lundi 29 mai 2017

En chantant... Patrice de La Tour du Pin, Les sept jours de la Genèse

Que les plus claires laisses de bonheur
Se séparent du temps et de la marche de la mer
Et tournent sur elles-mêmes !
Sur le ciel, où les amours, les violences
Obscures, les éclairs d'eau, réfléchis
S'enfoncent loin derrière en mon absence,
Se prolongent peut-être dans ma nuit
De l'avenir, où lentement j'avance
Prédestiné jusqu'au dernier silence,
Je vois trois veines se chevauchant
Se retourner en trois cercles immenses,
Comme des nébuleuses se lovant,
Former les vraies lumineuses présences.
Qu'elles soient des îles de clarté,
Les tout premiers corps prélevés hors du temps,
Et pour les vagues qui déposent, des aimants.
Ô lieux enfin trouvés dans une mer fuyante,
Îles des plus parfaits, des plus secrets bonheurs
Qui frissonnez de vos trois aubes hésitantes,
États de grâce encore inconnus, que le cœur
A saisis, séparés des lueurs de surface,
De ce fourmillement sans éternel qui passe
Et qu'une âme abandonne au temps sans en mourir.
Soyez de beaux aimants où les vagues déposent
Les parcelles venues des fonds, pour agrandir
Ce fondement d'amour qu'un univers suppose.
Qu'elles expriment l'air qui doit les couvrir !
Qu'elles s'étendent lentement
Et prennent leur forme de leur propre ferment !
Sachant si peu de la clarté du fond des êtres,
Je ne les surpris pas entre mes souvenirs,
Mais à les voir gagner sur l'ombre et s'agrandir,
Un autre instant d'amour a pu les reconnaître
Et sans presser, sans les forcer, sans les saisir,
Les laissant exhaler l'air où tout pourra naître,
La nébulosité chaude et dorée peut-être
Qui monte des vivants au-dessus des désirs,
Les protège des vents, des choses éphémères,
Je sentis lentement me prendre la première
D'un enthousiasme vierge et noir, bouleversant,
La seconde plus loin, de son ravissement,
Vierge, mais souverain ; et plus loin la dernière
De la plus vierge adoration dans la lumière.
Qu'elles soient pressées jusqu'aux semences encloses !
Jaillissent les vies qui ne se détachent pas !
Que leur nature fasse sa flore !
Alors l'Amour battit doucement dans ces îles...
Il naissait au-dessus de ces trois germes de bonheur,
Des pousses sensuelles, vert pâle et fragiles,
Tout un miraculeux avril intérieur.
Et je planais sur lui comme un milan royal,
Criant et recriant : Naissent les vies montantes !
Sur les limons encore ondulants, sur les pentes
Spongieuses, crevaient des nids de perce-neige ;
Et dans l'aspiration du soleil matinal,
Sous le vent clabaudeur qui tourne entre les tiges,
La joie d'avoir une ombre et de la voir tourner,
L'explosion en fleurs, la splendeur pour chacune
D'être d'une beauté, d'un halo qui parfume,
Et quand passe le vent de mer de s'incliner
Un peu, de remonter vers le ciel diaphane
Et d'épuiser en lui le bleu des gentianes,
Le blanc plat des grandes achillées, le blond rose
Des reines-des-prés, et tous les ors...
Qu'elles soient pressées encore avec plus de violence !
Jaillissent les vies qui se détachent d'elles !
Que leur nature fasse sa faune allant d'une île à l'autre !
Alors l'Amour battit de toutes ses forces,
Le matin de ce monde allait passer aux corps,
Les sèves enfouies déborder des écorces...
Genèse ! Genèse ! toutes les voix nouvelles
Montant de la chaleur nourricière s'appellent
Et le premier concert presqu'étouffé... Alors
Dans les poches de joncs les nids se découvrirent
Des grêles échassiers ; alors de leurs repaires
Dans la rosée, de petits fauves se risquèrent
Vers le jour ; et tout chantait dans un grand rire
Émerveillé ; d'une crête à l'autre crête,
Des chèvres sauvages se hélaient, des paquets
D'alouettes de mer se ruaient sur les sables,
Et tout cela disait et redisait la splendeur
D'être et de bondir au soleil jeune ; il tournait
Très haut déjà dans l'air des milans admirables,
Leur ombre éclaboussée de milliers de nageoires,
Mais ils montaient toujours dans la grande paix blanche,
Laissant dessous la terre éblouie de porter
Le bleu de paradis des mésanges,
L'or pâle des pluviers et l'or roux des renards,
Et l'or tourbillonnant des guêpes...

