mardi 19 juillet 2011

En fantasyant... Donner sa vie pour l'Autre, Harry Potter

RETOUR DANS LA FORET
Enfin, la vérité. Allongé à plat ventre, le visage contre le tapis poussiéreux du bureau où il avait autrefois cru apprendre les secrets de la victoire, Harry avait finalement compris qu'il n'était pas censé survivre. Sa tâche consistait à marcher calmement vers les bras accueillants de la mort. Au long du chemin, il devait détruire les derniers liens qui rattachaient Voldemort à la vie. Ainsi, quand il finirait par se jeter en travers de sa route, sans même lever sa baguette pour se défendre, l'issue serait claire et nette, le travail qui aurait dû être accompli à Godric's Hollow serait terminé : ni l'un ni l'autre ne vivrait, ni l'un ni l'autre ne pourrait survivre.
Il sentit son cœur tambouriner furieusement dans sa poitrine. Il était étrange que, dans sa peur de la mort, il batte d'autant plus vite, le maintenant vaillamment en vie. Mais il allait devoir s'arrêter, et bientôt. Ses pulsations étaient comptées. Combien y en aurait-il encore pendant le temps qu'il mettrait à se relever, à traverser pour la dernière fois le château, à sortir dans le parc et à pénétrer dans la Forêt interdite ?
La terreur le submergea tandis qu'il demeurait étendu par terre, avec ce tambour funèbre qui battait en lui. Mourir était-il douloureux ? Toutes les fois où il avait cru que c'était la fin mais avait réussi à s'échapper, il n'avait jamais vraiment pensé à la chose elle-même. Sa volonté de vivre avait toujours été beaucoup plus forte que sa peur de la mort. Pourtant, en cet instant, il ne lui venait pas à l'idée d'essayer de s'échapper, de distancer Voldemort. C'était fini, il le savait, et il ne restait plus que le fait en soi : mourir.
Si seulement il avait pu mourir en cette nuit d'été où il avait quitté pour la dernière fois le 4, Privet Drive, cette nuit où sa noble baguette à la plume de phénix l'avait sauvé ! Si seulement il avait pu mourir comme Hedwige, avec une telle soudaineté qu'il ne s'en serait même pas rendu compte ! Ou s'il avait pu s'élancer devant une baguette magique pour sauver quelqu'un qu'il aimait... À présent, il enviait même la mort de ses parents. Cette marche de sang-froid vers sa propre destruction exigerait une autre forme de bravoure. Il sentit ses doigts trembler légèrement et s'efforça de les contrôler, bien qu'il n'y eût personne pour le voir. Tous les tableaux accrochés aux murs étaient vides.
Lentement, très lentement, il se redressa en position assise et se sentit alors plus vivant, plus conscient qu'il ne l'avait jamais été de la vie qui animait son propre corps. Pourquoi n'avait-il jamais su apprécier ce miracle que constituait son être, ce cerveau, ces nerfs, ce cœur qui bondissait dans sa poitrine ? Tout cela allait disparaître... Ou tout au moins, devrait-il l'abandonner. Son souffle était lent, profond, sa bouche et sa gorge complètement asséchées, ses yeux aussi.
La trahison de Dumbledore n'était presque rien. Il existait un plan plus vaste, bien sûr. Harry avait simplement été trop sot pour le voir, il s'en rendait compte à présent. Il n'avait jamais mis en question sa conviction que Dumbledore voulait qu'il reste vivant. Maintenant, il voyait que son espérance de vie avait toujours été déterminée par le temps qu'il mettrait à éliminer les Horcruxes. Dumbledore lui avait passé le relais en le chargeant de les détruire et, docilement, il avait continué à rogner les liens qui unissaient non seulement Voldemort mais lui-même à la vie ! Comme il était ingénieux, élégant, d'épargner des vies supplémentaires en confiant la tâche dangereuse au garçon qui était déjà destiné au sacrifice et dont la mort ne serait pas une calamité mais un nouveau coup porté à Voldemort.
Et Dumbledore avait su que Harry ne se défilerait pas, qu'il irait jusqu'à la fin, même si c'était sa fin à lui, car il avait pris la peine de chercher à le connaître, n'est-ce pas ? Dumbledore savait, comme le savait Voldemort, que Harry ne laisserait personne mourir à sa place après avoir découvert qu'il était en son pouvoir d'en finir. L'image de Fred, Lupin et Tonks allongés morts dans la Grande Salle s'imposa dans son esprit et pendant un moment, il put à peine respirer : la mort était impatiente...
Mais Dumbledore l'avait surestimé. Il avait échoué : le serpent était toujours vivant. Même après que Harry aurait été tué, il resterait un Horcruxe qui rattachait Voldemort à la terre. Il était vrai que cela faciliterait la tâche à quelqu'un d'autre. Il se demanda qui s'en chargerait... Ron et Hermione sauraient ce qu'il fallait faire, bien sûr... c'était sans doute pour cette raison que Dumbledore avait voulu qu'il partage ce secret avec eux... pour que, si jamais sa destinée s'accomplissait un peu trop tôt, ils puissent prendre la relève...
Il devait mourir : cette vérité irréfutable avait la réalité d'une surface dure contre laquelle ses pensées venaient s'écraser comme des gouttes de pluie contre les vitres d'une fenêtre. Je dois mourir. Il faut que cela finisse.
Ron et Hermione lui paraissaient distants, dans un pays lointain. Il avait l'impression de les avoir quittés depuis très longtemps. Il n'y aurait pas d'adieux, pas d'explications, il y était résolu. C'était un voyage qu'ils ne pouvaient accomplir ensemble et leurs tentatives pour essayer de l'arrêter lui feraient perdre un temps précieux. Il regarda la vieille montre en or bosselée qu'il avait reçue en cadeau pour son dix-septième anniversaire. La moitié de l'heure que lui avait accordée Voldemort pour se rendre était écoulée.
Il se leva. Son cœur bondissait contre ses côtes à la manière d'un oiseau pris de panique. Peut-être ce cœur lui-même savait-il qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps, peut-être avait-il décidé, avant sa fin, de battre autant qu'il l'aurait fait pendant une vie tout entière. Harry ne regarda pas en arrière lorsqu'il referma la porte du bureau.
Le château était vide. En le parcourant seul, il avait l'impression d'être un fantôme, comme s'il était déjà mort. Les portraits étaient toujours absents de leurs cadres. Il régnait autour de lui une immobilité sinistre, inquiétante, comme si les derniers restes de vie s'étaient concentrés dans la Grande Salle, où se serraient ceux qui pleuraient les morts.
Harry étendit sur lui la cape d'invisibilité et descendit les étages jusqu'à l'escalier de marbre qui menait dans le hall d'entrée. Une part infime de lui-même espérait peut-être qu'on s'apercevrait de sa présence, qu'on essayerait de l'arrêter, mais la cape, comme toujours, était impénétrable, parfaite, et il atteignit facilement la porte d'entrée.
Neville faillit se cogner contre lui. Aidé de quelqu'un d'autre, il ramenait un corps du parc. Harry baissa les yeux et reçut un nouveau coup au creux de l'estomac : Colin Crivey, bien que non encore majeur, avait dû revenir subrepticement, tout comme Malefoy, Crabbe et Goyle. Dans la mort, il paraissait minuscule.
—Tu sais, je peux m'en occuper tout seul, Neville, dit Olivier Dubois.
Il hissa Colin sur son épaule à la manière des pompiers et l'emporta dans la Grande Salle.
Neville s'adossa un Moment contre le montant de la porte et s'essuya le front d'un revers de main. Il avait l'air d'un vieil homme. Puis il redescendit les marches de pierre pour aller chercher d'autres corps dans l'obscurité.
Harry jeta un coup d'œil derrière lui, vers l'entrée de la Grande Salle. Il voyait des gens passer, certains essayaient de se réconforter les uns les autres, d'autres buvaient, d'autres encore étaient agenouillés auprès des morts, mais il n'apercevait personne parmi ses amis les plus proches. Il n'y avait pas trace d'Hermione, de Ron, de Ginny, ni d'un autre Weasley, ni de Luna. Il aurait donné tout le temps qui lui restait pour pouvoir les regarder une dernière fois. Mais aurait-il eu alors la force de les quitter des yeux ? C'était sans doute mieux ainsi.
Il descendit les marches et s'enfonça dans l'obscurité. Il était près de quatre heures du matin et le parc, figé dans une immobilité mortelle, donnait l'impression de retenir son souffle en attendant de voir si Harry parviendrait à mener à bien ce qu'il devait accomplir.
Il s'approcha de Neville, penché sur un autre corps.
— Neville.
— Bon sang, Harry, j'ai failli avoir une attaque !
Harry avait ôté la cape d'invisibilité. L'idée lui était venue d'un coup, née du désir de s'assurer que tout irait jusqu'au bout.
— Où vas-tu tout seul ? lui demanda Neville d'un air soupçonneux.
— C'est une partie du plan, répondit Harry. Je dois faire quelque chose. Écoute... Neville...
— Harry !
Neville parut soudain effrayé.
— Harry, tu ne songes pas à te rendre ?
— Non, répondit-il, sans éprouver de difficulté à mentir. Bien sûr que non... il s'agit d'autre chose. Mais je vais peut-être disparaître pendant un moment. Tu connais le serpent de Voldemort, Neville ? Il a un énorme serpent... il s'appelle Nagini...
— J'en ai entendu parler, oui... Et alors ?
