il fera tout pour moi, mais quand même, mais quand même ! Qu’est-ce qui se passe ? pourquoi ? comment ça se fait ? Il y a quelque chose qui est incompréhensible dans tout cela. Ce n’est pas la peine d’essayer de comprendre : c’est incompréhensible, c’est au-delà de ce qu’on peut imaginer, au-delà de ce qu’on peut comprendre.
Jésus, paisiblement, calmement, fermement, lui dit :
― Ton frère ressuscitera.
― Oui je sais bien qu’il ressuscitera au dernier jour, mais moi ça me fait une belle jambe ! Je sais bien qu’il ressuscitera, mais moi je souffre !
― Moi, dit Jésus, Je suis la Résurrection et la Vie. Celui qui croit en Moi, même s’il meurt, vivra. Et quiconque vit et croit en Moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ?
― Oui Seigneur, je crois que Tu es le Messie, que Tu es le Fils du Dieu vivant.
― Non, ce n’est pas cela que Je t’ai dit Marthe. C’est magnifique ta profession de foi, c’est superbe : tu crois que Jésus est le Messie, c’est bien et c’est magnifique, c’est une des plus belles professions de foi de l’Évangile. Mais ce n’est pas cela que Je t’ai dit : Moi, Moi, Jésus, Je suis la Résurrection et la Vie et quiconque croit en moi, même s’il meurt vivra.
Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est assez difficile de croire, de concevoir ce que cela veut dire. Jésus est la Résurrection. Il n’est pas en train de dire : « Je vais ressusciter ». Il n’est pas en train de dire seulement : « Ton frère ressuscitera ». Il est la Résurrection. Voyez, ce papier est blanc, mais ce n’est pas la blancheur. Quand Marie dit à Bernadette, à Lourdes : « Je suis l’Immaculée Conception », elle ne dit pas seulement : « J’ai été conçue immaculée », ce qui est beau, ce qui est magnifique, ce qui est extraordinaire ! elle ne dit pas : « J’ai été conçue immaculée », mais elle dit : « Je suis la Conception Immaculée ». La Conception, la pensée de Dieu parfaitement réalisée, la pensée de Dieu dans toute sa pureté.
« Je suis la Résurrection ». Qu’est-ce que cela veut dire Je suis la Résurrection et la Vie ? Je suis cette puissance qui, de la mort, fait jaillir la vie. Je suis cette puissance qui de mort devient vivant, et cela éternellement. Il reçoit tout de l’amour du Père, et cette force d’amour qu’Il reçoit, c’est Sa Vie. C’est l’amour de Dieu qui va Le ressusciter. Lui-même est cette capacité de vie, tellement plus puissante que la mort. Voilà nous y sommes, nous sommes au cœur : Il est cette Vie plus puissante que la mort, la mort n’aura pas le dernier mot. C’est fou, la force de la mort, c’est impressionnant, la force de la mort. Loïc et Anne-Dauphine le disaient tout à l’heure, avec tellement de pureté, de discrétion, de pudeur : « Ce n’est pas Gaspard qui a voulu la mort, lui il voulait vivre ». Mais il y a quelque chose de mystérieux qui l’a emporté, qui est plus fort que lui, qui a anéanti sa volonté, un instant, un petit moment. Il sentait que cela pouvait venir, c’est pour ça qu’il voulait se mettre en sécurité. La mort… je comprends que la mort soit terriblement difficile, parce qu’elle semble tellement puissante. Mais Jésus est plus puissant parce qu’Il est le fils de Dieu, Il est Dieu Lui-même, Il est la vie, Il donne Sa vie. Il ouvre un chemin de vie à travers la mort. La mort est feintée, elle est foutue la mort, elle ne peut plus rien. Jésus ne meurt pas parce qu’on l’a tué, Jésus ne meurt pas parce que la mort lui tombe dessus, Jésus ne meurt pas parce que la mort est plus puissante que Lui. Il renverse tout parce qu’Il donne Sa vie. Ah voilà ! Il donne Sa Vie, alors la vie a gagné. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un homme meurt non pas parce que la mort lui tombe dessus, mais parce qu’il donne sa vie. Vous voulez vivre ? alors donnez votre vie, c’est le seul moyen d’être vraiment vivant. Il ouvre un chemin à travers la mort, et la mort devient une porte d’entrée dans la plénitude de la vie. C’est cela, la foi. La mort est vaincue, la mort ne peut plus rien, et même la mort est prise à son propre jeu, parce que la mort devient passage. Si satan avait cru, avait compris cela, il n’aurait jamais imposé la mort. La mort devient le passage vers la vie.