Que ces corps lèvent leurs visages,
Et dans certains regards je mettrai mon image
Pour que ma création aille jusqu'où je vais !
Levez au ciel vos yeux naïfs, faites silence,
La partie que je mène est presque consommée,
Tous ceux que j'ai choisis sont de ma vraie naissance,
Soyez graves, ô vous qui devez m'animer !
Le reste peut vagabonder dans l'innocence.
Enfants de mes trois îles originelles,
Des seuls plaisirs à peu près purs que j'aie trouvés,
Je vous engendre tous enfin :
PARADISIERS
Avec vos ailes et si peu de coupant d'ailes
Et mon besoin de plénitude de clarté...
Mes
CHANTEURS... que vos voix soient timides et frêles,
Vous porterez pour moi ma passion de chanter...
Et mes enfants
SAUVAGES où je reconnais,
Si pur est le trembler d'une race mortelle,
Mon refus de la terre et mon ivresse d'elle,
La gloire et le frisson des êtres condamnés.
Vous êtes des trois hymnes du fond de moi-même,
Ne vous égarez pas, je dois vous expirer.
Vous recevrez de moi cette chance suprême
Que je n'ai pas connue : tant que je le pourrai,
Je ne livrerai pas vos vocations profondes
Au temps qui mûrit mal les sens d'éternité.
J'aurais pu tout entier me mettre dans ce monde,
Incarner mon visage au-dessus d'un reflet,
Raconter ma naissance en moi comme une aurore,
Mentir pour mon honneur... tant que je le pourrai !
Soyez donc les enfants de cette terre encore
D'enfance... et portez-la, portez-la bien,
Et non pas comme nous qui perdîmes la nôtre ;
Je ne peux pas vous donner plus : je n'ai rien d'autre...
Je vous confie ma création d'amour qui vient
De plus haut...

Qu'ils ordonnent cet univers,
Qu'ils découvrent et perpétuent la Genèse
Pour que toute chose s'exprime hors du temps !
Je vous promets le chant, la voix d'homme qui chante,
Tous mes instincts à prendre et à réincarner,
À porter au-dessus de la danse vivante
Que je sens battre en moi et ne peux exprimer,
— Que je ne peux danser, trop subtile peut-être,
Trop vive pour mon corps et d'un rythme inconnu,
Mais vous naissez des mouvements qui s'enchevêtrent,
Tous les ferments, les boursouflures, les tempêtes
Me feront bien un cœur avec son sens perdu...
Je vous promets des jeux, les trois plus grands du monde,
À comprendre d'abord, et peut-être à gagner,
À pousser si avant dans leurs règles profondes
Que vous en resterez pour toujours prisonniers.
Ah ! la terreur me défigure, vous rend blêmes !
Mais que sera-ce au bout du Jeu de l'Homme devant lui-même
Quand vous reconnaîtrez la touche du néant
Sur tout ce que la joie et l'espérance fondent
— Si je ne suis qu'un perpétuel éclatement !
Et que sera-ce au bout du Jeu de l'Homme devant le Monde,
Dans ce vide étranger, cet autre insaisissable
Que parcourent des temps, des nuits de création
Dont on ne peut saisir que l'évaporation
La brusque fin dans la seule zone habitable
Pour nous de l'Univers...
Et que sera-ce au bout du Jeu de l'Homme devant Dieu ?
Petits contemplatifs, rendez ce qui déborde,
Allez dans le concert où la Grâce s'accorde
Et cet hiver extrême, où seul le Creux
Demeure...
                       Alors j'aurai vécu mon existence,
Si naïve est ma foi, ne perdez pas confiance.
Vous aurez d'autres jeux à courir, les plus libres,
Comme ceux des amours d'enfants et des dauphins,
Toutes les tragédies, tous les mythes possibles
Que rencontre un adolescent sur son destin
— Et celui d'épuiser les choses et les rêves,
De mêler sa croissance aux croissances des sèves,
De prendre dans sa voix les musiques du ciel
Et de la terre — et gagner pas à pas le mystère
D'être homme, l'honneur d'être homme...
                                                                                et l'Éternel...


Patrice de La Tour du Pin, in Petite somme de poésie

jeudi 25 mai 2017

En s'élevant... Hans Urs von Balthasar, L'Ascension du Christ

Avec l'Ascension,
pour la première fois les cieux s'ouvrent
à la terre,
pour la première fois un départ ouvre à une plus grande intimité,
pour la première fois est habité un lieu au-delà de tous les lieux du monde.