— Il faut le tuer. Ron et Hermione le savent, mais simplement au cas où ils…
Pendant un moment, l'horreur de cette hypothèse le suffoqua, l'empêcha de parler. Mais il se reprit : c'était crucial, il fallait faire comme Dumbledore, garder la tête froide, s'assurer que d'autres viendraient en renfort, poursuivraient la tâche. Dumbledore était mort en sachant que trois autres personnes connaissaient l'existence des Horcruxes. À présent, Neville prendrait la place de Harry : ainsi, ils seraient toujours trois à connaître le secret.
— Au cas où ils seraient... occupés... et que toi, tu en aies l'occasion..
— Tuer le serpent ?
— Tuer le serpent, répéta Harry.
— D'accord, Harry. Ça va, tu te sens bien ?
—Ça va très bien, merci, Neville.
Mais lorsque Harry voulut s'éloigner, Neville lui saisit le poignet.
— On va tous continuer à se battre, Harry. Tu le sais ?
— Oui, je...
L'émotion étouffa dans sa gorge la fin de sa phrase, il ne put continuer. Neville ne sembla pas s'en étonner. Il tapota l'épaule de Harry, le relâcha, et s'en alla chercher d'autres corps.
Harry étendit à nouveau sur lui la cape d'invisibilité et poursuivit son chemin. Un peu plus loin, quelqu'un d'autre se penchait sur une silhouette allongée sur le ventre. Il n'était qu'à quelques mètres lorsqu'il reconnut Ginny.
Il s'immobilisa. Elle était accroupie auprès d'une fille qui murmurait en appelant sa mère.
— Ne t'inquiète pas, disait Ginny. Ça va aller. Nous allons te ramener à l'intérieur.
— Mais je veux rentrer à la maison, répondit la fille. Je ne veux plus me battre.
— Je sais, reprit Ginny d'une voix qui se brisa. Tout ira bien.
Harry sentit comme une onde glacée à la surface de sa peau. Il aurait voulu hurler dans la nuit, il aurait voulu que Ginny sache qu'il était là, qu'elle sache où il allait. Il aurait voulu qu'on l'empêche de continuer, qu'on le ramène en arrière, qu'on le renvoie chez lui...
Mais il était chez lui. Poudlard était le premier foyer qu'il ait connu, le plus accueillant. Lui, Voldemort et Rogue, les garçons abandonnés, avaient tous trouvé un foyer ici...
Ginny, agenouillée à présent auprès de la fille blessée, lui tenait la main. Au prix d'un effort considérable, Harry se força à reprendre sa marche. Il crut voir Ginny jeter un coup d'œil au moment où il passa près d'elle et se demanda si elle avait senti la présence de quelqu'un à proximité, mais elle ne dit rien, et il ne regarda pas en arrière.
La cabane de Hagrid se dessina dans l'obscurité. Il n'y avait aucune lumière, Crockdur ne grattait pas à la porte, on n'entendait pas ses aboiements résonner en signe de bienvenue. Toutes ces visites qu'ils avaient faites à Hagrid... tous ces souvenirs… le reflet de la bouilloire de cuivre sur le feu, les gâteaux durs comme le roc, les asticots géants, son gros visage barbu, Ron vomissant des limaces, Hermione l'aidant à sauver Norbert...
Il poursuivit son chemin, puis s'arrêta lorsqu'il eut atteint la lisière de la forêt.
Un essaim de Détraqueurs glissait parmi les arbres. Harry sentait le froid qu'ils répandaient alentour et n'était pas sûr de pouvoir passer parmi eux sans dommages. Il n'avait plus assez de forces pour produire un Patronus. Il ne parvenait pas à contrôler ses tremblements. Mourir n'était, finalement, pas si facile. Chacune de ses respirations, l'odeur de l'herbe, la fraîcheur de l'air sur son visage, lui étaient infiniment précieuses : penser que la plupart des gens avaient des années et des années devant eux, du temps à perdre, un temps si abondant qu'il traînait en longueur, alors que lui se raccrochait à chaque seconde. Il pensait qu'il lui serait impossible de continuer tout en sachant qu'il le devait. Le long match était terminé, il avait attrapé le Vif d'or, le moment était venu d'atterrir...
Le Vif d'or. Ses doigts sans forcé fouillèrent un moment dans la bourse qu'il portait au cou et il l'en sortit.
« Je m'ouvre au terme ».
La respiration rapide, saccadée, il le contempla. Maintenant qu'il aurait voulu voir le temps passer le plus lentement possible, il paraissait au contraire s'accélérer, et sa compréhension des choses était si rapide qu'elle semblait avoir contourné sa pensée. Le terme était là. Le moment était venu.
Il pressa le métal doré contre ses lèvres et murmura :
— Je suis sur le point de mourir.
La coquille métallique s'ouvrit alors. D'un geste de sa main tremblante, il leva la baguette sous la cape et murmura :
— Lumos.
La pierre noire craquelée par le milieu en une ligne brisée reposait dans les deux moitiés du Vif d'or. La Pierre de Résurrection s'était fendue le long de la ligne verticale qui représentait la Baguette de Sureau. Le triangle et le cercle symbolisant la cape et la pierre elle-même étaient toujours visibles.
À nouveau, Harry comprit sans avoir à réfléchir. Il n'avait plus besoin de les faire revenir puisqu'il s'apprêtait à les rejoindre. Il n'allait pas vraiment les chercher, c'étaient eux qui venaient le chercher.
Il ferma les yeux et tourna trois fois la pierre dans sa main.
Il sut que quelque chose se passait lorsqu'il entendit autour de lui de légers mouvements, comme des corps frêles posant le pied sur le sol de terre, recouvert de brindilles, qui marquait la lisière de la forêt. Il ouvrit les yeux et regarda.
Ce n'étaient ni des fantômes, ni véritablement des êtres de chair. Ils ressemblaient plutôt au Jedusor qui s'était échappé du journal intime, il y avait si longtemps maintenant. Il s'agissait alors d'un souvenir qui s'était presque matérialisé. Moins consistants que des corps vivants, mais plus que des spectres, ils s'avançaient vers lui et sur chaque visage il voyait le même sourire d'amour.
James avait exactement la même taille que Harry. Il portait les vêtements dans lesquels il était mort. Ses cheveux étaient mal peignés, ébouriffés, et ses lunettes un peu de travers, comme celles de Mr Weasley.
Sirius était grand, beau, et paraissait beaucoup plus jeune que Harry ne l'avait jamais vu dans la réalité. Il marchait à grands pas, avec une grâce décontractée, les mains dans les poches, un sourire aux lèvres.
Lupin aussi était plus jeune, l'aspect moins miteux, les cheveux plus épais, d'une couleur plus foncée. Il semblait heureux de revenir dans ce lieu familier qui avait été le décor de tant de vagabondages adolescents.
C'était Lily qui avait le plus large sourire. Elle rejeta ses longs cheveux en arrière lorsqu'elle s'approcha de lui et ses yeux verts, si semblables à ceux de Harry, scrutèrent son visage avec avidité comme si elle ne pourrait jamais le contempler suffisamment.
— Tu as été si courageux.
Il lui fut impossible de parler. Il la dévorait des yeux en pensant qu'il aurait voulu rester là à la regarder à tout jamais, que cela lui aurait suffi.
— Tu y es presque, dit James. Tout près. Nous sommes.. si fiers de toi.
— Est-ce que ça fait mal ?
La question puérile s'était échappée des lèvres de Harry avant qu'il ait pu la retenir.
— Mourir ? Pas du tout, répondit Sirius. C'est plus rapide et plus facile que de tomber endormi.
— Et il voudra aller vite. Il a hâte d'en finir, assura Lupin.
— Je ne voulais pas que vous mouriez, dit Harry.
Il avait prononcé ces paroles malgré lui.
— Ni aucun d'entre vous. Je suis désolé...
Il s'adressa à Lupin plus qu'aux autres, l'air suppliant.
— Juste après avoir eu un fils... Remus, je suis vraiment désolé...
— Moi aussi, dit Lupin. Je suis désolé de ne pas pouvoir le connaître... mais il saura pourquoi je suis mort et j'espère qu'il comprendra. J'essayais de construire un monde dans lequel il puisse avoir une vie plus heureuse.
Une brise fraîche qui semblait émaner du cœur de la forêt souleva les cheveux de Harry sur son front. Il savait qu'ils ne lui diraient pas d'y aller, que c'était à lui de prendre la décision.
— Vous resterez avec moi ?
— Jusqu'à la toute fin, dit James.
— Ils ne pourront pas vous voir ? demanda Harry.
— Nous faisons partie de toi, répondit Sirius. Nous sommes invisibles pour les autres.
Harry regarda sa mère.
— Reste près de moi, dit-il à voix basse.
Et il se mit en chemin. Le froid des Détraqueurs ne parvint pas à le submerger. Il le traversa avec ses compagnons qui agissaient comme des Patronus et ensemble, ils s'avancèrent parmi les vieux arbres dont les troncs avaient poussé les uns contre les autres, leurs branches emmêlées, leurs racines noueuses, tordues sous leurs pas. Dans l'obscurité, Harry serrait étroitement la cape d'invisibilité contre lui, s'enfonçant de plus en plus dans la forêt, sans savoir exactement où était Voldemort, mais certain qu'il le trouverait. À côté de lui, presque sans bruit, marchaient James, Sirius, Lupin et Lily. C'était leur présence qui constituait son courage, c'était grâce à eux qu'il parvenait à mettre un pied devant l'autre.
Son corps et son esprit semblaient étrangement déconnectés, à présent, ses membres remuant sans qu'il ait à les commander consciemment, comme s'il était le passager, et non le conducteur, du corps qu'il s'apprêtait à quitter. Les morts qui marchaient à côté de lui à travers la forêt étaient maintenant beaucoup plus réels à ses yeux que les vivants restés au château. C'étaient Ron, Hermione, Ginny et tous les autres qui semblaient des fantômes tandis que, trébuchant, glissant par endroits, il s'avançait vers le terme de sa vie, vers Voldemort...
