Lettres de Thérèse Devaulx de Chambord à Blaise de Montesquiou Fezensac, les 17 septembre et 24 octobre 1917. Son fils unique vient de mourir sur le front, et Montesquiou est lui-même dans les tranchées. [ndvi]
17 septembre
Oui, il a plu au Seigneur de rompre le dernier lien qui me retenait dans le monde, et le jour de la fête de N.D. des sept Douleurs. Un mois après la dernière lettre qu’il m’écrivait, j’apprenais au pied de la Croix qu’une mère a toujours du sang de son cœur à verser. Vous savez quels liens m’unissaient à cet enfant resté seul auprès de sa mère, combien j’aimais son âme droite et noble, que Dieu avait faite si belle, et combien j’avais souffert en la voyant atteinte par la poussière de la vie. Maintenant je savais qu’elle était régénérée : le mois passé à Chambord avait été une purification, une élévation ; et le dernier acte au milieu de ses chers alpins avait été pour Albéric la paix définitive dans la voie et le sacrifice.
J’ai presque la certitude que, redoutant les faiblesses de la nature, il avait offert sa vie pour ne plus jamais succomber. En tous cas, il a été chrétien dans toute la force du mot, car il s’est relevé ; et c’est bien, je trouve, l’acte le plus beau et le plus glorifiant pour Dieu. C’est ainsi qu’il est mort, c’est-à-dire qu’il a échangé les fragiles bonheurs de la terre avec les joies éternelles. Sa part est belle. La vie a été courte mais féconde, il me semble, et il laisse un exemple et un enseignement. Son sang fécondera tout cela et il peut faire tellement de bien par son rayonnement pris dans la divinité. Voici ce qu’est ma suprême, mon immense consolation. Je ne regarde plus en arrière, mais en dedans, dans la Croix de N. S. où sont mes enfants bien aimés, et en Haut, où ils m’attendent.
Dans la vie de silence, de recueillement et de prière qui est maintenant la mienne pour jamais, il me sera facile de leur demeurer unis.
Vous savez comment Albéric vous aimait, vous étiez celui entre tous choisi. Vous pouvez être bien certain que le lien créé entre vous subsiste et subsistera toujours. Votre ami veille sur vous, il sera le protecteur invisible que nous sentons à certaines heures, planant sur nos décisions et nous aidant. Par moment, dans cette rude vie de soldat qui n’est pas celle de votre choix, mais de votre devoir, vous sentirez plus spécialement cette protection ; et je puis vous assurer que de mes faibles prières j’essaierai également de soutenir l’ami de mon cher enfant.
Croyez donc toujours, cher Monsieur, à mon union pour toujours, et à mes religieux et bien dévoués sentiments.
Sœur Thérèse Devaulx de Chambord de la Mère Ste Marie.
24 oct.
Je reçois votre lettre, et vous en remercie bien sincèrement. Je viens d’avoir d’autres détails sur la journée du 9 sept. Mon cher enfant a bien perdu connaissance sur le champ, sa tête traversée par la balle meurtrière, l’aumônier a pu certifier de sa foi, de ses pratiques religieuses, et ses chefs admirer sa valeur et sa bravoure.