1. Le ciel et la terre
Toute question sur la signification de l'Ascension doit prendre pour point de départ l'opposition ciel-terre, telle qu'elle a été formulée dès le premier livre de la Bible :
Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.
Genèse 1, 1
et telle qu'elle sera maintenue jusqu'au dernier :
Le premier ciel et la première terre avaient disparu... alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle.
Apocalypse 21, 1
Le ciel a été créé et cependant il est, dans la création, le lieu que Dieu se réserve pour son domicile et l'endroit d'où il exerce son activité. Ainsi, la distance entre le ciel et la terre devient le signe visible de la distance entre Dieu et les créatures :
Les cieux sont les cieux du Seigneur ; la terre, il l'a donnée aux fils d'Adam.
Psaume 115, 6
Cela restera vrai, même à mesure qu'
Israël saura mieux que la majesté de Dieu trône au-dessus des cieux,
Psaume 148, 13
que
les cieux des cieux ne peuvent le contenir,
1 Rois 8, 27
que Yahvé est donc
Dieu du ciel et de la terre.
Esdras 5, 11
Cela restera vrai, parce que l'enjeu de la Création est un va-et-vient, un vis-à-vis, un échange entre le ciel et la terre, entre Dieu et les hommes, ce qui n'est possible que s'il y a à la base une opposition primaire non révocable 1. Déjà, sous l'ancienne Alliance, Yahvé est un Dieu « qui abaisse son regard » du haut du ciel, en « descend sur ses chars », envoie de là-haut grâce et jugement, parole et sagesse, alors que l'homme est celui qui lève son regard vers le ciel (Daniel 13, 9.35). L'alliance de grâce conclue avec Abraham et Moïse scelle le projet d'échange,  dont l'accomplissement est d'avance symbolisé par l'image de l'échelle de Jacob que descendent et montent des anges.
Cependant, l'ancienne Alliance reste très éloignée de cet accomplissement. Certes, Dieu daigne avoir sa tente et son temple parmi les hommes, auxquels il donne ses directives ; le croyant met tout son espoir en Lui, mais la barrière de la mort reste fermée : le mourant descend vers la fosse, l'accès au ciel de Dieu lui est interdit. La Lettre aux Hébreux (11, 39 s.) énumère les hauts faits des héros de l'Ancienne Alliance, mais doit conclure par cette constatation :
Aucun de ceux-là n'a vu s'accomplir pour lui la promesse, parce que Dieu a prévu pour nous une condition meilleure et que ce n'est pas en dehors de nous qu'ils devaient parvenir à la plénitude (céleste).
L'ancienne Alliance ne connaît que des signes annonciateurs de cette plénitude : la montée de Moïse au sommet de la montagne où Dieu séjourne ; l'ascension d'Élie sur le char de feu (pour quelle destination, cela n'est pas indiqué) ; le ciel de Dieu de plus en plus habité par ses milices et messagers angéliques ; les visions des prophètes, qui, tels Isaïe et Ezéchiel, voient la gloire de Dieu ; à l'époque tardive, des aperçus sur une résurrection des morts à la fin du monde — résurrection dont, à vrai dire, le lieu est toujours la terre (Isaïe 26, 1) ; chez les psalmistes, expression sporadique d'un espoir de trouver en Dieu un refuge éternel (Psaumes 16, 10 ; 17, 15 ; 49, 16). Autant d'images de l'espoir lancinant que l'échange ciel-terre ne s'accomplira pas seulement de haut en bas, mais aussi de bas en haut.
2. « Il est bon pour vous que je m'en aille »
Jésus dit cela à ses disciples attristés (Jean 16, 7). Son départ est bon, parce que le retour auprès du Père est l'aboutissement logique de sa descente sur terre, et la première et décisive étape pour introduire et habituer les siens à son attitude fondamentale.
Il est, par son Incarnation, sa Croix et son Eucharistie, le Livré, celui qui, en tant qu'envoyé du Père, s'effuse en plénitude dans toutes les spatialités, les temporalités du monde et de son histoire, en tous les cœurs et en toutes les destinées des hommes. L'Ascension du Christ doit être comprise comme l'accomplissement de son abandon, et cela dans un triple sens.
En premier lieu, elle est le retour « vers le sein du Père » (eis ton kolpon tou patros, Jean 1, 18), les retrouvailles avec la source jaillissante « où tout prend son origine » et à quoi tout est redevable, et le Fils lui-même, qui dès lors reconnaîtra dans sa propre offrande la réponse à l'immémoriale et gratuite offrande du Père. Cette rencontre est sa béatitude : « Le Père est plus grand que moi », et il demande à ses disciples de se réjouir avec lui de son bonheur :
Si vous m'aimez, vous vous réjouirez.
Jean 14, 28
Mais ce retour — et c'est le second point — n'est point un délaissement :
Je m'en vais, et je viendrai vers vous.
Jean 14, 28
À partir du lieu où il sera élevé, il infusera à l'Église la vie eucharistique et lui donnera de l'intérieur sa structure ; il n'est pas seulement « chez nous » tous les jours « jusqu'à la fin du monde » (Matthieu 28, 20), car il est, depuis le lieu de sa souveraineté, « en nous » (Jean 14, 20 ; 17, 23) en ce qu'il ne nous communique pas seulement sa vie, mais nous octroie une part, proportionnée à chacun de nous, de sa mission « aux uns afin qu'ils deviennent apôtres, aux autres afin qu'ils soient prophètes » jusqu'à la pleine maturation de son corps en nous. (Éphésiens 4, 11 s.).
En ce sens, finalement, l'Eucharistie est, comme l'Ascension et tout à fait littéralement, l'offrande d'une liberté : par son apparent retrait (qui est « bon pour vous ») nous est offerte, au dedans de son abandon eucharistique, la liberté d'accomplir la mission qu'il nous a confiée. Le retrait de son être-à-nos-côtés a rendu possible son être-en-nous, en d'autres termes la communication de son Esprit :
Il est bon pour vous que je m'en aille, car si je ne m'en allais pas, le Paraclet ne viendrait pas vers vous ; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai.
Jean 16, 7
En fin de compte, le retrait porte sur ce qui empêcherait l'ultime intimité. Par-dessus tout, il faut se garder de considérer l'Ascension comme l'opposé de l'Eucharistie. Celui qui s'est une fois abandonné ne se reprend plus jamais. Mais pour faire participer ses disciples à l'offrande qu'il a faite de lui-même, il faut qu'il les exerce à accepter son retour à la maison de son Père. Il va auprès du Père, dit-il, afin que sa joie de Fils soit aussi pleinement la leur (Jean 17, 13).
