lundi 29 septembre 2014

En Espagnant... Simone Weil, Lettre à Georges Bernanos

Dans Les Grands Cimetières sous la lune, Georges Bernanos, qui a assisté à Palma de Majorque à l'épuration sanglante menée par les nationalistes, dénonçait cette Terreur « inséparable des révolutions de désordre [...] qui atteint la racine de l'âme ». La Terreur c'est « tout régime où les citoyens, soustraits à la protection de la loi, n'attendent plus la vie ou la mort que du bon plaisir de la police d'État ». Ces Grands Cimetières, il les a vus de ses propres yeux : attiré par une lueur noirâtre, Bernanos franchit la grille d'un cimetière où des dizaines de corps arrosés d'essence, forment un immense bûcher sous la lune, symbole de l’Argent « Il est naturel que [le peuple] soit surtout sensible à la cruauté du dieu couleur de lune ».
C'est la lecture des Grands Cimetières sous la lune qui suscita chez Simone Weil le désir de lui communiquer les réflexions nées de son expérience sur le front l'Èbre.
Jusqu'à sa mort, Bernanos conserva deux lettres dans son portefeuille, celle que lui envoya Mgr Fontenelle, correspondant à Rome de La Croix, et celle de Simone Weil.

Monsieur,
Quelque ridicule qu'il y ait à écrire à un écrivain, qui est toujours, par la nature de son métier, inondé de lettres, je ne puis m'empêcher de le faire après avoir lu Les Grands Cimetières sous la lune. Non que ce soit la première fois qu'un livre de vous me touche : le Journal d'un curé de campagne est à mes yeux le plus beau, du moins de ceux que j'ai lus, et véritablement un grand livre. Mais si j'ai pu aimer d'autres de vos livres, je n'avais aucune raison de vous importuner en vous l'écrivant. Pour le dernier, c'est autre chose ; j'ai eu une expérience qui répond à la vôtre, quoique bien plus brève, moins profonde, située ailleurs et éprouvée, en apparence — en apparence seulement —, dans un tout autre esprit.
Je ne suis pas catholique, bien que — ce que je vais dire doit sans doute sembler présomptueux à tout catholique, de la part d'un non-catholique, mais je ne puis m'exprimer autrement — bien que rien de catholique, rien de chrétien ne m'ait jamais paru étranger. Je me suis dit parfois que si seulement on affichait aux portes des églises que l'entrée est interdite à quiconque jouit d'un revenu supérieur à telle ou telle somme, peu élevée, je me convertirais aussitôt. Depuis l'enfance, mes sympathies se sont tournées vers les groupements qui se réclamaient des couches méprisées de la hiérarchie sociale, jusqu'à ce que j'aie pris conscience que ces groupements sont de nature à décourager toutes les sympathies. Le dernier qui m’ait inspiré quelque confiance, c'était la CNT espagnole 1. J'avais un peu voyagé en Espagne — assez peu — avant la guerre civile 2, mais assez pour ressentir l'amour qu'il est difficile de ne pas éprouver envers ce peuple ; j’avais vu dans le mouvement anarchiste l'expression naturelle de ses grandeurs et de ses tares, de ses aspirations les plus et les moins légitimes.
La CNT, la FAI étaient un mélange étonnant, où on admettait n'importe qui et où, par suite, se coudoyaient l'immoralité, le cynisme, le fanatisme, la cruauté, mais aussi l'amour, l'esprit de fraternité, et surtout la revendication de l'honneur si belle chez des hommes humiliés ; il me semblait que ceux qui venaient là animés par un idéal l'emportaient sur ceux que poussait le goût de la violence et du désordre. En juillet 1936, j'étais à Paris. Je n'aime pas la guerre ; mais ce qui m'a toujours fait le plus horreur dans la guerre, c'est la situation de ceux qui se trouvent à l'arrière. Quand j'ai compris que, malgré mes efforts, je ne pouvais m'empêcher de participer moralement à cette guerre, c'est-à-dire de souhaiter tous les jours, toutes les heures, la victoire des uns, la défaite des autres, je me suis dit que Paris était pour moi l'arrière, et j'ai pris le train pour Barcelone dans l'intention de m'engager. C'était au début d'août 1936.
Un accident m'a fait abréger par force mon séjour en Espagne. J'ai été quelques jours à Barcelone ; puis en pleine campagne aragonaise, au bord de l'Èbre, à une quinzaine de kilomètres de Saragosse, à l'endroit même où récemment les troupes de Yagüe 3 ont passé l'Èbre ; puis dans le palace de Sitgès transformé en hôpital ; puis de nouveau à Barcelone ; en tout à peu près deux mois. J'ai quitté l'Espagne malgré moi et avec l'intention d'y retourner ; par la suite, c'est volontairement que je n'en ai rien fait. Je ne sentais plus aucune nécessité intérieure de participer à une guerre qui n'était plus, comme elle m'avait paru être au début, une guerre de paysans affamés contre les propriétaires terriens et un clergé complice des propriétaires, mais une guerre entre la Russie, l'Allemagne et l'Italie.
J'ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang et de terreur que dégage votre livre ; je l'avais respirée. Je n'ai rien vu ni entendu, je dois le dire, qui atteigne tout à fait l'ignominie de certaines des histoires que vous racontez, ces meurtres de vieux paysans, ces ballilas faisant courir des vieillards à coups de matraques. Ce que j'ai entendu suffisait pourtant. J'ai failli assister à l'exécution d'un prêtre 4 ; pendant les minutes d'attente, je me demandais si j'allais regarder simplement, ou me faire fusiller moi-même en essayant d'intervenir ; je ne sais pas encore ce que j'aurais fait si un hasard heureux n'avait empêché l'exécution.
Combien d'histoires se pressent sous ma plume... Mais ce serait trop long ; et à quoi bon ? Une seule suffira. J'étais à Sitgès quand sont revenus, vaincus, les miliciens de l'expédition de Majorque. Ils avaient été décimés. Sur quarante jeunes garçons partis de Sitgès, neuf étaient morts. On ne le sut qu'au retour des trente et un autres. La nuit même qui suivit, on fit neuf expéditions punitives, on tua neuf fascistes ou soi-disant tels, dans cette petite ville où, en juillet, il ne s'était rien passé. Parmi ces neuf, un boulanger d'une trentaine d'années, dont le crime était, m'a-t-on dit, d'avoir appartenu à la milice des « somaten » ; son vieux père, dont il était le seul enfant etl le seul soutien, devint fou. Une autre encore : en Aragon, un petit groupe international de vingt-deux miliciens de tous pays prit, après un léger engagement, un jeune garçon de quinze ans, qui combattait comme phalangiste. Aussitôt pris, tout tremblant d'avoir vu tuer ses camarades à ses côtés, il dit qu'on l'avait enrôlé de force. On le fouilla, on trouva sur lui une médaille de la Vierge et une carte de phalangiste ; on l'envoya à Durruti 5, chef de la colonne, qui, après lui avoir exposé pendant une heure les beautés de l'idéal anarchiste, lui donna le choix entre mourir et s'enrôler immédiatement dans les rangs de ceux qui l'avaient fait prisonnier, contre ses camarades de la veille. Durruti donna à l'enfant vingt-quatre heures de réflexion ; au bout de vingt-quatre heures, l'enfant dit non et fut fusillé 6. Durruti était pourtant à certains égards un homme admirable. La mort de ce petit héros n'a jamais cessé de me peser sur la conscience, bien que je ne l'aie apprise qu'après coup. Ceci encore : dans un village que rouges et blancs avaient pris, perdu, repris, reperdu je ne sais combien de fois, les miliciens rouges, l'ayant repris définitivement, trouvèrent dans les caves une poignée d'êtres hagards, terrifiés et affamés, parmi lesquels trois ou quatre jeunes hommes. Ils raisonnèrent ainsi : si ces jeunes hommes, au lieu d'aller avec nous la dernière fois où nous nous sommes retirés, sont restés et ont attendu les fascistes, c'est qu’ils sont fascistes. Ils les fusillèrent donc immédiatement, puis donnèrent à manger aux autres et se crurent très humains. Une dernière histoire, celle-ci de l'arrière : deux anarchistes me racontèrent une fois comment, avec des camarades, ils avaient pris deux prêtres ; on tua l'un sur place, en présence de l'autre, d'un coup de revolver, puis on dit à l'autre qu'il pouvait s’en aller. Quand il fut à vingt pas, on l'abattit. Celui qui me racontait l’histoire était très étonné de ne pas me voir rire.
À Barcelone, on tuait en moyenne, sous forme d'expéditions punitives, une cinquantaine d'hommes par nuit. C'était proportionnellement beaucoup moins qu'à Majorque, puisque Barcelone est une ville de près d'un million d'habitants ; d'ailleurs il s'y était déroulé pendant trois jours une bataille de rues meurtrière. Mais les chiffres ne sont peut-être pas l'essentiel en pareille matière. L'essentiel, c'est l'attitude à l'égard du meurtre. Je n'ai jamais vu, ni parmi les Espagnols, ni même parmi les Français venus soit pour se battre, soit pour se promener — ces derniers le plus souvent des intellectuels ternes et inoffensifs — je n'ai jamais vu personne exprimer même dans l'intimité de la répulsion, du dégoût ou seulement de la désapprobation à l'égard du sang inutilement versé. Vous parlez de la peur. Oui, la peur a eu une part dans ces tueries ; mais là où j'étais, je ne lui ai pas vu la part que vous lui attribuez. Des hommes apparemment courageux — il en est un au moins dont j'ai de mes yeux constaté le courage — au milieu d'un repas plein de camaraderie, racontaient avec un bon sourire fraternel combien ils avaient tué de prêtres ou de « fascistes » — terme très large. J'ai eu le sentiment, pour moi, que lorsque les autorités temporelles et spirituelles ont mis une catégorie d'êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n'est rien de plus naturel à l'homme que de tuer. Quand on sait qu'il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue ; ou du moins on entoure de sourires encourageants ceux qui tuent. Si par hasard on éprouve d'abord un peu de dégoût, on le tait et bientôt on l'étouffe de peur de paraître manquer de virilité. Il y a là un entraînement, une ivresse à laquelle il est impossible de résister sans une force d'âme qu'il me faut bien croire exceptionnelle, puisque je ne l'ai rencontrée nulle part. J'ai rencontré en revanche des Français paisibles, que jusque-là je ne méprisai pas, qui n'auraient pas eu l'idée d'aller eux-mêmes tuer, mais qui baignaient dans cette atmosphère imprégnée de sang avec un visible plaisir. Pour ceux-là je ne pourrai jamais avoir à l'avenir aucune estime.
Une telle atmosphère efface aussitôt le but même de la lutte. Car on ne peul formuler le but qu'en le ramenant au bien public, au bien des hommes — et les hommes sont de nulle valeur. Dans un pays où les pauvres sont, en très grande majorité, des paysans, le mieux-être des paysans doit être un but essentiel pour tout groupement d'extrême gauche ; et cette guerre fut peut-être avant tout, au début, une guerre pour et contre le partage des terres.
Eh bien, ces misérables et magnifiques paysans d'Aragon, restés si fiers sous les humiliations, n'étaient même pas pour les miliciens un objet de curiosité. Sans insolences, sans injures, sans brutalité — du moins je n'ai rien vu de tel, et je sais que vol et viol, dans les colonnes anarchistes, étaient passibles de la peine de mort — un abîme séparait les hommes armés de la population désarmée, un abîme tout à fait semblable à celui qui sépare les pauvres et les riches. Cela se sentait à l'attitude toujours un peu humble, soumise, craintive des uns, à l'aisance, la désinvolture, la condescendance des autres.
On part en volontaire, avec des idées de sacrifice, et on tombe dans une guerre qui ressemble à une guerre de mercenaires, avec beaucoup de cruautés en plus et le sens des égards dus à l'ennemi en moins.
Je pourrais prolonger indéfiniment de telles réflexions, mais il faut se limiter. Depuis que j'ai été en Espagne, que j'entends, que je lis toutes sortes de considérations sur l'Espagne, je ne puis citer personne, hors vous seul, qui, à ma connaissance, ait baigné dans l'atmosphère de la guerre espagnole et y ait résisté. Vous êtes royaliste, disciple de Drumont — que m'importe ? vous m'êtes plus proche, sans comparaison, que mes camarades des milices d'Aragon — ces camarades que, pourtant, j'aimais.
Ce que vous dites du nationalisme, de la guerre, de la politique extérieure française après la guerre m'est également allé au cœur. J'avais dix ans lors du traité de Versailles. Jusque-là j'avais été patriote avec toute l'exaltation des enfants en période de guerre. La volonté d'humilier l'ennemi vaincu, qui déborda partout à ce moment (et dans les années qui suivirent) d'une manière si répugnante, me guérit une fois pour toutes de ce patriotisme naïf. Les humiliations infligées par mon pays me sont plus douloureuses que celles qu'il peut subir.
Je crains de vous avoir importuné par une lettre aussi longue. Il ne me reste qu'à vous exprimer ma vive admiration.
S. WEIL
Mlle Simone Weil,
3, rue Auguste-Comte, Paris (VIe).
PS — C'est machinalement que je vous ai mis mon adresse. Car, d'abord, je pense que vous devez avoir mieux à faire que de répondre aux lettres. Et puis je vais passer un ou deux mois en Italie, où une lettre de vous ne me suivrait peut-être pas sans être arrêtée au passage.