Il entendit un bruit sourd, puis un murmure. Quelqu'un avait bougé à proximité. Harry, enveloppé de sa cape, s'immobilisa, observant les environs, l'oreille tendue. Sa mère, son père, Lupin et Sirius s'arrêtèrent également.
— Il y a quelqu'un, là-bas, chuchota d'un ton brusque une voix proche. Il a une cape d'invisibilité. Est-ce que ça pourrait...
Deux silhouettes sortirent de derrière un arbre. Leurs baguettes s'allumèrent et Harry vit Yaxley et Dolohov scruter l'obscurité, à l'endroit précis où se trouvaient Harry, sa mère, son père, Sirius et Lupin. Apparemment, ils ne voyaient rien.
— Je suis sûr d'avoir entendu quelque chose, affirma Yaxley. Tu crois que c'était un animal ?
— Ce fou furieux de Hagrid gardait tout un tas de bestioles, ici, dit Dolohov en lançant un regard par-dessus son épaule. Yaxley consulta sa montre.
— Le délai est presque écoulé. Potter avait une heure pour se montrer. Il n'est pas venu.
 Pourtant, il était certain qu'il viendrait ! Il ne va pas être content.
— Il vaut mieux y retourner, dit Yaxley. Pour voir quel va être le nouveau plan, maintenant.
Dolohov et lui tournèrent les talons et s'éloignèrent dans la forêt. Harry les suivit, sachant qu'ils le mèneraient là où il voulait aller. Il jeta un coup d'œil de côté et vit sa mère lui sourire et son père l'encourager d'un signe de tête.
Ils avaient marché quelques minutes à peine lorsque Harry vit une lumière un peu plus loin. Yaxley et Dolohov s'avancèrent dans une clairière que Harry connaissait. C'était là qu'avait vécu le monstrueux Aragog. Les restes de sa vaste toile d'araignée étaient toujours là, mais les nombreux descendants qu'il avait engendrés avaient été envoyés au combat par les Mangemorts, pour soutenir leur cause.
Au milieu de la clairière brûlait un feu dont la lueur vacillante éclairait une foule de Mangemorts attentifs et totalement silencieux. Certains étaient encore masqués et encapuchonnés, d'autres montraient leur visage. Deux géants étaient assis à l'extérieur du groupe, projetant sur la scène des ombres massives, les traits cruels, grossièrement taillés, comme un morceau de roc. Harry reconnut Fenrir, rôdant furtivement, rongeant ses ongles longs. Rowle, grand et blond, tamponnait sa lèvre ensanglantée. Il vit Lucius Malefoy, qui semblait accablé, terrifié, et Narcissa dont les yeux caves exprimaient une profonde appréhension.
Tous les regards étaient fixés sur Voldemort qui se tenait face à Harry, la tête inclinée, ses mains blanches serrant devant lui la Baguette de Sureau. On aurait pu croire qu'il priait, ou qu'il comptait mentalement. Harry, immobile au bord de la clairière, eut l'impression absurde de voir un enfant qui comptait jusqu'à cent en jouant à cache-cache. Derrière la tête de Voldemort, continuant d'onduler, de se tortiller, Nagini, le grand serpent, flottait dans sa cage ensorcelée, parsemée d'étoiles, tel un halo monstrueux.
Lorsque Dolohov et Yaxley rejoignirent le cercle, Voldemort releva la tête.
— Aucun signe de lui, Maître, dit Dolohov.
L'expression de Voldemort ne changea pas. Les yeux rouges semblaient brûler à la lumière du feu. Lentement, il leva la Baguette de Sureau entre ses longs doigts.
 Maître...
C'était Bellatrix qui avait parlé. Assise plus près de Voldemort que les autres, elle avait les cheveux en bataille et du sang sur le visage mais paraissait indemne par ailleurs.
Voldemort la fit taire d'un geste de la main et elle resta silencieuse, le regardant avec une révérence fascinée.
— Je pensais qu'il viendrait, dit Voldemort de sa voix claire et aiguë, les yeux fixés sur les flammes qui dansaient devant lui. Je m'attendais à ce qu'il se montre.
Personne ne parla. Tous semblaient aussi effrayés que Harry dont le cœur se jetait à présent contre ses côtes comme s'il avait décidé de quitter son corps avant que lui-même ne l'abandonne. Harry avait les mains moites lorsqu'il retira la cape d'invisibilité et la glissa sous sa robe, avec sa baguette magique. Il ne voulait pas avoir la tentation de combattre.
 Il semble que je me sois... trompé, dit Voldemort.
— Non, vous ne vous êtes pas trompé.
Harry avait parlé d'une voix aussi sonore que possible, avec toute la force dont il était capable. Il ne voulait pas laisser penser qu'il avait peur. La Pierre de Résurrection glissa de ses doigts engourdis et du coin de l’œil, il vit ses parents, Sirius et Lupin disparaître quand il s'avança vers le feu. À cet instant, plus personne ne comptait pour lui en dehors de Voldemort. Ils n'étaient plus que tous les deux.
Cette illusion s'envola aussi vite qu'elle était née. Les géants rugirent, les Mangemorts se levèrent tous ensemble, et des cris, des exclamations de surprise, des éclats de rire, même, montèrent de la foule. Voldemort s'était figé sur place, mais ses yeux rouges s'étaient posés sur Harry et le regardaient fixement pendant qu'il marchait vers lui. Il n'y avait plus entre eux que le feu qui brûlait.
Soudain une voix hurla :
 HARRY ! NON !
Il se retourna. Hagrid, les membres ligotés, était attaché à un arbre proche. Il se débattait désespérément, son corps massif secouant les branches au-dessus de sa tête.
 NON ! NON ! HARRY, QU'EST-CE QUE TU...
— SILENCE ! s'écria Rowle en faisant taire Hagrid d'un coup de baguette magique.
Bellatrix, qui s'était levée d'un bond, les yeux avides, la poitrine haletante, regarda Voldemort puis Harry. Seuls bougeaient les flammes et le serpent dont les anneaux s'enroulaient et se déroulaient inlassablement dans la cage scintillante suspendue en l'air, derrière la tête de Voldemort.
Harry sentait sa baguette contre lui, mais il n'essaya pas de la sortir. Il savait que le serpent était trop bien protégé, il savait que s'il parvenait à la pointer sur Nagini, cinquante maléfices le frapperaient avant qu'il n'ait pu tenter quoi que ce soit. Voldemort et Harry continuaient de s'observer. À présent, Voldemort penchait un peu la tête de côté, contemplant le garçon qui se tenait devant lui, et un sourire singulièrement dépourvu de joie retroussa sa bouche sans lèvres.
— Harry Potter, dit-il très doucement.
Sa voix aurait pu se confondre avec le crépitement du feu.
— Le Survivant.
Les Mangemorts ne bougeaient pas. Ils attendaient. Tout attendait autour d'eux. Hagrid se débattait et Bellatrix haletait. Inexplicablement, Harry songea à Ginny, à son regard flamboyant, à la sensation de ses lèvres contre les siennes...
Voldemort avait levé sa baguette, la tête toujours penchée de côté, comme un enfant en proie à la curiosité, se demandant ce qui arriverait s'il poussait les choses plus loin. Harry soutenait le regard des yeux rouges. Il voulait que tout se passe vite, pendant qu'il pouvait encore tenir debout, avant qu'il ne perde le contrôle de lui-même, avant qu'il ne trahisse sa peur...
Il vit alors la bouche remuer, puis il y eut un éclair de lumière verte et tout disparut.

Joanne Rowling, in Harry Potter et les Reliques de la Mort (Gallimard)

Et aussi...
En fantasyant... Donner Sa vie pour l'autre, Narnia
En fantasyant... Donner sa vie pour l'Autre, Le Seigneur des Anneaux

En fantasyant... Donner sa vie pour l'Autre, Le Seigneur des Anneaux

LA MONTAGNE DU DESTIN

Sam plaça sa cape d'Orque en guenilles sous la tête de son maître et le couvrit ainsi que lui-même du vêtement gris de Lorien ; et, ce faisant, ses pensées se reportèrent à ce beau pays et aux Elfes, et il espéra que le tissu fait de leurs mains pourrait avoir quelque vertu de nature à les tenir cachés contre tout espoir dans ce terrifiant lieu sauvage. Il entendit la bagarre et les cris diminuer à mesure que les troupes franchissaient l'Isenmouthe. Il semblait que dans la confusion et le mélange de nombreuses compagnies de diverses sortes on ne se fût pas aperçu de leur absence, pour le moment du moins.
Sam prit une goutte d'eau, mais il pressa Frodon de boire ; et, quand son maître se fut un peu remis, il lui donna une gaufrette entière de leur précieux pain de voyage qu'il l'obligea à manger. Alors, trop exténués même pour ressentir grande peur, ils s'allongèrent. Ils dormirent un peu par à-coups d'un sommeil agité ; car leur transpiration se glaçait sur eux, les pierres dures leur entraient dans la peau, et ils frissonnaient. Du nord, de la Porte Noire par Cirith Gorgor affluait, murmurant sur le sol, un souffle froid et subtil.