C'est à partir de l'événement pascal que s'institue cette pédagogie. Il apparaît toujours aux disciples comme Celui-qu'on-ne-peut-retenir. À Emmaüs, il disparaît à l'instant où il se donne comme Eucharistie, enseignant par là qu'intérieurement, il est plus réel que dans son être vu du dehors. Lorsqu'il s'adresse à Marie-Madeleine, en larmes près du tombeau, il émeut profondément son cœur, mais il lui interdit de le toucher ; il est sur le point de « rejoindre le sein du Père » ; il se donne à elle (comme il se donnera aux disciples d'Emmaüs) en lui donnant pour mission d'être sa messagère auprès des frères. L'Évangile de Jean se clôt (une première fois) par la scène de l'apôtre Thomas, dont la demande reçoit satisfaction, mais qui ne met sa main que dans des plaies vides : là où devait battre le sang passé par le cœur, il n'y a plus rien de palpable. C'est pourquoi sont bienheureux ceux dont la foi admet que l'être connu comme réalité terrestre et familière est changé en la réalité plus intime du corps eucharistique. Toutes ces renonciations sont autant d'approches de l'acte fondateur du Christ que l'on peut appeler l'acte archétypique de la foi 2. La foi a toujours un caractère de décrochement, de dé-sécurisation ; c'est pourquoi une foi se réfléchissant sur elle-même est contradictoire 3. L'Ascension enseigne au croyant que l'envoi du Christ, ressenti peut-être comme une perte de consistance, est, plus profondément, non seulement libération pour la foi elle-même, mais aussi mise en liberté (laisser-être) et par là ouverture d'un espace de libre existence pour d'autres.
3. Où le Christ va-t-il ?
Jésus nomme expressément la direction : « Je vais au Père » (Jean 16, 28). La plupart des théologiens ne se sont pas contentés de cette assertion. Mais ils restent attachés à l'image du monde des Anciens, selon laquelle ce qui naît et meurt appartient au monde sublunaire, inférieur, tandis que ce qui est éternel et spirituel relève du monde supérieur. Ils conçoivent donc l'Ascension comme un passage du monde terrestre à un ciel cosmologique. Une telle vision est acceptable chez un poète comme Dante ; elle l'est moins chez un penseur comme Thomas d'Aquin 4. Celui-ci eût sans doute été mieux inspiré en suivant son maître Albert qui, renonçant à toute représentation sensible, parle d'un retour de l'Homme-Dieu au ciel de la Trinité :
L'Apôtre dit : « (le Christ) monta au-dessus de tous les cieux » (Éphésiens 4, 10). Mais au-delà de tous les cieux, il n'y a plus de lieu (à moins que ce ne soit métaphoriquement que l'on désigne comme un lieu le ciel de la Trinité), car la Trinité n'est cernée par aucun lieu créé, par aucun lieu corporel. C'est pourquoi il faut penser que le ciel de la Trinité n'est rien de créé, rien de corporel, mais la Trinité même. 5
Comme souvent, et ainsi qu'il fallait s'y attendre étant donnée sa conception de l'Homme-Dieu comme récapitulation du monde, Nicolas de Cuse se range dans la suite d'Albert : selon lui le Christ monte vers un lieu au-dessus de toutes « les influences des cieux » :
Certes, nous parlons d'un lieu de la béatitude et de la paix éternelles, situé au-dessus de tous les cieux, mais ce lieu n'est ni saisissable, ni descriptible, ni définissable. Il est aussi bien le centre que la circonférence de la nature spirituelle ; et parce que l'esprit englobe tout, il est au-dessus de tout... Ainsi nous comprenons l'assertion : « Le Christ est monté au-dessus de tous les cieux, afin de tout contenir en Lui », comme signifiant qu'il est monté au-dessus de tous les lieux et de tous les temps, pour une durée sans limites6
Le représentant le plus passionné et plus explicite de cette conception a été Jean Scot Erigène, le grand systématicien et grand mainteneur de la tradition patristique à l'époque carolingienne. Dans l'Ascension de Jésus, l'humanité tout entière et, avec elle (parce qu'elle est microcosme), tout l'univers physique commencent leur retour à leurs principes divins, sans pour autant perdre leur essence de créatures 7. C'est pourquoi Scot appelle insensé (amens) celui qui prétend que
le corps du Christ est conservé après la Résurrection au-dedans de notre ciel physique 8 ;
tout au contraire, il ne fait aucun doute que
le corps du Christ n'est conservé en aucun lieu, n'est modifié par aucun temps, mais transcende tous les lieux et tous les temps, et plus généralement toute limitation9
 Ce n'est qu'à ce prix qu'il peut devenir
mesure, achèvement, plénitude de son corps, l'Église 10 ;
en lui,
en tant que maison unique et la plus spacieuse, tout est ordonné et délimité ; en lui, la Cité (res publica) de l'Univers est fondée par Dieu et en Dieu, et ordonnée en... demeures nombreuses et diverses (Jean 14, 2)... Le Christ est cette maison, lui qui embrasse tout par sa puissance..., l'orne de grâces, le remplit de sagesse, l'achève en le divinisant11
Car
ce qu'il achève en lui-même en particulier
par l'Ascension,
il l'achèvera en tous universellement. Je ne dis pas seulement en tous les hommes, mais aussi en toutes les créatures sensibles, car lorsque le Verbe de Dieu prit la nature humaine, il n'excepta aucune substance créée qu'il n'eût assumée dans et ensemble avec sa nature. 12
C'est pourquoi la description réaliste que fait Augustin du corps du Ressuscité en pleins cieux cosmologiques met Scot complètement hors de lui 13, et il ne peut s'expliquer ce fait que par le désir de ces gens, qui sont pourtant des spirituels du plus haut niveau, d'écrire pour des esprits simples, qu'ils se seraient proposé peu à peu d'habituer à un langage plus spirituel...
Comme on voit, ni chez Scot au début du Moyen-âge, ni chez le Cusain à la fin de celui-ci, il n'y a rien à démythologiser. Pour Jean Scot, il est également ridicule d'admettre un enfer situé sous la terre 14. Le croyant qui essaie de penser sa foi concevra avec le Cusain la nature tout-enveloppante et tout-vivifiante 15 du Christ eucharistique, ex-alté, comme le lieu définitif du monde nouveau ; justement parce que dans l'Incarnation il a adopté la plus extrême contraction (ou com-plication), il a droit dans l'Ascension à la plus extrême ex-plication. Mais les deux infinitudes doivent, selon Nicolas de Cuse, dans leur coïncidentia oppositorum n'en former qu'une. La levée de ce paradoxe ne sera pas ici demandée aux mathématiques, mais à la christologie, voire à la doctrine trinitaire. Car le suprême dépouillement (kenosis) est comme tel aussi la suprême effusion de l'amour de Dieu pour le monde, et par là le suprême degré de sa propre glorification ; et dans la vie intime de Dieu, le don absolu de chaque personne aux deux autres est aussi ce qui la constitue pleinement elle-même.
Hans Urs von Balthasar, in Communio 47 (1983)