Simone Weil, Lettre à Georges Bernanos,
in Œuvres (Quarto Gallimard)

1. La Confederación national del Trabajo d'inspiration anarchiste dominait le mouvement syndical espagnol (2 millions d'adhérents), situation tout à fait originale en Europe.
2. Simone Weil avait fait un voyage en Espagne puis au Portugal en août-septembre 1935.
3. Juan de Yagüe (1891-1952), colonel de la Légion ayant déjà participé à la répression de l'insurrection des Asturies en 1934.
4. Le carnet de route de Louis Mercier-Vega est publié dans Le Libertaire ; à la date du 16 août 1936, on y lit : « Au village de Pina [..] la grande église est noircie par le feu qui a détruit tout le mobilier et les objets pieux. Pas de messe aujourd'hui, le curé est en fuite ou fusillé » (Le Libertaire, 11 septembre 1936).
5. Fils d'un cheminot, Buenaventura Durruti devint mécanicien à 14 ans. Il commit plusieurs attentats, qui lui valurent de nombreuses condamnations et le contraignirent à l'exil. À Paris, il devint l'ami de l’anarchiste ukrainien Nestor Makhno. Rentré en Espagne en 1931, il fut arrêté et déporté en Afrique. Dès le 19 juillet 1936, il joua un rôle considérable dans l'organisation de la riposte populaire au coup d'État en Catalogne. Il participait à la défense de Madrid avec sa colonne lorsqu'il fut tué, le 19 novembre, dans des circonstances étranges (assassinat ? accident ?).
6. Dans son livre Salud camarada (1937), le Belge Mathieu Corman, journaliste et libraire-éditeur, compagnon de route des communistes, donna un récit de l'exécution d'un jeune phalangiste très proche de celui de Simone Weil.


En Espagnant... Simone Weil, Nous l'aurons mérité par notre lâcheté d'esprit

Depuis le début de la politique de non-intervention, une préoccupation me pèse sur le cœur. Beaucoup d'autres, certainement, la partagent.
Mon intention n'est pas de me joindre aux violentes attaques, quelques-unes sincères, la plupart perfides, qui se sont abattues sur notre camarade Léon Blum. Je reconnais les nécessités qui déterminent son action. Si dures, si amères qu'elles soient, j'admire le courage moral qui lui a permis de s'y soumettre malgré toutes les déclamations. Même quand j’étais en Aragon, en Catalogne, au milieu d'une atmosphère de combat, parmi les militants qui n'avaient pas de terme assez sévère pour qualifier la politique de Blum, j'approuvais cette politique. C'est que je me refuse pour mon compte personnel à sacrifier délibérément la paix, même lorsqu'il s'agit de sauver un peuple révolutionnaire menacé d'extermination.
Mais dans presque tous les discours 1 que notre camarade Léon Blum a prononcés depuis le début de la guerre espagnole, je trouve, à côté de formules profondément émouvantes sur la guerre et la paix, d'autres formules qui rendent un son inquiétant. J'ai attendu avec anxiété que des militants responsables réagissent, discutent, posent certaines questions. Je constate que l'atmosphère trouble qui existe à l'intérieur du Front populaire réduit bien des camarades au silence ou à une expression enveloppée de leur pensée.
Léon Blum ne manque pas une occasion, au milieu des phrases les plus émouvantes, d'exposer en substance ceci : nous voulons la paix, nous la maintiendrons à tout prix, sauf si une agression contre notre territoire, ou les territoires garantis par nous, nous contraint à la guerre.
Autrement dit, nous ne ferons pas la guerre pour empêcher les ouvriers, les paysans espagnols d'être exterminés par une clique de sauvages plus ou moins galonnés. Mais, le cas échéant, nous ferions la guerre pour l'Alsace‑Lorraine, pour le Maroc, pour la Russie, pour la Tchécoslovaquie, et, si un Tardieu 2 quelconque avait signé un pacte d'alliance avec Honolulu, nous ferions la guerre pour Honolulu.
En raison de la sympathie que j'éprouve pour Léon Blum, et surtout à cause des menaces qui pèsent sur tout notre avenir, je donnerais beaucoup pour pouvoir interpréter autrement les formules auxquelles je pense. Mais il n'y a pas d'autre interprétation possible. Les paroles de Blum ne sont que trop claires.
Est-ce que les militants des organisations de gauche et de la CGT, est-ce que les ouvriers et les paysans de notre pays acceptent cette position ? Je n'en sais rien. Chacun doit prendre ses responsabilités. En ce qui me concerne, je ne l'accepte pas.
Les ouvriers, les paysans qui, de l'autre côté des Pyrénées, se battent pour défendre leur vie, leur liberté, pour soulever le poids de l’oppression sociale qui les a écrasés si longtemps, pour arriver à prendre en main leur destinée, ne sont liés à la France par aucun traité écrit. Mais tous, CGT, Parti socialiste, classe ouvrière, nous nous sentons liés à eux par un pacte de fraternité non écrit, par des liens de chair et de sang plus forts que tous les traités. Que pèsent, au regard de cette fraternité unanimement ressentie, les signatures apposées par des Poincaré, des Tardieu, des Laval quelconques sur des papiers qui n'ont jamais été soumis à notre approbation ? Si jamais la somme de souffrances, de sang et de larmes que représente une guerre pouvait se justifier, ce serait lorsqu'un peuple lutte et meurt pour une cause qu'il a le désir de défendre, non pour un morceau de papier qu'il n'a jamais eu à connaître.
Léon Blum partage sans doute, sur la question espagnole, les sentiments des masses populaires. On dit que lorsqu'il a parlé de l'Espagne devant les secrétaires de fédérations socialistes, il a pleuré. Très probablement, s'il était dans l'opposition, il prendrait à son compte le mot d'ordre : « des canons pour l'Espagne »3. Ce qui a retenu son élan de solidarité, c'est un sentiment lié à la possession du pouvoir : le sentiment de responsabilité d'un homme qui tient entre ses mains le sort d'un peuple, et qui se voit sur le point de le précipiter dans une guerre. Mais si au lieu des ouvriers et des paysans espagnols une quelconque Tchécoslovaquie était en jeu, serait-il du même sentiment de responsabilité ? Ou bien un certain esprit juridique lui ferait-il croire qu'en pareil cas toute la responsabilité appartient à un morceau de papier ? Cette question est pour chacun de nous une question de vie ou de mort.
La sécurité collective est au programme du Front populaire. À mon avis, quand les communistes accusent Léon Blum d'abandonner, dans l'affaire espagnole, le programme du Front populaire, ils ont raison. Il est vrai que les pactes et autres textes se rapportant à la sécurité collective ne prévoient lien de semblable au conflit espagnol ; c'est qu'on ne s'est jamais attendu à rien de semblable. Mais enfin les faits sont assez clairs. Il y a eu agression, agression militaire caractérisée, quoique sous forme de guerre civile. Des étrangers ont soutenu cette agression. Il semblerait normal d'étendre à un cas pareil le principe de la sécurité collective, d'intervenir militairement pour écraser l'armée coupable d'agression. Au lieu de s'orienter dans cette voie, Léon Blum a essayé de limiter le conflit. Pourquoi ? Parce que l’intervention, au lieu de rétablir l'ordre en Espagne, aurait mis le feu à toute l'Europe. Mais il en a toujours été, il en sera toujours de même toutes les fois qu'une guerre locale pose la question de la sécurité collective. Je défie n'importe qui, y compris Léon Blum, d'expliquer pourquoi les raisons qui détournent d'intervenir en Espagne auraient moins de force s'il s'agissait de la Tchécoslovaquie envahie par les Allemands.
Beaucoup de gens ont demandé à Léon Blum de « reconsidérer » sa politique à l'égard de l'Espagne. C'est une position qui se défend. Mais si on ne l'adopte pas, alors, pour être conséquent envers soi-même, il faut demander à Léon Blum d'une part, aux masses populaires de l'autre, de « reconsidérer » le principe de la sécurité collective. Si la non-intervention en Espagne est raisonnable, la sécurité collective est une absurdité, et réciproquement.
Le jour où Léon Blum a décidé de ne pas intervenir en Espagne, il a assumé une lourde responsabilité. Il a décidé alors d'aller, le cas échéant, jusqu’à abandonner nos camarades d'Espagne à une extermination massive. Nous tous qui l'avons soutenu, nous partageons cette responsabilité. Eh bien ! si nous avons accepté de sacrifier les mineurs des Asturies, le paysans affamés d'Aragon et de Castille, les ouvriers libertaires de Barcelone, plutôt que d'allumer une guerre mondiale, rien d'autre au monde ne doit nous amener à allumer la guerre. Rien, ni l'Alsace-Lorraine, ni les colonies, ni les pactes. Il ne sera pas dit que rien au monde nous est plus cher que la vie du peuple espagnol. Ou bien si nous les abandonnons, si nous les laissons massacrer, et si ensuite nous faisons quand même la guerre pour un autre motif, qu'est-ce qui pourra nous justifier à nos propres yeux ?
Est-ce qu'on va se décider, oui ou non, à regarder ces questions en face, poser dans son ensemble le problème de la guerre et de la paix ? Si nous continuons à éluder le problème, à fermer volontairement les yeux, à répéter des mots d'ordre qui ne résolvent rien, que vienne donc alors la catastrophe mondiale. Tous nous l'aurons méritée par notre lâcheté d'esprit.
Simone Weil, in Œuvres (Quarto Gallimard)