Le matin, revint une lumière grise, car dans les régions supérieures le vent d'ouest soufflait encore, mais en bas, sur les pierres derrière les défenses de la Terre Noire, l'air semblait presque mort, froid et pourtant étouffant. Sam regarda hors du trou. Tout le terrain alentour était désolé, plat et gris. Sur les routes proches, plus rien ne bougeait ; mais Sam redoutait les yeux vigilants du mur de l'Isenmouthe, à moins d'un furlong au nord. Au sud-est, dans le lointain, s'élevait la Montagne, telle une ombre noire dressée. Il s'en déversait des fumées et, tandis que celles qui s'élevaient dans les couches supérieures de l'air dérivaient vers l'est, de grands nuages descendaient en volutes flottantes le long de ses flancs pour s'étendre sur la terre. À quelques milles au nord-est, se voyaient les contreforts des Monts Cendrés, tels des spectres gris foncé, derrière lesquels les brumeuses hauteurs septentrionales s'élevaient comme une ligne de lointains nuages à peine plus sombres que le ciel sinistre.
Sam essaya d'évaluer les distances et de décider du chemin qu'ils devraient prendre.
— Ça a tout l'air de faire bien cinquante milles, murmura-t-il sombrement, le regard fixé sur la montagne menaçante, et cela va prendre facilement une semaine, dans l'état où est Monsieur Frodon.
Il hocha la tête et, tandis qu'il supputait les choses, une nouvelle et sinistre pensée se développa lentement dans sa tête. L'espoir n'avait jamais disparu pour longtemps de son ferme cœur ; et il avait toujours jusqu'à présent pensé à leur retour. Mais il se rendait enfin compte de l'amère vérité : leurs provisions les mèneraient au mieux jusqu'à leur but ; et, leur tâche accomplie, ils trouveraient là leur fin, seuls, sans abri, sans nourriture au milieu d'un terrible désert. Il ne pouvait y avoir aucun retour.
« C'était donc là la tâche que je sentais devoir accomplir quand je suis parti, pensa Sam : aider Monsieur Frodon jusqu'au dernier pas, et puis mourir avec lui ? Eh bien, si c'est cela, il faut que je le fasse. Mais il me serait bien doux de revoir Lèzeau, Rosie Colton et ses frères, l'Ancien, Boutondor, et tout ça. Je ne peux pas m'empêcher de penser que Gandalf n'aurait pas envoyé Monsieur Frodon exécuter cette mission s'il n'y avait aucun espoir du tout de le voir jamais revenir. Tout a été de travers quand il est descendu dans la Moria. Je voudrais bien qu'il s'en fût abstenu. Il aurait fait quelque chose ».
Mais au moment même où l'espoir mourait ou semblait mourir en Sam, il se transforma en une nouvelle force. Le brave visage de Hobbit de Sam se fit sévère, presque menaçant, tandis que la volonté se durcissait en lui, et il sentit dans tous ses membres un frémissement comme s'il se muait en quelque créature de pierre et d'acier que ni le désespoir, ni la fatigue, ni des milles d'aridité sans fin ne pourraient réduire.
Avec un nouveau sentiment de responsabilité, il ramena son regard vers le sol proche pour étudier le prochain mouvement à accomplir. Comme la lumière croissait un peu, il vit avec surprise que ce qui, de loin, lui avait paru être de vastes bas fonds sans relief était en fait tout défoncé et bouleversé. À la vérité, la surface entière des plaines de Gorgoroth était parsemée de grands trous, comme si elles avaient été frappées d'une pluie de rocs et d'énormes pierres de fronde alors qu'elles étaient encore un désert de boue molle. Les plus vastes de ces trous étaient entourés d'un cercle de rocs brisés, et de larges fissures en partaient dans toutes les directions. C'était un terrain dans lequel il serait possible de se glisser de cachette en cachette, inaperçus de tous les regards hormis les plus vigilants : possible du moins pour quelqu'un de fort, à qui la rapidité ne serait pas indispensable. Pour des gens qui avaient encore une longue distance à parcourir, affamés et exténués, le site offrait un aspect sinistre.
Sam retourna vers son maître, réfléchissant à toutes ces choses. Il n'eut pas besoin de le réveiller. Frodon était allongé sur le dos, les yeux ouverts, contemplant le ciel nuageux.
— Eh bien, Monsieur Frodon, dit Sam, j'ai été jeter un coup d'œil alentour et réfléchir un peu. Il n'y a rien sur les routes, et on ferait mieux de partir pendant qu'on en a une chance. Le pouvez-vous ?
— Oui, dit Frodon. Il le faut
Ils repartirent une fois de plus, se glissant de trou en trou, passant sous tous les couverts qu'ils pouvaient trouver, mais progressant toujours en pente vers les contreforts de la chaîne septentrionale. Dans leur avance, toutefois, la plus orientale des routes les suivait, jusqu'au moment où 'elle s'éloigna pour aller épouser le contour des montagnes dans un mur d'ombre noir au loin. Ni homme ni Orque ne bougeaient tout au long de son étendue plate et grise ; car le Seigneur Ténébreux avait achevé le mouvement de ses forces et, même dans la forteresse de son propre royaume, il recherchait le secret de la nuit, craignant les vents du monde qui s'étaient tournés contre lui, déchirant ses voiles, et troublé par les nouvelles concernant des espions audacieux qui avaient passé au travers de ses défenses.
Après avoir parcouru quelques milles pénibles, les Hobbits firent halte. Frodon semblait presque épuisé. Sam vit qu'il ne pouvait aller beaucoup plus loin de cette façon, en rampant, se baissant, choisissant très lentement à un moment un chemin douteux, et se hâtant le moment suivant dans une course trébuchante.
— Je retourne sur la route tant qu'il restera de la lumière, Monsieur Frodon, dit-il. Fiez-vous encore à la chance ! La dernière fois, elle nous a presque abandonnés, mais pas tout à fait. Un bon pas pendant quelques milles encore, et puis un repos.
Il prenait un risque beaucoup plus grand qu'il ne le pensait ; mais Frodon était trop occupé de son fardeau et de la lutte qui se déroulait dans son esprit pour discuter, et presque trop désespéré pour s'en soucier. Ils grimpèrent sur la chaussée et continuèrent à marcher lourdement sur la route dure et cruelle qui menait à la Tour Sombre même. Mais leur chance tint bon et, durant le reste de la journée, ils ne rencontrèrent aucun être vivant ni rien de mobile ; et, à la nuit, ils disparurent dans les ténèbres du Mordor. Toute la terre était en attente à présent, comme à l'approche d'une grande tempête : car les Capitaines de l'Ouest avaient dépassé le Carrefour et mis le feu aux mortels champs d'Imlad Morgul.
Ainsi se poursuivit le voyage désespéré, l'Anneau allant vers le sud, tandis que les bannières des rois montaient vers le nord. Pour les Hobbits, chaque jour, chaque mille était plus dur que le précédent, à mesure que leur force diminuait et que le pays devenait plus sinistre. Ils ne rencontraient aucun ennemi de jour. Parfois, la nuit, comme ils étaient tapis ou qu'ils se laissaient aller à un assoupissement inquiet dans quelque cachette près de la route, ils entendaient des cris et le bruit de nombreux pas ou le passage rapide d'un coursier cruellement mené. Mais bien pire que tous les périls de ce genre était la menace toujours plus proche qui pesait sur eux : l'horrible menace de la Puissance qui attendait, ruminant dans une profonde réflexion et une malice sans cesse en éveil derrière le voile sombre tendu autour de son trône. Plus près, toujours plus près, toujours plus noire, comme l'approche d'un mur de nuit à l'ultime bout du monde.
Vint enfin une terrible tombée de la nuit ; et, au moment même où les Capitaines de l'Ouest approchaient de la fin des terres vivantes, les deux voyageurs atteignirent une heure de profond découragement. Quatre jours s'étaient écoulés depuis qu'ils avaient échappé aux Orques, mais le temps était derrière eux comme un rêve de plus en plus sombre. Frodon n'avait pas parlé de toute cette dernière journée ; il avait marché à demi courbé, trébuchant souvent, comme si ses yeux ne voyaient plus la route devant ses pieds. Sam devinait que de toutes leurs souffrances il endurait la pire, le poids croissant de l'Anneau, fardeau pour le corps et tourment pour l'esprit. Sam avait remarqué avec anxiété la façon dont la main gauche de son maître s'élevait souvent comme pour parer un coup ou pour protéger ses yeux contractés d'un terrible Œil qui cherchait à regarder dedans. Et parfois sa main droite crispée se glissait vers sa poitrine, puis se retirait comme la volonté reprenait le dessus.
À présent que les ténèbres nocturnes revenaient, Frodon était assis, la tête entre les genoux, les bras pendant avec lassitude jusqu'au sol, sur lequel ses mains se crispaient légèrement. Sam l'observa, jusqu'au moment où la nuit, les recouvrant tous deux, les cacha l'un à l'autre. Il ne trouvait plus rien à dire ; et il revint à ses sombres pensées personnelles. Quant à lui, quoique fatigué et soumis au poids de la peur, il conservait encore une certaine force. Le lembas possédait une vertu sans laquelle ils se seraient depuis longtemps couchés pour mourir. Cela ne satisfaisait pas le désir, et par moments l'esprit de Sam était empli de souvenirs de nourriture et d'une ardente envie de simple pain et de viande. Ce pain de voyage des Elfes avait cependant un pouvoir qui s'accroissait quand les voyageurs s'en remettaient à lui seul, sans le mêler à d'autres aliments. Il nourrissait la volonté et donnait une force d'endurance, ainsi qu'une maîtrise des nerfs et des membres dépassant celle des simples mortels. Mais à présent, il fallait prendre une nouvelle décision. Ils ne pouvaient plus suivre cette route, car elle continuait en direction de l'est dans la grande Ombre ; or, la Montagne s'élevait maintenant à leur droite, presque en plein sud, et ils devaient se tourner de ce côté. Mais il s'étendait encore devant elle une vaste région de terres fumantes, arides, couvertes de cendres.