1. Voir sur ce point les commentaires classiques de Karl Barth dans Kirchliche Dogmatik, 111/3 (1950), 486-558.
2. Jacques Guillet, La foi de Jésus-Christ, Desclée, Paris, 1979.
3. Telle est la critique centrale que Paul Hacker adresse au protestantisme, dans Das Ich im Glauben bei Martin Luther, Styria, Graz, 1966.
4. « Locus... in quo hahitamus est locus generationis et corruptionis, sed locus coelestis est locus incorruptionis. Et ideo... fuit convenions, etc... » Somme théologique, 111, 57,1.
5. De Resurrectione, tr. 2, y.9, a.3 (Opera, t. 26, Münster, 1958, 286).
6. Docta ignorantia, 111,8 (Petzelt, Nicolas v. Cues, Philosophische Schriften, I, Kohlhammer, 1949, 107).
7. De divisione Naturae, V, 6 (PL 122, 872 A).
8. V, 38 (993 B).
9. Ibid. 992 C ; cf. V, 19 (894 BC).
10. Ibid. 994 C.
11. V, 36 (984 B).
12. V, 24 (912 BC).
13. V, 37 (986 B).
14. V, 36 (971 A).
15. L'adjectif, en allemand « umlebend », est de R. Guardini.

samedi 20 mai 2017

En contemplant... Éloi Leclerc, Le silence de Jeanne Jugan


Cet étrange secret, dans lequel Dieu s'est retiré...
Blaise Pascal, Lettre à Charlotte de Roannez
Ce qui est exceptionnel dans la vie de Jeanne Jugan, ce n'est pas sa longue mise à l'ombre, ce rejet officiel qui la condamnait à la solitude, à l'inaction et à l'oubli. C'est là un fait trop fréquent et presque banal dans les allées du pouvoir. Et dans la vie de toute société. Jeanne ne fut ni la première ni la dernière à connaître un tel sort. Le ciel du pouvoir ne tolère qu'un seul soleil. Tout autre foyer de lumière qui peut porter atteinte à l'éclat de cet unique soleil doit être éloigné et mis sous le boisseau. Il n'y a pas que le désert à être monothéiste. Le pouvoir aussi. Il ne connaît qu'un seul dieu. Et, s'il le faut, il crée lui-même le désert autour de lui 1.
Ce qui est exceptionnel, chez Jeanne, c'est tout d'abord la qualité de sa souffrance. Elle ne souffre pas d'être dépossédée, rejetée, oubliée. Elle souffre de ne plus pouvoir approcher les pauvres gens et leur témoigner librement son amour. Elle souffre de ne plus pouvoir se dépenser corps et âme, comme elle le faisait naguère, quand elle sillonnait l'ouest de la France pour ouvrir des maisons d'accueil ou pour venir en aide à celles qui existaient déjà.
On ne peut comprendre la souffrance de Jeanne, si l'on ne mesure pas la profondeur et l'intensité de son amour des pauvres, notamment des personnes âgées délaissées. Cet amour était, chez elle, une urgence intérieure qui la brûlait et la consumait. C'était une générosité divine qui ne demandait qu'à se répandre sur le monde. Ce n'était pas seulement l'amour d'un être humain pour ses semblables défavorisés. C'était l'amour même de Dieu pour les hommes, qui s'exprimait à travers Jeanne. La souffrance de Jeanne, c'était cette flamme divine soudainement écartée de son but et qu'un vent de nuit s'acharnait à éteindre. Nous touchons ici à ce qu'il y a de vraiment extraordinaire et d'unique dans cette expérience.
À la qualité de la souffrance répond celle du silence. Jeanne aurait pu crier haut et fort sa souffrance. Avec combien de justesse et de justice ! C'eût été le cri d'une passion noble et magnifique. Non pas le cri amer d'une personne qui se voit offensée et qui se révolte d'être ainsi abaissée, oubliée, mais le cri d'un amour qui dépasse la personne elle-même. Et ce cri aurait été entendu. Les journalistes qui avaient fait connaître Jeanne au grand public n'auraient pas manqué de s'en faire l'écho. Il suffisait d'un cri.
Au lieu de ce cri, le silence. Un silence impressionnant et déroutant. Pas une parole de protestation, pas un écrit, pas la moindre lettre. Et cela pendant vingt-sept ans. De la main de Jeanne, nous n'avons qu'une seule signature au bas d'une pièce officielle, notifiant la décision de la congrégation de n'accepter aucun revenu fixe. C'est tout. Certes, des paroles de Jeanne nous ont été rapportées. Elles ne disent rien de son drame intérieur. Sauf quelques brèves allusions, et à mots couverts.
Mais il y a le silence. Immense et profond comme la mer. Voilà qui étonne et nous interpelle dans un monde comme le nôtre, pris sous une déferlante médiatique de paroles, de commentaires, d'accusations et de justifications de toutes sortes.
Un jour, Jeanne a confié à une jeune sœur : « Qui garde sa langue, tient son âme ». Son silence, c'était son âme, sa flamme. Ce silence n'était pas un mur qui l'enfermait en elle-même. C'était, au contraire, un espace d'accueil et d'écoute. Une ouverture toujours plus grande et plus profonde à tous les appels de Dieu et des hommes.
C'était le silence d'une croissance. Ainsi le proverbe zaïrois : « Un seul arbre qui tombe fait grand bruit. Mais la forêt qui pousse, nul ne l'entend ». Tel était le silence de Jeanne. Tout son être grandissait. Son silence n'avait rien à voir avec la rumination nostalgique et stérile du passé. Il apportait chaque jour quelque chose de nouveau à l'être lui-même. C'était le silence de l'arbre qui grandit. Le silence de la rose qui s'épanouit librement dans le parc de La Tour. Une sève ascendante. Une force créatrice.
Et ce n'était pas seulement Jeanne qui grandissait. C'était aussi son entourage et l'univers, avec elle. Au plus profond d'elle-même, le chaos du monde se changeait en une étoile dansante. En un cantique immense. Et quand, un jour de Pâques, Jeanne entraîna un groupe de novices dans son chant, c'était le cœur du monde qui chantait l'alleluia pascal. Le Christ de nos abîmes devenait celui de nos résurrections.