1. Le 6 septembre 1936, Léon Blum prononce un discours au sujet de l'Espagne (Les Événements d’Espagne, discours à Luna-Park..., Imp. du Commerce et des Postes, 1936) pour justifier la politique de non-intervention adoptée par le gouvernement à une voix de majorité. En sous-main, il charge de hauts fonctionnaires d'organiser la fourniture clandestine d'armes aux républicains. À partir du momentl'intervention des Allemands et des Italiens est devenue flagrante, il décide de pratiquer « la non-intervention relâchée ».
2. Ancien collaborateur de G. Clemenceau, André Tardieu (1876-1945) fut président du Conseil en 1929, 1930 et 1932. Prônant une réforme des institutions de la IIIe République, il était partisan d'un renforcement du pouvoir exécutif. Les amis de S. Weil de La Révolution prolétarienne publièrent une brochure de Félicien Challaye critiquant les projets constitutionnels de Tardieu : Un aspirant dictateur : André Tardieu, 1930.
3. Il s’agit du mot d'ordre des communistes. Dans son discours du 25 août 1936 au vélodrome Buffalo, Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, tout en s'affirmant résolument pour la non-intervention, réclame la levée du blocus envers les républicains espagnols. Il revendique pour eux « la possibilité de se procurer librement des avions, des canons, des munitions ». Voir M. Thorez, Des avions pour l’Espagne !..., éditions du comité populaire de propagande, 1936.