— De l'eau ! De l'eau ! murmura Sam.
Il s'était restreint et, dans sa bouche desséchée, sa langue lui paraissait épaisse et enflée ; mais, en dépit de tous ses soins, il leur en restait très peu, une demi-gourde peut-être, et il pouvait y avoir encore plusieurs jours de marche. Tout aurait été depuis longtemps épuisé, s'ils n'avaient osé emprunter la route des Orques. Car, à de longs intervalles sur cette grand-route, on avait construit des citernes à l'usage des troupes envoyées en hâte dans les régions sans eau. Dans l'une d'elles, Sam avait trouvé un reste d'eau, croupie, rendue bourbeuse par les Orques, encore suffisante toutefois pour leur cas désespéré. Mais c'était déjà une journée auparavant, et il n'y avait aucun espoir d'en trouver d'autre.
Enfin, lassé de ses soucis, Sam s'assoupit, abandonnant le lendemain jusqu'à sa venue ; il ne pouvait rien de plus. Rêve et réveil se mêlèrent de pénible façon. Il voyait des lumières semblables à des yeux avides, des formes noires et rampantes ; il entendait des sons comme de bêtes sauvages ou les cris affreux de créatures torturées ; et il se réveillait en sursaut pour trouver le monde tout enténébré et une obscurité vide tout autour de lui. Une fois seulement, comme il se tenait les yeux frénétiquement écarquillés, il lui sembla voir, quoique éveillé à présent, des lumières semblables à celles d'yeux ; mais elles ne tardèrent pas à clignoter et à s'évanouir.
Cette détestable nuit passa avec lenteur et sembla ne disparaître qu'à contrecœur. Le peu de lumière du jour qui suivit était terne ; car ici, à l'approche de la Montagne, l'air était toujours fuligineux, tandis que s'échappaient de la Tour Sombre les voiles d'Ombre que Sauron tissait autour de lui-même. Frodon était étendu sur le dos, immobile. Sam se tenait debout â côté de lui, hésitant à dire quoi que ce fût, bien qu'il sût qu'à présent la parole était à lui : il devait mouvoir la volonté de son maître pour un nouvel effort. Enfin, il se baissa et, caressant le front de Frodon, il lui parla à l'oreille.
— Réveillez-vous, maître ! dit-il. Le moment est venu de repartir.
Comme tiré du sommeil par une soudaine sonnerie de cloche, Frodon se mit vivement debout et regarda au loin vers le sud ; mais, à la vue de la Montagne et du désert, il flancha de nouveau.
— Je ne peux pas y arriver, Sam, dit-il. C'est un tel poids à porter, un tel poids !
Sam sut avant de parler que c'était en vain et que pareils mots pourraient faire plus de mal que de bien ; mais, dans sa compassion, il ne put garder le silence.
— Alors laissez-moi le porter un peu pour vous, maître, dit-il. Vous savez que je le ferai, et avec joie, tant que j'aurai un peu de force.
Une lueur féroce parut dans les yeux de Frodon.
— Arrière. Ne me touche pas ! cria-t-il : Il est à moi, dis-je. Va-t'en !
Sa main s'égara vers la garde de son épée. Mais alors sa voix changea rapidement.
— Non, non, Sam, dit-il avec tristesse. Mais il faut comprendre. C'est mon fardeau, et personne d'autre ne peut le porter. Il est trop tard, maintenant, mon cher Sam. Tu ne peux plus m'aider de cette manière-là. Je suis presque en son pouvoir, à présent. Je ne pourrais y renoncer, et si tu essayais de le prendre, je deviendrais fou.
Sam hocha la tête.
— Je comprends, dit-il. Mais j'ai réfléchi, Monsieur Frodon, il y a d'autres choses dont on pourrait se passer. Pourquoi ne pas alléger un peu le chargement ? Nous allons par là, maintenant, aussi directement qu'on le pourra.
Il désignait la Montagne.
 Inutile d'emporter quoi que ce soit dont nous ne soyons pas sûrs d'avoir besoin.
Frodon regarda de nouveau vers la Montagne.
— Non, dit-il, nous n'aurons pas besoin de grand-chose sur cette route. Et à la fin, il ne nous faudra plus rien du tout.
Il ramassa son bouclier d'Orque qu'il jeta au loin, et il lança aussi son casque derrière. Puis, arrachant le manteau gris, il déboucla le lourd ceinturon et le laissa choir à terre, ainsi que l'épée dans son fourreau. Il déchira ensuite les lambeaux de la cape noire, qu'il dispersa.
— Voilà, je ne serai plus un Orque, cria-t-il, et je ne porterai pas d'arme, belle ou infâme. Qu'ils me prennent, s'ils le veulent !
Sam fit de même et mit de côté son équipement d'Orque ; et il sortit tous les objets de son paquet. Il s'était attaché à chacun de façon ou d'autre, fût-ce seulement pour les avoir portés aussi loin avec tant de peine. Le plus dur fut de se séparer de ses ustensiles de cuisine. Les larmes lui montèrent aux yeux à l'idée de les jeter.
— Vous vous rappelez ce morceau de lapin, Monsieur Frodon ? dit-il. Et notre endroit sous le talus chaud au pays du Capitaine Faramir, le jour où j'ai vu un oliphant ?
 Non, je le crains, Sam, dit Frodon. Du moins, je sais que ces choses se sont passées, mais je ne les revois pas. Il ne me reste aucun goût de nourriture, aucune sensation d'eau, aucun son de vent, ni souvenir d'arbres, d'herbe ou de fleurs, aucune image de la lune ou d'étoiles. Je suis nu dans les ténèbres, Sam, et il n'y a aucun voile entre moi et la roue de feu. Je commence à la voir même de mes yeux éveillés, et tout le reste disparaît.
Sam alla vers lui et lui baisa la main.
 Alors, plus tôt on s'en débarrassera, plus vite on se reposera, dit-il avec hésitation, ne trouvant rien de mieux.
« Parler n'arrangera rien », ajouta-t-il pour lui-même, tout en rassemblant toutes les choses qu'ils avaient choisi de jeter. Il n'avait pas envie de les laisser exposées dans le désert aux regards de n'importe qui. « Le Puant a ramassé cette chemise d'Orque, apparemment, et il ne va pas y ajouter une épée. Ses mains sont déjà assez dangereuses quand elles sont vides. Et il ne va pas fourgonner dans mes casseroles ! » Sur quoi, il emporta tout l'équipement vers l'une des nombreuses fissures béantes qui sillonnaient le terrain et l'y jeta. Lé fracas de ses précieuses casseroles tombant dans les ténèbres résonna comme un glas dans son cœur.
Il revint à Frodon et alors il coupa un petit bout de sa corde elfique afin d'en faire une ceinture pour son maître pour serrer la cape grise autour de sa taille. Il enroula soigneusement le reste, qu'il remit dans son paquet. À part cela, il ne garda que les restes de leur pain de voyage, la gourde et Dard, toujours suspendu à sa ceinture ; et, cachées dans une poche de sa tunique contre sa poitrine, la fiole de Galadriel et la petite boîte qu'elle lui avait donnée en cadeau personnel.
Tournant enfin la tête vers la Montagne, ils partirent sans plus penser à se cacher, fixant leur fatigue et leurs volontés chancelantes sur l'unique tâche de poursuivre leur route. Dans la semi-obscurité de cette morne journée, peu d'êtres, même dans cette terre vigilante, auraient pu les apercevoir, sauf de près. De tous les esclaves du Seigneur Ténébreux, seuls les Nazgûl auraient pu l'avertir du danger qui se glissait, petit mais indomptable, au cœur même de son royaume bien gardé. Mais les Nazgûl et leurs ailes noires étaient partis en une autre mission : ils étaient rassemblés loin de là pour suivre la marche des Capitaines de l'Ouest, et la pensée de la Tour Sombre était tournée de ce côté.
Ce jour-là, il sembla à Sam que son maître avait trouvé une nouvelle force, plus grande que ne pouvait l'expliquer le petit allégement du fardeau qu'il devait porter. Dans les premières marches, ils allèrent plus loin et plus vite qu'il ne l'avait espéré. Le pays était rude et hostile ; ils avaient pourtant beaucoup progressé, et la Montagne se rapprochait toujours davantage. Mais, comme la journée tirait à sa fin et que la lumière ne se mettait que trop tôt à diminuer, Frodon se courba de nouveau et commença à tituber comme si son effort renouvelé avait dilapidé ce qui lui restait de forces.
À leur dernière halte, il se laissa tomber à terre et dit :
— J'ai soif, Sam.
Et il ne parla plus. Sam lui donna une gorgée d'eau ; il n'en restait plus qu'une. Il s'en passa lui-même ; et alors, comme la nuit de Mordor se refermait encore une fois sur eux, le souvenir de l'eau revint dans toutes ses pensées ; et chaque ruisseau, chaque rivière, chaque source qu'il avait jamais vu, sous les ombrages verts des saules ou scintillant au soleil, dansait et gazouillait pour son tourment derrière la cécité de ses yeux. Il sentait la boue fraîche autour de ses pieds tandis qu'il pataugeait dans la Mare à Lèzeau avec Jolly Chaumine, Tom et Nibs, et leur sœur Rosie. « Mais c'était il y a des années, soupira-t-il, et loin. Le chemin du retour, s'il en est un, passe par la Montagne ».
Il ne pouvait dormir, et il mena un débat avec lui-même.