La vie silencieuse de Jeanne, à La Tour, ressemble à une estampe japonaise. Quelques coups de pinceau délicats et précis sur la toile, et voici qu'apparaît, dans sa légèreté et ses moindres détails, une branche fleurie. Mais celle-ci est loin d'occuper toute la place sur le tableau. Elle est comme une île de lumière sur un océan. Autour d'elle s'étendent de grands espaces. Ce n'est pas le vide mais une plénitude d'espaces : des espaces de recueillement, d'émerveillement. Comme si la branche, en fleurissant, ouvrait autour d'elle des plages d'extase. La vie de Jeanne se présente de cette façon. Quelques paroles sur un grand fond de silence. Ces paroles ne déchirent pas le silence ; elles le renforcent, au contraire. Elles renvoient à une plénitude de sens qu'elles-mêmes ne parviennent pas à exprimer.
Quel est donc ce sens plénier ? Quel est ce chant intérieur ?
Par son silence, Jeanne nous dit, en premier, que la grandeur de l'homme ne tient pas à la place qu'il occupe dans la société, ni au rôle qu'il y joue, ni à sa réussite sociale. Tout cela peut lui être retiré du jour au lendemain. Tout cela peut disparaître en un rien de temps. La grandeur de l'homme est dans ce qui lui reste, quand précisément tout ce qui lui donnait un éclat extérieur s'efface. Et que lui reste-t-il ? Ses ressources intérieures et rien d'autre.
Dans ses Lettres de Westerbork — le camp où furent rassemblés les Juifs de Hollande en attente d'un départ vers les camps d'extermination —, Etty Hillesum, elle-même internée, écrit ces lignes :
Parmi ceux qui échouent sur cet aride pan de lande de cinq cents mètres de large sur six cents de long, on trouve aussi des vedettes de la vie politique et culturelle des grandes villes. Autour d'eux, les décors de théâtre qui les protégeaient ont été soudain emportés par un formidable coup de balai et les voilà, encore tout tremblants et dépaysés, sur cette scène nue et ouverte aux quatre vents qui s'appelle Westerbork. Arrachées à leur contexte, leurs figures sont encore auréolées de l'atmosphère palpable qui s'attache à la vie mouvementée d'une société plus complexe que celle-ci.
Ils longent les minces barbelés, et leurs silhouettes vulnérables se découpent en grandeur réelle sur l'immense plaine du ciel. Il faut les avoir vus marcher ainsi...
La solide armure que leur avaient forgée position sociale, notoriété et fortune est tombée en pièces, ne leur laissant pour tout vêtement que la mince chemise de leur humanité. Ils se retrouvent dans un espace vide, seulement délimité par le ciel et la terre et qu'il leur faudra meubler de leurs propres ressources intérieures — il ne leur reste plus rien d'autre. 
Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Lettres de Westerbork, éd. Le Seuil
La grandeur de l'être humain, sa vraie richesse, n'est pas dans ce qui se voit. Elle est dans ce qu'il porte en son cœur. Voilà ce que nous dit le silence de Jeanne. Et il nous dit aussi qu'une personne vouée à l'oubli peut porter dans son cœur le monde entier : un monde réconcilié et déjà tout pénétré d'une tendresse infinie.
Le silence de Jeanne a une autre profondeur. On ne peut, en effet, le séparer du mystère de Dieu qu'elle n'a cessé de contempler durant les vingt-sept ans de sa réclusion. On finit toujours par ressembler à cela même que l'on contemple. Le silence de Jeanne reflète celui de Dieu. Il nous introduit dans « cet étrange secret dans lequel Dieu s'est retiré » (Pascal). Ce silence prend alors une dimension prophétique pour notre temps.
Aujourd'hui Dieu, le fondateur du monde, se voit lui aussi tenu à l'écart, oublié à la porte de tous les conseils où se décident les affaires de ce monde. Il ne figure pas parmi les grands. Il est relégué dans l'ombre, comme inutile ou inexistant. On se passe de lui, allègrement. Il est mort, disent certains. Désormais, nous sommes sur un plan où il y a seulement des hommes, proclament les têtes pensantes, avec la fière conscience d'ouvrir une ère nouvelle pour l'humanité : celle où l'homme lui-même refera le monde. Croire en Dieu aujourd'hui est devenu une infirmité grave de la pensée, voire un obstacle à l'avènement de l'homme.
Et Dieu, l'oublié, se tait. Son silence n'est pas un repli sur lui-même. Le fondateur du monde se laisse volontiers dépouiller de tout signe de puissance. Il n'y a en lui aucune volonté de domination ou de possession. Son silence exprime sa vérité, sa vraie grandeur :
Mes pensées sont des pensées de paix et non de malheur... Ce sont des pensées d'avenir et d'espérance pour vous... Vous pouvez me chercher, je me laisse trouver.
Jérémie 29, 11-14
Le silence de Jeanne s’ouvre sur celui de Dieu. Il nous en fait entrevoir la profondeur. Ce silence ne signifie pas que Dieu s’est éloigné de nous et qu’il garde ses distances par rapport à notre vie terrestre et quotidienne. Il signifie, au contraire, qu’il s’est fait si proche de nous que nous ne pouvons l’entendre qu’en écoutant notre propre cœur. Il nous faut prêter l’oreille au mystère qui nous habite. Le silence de Dieu, en nous, est le silence de la source.
Revenir à la source. Dieu est là. Il est ma source, mon commencement. Il me parle dans cette part de moi-même qui plonge dans son éternelle Enfance. Je suis vraiment moi-même, là où précisément je suis plus que moi-même. Il y a en chacun de nous, sous un tas de pierraille, une source divine qui ne demande qu’ à jaillir et à chanter. Heureux l’homme qui, dans la maturité de l’âge et malgré toutes les blessures de la vie, retrouve en lui le regard émerveillé de l’enfant et sa confiance spontanée dans la bonté de l’être. Ce regard, trop tôt oublié, pur de toute volonté de possession et de domination, ne s’ouvre pas sur un autre monde ; il ouvre ce monde à la profondeur, il en perçoit la gratuité, celle de l’Amour créateur.
« Fais que j’entende au matin ton amour », demande le psalmiste au Seigneur (Ps 142, 8). C’est toujours « au matin » que l’on entend son amour. Au commencement. À la source. À l’heure où aucune piste ne court encore dans la rosée, où rien ne trouble le regard, et où le cœur de l’homme s’ouvre, comme la rose, dans le silence du jour qui se lève.
Éloi Leclerc, Jeanne Jugan, Le désert et la rose