vendredi 26 septembre 2014

En souffrant... Édouard Estaunié, L'Appel de la Route

L'abbé et moi descendîmes de concert.
Il est utile de vous dire que je le pratiquais peu. À peine nous étions-nous rencontrés auparavant et sans jamais lier conversation. N'escomptant chez lui ni imprévu ni flamme, je le croyais un peu sot, n'éprouvais aucun désir de sa compagnie pieuse et me gardais de lui imposer la mienne.
Ce fut donc avec un léger ennui qu'arrivé en bas je l'entendis me demander :
Si vous allez réellement vous promener, serait-il indiscret de me joindre à vous ?
Que répondre, sinon que je m'estimerais enchanté de la compagnie ? J'étais en train de le certifier quand le concierge de son côté m'appela.
Voici une lettre que je dois vous remettre dès votre sortie : elle est du nouveau locataire.
Je vis passer sur le visage de l'abbé un intérêt subit. J'affectai de ne pas m'en apercevoir.
Donnez... merci.
Je n'ouvris l'enveloppe que dans la rue et ne pus dissimuler ma surprise.
Voyez, dis-je à l'abbé ; il est donc bien riche ?
C'était un chèque de 5o 000 francs pour la « Recherche du Soldat ».
Riche ?... J'ai entendu dire en effet qu'il avait vendu une invention intéressante. Détaché de la richesse, à coup sûr... Où souhaitez-vous aller ?
Où il vous plaira.
Alors, sur une route... j'aime les routes... les routes ordinaires...
Voulez-vous celle de Saint-Germain ?
Celle-là ou une autre : je n'ai point de préférence.
Je glissai le chèque dans mon portefeuille, et nous voila gagnant la porte Saint-Antoine, moi tout à l'effort d'alimenter l'entretien, l'abbé pensif et à peu près bouche close. Entre temps, je remarquais la nervosité de sa démarche. Elle s'accordait si mal avec l'attitude habituelle de l'homme que je me demandai soudain quelle part de volonté entrait dans cette dernière.
Lorsqu'on atteignit la route « ordinaire », comme disait l'abbé, à bout d'éloquence, je cessai de parler et résolus d'attendre qu'à son tour mon compagnon voulût bien se mettre en frais.
La route de Saint-Germain est le type du grand chemin, monotone et bête. Elle monte droit la colline, après avoir lâché une première escorte de maisons sans importance. On y a tout de suite l'impression d'abandonner la ville, mais pour une campagne qui refuse d'être agreste. Des champs tristes comme des terrains à bâtir, une côte rude, l'horizon arrêté par elle et dépourvu d'attraits. Il va de soi qu'on ne rencontre pas de promeneurs. Seules deux formes humaines tachaient devant nous la chaussée : encore n'avançaient-elles pas ensemble ; un large intervalle les séparait.
Notre silence durait déjà depuis quelques instants quand brusquement l'abbé commença :
Pourrais-je solliciter une grâce ?
Il va de soi, si elle est à ma portée, répondis-je, trouvant à ce début un air de cérémonie qui m'inquiétait.
Le hasard a fait qu'ignorant que ma mère eût du monde, j'aie pénétré chez elle et constaté — sans le vouloir, croyez-le bien — que l'entretien venait de prendre un tour... particulier. Je vous serais obligé, quand vous retournerez à votre travail, d'oublier ce que vous avez pu entendre et de vous exprimer, par exemple, comme si M. Lormier n'était pas venu.
Je vous le promets bien volontiers.
Merci.
Et j'eus aussitôt, à la manière dont le merci était prononcé, la certitude que l'abbé n'avait souhaité m'accompagner que pour me dire ces quelques mots.
J'attendis un peu, espérant qu'il ajouterait autre chose : le voyant revenu à son air neutre, et légèrement agacé, je repris ensuite :
Je conçois que vous souhaitiez d'éviter à madame votre mère l'occasion de s'appesantir sur un passé pénible. Je ne saurais d'ailleurs trop admirer la sérénité de madame Manchon. Sans la visite en question, je n'eusse jamais soupçonné quelle douleur poignante se cache derrière son ardente charité.
On a tort toujours de ne pas soupçonner la souffrance ; elle est partout, fit l'abbé simplement.
Je le regardai ; mais il continuait d'avancer, comme seul avec ses pensées.
Il est vrai, insinuai-je, que ce Lormier, lui aussi...
M. Lormier, j'en suis persuadé, n'a pas été plus épargné qu'un autre.
N'en savez-vous rien de plus ?
Non.
J'avais cru deviner, cependant, à la manière dont il a parlé de reconnaissance...
Vous vous êtes trompé.
Votre mère, en tout cas, a trouvé en lui une âme qu'un malheur à peu près identique rendait apte à la comprendre.
L'abbé, cette fois, parut importuné de mon insistance, et pour couper court :
Quoi qu'il en soit, M. Lormier et mon frère ont habité quelque temps la même ville. Cela me suffit pour ne pas tenir au maintien de relations qui menaceraient de troubler l'œuvre d'apaisement commencée chez ma mère.
Oh ! murmurai-je, jugez-vous vraiment cette œuvre commencée ? À entendre votre mère parler de sa douleur, j'aurais moins de confiance.
Apaisé ne signifie pas consolé, dit sèchement l'abbé.
Avouerai-je que sa manière péremptoire de régler ainsi la question des sentiments les plus graves qui puissent importer à un être me choqua ? En dépit de l'impatience que je lui voyais, je poursuivis donc :
Je crains, monsieur l'abbé, qu'il n'existe aucune commune mesure entre votre appréciation de la souffrance et celle d'un laïque tel que moi. Aux yeux d'un prêtre, tout concourt à l'ordre providentiel ; le malheur, dût-il nous accabler, rentre dans un plan divin qu'il ne nous appartient pas de connaître, et l'effort pour se résigner a été mis à notre portée, comme l'acquisition de n'importe quelle vertu. Par contre, en écoutant votre mère et M. Lormier, j'avais conscience que, pour en arriver là, une grâce est nécessaire... rarement accordée.
L'abbé s'arrêta net :
Et qui vous assure, monsieur, qu'un prêtre reçoive sûrement cette grâce ? D'où tenez-vous que la souffrance ne soit jamais une énigme pour lui ?
Il avait changé de stature, tout à coup, et, redressé, fixait sur moi des yeux aussi chargés d'angoisse que ceux de M. Lormier ou de madame Manchon. Une seconde, l'homme extraordinaire aperçu par Duclos m'apparut. Tant de passion contenue, une telle ardeur impérieuse émanaient de lui que, revenu au sentiment de la réserve nécessaire, je m'inclinai :
Pardonnez-moi, balbutiai-je, j'ignorais que je risquais aussi, près de vous, de toucher à une blessure.
Il haussa les épaules et se remit en marche. Je l'imitai.
Quelques minutes s'écoulèrent. La côte, devenue plus raide, obligeait à ralentir l'allure. Le jour baissait, maussade, et j'éprouvais un réel embarras. Il n'était plus question de reprendre un thème qui, seul, m'aurait intéressé ; j'hésitais d'autre part à proposer de rebrousser chemin.
Soudain, j'eus la surprise de sentir qu'on me prenait le bras.
— Vous allez repartir au front où la souffrance vous attend, vous aussi : puisque aujourd'hui vous avez entrevu les questions redoutables qu'elle pose, vous plaît-il d'apprendre ce que j'en sais ? demandait l'abbé d'une voix grave.
Il commença, tenant mon silence pour un acquiescement, et j'ai conscience de ne pas changer un mot au discours qu'il me tint :
— Rassurez-vous d'abord : je ne parlerai pas en prêtre. Je veux m'en tenir aux seuls arguments de raison qui sont de nature à vous toucher. Remarquez pourtant que, par métier, je me heurte à la souffrance plus souvent qu'un autre ; ajoutez qu'elle est installée chez les miens ; oserai-je enfin avouer qu'elle ne m'a pas oublié ? Que de motifs pour méditer sur elle et trouver auprès de vous un titre de créance !...