— Allons, voyons, on a fait mieux que tu ne l'espérais, dit-il résolument. On avait bien commencé, en tout cas. Je crois qu'on a dû parcourir la moitié de la distance avant de s'arrêter. Un jour encore suffira.
Et il s'arrêta.
— Ne sois pas stupide, Sam Gamegie, répondit sa propre voix. Il n'ira pas un jour de plus comme ça, s'il peut même aucunement bouger. Et tu ne peux pas continuer encore longtemps en lui donnant toute l'eau et la majeure partie de la nourriture :
 Je peux encore faire pas mal de chemin, et je le ferai.
 Pour aller où ?
 À la Montagne, bien sûr.
 Et alors, Sam Gamegie, une fois là ? Une fois là, que feras-tu ? Il ne pourra rien faire par lui-même.
À son désarroi, Sam se rendit compte qu'il n'avait rien à répondre à cela. Il n'avait aucune idée claire. Frodon ne lui avait guère parlé de sa mission, et Sam ne savait que vaguement que l'Anneau devait de façon ou d'autre être mis dans le feu.
— La Crevasse du Destin, murmura-t-il, tandis que le vieux nom surgissait dans son esprit. Eh bien, si le Maître sait où la trouver, moi je n'en sais rien.
La réponse vint aussitôt :
— Tu vois ! Tout cela est parfaitement vain. Il l'a dit lui-même. C'est toi le vieil imbécile, à continuer à espérer et à peiner. Vous auriez pu vous étendre et vous endormir tous les deux il y a plusieurs jours déjà, si tu n'avais pas été aussi obstiné. Mais tu mourras tout autant, et peut-être d'une mort pire. Tu ferais aussi bien de te coucher maintenant et d'abandonner. Tu n'arriveras jamais au sommet, de toute façon.
— J'y arriverai, dussé-je tout laisser derrière hormis mes os, dit Sam. Et je porterai moi-même Monsieur Frodon jusqu'en haut, même si cela doit me rompre le dos et le cœur. Alors, assez discuté !
À ce moment, Sam sentit sous lui un tremblement dans le sol, et il entendit ou sentit intuitivement un grondement éloigné, comme d'un tonnerre enfermé sous terre. Il y eut une brève flamme rouge qui tremblota sous les nuages avant de disparaître. La Montagne aussi avait le sommeil agité.
La dernière étape de leur voyage vers Oradruin arriva, et ce fut un tourment dépassant tout ce que Sam avait jamais imaginé pouvoir supporter. Il souffrait, et il était si desséché qu'il ne pouvait plus même avaler une bouchée de nourriture. L'obscurité demeurait, et pas seulement à cause des fumées de la Montagne : un orage semblait monter, et, au loin dans le sud-est, il y avait des lueurs d'éclairs sous les cieux noirs. Pis que tout, l'air était plein de vapeurs ; la respiration était pénible et difficile, et ils furent pris d'étourdissement, de sorte qu'ils chancelaient et tombaient souvent. Mais leur volonté ne cédait point, et ils avançaient tant bien que mal.
La Montagne, de plus en plus proche, grandissait lentement, au point que, s'ils levaient leurs têtes lourdes, sa vastitude dressée emplissait toute leur vision : énorme masse de cendre, de scories et de pierre brûlée, d'où s'élevait jusque dans les nuages un cône aux pentes escarpées. Avant la fin de la journée crépusculaire et le retour de la nuit véritable, ils avaient, à force de ramper et de trébucher, atteint son pied même.
Frodon, haletant, se jeta à terre. Sam s'assit à côté de lui. À sa surprise, il se sentait fatigué, mais plus léger, et sa tête lui semblait de nouveau claire. Nul débat ne lui troublait plus l'esprit. Il connaissait tous les arguments du désespoir et refusait de les écouter. Sa volonté était arrêtée, et seule la mort pouvait la briser. Il ne sentait plus ni désir ni besoin de sommeil, mais plutôt celui de vigilance. Il savait que tous les risques et tous les périls touchaient à un point décisif : le lendemain serait un jour de jugement, celui de l'effort final ou du désastre, le dernier sursaut.
Mais quand viendrait-il ? La nuit paraissait interminable et hors du temps ; les minutes mouraient l'une après l'autre, mais leur addition ne formait aucune heure passagère et n'apportait aucun changement. Sam commença à se demander si une nouvelle obscurité avait commencé et si aucun jour reparaîtrait jamais. Il finit par chercher à tâtons la main de Frodon. Elle était froide et tremblante. Son maître grelottait.
— Je n'aurais jamais dû abandonner ma couverture, murmura Sam.
Et, s'étendant, il s'efforça de réconforter Frodon de ses bras et de son corps. Et puis le sommeil le prit, et la terne lumière du dernier jour de leur quête les trouva côte à côte. Le vent était tombé la veille en se détournant de l'ouest ; il venait à présent du nord et commençait à fraîchir ; et, lentement, la lumière du soleil invisible filtra dans l'ombre, où se trouvaient les Hobbits.
— Allons-y ! En avant pour le dernier sursaut ! dit Sam, se remettant péniblement sur pied. Il se pencha sur Frodon et le réveilla doucement. Frodon poussa un gémissement ; mais, par un grand effort de volonté, il se releva en chancelant ; puis il retomba sur ses genoux. Il leva les yeux avec difficulté vers les pentes sombres de la Montagne du Destin qui s'élevait démesurément au-dessus de lui, et il se mit à se traîner pitoyablement à quatre pattes.
Sam, qui le regardait, pleura intérieurement, mais aucune larme ne monta à ses yeux secs et cuisants. « J'ai dit que je le porterais, dût mon corps se rompre, murmura-t-il, et je vais le faire ! »
— Allons, Monsieur Frodon ! cria-t-il. Si je ne peux pas le porter pour vous, je peux vous porter, vous, et lui en même temps. Alors debout ! Allons, cher Monsieur Frodon ! Sam va vous offrir une petite promenade. Dites-lui seulement où aller, et il ira.
Comme Frodon s'accrochait à son dos, les bras lâchement passés autour de son cou, les jambes fermement serrées sous ses bras, Sam se remit sur ses pieds en chancelant ; et alors, à son grand étonnement, le fardeau lui parut léger. Il avait craint d'avoir à peine la force de soulever son maître seul, et il s'attendait, par-dessus le marché, à partager le terrible et écrasant poids du maudit Anneau. Mais il n'en était pas ainsi. Que ce fût du fait que Frodon était tellement épuisé par ses longues souffrances, par la blessure du poignard et la piqûre venimeuse, ainsi que par le chagrin, la peur et l'errance sans abri, ou que quelque don de force finale lui était accordé, Sam souleva Frodon sans plus de difficulté que s'il portait un enfant hobbit à dos dans quelque jeu sur les pelouses ou les champs de foin de la Comté. Il respira profondément et démarra.
Ils avaient atteint le pied de la Montagne sur sa face nord, un peu à l'ouest ; là, les longues pentes grises, quoique anfractueuses, n'étaient pas escarpées. Frodon ne parlait pas, et Sam allait donc cahin-caha du mieux qu'il pouvait, sans autre directive que sa volonté de grimper le plus haut possible avant que ses forces ne l'abandonnassent et que sa volonté ne lâchât. Il peinait, montant toujours, tournant de-ci de-là pour diminuer la pente, trébuchant souvent en avant et, pour finir, rampant comme un escargot chargé d'un lourd fardeau. Quand sa volonté ne put le porter plus loin et que ses membres cédèrent, il s'arrêta et déposa doucement son maître sur le sol.
Frodon ouvrit les yeux et respira profondément. La respiration était plus aisée là-haut, au-dessus des fumées qui ondulaient et dérivaient en bas.
 Merci, Sam, dit-il en un murmure cassé. Quelle distance reste-t-il à faire ?
 Je ne sais pas, dit Sam, puisque je ne sais pas où nous allons.
Il regarda en arrière, puis en l'air ; et il fut étonné de voir jusqu'où son dernier effort l'avait amené. La Montagne dressée, menaçante et isolée, lui avait paru plus haute qu'elle n'était. Sam vit alors qu'elle était moins élevée que les hauts de l'Ephel Duath, qu'il avait escaladés avec Frodon. Les épaulements confus et éboulés de sa grande base se dressaient à environ trois mille pieds au-dessus de la plaine, et au-dessus d'eux s'élevait encore à une altitude moitié moindre son haut cône central, tel un vaste four ou une cheminée couronnée d'un cratère déchiqueté. Mais Sam avait déjà fait plus de la moitié du chemin à partir de la base, et la plaine de Gorgoroth s'estompait en dessous de lui, enveloppée de fumées et d'ombre. Comme il regardait vers le haut, il aurait poussé un cri de joie, si sa gorge desséchée le lui eût permis : parmi les bosses et les épaulements anfractueux, il voyait clairement un sentier ou une route. Cela grimpait comme une ceinture qui, montant de l'ouest, s'enroulait tel un serpent autour de la Montagne jusqu'à atteindre avant de disparaître le pied du cône sur son côté est.
Sam ne pouvait voir la partie qui se trouvait immédiatement au-dessus de lui, car une pente escarpée partait de l'endroit où il était ; mais il devinait que, si seulement il pouvait se débrouiller pour grimper encore un peu plus haut, il atteindrait le sentier. Une lueur d'espoir lui revint. Il pourrait encore vaincre la Montagne. « Ça aurait pu être mis là exprès ! se dit-il. Sans cela, j'aurais dû m'avouer battu en fin de compte ».