1. Il faut le dire franchement : une telle manière de concevoir et d'exercer le pouvoir n'a rien à voir avec l'Évangile ; elle est aux antipodes de l'esprit évangélique. Et il ne faudrait surtout pas invoquer la sainteté qu'en a retirée Jeanne Jugan, pour justifier ou même simplement excuser une telle pratique. Grâce à Dieu, l'étonnement et l' indignation de certaines sœurs devant le comportement toujours plus autoritaire de l'abbé Le Pailleur finirent par être perçus en haut lieu. On peut regretter qu'ils ne le furent pas plus tôt. C'est seulement quelques années après la mort de Jeanne qu'une enquête apostolique fut ouverte. Et en 1890, Auguste Le Pailleur — âgé de 78 ans, et après avoir exercé son autorité pendant plus de quarante ans — fut appelé à Rome. Il y termina ses jours dans un couvent. On ne peut oublier qu'il mit ses dons d'organisateur au service de la congrégation naissante. Mais son comportement révèle chez lui « un déséquilibre psychologique » qui l'a conduit à concentrer en sa personne tout le pouvoir et toute la notoriété, au mépris de la vérité.

mercredi 10 mai 2017

En priant... L'Angélus

Trois fois par jour
l'Angélus
nous rappelle que
Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique,
Jésus, né pour nous de la Vierge Marie.