« J'ai affirmé tout à l'heure que la souffrance n'épargnait personne. Sans doute, ses moyens varient. Il en est de violents, il en est d'insinuants et de cauteleux ; il en est des lents et des rapides, de toutes les sortes et de toutes les qualités. La victime, elle, est toujours atteinte. Tel, dont vous enviez la fortune heureuse, se ronge en secret et appelle la mort : tel autre, dont le bonheur est évident, ignore que l'existence le détroussera demain, avec la dextérité d'un bandit de grand chemin. L'universalité de la souffrance sous des formes diverses est un fait.
« Son apparente inégalité en est un second... Gardons-nous cependant de croire trop à celui-là. Le plus souvent, en effet, on est tenté de mettre sa souffrance au-dessus de celle du prochain. D'autre part, nous ne nous attachons guère à observer que les seules douleurs se rapprochant de la nôtre. On risque ainsi de ne pas tout voir et même de ne rien voir.
« Quoi qu'il en soit, voilà un phénomène de la vie, le plus considérable, le plus constant, le plus redoutable aussi, dont on se demande : « À quoi sert-il ? » Car rien ici-bas n'est inutile ; lui seul, en s'en tenant au point de vue humain, ne semble que nuire. Encore s'il nuisait partout de la même manière ! Mais non : quoi de plus divers que l’œuvre de la souffrance ? Ici, résignation, ailleurs, révolte ; autre part, élans vers Dieu, renoncement, mysticisme ; à côté, fureurs, incrédulité, blasphèmes ; tantôt la charité, tantôt l'ordure, pour s'étourdir. Ah ! croyez-moi, le problème n'est pas seulement dans l'existence de la souffrance. C'est devant le résultat de la souffrance que j'ai le plus tremblé... jusqu'au jour où, grâce à Dieu, j'ai compris et me suis incliné devant ce moyen cruel et merveilleux !...
Ici, l'abbé abandonna mon bras. Après avoir débuté, comme je l'indique, d'une voix posée, lentement il avait suivi la progression de ses pensées et laissé transparaître une part de la fièvre intérieure qui, j'en suis convaincu maintenant, le dévorait. Désormais, il allait poursuivre autant pour lui que pour moi. On ne met tant d'ardeur à établir un bilan que lorsqu'on est en jeu. J'écoutais, mais le véritable auditeur de l'abbé Manchon était sa conscience.
— Cruel et merveilleux, reprit-il, répétant ces mots avec complaisance, mais combien sûr ! Parmi tant d'effets impossibles à classer et plus encore à juger, j'en vois deux en effet, toujours pareils, qui, tôt ou tard, paraissent comme le fruit sur l'arbre : et tous les deux ne sont à dire vrai que la même conquête imposée à l'homme ou plutôt à l'élu choisi par la souffrance.
« Le premier est le détachement : un détachement du devenir, de ce qui entoure, de soi-même, enfin de tout ce qu'on est convenu de nommer la vie. L'homme qui a vraiment souffert peut avoir l'air consolé : il ne retrouve jamais le goût de vivre. Détaché de la réalité, c'est déjà un mort qui erre. Vous avez été surpris du don Lormier ? moi pas. Je ne m'étonne pas non plus des générosités de ma mère. Son ardeur à diminuer la douleur des familles ne sollicite d'ailleurs aucun remerciement et ne se préoccupe d'aucun nom. Elle aussi, autant que Lormier, est détachée non seulement de la fortune, mais du bien qu'elle tente. Ma mère ne tient plus à elle, ni à moi, ni à rien. La douleur en a fait une plante arrachée brutalement de terre et qui, racines en l'air, achève d'expirer au soleil.
« Mais au-dessus du détachement, et par delà, il est un second effet dont j'estime qu'il est la raison suprême de la souffrance, et qui, rarement formulé, ou mal, ou parfois pas du tout, devient pourtant un élément de la pensée aussi dominateur que salutaire.
« Parce que la souffrance dépouille, parce qu'elle paraît injuste, parce que rien surtout n'est capable ici-bas de réparer ce qu'elle engendre, fatalement, l'être détaché de lui-même en appelle au delà. Sans la souffrance, l'homme n'aurait jamais songé à l'immortalité. Par la souffrance, il en acquiert le besoin et, brisant les limites d'un présent qui ne compte plus, projette son existence véritable dans les régions de l'infini.
« Sous quelle forme, pareille induction souveraine ? Ah ! peu importe ! c'est affaire aux métaphysiques et aux religions de tenter une précision si elles peuvent. Le principal, monsieur, n'est pas qu'on sache ce qu'il y aura : c'est que le regard mental ose enfin dépasser le visible ; c'est qu'à la notion d'un stupide divertissement de quelques années se substitue celle d'une chaîne prodigieuse et riche, nous prolongeant à travers les réparations et l'agrandissement de l'avenir.
« Quand je suis entré chez ma mère, M. Lormier parlait de ténèbres qui supposent la lumière : c'est bien, il est sauvé ! Ma mère répondait : « Je cherche l'explication, mais la nuit reste.. ». Elle se trompait ; puisqu'elle cherche, elle aussi est sauvée ! Pour tous deux, la souffrance a clos son œuvre..
« Œuvre tragique : soit. La mort aussi en est une autre. Mais on n'aborde l'inconnu, mentalement ou réellement, qu'à travers des cris et des sanglots, c'est-à-dire par la souffrance ! La Vie, la Mort, même chose ! rien de plus qu'un chemin, le grand chemin qui mène à l'inconnu ?...
D'un geste large, l'abbé montra la perspective de la chaussée que nous ne cessions de suivre.
— On marche... on va devant soi... comme ces gens, là-bas, qui nous précèdent : on avance à pas toujours plus lourds, sans se connaître, sans regarder autour de soi, uniquement à la fatigue de la côte et à la rudesse du fardeau... et c'est la Vie ! On approche ensuite du sommet... Ah ! justement ! l'un de ces gens y arrive... La silhouette se détache sur le fond net du ciel... Voyez ! ce n'est plus, ainsi qu'auparavant, une forme confuse : maintenant, on distingue les vêtements... la coiffure... une femme... Comme elle paraît grande, malgré la distance ! Mais les pieds disparaissent... les jambes... le buste est mordu... Apercevez-vous encore la tête ?... Plus rien et c'est la Mort !
« Oui, cette femme vient bien de disparaître, ainsi que disparaissent les morts. Cependant, vous êtes sûr, n'est-il pas vrai, absolument sûr que sa disparition n'a pas arrêté le voyage et qu'elle va quelque part ? Vous en êtes sûr, parce qu'on ne suit jamais une route sans un but à atteindre, parce que vous savez d'expérience la toute-puissance de l'appel de la route. Ah ! cet appel magnifique vers le gîte d'étape, la demeure ancestrale, ou le paysage dont on rêve ! cet appel, sans lequel on ne saurait où orienter son pas et qui, en ce moment, fait que nous-mêmes ne souhaitons d'aller ni à droite ni à gauche, mais préférons gravir la côte, pour découvrir un horizon dont nous ne mettons pas l'existence en doute, bien que nous ignorions quel il peut être !
« Vous souhaitiez apprendre, monsieur, la raison dernière de la souffrance dans le voyage qui nous emporte à travers le temps : cette femme vient de parler pour moi. La souffrance est l'appel de la route. Si pénible que soit l'effort, marchons, guidé par lui, vers le pays où j'espère que la Justice de Dieu perdra son obscurité, parce qu'il y fait toujours clair...
« Ainsi soit-il ! »
Après ceci, l'abbé se tut.
Édouard Estaunié, in L’Appel de la Route



