Mes bien
chers enfants de FRANCE : "Frères de captivité"
En cette heure où l'Église
de Dieu traverse la période de plus grand martyr qu'elle ait jamais connu, j'ai
eu pour l'amour de Dieu et de
vous mes biens chers enfants, l'humiliation suprême de me voir refuser par le
chef temporel d'un état voisin, l'autorisation de vous adresser une lettre
pastorale qui vous eût porté l'expression la plus douloureuse de ma
souffrance devant les malheurs qui nous accablent et le réconfort de ma
paternelle bénédiction.
La première fois qu'un tel
soufflet a été porté à la face du Dieu Tout-Puissant son auteur se vit rapidement
précipité. Il en sera de même, car Dieu est immuable dans ses actes comme dans
sa personne. C'est pourquoi je lui confie ce soir l'émotion la plus poignante
de ma vie, le soin de vous laisser entendre sa voix par l'intermédiaire du Père
accablé de la grande famille éprouvée qui vous chérit tendrement 1.
Que la France garde courage, car la
cause de la France est la grande, la juste, la noble cause. Le devoir
d'aujourd'hui est d'être grand dans l'épreuve : il est aussi de garder son
âme : l’âme d’un peuple ne peut être écrasée par le
malheur, par la brutalité d'une occupation qui ne peut être que
momentanée, car en elle se refont le courage, les vertus morales et spirituelles.
En elle, se redressent les erreurs et se prépare la
reconstruction de l'avenir victorieux.
On
exalte l’âme d’un peuple en lui
apprenant qu’aux droits réels correspondent des devoirs, que ceux-ci protègent
ceux-là et que pour durer il faut avoir soin de défendre ses devoirs,
seul moyen de défendre ses droits.
Ne craignez rien : le salut
viendra aussi immanquablement que chaque matin le soleil remonte à l'horizon, pour
chasser les ténèbres odieuses. Recueillez-vous sur la maison, ramenez-y la
foi, gardez la foi, faites la revivre. Faites-y vibrer l'âme ardente et fière
de la FRANCE. À l'extérieur votre âme doit garder le silence,
soyez d’autant plus jaloux de la maison
qu'elle soit pour chacun de vous un peu de la Patrie.
Le
sentiment patriotique n'est pas celui d'une race qui s'affirme sauvagement
contre une autre race, mais un esprit qu'aucune force brutale ne peut détruire.
Une civilisation pour durer doit être chrétienne ; les Patries doivent
être chrétiennes ; si elles ne le sont pas, elles sont marquées par le doigt
de la mort.
Ne laissez pas pénétrer en
vous la discorde, l'inquiétude, la dépression. Courage, confiance, endurance. Développez
en vous le sentiment de votre passé, gloire des annales de l'humanité et de votre
terre, la plus belle. Connaissez-les, aimez-les. Ayez soin dans
l'épreuve de garder intact le message chrétien de votre Patrie. Vous avez partie
liée avec le Christ qui n'a jamais été vaincu et ne le sera jamais. Que Dieu
vous garde.
1. Les deux premiers paragraphes n'ont pas paru dans les journaux, ainsi que les mots soulignés.
[ndvi : feuillet ronéotypé, retrouvé dans l’ « Évangile selon Saint Matthieu traduit et
commenté par le Père Alfred Durand, S. J. », imprimé en 1938]