Le Je vous salue, Marie, ou Ave Maria, est une prière jaillie directement de l'Évangile.
C'est la salutation de l'Ange Gabriel à la Vierge Marie, lors de l'Annonciation, suivie de celle d'Élisabeth à la même Vierge bénie venue la visiter. Très tôt, la piété chrétienne a assemblé ces deux salutations et plus tard s'y ajouta l'invocation Sainte Marie, Mère de Dieu... Ainsi s'est formée la prière mariale la plus populaire, par laquelle tous les enfants de Dieu peuvent se tourner avec confiance vers cette Mère très bonne et avec elle, bénir son Fils, Jésus, le Seigneur.
Au Moyen Âge, les religieux de saint François d'Assise diffusent l'usage de réciter trois Ave Maria le soir, au son de la cloche. Accueilli à Rome, cet usage s'étend peu à peu au matin, puis, au XVe siècle, à midi, comme prière pour la paix. Au XVIe siècle, on fait précéder chaque Ave Maria par un verset évangélique en mémoire de l'Incarnation ; la prière tire son nom du premier de ces versets : L'Ange du Seigneur..., en latin Angelus Domini. Enfin, l'oraison conclusive lui donne sa structure actuelle.
L'Angélus rythme depuis des siècles la journée des chrétiens. Beaucoup de clochers continuent à sonner, matin, midi et soir, cette invitation à la prière. Les Papes ont à cœur de réciter l'Angélus avec les fidèles présents sur la place Saint-Pierre les dimanches et les jours d'audience.
Le bienheureux Pape Paul VI parle de l'Angélus :
Nos propos sur l'Angélus veulent être seulement une simple mais vive exhortation à conserver l'habitude de le réciter, lorsque, et là où c'est possible. Cette prière n'a pas besoin d'être rénovée : sa structure simple, son caractère biblique, son origine historique qui la relie à la demande de sauvegarde dans la paix, son rythme quasi liturgique qui sanctifie divers moments de la journée, son ouverture au mystère pascal qui nous amène – tout en commémorant l'Incarnation du Fils de Dieu – à demander d'être conduits par Sa Passion et par Sa Croix jusqu'à la gloire de la Résurrection font que, à des siècles de distance, elle conserve inaltérée sa valeur, et intacte sa fraîcheur.
Il est vrai que certains usages traditionnellement liés à la récitation de l'Angélus ont disparu ou peuvent difficilement subsister dans la vie moderne ; mais il s'agit d'éléments marginaux : la valeur de la contemplation du mystère de l'Incarnation du Verbe, de la salutation à la Vierge et du recours à sa miséricordieuse intercession reste inchangée ; et, malgré les conditions nouvelles des temps, ces moments caractéristiques de la journée – matin, midi et soir – qui délimitent les périodes d'activité et constituent une invite à s'arrêter pour prier, demeurent inchangés pour la majeure partie des hommes.
Marialis Cultus

V. Angelus Dómini nuntiávit Maríæ ;
R. Et concépit de Spíritu Sancto.
Ave Maria, grátia plena, Dóminus tecum ;
Benedícta tu in muliéribus,
Et benedíctus fructus ventris tui Iesus.
Sancta María, Mater Dei,
Ora pro nobis peccatóribus,
Nunc et in hora mortis nostræ.
 Amen.
V. Ecce ancílla Dómini ;
R. Fiat mihi secúndum verbum tuum.
 Ave María...
V. Et Verbum caro factum est ;
R. Et habitávit in nobis.
Ave María...
V. Ora pro nobis, Sancta Dei Génitrix ;
R. Ut digni efficiámur promissiónibus Christi.
Orémus :
Gratiam tuam, quǽsumus, Dómine,
Méntibus nostris infúnde:
Ut qui, Angelo nuntiánte,
Christi Fílii tui Incarnatiónem cognóvimus,
Per passiónem eius et crucem,
Ad resurrectiónis glóriam perducámur.
Per Christum Dóminum nostrum.
R. Amen.

V. L'Ange du Seigneur apporta l'annonce à Marie ;
R. Et elle conçut du Saint Esprit.
Je vous salue, Marie, pleine de grâce,
Le Seigneur est avec vous ;
Vous êtes bénie entre toutes les femmes,
Et Jésus le fruit de vos entrailles est béni.
Sainte Marie, Mère de Dieu,
Priez pour nous, pauvres pécheurs,
Maintenant et à l'heure de notre mort.
Amen.
V. Voici la servante du Seigneur ;
R. Qu'il me soit fait selon votre parole.
Je vous salue, Marie...
V. Et le Verbe s'est fait chair ;
R. Et il a habité parmi nous.
 Je vous salue ; Marie...
V. Priez pour nous, sainte Mère de Dieu ;
R. Afin que nous soyons rendus dignes des promesses du Christ.
Prions :
Que Votre grâce, Seigneur notre Père, se répande en nos cœurs ;
Par le message de l'Ange, Vous nous avez fait connaître l'Incarnation de Votre Fils bien-aimé ;
Conduisez-nous par Sa Passion et par Sa Croix jusqu'à la gloire de la Résurrection.
Par Jésus, le Christ, notre Seigneur.
R. Amen.