jeudi 18 septembre 2014

En musant... Marie Noël, Par les petits chemins

La bonne nouvelle est annoncée aux pauvres.
Matthieu, II, 6.

Par les petits chemins nous passerons,
Nous qui sans fin petites gens serons,
Par les chemins usagés de l'Amour,
Avec nos pauvres pieds de chaque jour.
* * *
Dieu l'Inconnu qui n'a ni temps, ni lieu,
Dieu sans visage où se perdent les yeux,
Ceux d'entre nous qui sont Mages, conduits
Par une étoile, entreront dans sa nuit.
Ceux d'entre nous qui sont sages, le front
Au ciel heurtant des clartés, monteront
Dans leurs pensers plus haut de jour en jour,
Pour guetter Dieu monteront sur leur tour.
De nue en nue ils monteront si loin
De leurs yeux lourds qui de terre ont besoin,
Si haut, si loin de leurs pieds qui sont sûrs,
Dans le danger sans bornes de l'azur ;
Si haut, si droit au mât de leur raison,
Dans le temps pur hors de toute saison,
Dans la lumière où n'est plus d'astre aucun,
Que leurs pensers finiront tous en un.
La Vérité qui rejoint oui et non
Leur montrera — sans le dire — son nom
Simple où la nuit se jette dans le jour.
Ils la verront. Ils connaîtront l’Amour...
Mais nous chétifs qui n’avons que nos pas
Sur les cailloux pour mener ici-bas
Notre troupeau, nous qui sommes bergers
Cherchant par terre un peu de quoi manger ;
Nous qui n’avons qu’un bâton dans la main,
De pierre en pierre éprouvant le chemin,
La Vérité, dans les nuages fous
Du ciel qui court, où l’arrêterons-nous ?...
Par les petits chemins nous passerons,
Nous qui sans fin petites gens serons,
Par les chemins usagés de l’Amour,
Avec nos pauvres pieds de chaque jour.
Dieu l’Inconnu mènera nos sentiers
Par nos labours, nos villes, nos métiers,
Dieu l’Inconnu, vêtu de cœur humain,
Avec des pieds, des paroles, des mains.
L’Amour, ceux-là qui sont Rois connaîtront
Le Vrai qu’il est en élevant le front.
L’Amour, nous tous qui sommes portefaix
Le porterons comme Jésus a fait.
Nous qui n’avons qu’à grand’peine un esprit,
Suivant Jésus par le corps qu’il a pris,
Nous passerons besognant dans les bourgs...
Avec nos corps nous trouverons l’Amour !
Avec nos pieds nous trouverons l’Amour,
Nous dont les yeux découvrent peu de jour,
Avec nos mains maladroites, nos mains
Qui sans voir clair partageront du pain.
Avec nos pieds nous trouverons l’Amour,
Nous dont la tête a le chemin trop court,
Avec nos pieds qui descendent au puits
Puiser de l’eau pour faire boire autrui.
Avec nos cœurs qui ne sont pas savants,
Nous trouverons l’Amour comme un enfant,
Un nouveau-né tombé du ciel au bord
De la nuit noire et qui ne vit pas fort.
Comme un petit dans ses langes qui dort,
À peine voit, ne parle pas encor,
Nous porterons, serrée entre nos bras,
La Vérité que nous ne savons pas.
L’Amour dira tout bas la Vérité
De porte en porte à notre obscurité ;
La Vérité haute dira l’Amour
À plein azur aux Mages sur la tour.
Ainsi soit-il. Les Mages, les savants,
Et les bergers, et les moutons suivant,
Arriveront un soir au même lieu
Et tous ensemble auront le même Dieu.
Par les petits chemins nous passerons...