Le sentier n'avait pas été mis là pour les besoins de Sam. Il ne le savait pas, mais il voyait la Route de Sauron de Barad-dûr aux Sammath Naur, les Chambres de Feu. Partant de l'énorme porte ouest de la Tour Sombre, elle franchissait un profond gouffre sur un vaste pont de fer ; puis, passant dans la plaine, elle courait sur une lieue entre deux chasmes fumants pour atteindre ainsi une longue chaussée ascendante qui menait au côté oriental de la Montagne. De là, tournant et encerclant toute sa large circonférence du sud au nord, elle grimpait enfin, haut sur le cône supérieur, mais encore loin du sommet fumant, jusqu'à une sombre entrée qui regardait droit à l'est la Fenêtre de l'Œil dans la forteresse de Sauron enveloppée d'ombre. Souvent bloquée ou détruite par les tumultes des fournaises de la Montagne, la route était toujours réparée et nettoyée à nouveau par les travaux d'innombrables Orques.
Sam respira profondément. Il y avait une voie, mais il ne savait comment escalader la pente pour la rejoindre. Il devait commencer par soulager son dos douloureux. Il s'étendit un moment tout de son long près de Frodon. Aucun des deux ne parla. La lumière crût lentement. Soudain, un sentiment d'urgence qu'il ne comprenait pas s'empara de Sam. C'était presque un appel : « Maintenant, maintenant, ou il sera trop tard ! » Il s'arma de tout son courage et se leva. Frodon semblait avoir senti l'appel, lui aussi. Il se dressa péniblement sur les genoux.
— Je vais ramper, Sam, dit-il, haletant.
Aussi, pied à pied, comme de petits insectes gris, ils rampèrent le long de la pente. Ils arrivèrent au sentier, et ils virent qu'il était large, pavé de moellons brisés et de cendre battue. Frodon s'y hissa ; puis, comme mû par quelque impulsion, il se tourna lentement face à l'est. Au loin, planaient les ombres de Sauron ; mais, déchirés par quelque coup de vent venu du monde ou remués par une grande agitation intérieure, les nuages enveloppants tournoyèrent et s'écartèrent un moment ; et il vit alors, dressée toute noire, plus noire et sombre que les vastes ombres au milieu desquelles elle s'élevait, la plus haute tour de Barad-dûr avec ses cruels pinacles et son couronnement de fer. Elle ne se détacha qu'un moment, mais, comme d'une grande fenêtre incommensurablement haute, jaillit vers le nord une flamme rouge, le clignement d'un Œil perçant ; et puis les ombres se replièrent et la terrible vision disparut. L'Œil n'était pas tourné vers eux : il observait le nord, où les Capitaines de l'Ouest luttaient en désespérés, et toute sa malice était axée sur ce point, comme la Puissance s'apprêtait à frapper son coup décisif ; mais Frodon, à cet horrible aperçu, tomba comme mortellement frappé. Sa main chercha la chaîne qu'il avait au cou.
Sam s'agenouilla auprès de lui. Il l'entendit murmurer faiblement, presque imperceptiblement :
— Il nous a repérés ! Tout est perdu, ou le sera bientôt. C'est maintenant la fin des fins, Sam Gamegie.
De nouveau, Sam souleva Frodon et tira ses mains vers sa propre poitrine, laissant pendre ses jambes. Puis il baissa la tête et partit en peinant sur la route ascendante. Le chemin n'était pas aussi aisé qu'il l'avait paru de prime abord. Par chance, les feux qui s'étaient déversés au cours des grands tumultes, alors que Sam se tenait sur Cirith Ungol, avaient coulé principalement sur les pentes méridionale et occidentale, et la route n'était pas bloquée de ce côté. En de nombreux endroits, toutefois, elle s'était éboulée ou était traversée de fissures béantes. Après avoir grimpé quelque temps en direction de l'est, elle revenait sur elle-même par un tournant abrupt et s'en allait pour un moment vers l'ouest. À ce virage, elle était profondément coupée au travers d'un bloc de vieille pierre usée par le temps, vomie très anciennement par les fournaises de la Montagne. Haletant sous son fardeau, Sam franchit le tournant ; et, tandis même qu'il le faisait, il vit du coin de l'œil tomber du rocher quelque chose comme un petit morceau de pierre noire qui se serait détaché à son passage.
Un poids soudain le frappa, et il s'écrasa en avant, arrachant le dos de ses mains qui serraient toujours celles de son maître. Et puis il sut ce qui s'était passé, car, étendu à terre, il entendit au-dessus de lui une voix haïe.
— Sssale maître ! sifflait-elle. Sssale maître nous trompe ; trompe Sméagol, Gollum. Il ne doit pas aller par là. Il ne doit pas faire de mal au Trésor. Donnez-le à Sméagol, oui, donnez-le-nous ! Donnez-le-nous !
Par un violent effort, Sam se releva. Il dégaina aussitôt son épée ; mais il ne pouvait rien faire. Gollum tirait de toutes ses forces sur le Hobbit, essayant d'atteindre la chaîne et l'Anneau. C'était sans doute la seule chose capable de ranimer les cendres du cœur et de la volonté de Frodon : une attaque, une tentative de lui arracher de force son trésor. Il résista avec une soudaine furie qui stupéfia Sam et Gollum aussi. Même ainsi, les choses auraient pu aller bien autrement, si Gollum était demeuré semblable à lui-même ; mais quels que fussent les terribles chemins, solitaires, dépourvus de toute nourriture et d'eau, qu'il avait suivis, conduit par un désir dévorant et une peur terrible, ils avaient laissé sur lui des marques cruelles. C'était un être maigre, affamé, hâve, tout os et peau plombée et tendue. Ses yeux flamboyaient d'une lueur sauvage, mais sa malice n'était plus accompagnée de son ancienne force d'étreinte. Frodon le rejeta et se redressa en frissonnant.
— À bas, à bas ! dit-il, haletant et serrant sa main contre sa poitrine de façon à agripper l'Anneau sous l'abri de sa chemise de cuir. À bas, espèce de créature rampante, et hors de mon chemin ! Ton temps est fini. Tu ne peux plus me trahir ni me tuer.
Puis, soudain, comme auparavant sous les surplombs de l'Emyn Muil, Sam vit ces deux rivaux sous un autre jour. Une forme ramassée sur elle-même, à peine plus que l'ombre d'un être vivant, une créature à présent complètement défaite et vaincue, mais cependant pleine de rage et d'une hideuse convoitise ; et devant elle se dressait, sévère, inaccessible maintenant à la pitié, une figure en blanc ; mais sur la poitrine elle tenait une roue de feu. Du feu, parla une voix de commandement.
 Va-t'en et ne m'importune plus ! Si jamais tu me touches encore, tu seras toi-même jeté dans le Feu du Destin.
La forme tassée recula, ses yeux clignotants emplis de terreur, et pourtant en même temps d'un désir insatiable.
Puis la vision passa, et Sam vit Frodon debout, la main sur la poitrine, le souffle entrecoupé, et Gollum à ses pieds, reposant sur ses genoux avec ses mains à large empan étalées sur le sol.
— Attention ! cria Sam. Il va sauter !
Il fit un pas en avant, l'épée brandie.
 Vite, maître ! dit-il, haletant. Continuez ! Continuez ! Il n'y a pas de temps à perdre. Je vais m'occuper de lui. Allez !
Frodon le regarda, comme s'il était maintenant très loin.
— Oui, il faut que je continue, dit-il. Adieu, Sam ! C'est la fin au bout du compte. Sur la Montagne du Destin, le destin tombera. Adieu !
Il se détourna et s'en fut, marchant lentement, mais le corps droit, sur le sentier montant.
 Et maintenant ! dit Sam. Je peux enfin m'occuper de toi !
Il bondit en avant, l'épée nue, prêt au combat. Mais Gollum ne sauta pas. Il tomba à plat sur le sol et se mit à geindre.
 Ne nous tuez pas, dit-il en pleurnichant. Ne vous faites pas de mal avec le sssale acier cruel ! Laissez-nous vivre, oui, vivre juste un peu plus longtemps. Perdu, perdu ! Nous sommes perdus ! Et quand le Trésor partira, nous mourrons, oui, mourrons dans la poussière.
Il fit voler les cendres du sentier de ses longs doigts décharnés.
 La poussière !
La main de Sam hésita. Il était enflammé de colère et du souvenir du mal. Ce ne serait que justice de tuer cette créature perfide et meurtrière, une justice maintes fois méritée ; et cela semblait aussi la seule chose sûre à faire. Mais quelque chose le retenait au plus profond de son cœur : il ne pouvait frapper cet être couché dans la poussière, abandonné, délabré, totalement misérable. Lui-même, encore qu'un petit moment seulement, avait porté l'Anneau, et maintenant il devinait vaguement l'angoisse de l'esprit et du corps racornis de Gollum, asservis par cet Anneau, incapables de jamais retrouver la paix et le soulagement dans la vie. Mais Sam n'avait pas de mots pour exprimer ce qu'il sentait.
— Oh, la peste t'emporte, espèce de puant ! dit-il. Va-t'en ! Ouste ! Je ne te fais aucune confiance, pas jusque-là où je pourrais t'envoyer d'un coup de pied ; mais fiche le camp. Ou je te ferai vraiment du mal, oui, avec le sale acier cruel.
Gollum se redressa sur ses quatre pattes et recula de plusieurs pas ; puis il se retourna, et, comme Sam s'apprêtait à lui lancer un bon coup de pied, il s'enfuit dans la descente. Sam ne lui accorda plus d'attention. Il se rappela soudain son maître. Il regarda dans le chemin et ne le vit pas. Il clopina sur la route le plus rapidement qu'il pouvait. S'il eût porté les yeux en arrière, il aurait pu voir Gollum se retourner non loin et, avec une sauvage lueur de folie dans les yeux, remonter en se glissant rapidement mais précautionneusement, ombre furtive parmi les pierres.