À quel prix, à quel prix ! Jésus souffre, quelque chose qui est indicible. Voyez, depuis, trois quatre jours, je regarde la Vierge Marie au pied de la Croix. J’ai compris quelque chose que je n’avais pas encore vu à ce point. Pour moi, les larmes de la Sainte Vierge au pied de la Croix étaient des larmes un peu comme une icône. C’est beau, c’est magnifique, c’est grand. Sa foi, sa foi tellement pure, sa foi tellement puissante, son espérance absolument transparente la fait tenir debout. Elle est debout au pied de la Croix. Mais ces jours-ci j’ai compris que Marie, debout, dans une foi absolument pure, est ravagée. Elle est ravagé de douleur parce qu’elle voit son Fils mort, qui meurt, qui offre tout. Elle participe à cette offrande, elle offre tout elle aussi. Siméon le lui avait dit : « Un glaive te transpercera l’âme ». Elle ne pouvait imaginer que ce glaive serait si douloureux. Ceux qui étaient là, il y a quelques années, nous avions posé cette question, avec Marie, avec Joseph : « Mon enfant pourquoi nous as-tu fait cela ? ». Et vous vous rappelez la réponse de Jésus : « Je dois être aux affaires de Mon Père ». Marie n’avait pas compris : c’est en toutes lettres dans l’Évangile : Marie n’a pas compris. Marie n’a pas compris, Joseph non plus, ils n’ont pas compris ce que Jésus leur disait. Là, au pied de la Croix, Marie comprend une seule chose, elle comprend maintenant ce que ça veut dire, Jésus est aux affaires de Son Père, Il est en train de porter le monde, Il est en train de sauver le monde, Il est en train d’offrir Sa Vie alors Marie dit : « eh bien, que tout se fasse pour moi comme Tu as dit, j’offre tout ». Mais elle est ravagée, elle est… il n’y a pas de mots. Il n’y a pas de mots. Aujourd’hui, ce sont les parents, c’est Arthur, c’est tous ceux qui sont proches, vous tous, vous êtes proches de Gaspard. Ravagés. Ravagés mais debout, ravagés mais debout, parce que même si, les uns et les autres, il y en a qui n’ont pas la foi, ou qui ne croient pas encore, ou peut-être mal, nous nous appuyons les uns sur les autres, et nous nous serrons les uns contre les autres.
Cette prière, nous la disons à chaque messe : « Seigneur, ne regarde pas nos péchés, mais la foi de Ton Église ». Regarde la foi de tous ceux qui portent, de tous les saints, la foi de tous ceux qui croient en Toi. De tous ceux qui avec Marthe croient que Tu es le Messie. C’est important parce qu’aujourd’hui, il y a comme une espèce de fascination pour la mort. Notre monde, le monde dans lequel nous vivons, est fasciné par la mort et satan ricane, et satan rigole, satan croit encore qu’il est victorieux, parce qu’il impose la mort de temps en temps d’une façon invraisemblable d’une façon tellement brutale et j’entends, nous entendons, parfois : « il faut beaucoup de courage pour se donner la mort ». Non, non, non, le courage c’est de vivre, pas de mourir, le courage c’est de donner sa vie, oui. Le courage c’est de vivre, et Gaspard avait ce courage. Il le voulait profondément. C’est vrai que, apparemment, la mort l’a vaincu. Mais même, même ça ce n’est pas vrai, parce que la mort ne l’a pas vaincu, il est vivant. Le courage c’est de vivre.
Qui nous séparera de l’amour du Christ ? Qui nous séparera de l’amour de Dieu ? L’angoisse, la persécution, la détresse ? Non, j’en ai la certitude, j’en ai la certitude ! Et il faudrait que ce soit planté dans notre cœur comme un étendard, pour que nous puissions le répandre dans le monde, que nous puissions le dire autour de nous, que nous puissions en témoigner – en pleurant – mais en vrai. J’en ai la certitude, ni la mort ni la vie, ni les puissances, ni les principautés, rien, rien ne nous séparera de l’amour du Christ. Alors, nous sommes les grands vainqueurs dans tout cela. Terrassés, ravagés, mais vainqueurs. Sous le manteau de la Vierge Marie, ensemble, la mort ne peut rien.
Nous allons célébrer cette Eucharistie, Il Se donne à manger pour que cette Parole de Vie soit en nous comme une source de vie. Ce n’est plus moi qui vis, c’est Lui qui vit en moi, c’est le Christ qui vit en moi, victorieux avec elle, en elle et par elle. Avec Jésus, par Lui et en Lui. Amen.
Homélie pour les funérailles de Gaspard
Notre-Dame-du-Travail, le 26 janvier 2022