Marie Noël, in Les chants de la merci




mardi 16 septembre 2014

En éclaircissant... Jean Vioulac, Évidence et angoisse

L'évidence ne concerne pas seulement le savoir, elle est la clarté de l'acte par lequel je me ressaisis, elle est le ressaisissement même de mon être. Ce fut le point le plus radical atteint par Descartes que de montrer que dans l'évidence, c'est-à-dire la pensée dans toute sa clarté, l'ego conquiert son être et son existance 1. L'évidence est en cela tout à la fois clarification de la pensée, et découverte que cette sphère de clarté circonscrit mon être même. Dès lors, la remise en cause de l'évidence qu'impose l'exigence de lucidité est tout uniment remise en cause de ce que je suis. Un enfermement non critique dans l'évidence court en effet toujours le risque de circonscrire une identité, sur laquelle je ferais fond, et dont je me satisferais 2. Avec Emmanuel Lévinas, on peut nommer suffisance cette autosatisfaction de la pensée par laquelle le moi se fonde sur lui-même : « Cette conception du moi comme se suffisant à soi est l'une des marques essentielles de l'esprit bourgeois et de sa philosophie. Suffisance chez le petit-bourgeois, elle n'en nourrit pas moins les rêves audacieux du capitalisme inquiet et entreprenant. (...) Le bourgeois n'avoue aucun déchirement intérieur et aurait honte de manquer de confiance en soi »3. La suffisance est autosatisfaction, qui définit l'ipséité (αύτο) par la satisfaction, la satiété, c'est-à-dire la complétude, et une complétude octroyée par les choses. Cette suffisance trouve son expression et sa systématisation dans l'humanisme 4. L'humanisme croit disposer d'une définition suffisante de l'être humain, lui attribue diverses qualités, toutes excellentes, et peut ainsi jouir de la satisfaction qu'il y a à être un tel être. Mais la lucidité impose de reconnaître plus humblement que nous ne savons pas qui nous sommes, qu'aucune définition de l'homme, si bienveillante soit-elle, n'est à la mesure de son essance 5. La question « qu'est-ce que l'homme ? » n'est certainement pas une affaire réglée, aucune réponse ne saurait constituer un acquis : la lucidité impose d'admettre que « nous ne pouvons que rester en attente de l'essance de l'homme »6. Il s'agit donc de dépasser, non seulement la naïveté et la fascination, mais également la suffisance, de ne plus s'arc-bouter sur une illusoire confiance en soi pour au contraire creuser la faille intérieure par laquelle le moi reçoit ce qui lui donne à penser. Si l'évidence ne suffit pas mais doit être ramenée à la lumière dont elle procède, alors la réduction à l'ego doit être radicalisée par une réduction de l'ego, que l'ego lui-même n'a de prime abord pas la puissance ni la liberté de mettre en œuvre, mais doit subir — précisément parce que je ne peux renoncer à mes évidences sans me remettre totalement en cause.
De tels moments de défaillance, où l'ego chancelle et découvre la faille qui est (en) lui, l'angoisse est un exemple privilégié. Quand la peur est toujours peur devant un étant qui nous menace, l'angoisse est peur devant rien de particulier ; au contraire aucun étant ne peut plus m'apporter ni repère ni appui : ainsi « dans l'angoisse l'étant dans son ensemble chancelle »7. L'angoisse est l'effondrement du monde, c'est-à-dire du tout de l'étant, cet effondrement est la réduction de l'étant en totalité, qui est par là même manifestation du radicalement autre que tout étant : le rien, qui en tant que non-étant est l'être même. « L'angoisse manifeste le rien »8, et c'est bien devant quoi je m'angoisse : devant rien ; et c'est ainsi que je me ressaisis après l'angoisse : ce n'était rien. Mais ce rien est ce qui m'arrache à l'engloutissement dans la compacité et l'indifférenciation de l'étant pour me mettre à distance de lui et ainsi me le donner à voir, et me détermine à être l'existant que je suis. L'angoisse est ainsi l'épreuve du rien, comme ce qui définit à la fois l'existance et l'ipséité de l'ego : « Se tenant instant dans le rien, l'existant est à chaque fois déjà au-delà de l'étant dans son ensemble. Cet être au-delà de l'étant, nous l'appelons la transcendance. [...] Sans manifestation originelle du rien, pas d'être-soi (Selbstsein) ni de liberté »9. L'angoisse est par suite révélation du soi, c'est-à-dire de cette transcendance par rapport au moi lui-même. « La claire nuit du rien de l'angoisse » 10 est alors toujours instant de pure lucidité, elle est plus essantielle que toute évidence ; en elle je saisis l'essance de l'ipséité comme faille béante où en moi-même se creuse le rien, et cette faille laisse pour la première fois entrevoir l'abîme : l'angoisse est « la voix silencieuse qui nous dispose à l'effroi de l'abîme » (Schrecken des Abgrundes) 11. Dans l'angoisse, je fais l'épreuve du rien (que je suis), l'angoisse est en cela la plus radicale réduction de la suffisance, et en son archi-évidence m'est révélée l'essance même de l'ipséité : ce que je suis, c'est que je ne suis rien.
À la différence de l'évidence, qui est méthodiquement conquise par le doute, l'angoisse est imposée : par le rapport à la mort. La mort n'est pas le décès, simple événement factuel qui adviendrait à un moment donné, et qui ainsi serait en dehors de mon être, ou en constituerait simplement la limite. Mourir est le propre de l'homme, si cependant l'on comprend que mourir n'est ni périr, ni décéder, mais « être capable de la mort en tant que mort ». Heidegger l'a inlassablement répété : « Seul l'homme meurt. L'animal périt. La mort comme mort, il ne l'a ni devant lui ni derrière lui »12. La mort est une possibilité sise au cœur même de l'existance, mais cette possibilité ne propose rien à réaliser : « La mort en tant que possibilité ne donne à l'existant rien à "réaliser" ni rien de réel qu'il pourrait être lui-même. Elle est la possibilité de l'impossibilité de tout exister »13. C'est-à-dire que sa seule réalisation possible est le rien. Le mourir, en tant qu'assomption de la mort, est alors conquête de son être : « C'est seulement en mourant que je peux dire d'une certaine façon absolument "je suis" »14. La tension de l'existance vers sa mort est ainsi la teneur même de l'ego : « Cette certitude que j'ai de mourir un jour est la certitude fondamentale de l'existant lui-même ; c'est un énoncé dans lequel se dit véritablement l'existant alors que le cogito sum n'en a que l'apparence ». Dans la claire lucidité de l'angoisse je me révèle à moi-même comme sum moribundus : « Pour autant que je suis, je suis moribundus : le moribundus est ce qui donne avant tout son sens au sum »15. Le « courage de l'angoisse de la mort »16 est en cela un mode insigne de la lucidité, qui permet d'élucider dans le rien tout à la fois l'essance de l'existance et celle de l'être.
La défaillance de l'ego, qui détruit toute suffisance et lui impose de renoncer à se poser en socle, advient également dans l'événement amoureux. On tombe amoureux, et cette chute révèle aussitôt la faille intime qui me structure en mon essance et que la plupart du temps j'esquive et dénie. Cette faille est celle de mon néant intime : « On ne se tue pas par amour pour une femme », écrivait Cesare Pavese dans Le métier de vivre, « on se tue parce qu'un amour, n'importe quel amour, nous révèle dans notre nudité, dans notre misère, et dans notre état désarmé, dans notre néant »17. Dans un tel événement en effet, je suis prêt à tout donner, à me donner moi-même, et découvre à ce moment même que je n'ai rien à donner, parce que je ne suis rien moi-même. Par là se découvre que le don de soi ne donne rien ; il est la révélation du rien constitutif du soi. L'amour est en cela un ébranlement du tout de l'étant aussi vertigineux que l'angoisse, puisque par lui toute décision et tout sens se voient annulés et réévalués ; par le manque qu'il génère surtout — quand « un seul être vous manque, et tout est dépeuplé »18 il est l'épreuve d'une absence irréductible qu'aucune présence ne réussit à combler, et qui au contraire ne voit qu'absence dans la présence même de l'étant 19.
Une autre défaillance essantielle advient dans l'ennui. La réaction ordinaire à l'ennui est le divertissement, c'est-à-dire la recherche effrénée d'activités, ou de choses, par lesquelles je pourrais remplir ma vacuité. Mais l'ennui véritable, l'ennui profond, advient quand aucun étant ne suffit, quand rien n'est plus susceptible de me satisfaire : ce faisant, il réduit à rien la suffisance et l'autosatisfaction de l'ego. Par là même il récuse la position du moi en socle assuré : l'ennui (dérivé du latin est mihi in odio, « je me prends en haine ») est la révélation que « le moi est haïssable »20. Mais l'ennui profond est surtout révélation de la profondeur abyssale de l'existance : Chateaubriand évoquait ainsi « l'abîme de [s]on existence », et voyait justement dans l'ennui son épreuve irréductible : « Je ne m'apercevais de mon existence que par un profond sentiment d'ennui »21. En tant qu'il « s'étend sans fin, comme un brouillard silencieux, dans les abîmes de l'existance » (in den Abgründen des Daseins), l'ennui est cette révélation vertigineuse de l'abîme, tel qu'aucun étant ne saurait le combler, un vide qu'aucune présence ne saurait supprimer. L'ennui est ainsi réduction à la fois de l'objet, et de l'ego ; il abîme l'existance dans le rien et montre que ce rien est la teneur même de l'existance ; il laisse alors émerger du brouillard « l'horizon global du temps, un et homogène »22 c'est-à-dire les contours de l'Éclaircie.
Jean Vioulac, in Apocalypse de la vérité (Ad Solem)