Le sentier poursuivait sa montée. Il ne tarda pas à tourner de nouveau et, dans un dernier cours en direction de l'est, il franchit une coupure au flanc du cône pour aboutir à la porte sombre dans le côté de la Montagne : la porte des Sammath Naur. Dans le lointain vers le sud, le soleil, perçant les fumées et la brume, brûlait menaçant, disque rouge terne et estompé ; mais tout le Mordor s'étendait autour de la Montagne comme une terre morte, silencieuse, enveloppée d'ombre, en attente de quelque terrible coup.
Sam s'approcha de l'ouverture béante et regarda à l'intérieur. Il était sombre et chaud, et un profond grondement secouait l'air.
— Frodon ! Maître ! cria-t-il.
Il n'y eut aucune réponse. Il se tint un moment, le cœur battant d'une peur folle, puis il plongea dedans. Une ombre le suivit.
Au début, il n'y vit rien. Dans sa grande nécessité, il sortit une fois de plus la fiole de Galadriel, mais elle était pâle et froide dans sa main tremblante, et elle ne projeta aucune lumière dans ces ténèbres étouffantes. Il était parvenu au cœur du royaume de Sauron et aux forges de son ancien pouvoir, plus grand en Terre du Milieu ; toutes les autres puissances étaient ici subjuguées. Il avança craintivement de quelques pas incertains dans le noir, et puis tout d'un coup jaillit verticalement un éclair rouge qui alla frapper la haute voûte noire. Sam vit alors qu'il se trouvait dans une longue caverne ou un tunnel qui s'enfonçait dans le cône fumant. Mais, à une petite distance seulement devant lui, le sol et les murs de part et d'autre étaient coupés par une grande fissure d'où provenait la lumière rouge, tantôt bondissante, tantôt se résorbant dans l'obscurité ; et tout ce temps, loin en dessous, il y avait une rumeur et une agitation comme de grandes machines qui peineraient en vrombissant.
La lumière jaillit de nouveau, et là, au bord du gouffre, de la Crevasse même du Destin, se tenait Frodon, détaché en noir sur le rayonnement, tendu, droit, mais immobile comme pétrifié.
— Maître ! cria Sam.
Frodon bougea alors et il parla d'une voix claire, d'une voix plus claire et plus puissante, en fait, que Sam ne l'avait jamais entendu employer, et elle dominait le vrombissement et le tumulte de la Montagne du Destin, qui se répercutaient sur la voûte et les murs.
— Je suis arrivé, dit-il. Mais il ne me plaît pas, maintenant, de faire ce pour quoi je suis venu. Je n'accomplirai pas cet acte. L'Anneau est à moi !
Et soudain, comme il le passait à son doigt, il s'évanouit à la vue de Sam. Sam eut le souffle coupé, et il n'eut pas le temps de crier, car à ce moment-là bien des choses se produisirent.
Quelque chose le frappa violemment dans le dos, ses jambes furent projetées en avant, il se trouva renversé sur le côté, et sa tête donna contre le sol pierreux, tandis qu'une forme sombre bondissait par-dessus lui. Il resta sans mouvement et, durant un moment, tout fut ténèbres.
Et au loin, comme Frodon passait l'Anneau à son doigt et le revendiquait pour sien, même dans les Sammath Naur, cœur même du royaume, la Puissance de Barad-dûr fut ébranlée et la Tour trembla de ses fondations à son fier et ultime couronnement. Le Seigneur Ténébreux fut soudain averti de sa présence, et son Œil, perçant toutes les ombres, regarda par-dessus la plaine la porte qu'il avait faite ; l'ampleur de sa propre folie lui fut révélée en un éclair aveuglant et tous les stratagèmes de ses ennemis lui apparurent enfin à nu. Sa colère s'embrasa en un feu dévorant, mais sa peur s'éleva comme une vaste fumée noire pour l'étouffer. Car il connaissait le péril mortel où il était et le fil auquel son destin était maintenant suspendu.
Son esprit se libéra de toute sa politique et de ses trames de peur et de perfidie, de tous ses stratagèmes et de ses guerres, un frémissement parcourut tout son royaume, ses esclaves fléchirent, ses armées s'arrêtèrent, et ses capitaines, soudain sans direction, hésitèrent et désespérèrent. Car ils étaient oubliés, toute la pensée et toutes les fins de la Puissance qui les conduisait étaient à présent tournées avec une force irrésistible vers la Montagne. À son appel, virant avec un cri déchirant, volèrent en une dernière course désespérée les Nazgûl, les Esprits Servants de l'Anneau, qui, en un ouragan d'ailes, s'élançaient en direction du sud, vers la Montagne du Destin.
Sam se releva. Il était étourdi, et du sang qui coulait de sa tête lui dégoulinait dans les yeux. Il avança en tâtonnant, et il vit alors une étrange et terrible chose. Gollum luttait comme un fou au bord de l'abîme contre un ennemi invisible. Il oscillait de droite et de gauche, tantôt si près de l'arête qu'il manquait choir dans le vide, tantôt reculant avec peine, tombant à terre, se relevant, retombant. Et, durant tout ce temps, il n'arrêtait pas de siffler, sans prononcer de mots.
En bas, les feux s'éveillèrent en courroux, la lumière rouge flamboya et toute la caverne fut emplie d'un grand rayonnement et d'une forte chaleur. Soudain, Sam vit les longues mains de Gollum se porter à sa bouche ; ses crocs blancs luisirent, puis se refermèrent brutalement pour mordre. Frodon poussa un cri, et il apparut, tombé à genoux au bord du gouffre. Mais Gollum, dansant comme un fou, élevait l'Anneau, un doigt encore passé dans son cercle. L'Anneau brillait à présent comme s'il était vraiment fait de feu vivant.
— Trésor, trésor, trésor ! cria Gollum. Mon Trésor ! Oh, mon Trésor !
Là-dessus, au moment où ses yeux étaient levés pour contempler son butin, il fit un pas de trop, bascula, balança un moment sur le bord, puis, avec un cri, il tomba. Des profondeurs, monta son dernier gémissement Trésor et c'en fut fait de lui.
Il y eut un grondement et une grande confusion de bruits. Des flammes jaillirent et allèrent lécher la voûte. Le vrombissement crût jusqu'à devenir un grand tumulte, et la Montagne trembla. Sam courut à Frodon, le ramassa et le porta jusqu'à l'entrée. Et là, sur le seuil sombre des Sammath Naur, loin au-dessus des plaines de Mordor, il fut saisi d'un tel étonnement et d'une telle terreur qu'il resta planté là, oubliant toute autre chose, et il regarda comme mué en statue de pierre.
Il eut une brève vision d'un nuage tournoyant et, en son milieu, de tours et de remparts, hauts comme des collines, fondés sur un puissant trône de montagnes au-dessus de puits insondables ; de grandes cours et des cachots, des prisons aveugles, escarpées comme des falaises, et des portes d'acier et de diamant béantes ; puis tout passa. Les tours tombèrent et les montagnes glissèrent ; les murs s'émiettèrent et fondirent, s'écroulant avec fracas ; de vastes spires de fumée et des vapeurs jaillissantes montèrent, toujours plus haut jusqu'à ce qu'elles déferlent comme une vague irrésistible, dont la crête ondulante et impétueuse s'abattit en écumant sur la terre. Et enfin, sur les milles intermédiaires, vint un bruit sourd qui s'éleva jusqu'à devenir un fracas et un rugissement assourdissants ; la terre trembla, la plaine se souleva et craqua. Les cieux éclatèrent en tonnerre strié d'éclairs. Un torrent de pluie noire tomba en une cinglante flagellation. Et au cœur de la tempête, avec un cri qui perçait tous autres sons, déchirant les nuages, jaillirent les Nazgûl, tels des traits enflammés, comme, pris dans la ruine embrasée de la montagne et du ciel, ils craquetaient, se desséchaient et s'éteignaient.
 Eh bien, c'est la fin, Sam Gamegie, dit une voix à son côté.
Et voilà que Frodon se trouvait là, pâle et usé, et pourtant redevenu lui-même ; et dans ses yeux, il y avait à présent la paix, et non plus une tension de la volonté, ni la folie, ni aucune peur. Son fardeau lui avait été retiré. C'était le cher maître du doux temps de la Comté.
 Maître ! s'écria Sam, et il tomba à genoux.
Dans toute cette ruine du monde, il ne ressentait pour le moment que joie, une grande joie. Le fardeau était parti. Son maître avait été sauvé ; il était de nouveau lui-même, il était libre. Et à ce moment, Sam aperçut la main estropiée et sanglante.
 Votre pauvre main ! dit-il. Et je n'ai rien pour la panser ou la réconforter. Je lui aurais plutôt donné toute une des miennes. Mais il est parti à présent sans retour, parti à jamais.
 Oui, dit Frodon. Mais te rappelles-tu les mots de Gandalf : Même Gollum peut encore avoir quelque chose à faire ? Sans lui, Sam, je n'aurais pu détruire l'Anneau. La Quête aurait été vaine, même à la fin des fins. Pardonnons-lui donc ! Car la Quête est achevée, et tout est terminé à présent. Je suis heureux que tu sois ici avec moi. Ici, à la fin de toutes choses, Sam.
John Ronald Reuel Tolkien, in Le Seigneur des Anneaux (Gallimard)


Et aussi...
En fantasyant... Donner Sa vie pour l'autre, Narnia
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