1. [ndvi] Néologisme de Jean Vioulac, traduction du Dasein allemand. Probablement en écho à l’essance de Lévinas.
2. Ce n'est évidemment pas le cas pour Descartes, où l'ego s'ouvre aussitôt à l'Infini de Dieu.
3. LÉVINAS, De l'évasion, Fata Morgana,1982, p. 91-92.
4. La suffisance caractéristique de l'humanisme a trouvé sa formulation inoubliable chez Ernest Renan, qui confessait en 1848 : « Moi qui suis cultivé je ne trouve aucun mal en moi, et spontanément en toutes choses je me pousse à ce qui me semble le plus beau. Si tous étaient aussi cultivés que moi, tous seraient comme moi dans l'incapacité de mal faire » (L'avenir de la science, édition d'Annie Petit, GF-Flammarion, Paris,1995, p. 374).
5. [ndvi] Traduction du Wesen allemand, l’être au sens verbal. Chez Lévinas, l’essance est le noyau dur du moi.
6. HEIDEGGER, « Pour servir de commentaire à Sérénité », GA13, p. 62 ; trad. fr. Questions III, p. 211.
7. HEIDEGGER, « Qu'est-ce que la métaphysique ? », GA 9, p.113 ; trad. fr. par Roger Munier, Cahier de l'Herne Heidegger, Paris,1983, p. 52.
8. Ibid., GA 9, p. 112 ; trad. fr. p. 51.
9. Ibid., GA 9, p.115 ; trad. fr. p. 53.
10. Ibid., GA 9, p.114 ; trad. fr. p. 52.
11. « Postface à "Qu'est-ce que la métaphysique ?" », GA 9, p. 306-307 ; trad. fr. Questions I, p. 77.
12. « La chose », GA 79, p. 17-18.
13. Être et temps, §53, p. 262.
14. Prolégomène à l'histoire du concept de temps, GA 2o, p. 44o.
15. Ibid., P. 437-438.
16. Être et temps, §51, P. 254.
17. PAVESE, Le métier de vivre, trad. fr. M. Arnaud, Gallimard, Paris, 1958, p. 459.
18. LAMARTINE, « L'isolement », Méditations poétiques, in Œuvres poétiques complètes, M.-F. Guyard (éd.), Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1963, Paris, p. 3.
19. À la typologie des phénomènes de droit commun étudiés par Husserl, Jean-Luc Marion (Étant donné. Essai d'une phénoménologie de la donation, PUF, « Épiméthée », Paris,1997) a ajouté le phénomène saturé, défini par un surcroît irréductible d'intuition sur l'intention de sens. Peut-être pourrait-on symétriquement envisager le cas d'une défaillance irréductible de l'intuition, qui ne serait pas simplement le vécu d'une déception de l'intention face à une pénurie ponctuelle d'intuition (où la pénurie ne concerne que l'intention en question), mais épreuve d'un vertige face à l'abîme d'une absence radicale, vertige qui alors révèle l'ego et l'existance elle-même comme un vide béant que rien ne saurait jamais combler, et révèle aussi la vacuité constitutive du sens : ainsi l'accablement par la vanité de toute chose est-elle une ruine de la signification comme telle, et non le simple défaut de remplissement d'une signification parmi d'autres. Le deuil, le manque amoureux et l'ennui radical seraient les exemples privilégiés de tels phénomènes de défaillance.
20. PASCAL, Pensées, Laf. 5597 (Br. 5455).
21. CHATEAUBRIAND, René, in Œuvres romanesques et voyages I, Maurice Regard (éd.), Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1969, p.128 et 130.
22. HEIDEGGER, Les concepts fondamentaux de la métaphysique. Monde. Finitude. Solitude, GA 29/3o, p.115 et 218 ; trad. fr. p.122 et 220.