lundi 14 novembre 2011

En lisant... Gilbert Cesbron, Tu ne me chercherais pas

De l'après-midi et de la soirée Jean n'avait pas quitté le banc des accusés, pas prononcé trois phrases il rentra pourtant chez lui fourbu et la tête vide. Il fut plus étonné qu'attendri d'y retrouver toutes choses semblables.
Sur le plateau de l'antichambre, une lettre de Marie-Thérèse (dont l'adresse était plus longue que le contenu : « Je vous embrasse ») ; et un mot griffonné par Maria sur une page arrachée ! quadrillée « Mon petit, je t'ai préparé à dîner je te réveillerai demain comme d'habitude ».
Comme d'habitude... Jean songea à tous ces visages qu'il allait falloir affronter Lia, les voisins, la concierge, les gens du Bureau — Bruno surtout « Demain, se répétait-il chaque fois qu'une pensée t'accablait, on verra demain... » Il décida pourtant d'écrire à Bernard sur-le-champ afin de le mieux remercier. Lui écrire dès ce soir : que tout ce qui touchait le procès fût réglé avant l'aube. Tourner la page...
C'était l'appartement au bois dormant. Il entra dans la salle à manger si triste où tout semblait s'être assoupi en l'attendant. Il n'aurait pu avaler aucune nourriture ; mais il gâcha quelques bouchées et déplia sa serviette (que, depuis l'enfance, Maria repliait en maugréant) parce qu'il voulait ne plus faire de peine à quiconque. Il avait réglé ses comptes et se trouvait en paix avec le monde entier, cette nuit ; il agissait avec précaution, comme un convalescent, comme un enfant qui sort du confessionnal.
Lia entra, posa le plateau, ouvrit les rideaux au soleil pâle et demanda, sans le regarder :
— Tu n'es pas trop fatigué, mon petit ? Cela signifiait ils t'ont tourmenté et je n'étais pas là. Pourquoi ne m'avais-tu pas prévenue ?...
— Lia... commença-t-il ; mais elle enchaîna : j’ai bien envie de faire un petit pot-au-feu pour le déjeuner.
Lia, appela-t-il plus haut.
— ...comme ça, tu en boiras le bouillon ce soir. Habille-toi chaudement : il fait déjà froid.
Elle sortit trop vite. Sourde à ce point ?
« Non, pensa Jean irrité ; mais pour elle il ne s'est rien passé, rien ! Elle a ravaudé du linge, hier, toute la journée ». Il se trompait : prié pour lui, avec des larmes, toute la journée. Elle ne s'était levée de sa chaise, n'avait rangé son chapelet que pour aller traîner autour du Palais de Justice, n'osant rien demander, essayant de lire sur les lèvres et craignant bizarrement d'être reconnue.
Mais la concierge guettait Jean avec trois phrases préparées, hypocrites, et que ses yeux démentaient. Il regarda bien en face ce visage où se mariaient naïvement la méfiance et la curiosité et qui le considérait avidement, comme une vieille un cadavre tout neuf. Grâce à Jean, la grosse femme entrait dans ce monde des faits divers dont son journal gris l'enchantait chaque matin. Il supporta ce regard et cette bouche entrouverte, puis il sentit qu'elle le suivait des yeux. Qu'il était donc difficile de rester en paix avec le monde entier !
En passant devant le kiosque à journaux, il sursauta : toutes ces feuilles, remplies du procès ; tous ces gens qui les achetaient... Étaient-ils donc aussi nombreux chaque matin ? Sur les banquettes de chaque train, de chaque métro, des millions d'inconnus lisaient en ce moment, comme lui-même :
JEAN CORMIER
qui, pour lui épargner d'atroces souffrances,
avait tué sa femme atteinte d'un cancer
EST ACQUITTÉ
Brillante plaidoirie de son avocat
auquel on prête l'intention de faire campagne
pour obtenir des Pouvoirs Publics
UNE LOI SUR L'EUTHANASIE
Sur la première page, une photo de Jeanne, affreuse — qui la leur avait livrée ? et des croquis d'audience de Bernard et de lui-même, excessifs. Jean glissa la feuille dans une bouche d'égout, comme si la tenir à la main le dénonçât. Le bistro lisait la même ; toute la journée, il la garderait près de lui : « Vous voyez ce gars-là, hein ? (Le gros doigt sur le croquis), eh bien... » Mais son chien, qui dormait sur le trottoir, fit fête à Jean : il le reconnaissait, lui aussi, mais à sa manière. « Et si je foutais le camp... Un pays où il n'y aurait que des chiens et des arbres... » Il commençait de s'apercevoir qu'on ne peut se croire en paix avec les autres que seul.
Comme il approchait du bureau, il retrouva le réflexe de ses seize ans lorsqu'il faisait trop froid : les mains dans les poches, les épaules hautes. « Tu n'as qu'à te raidir, expliquait-il alors à Bernard : tu es en bois, tu ne sens plus rien... » En bois, tandis qu'il gravissait l'escalier, poussait la porte, tendait la main au garçon de l'étage :
Salut !
Le vieux cacha vivement le journal qu'il lisait. Jean entra chez Brunet sans apprêter ses phrases. Son ami tenait le journal grand ouvert ; il le posa lentement, marcha vers Jean et, retirant sa pipe, l'embrassa.
Tu as eu plus de courage que moi avec maman, fit-il très bas.
C'était la première fois qu'il ne disait pas « ma mère » mais que Jean l'entendait prononcer ce mot avec cette voix d'enfant que tous les hommes retrouvent pour le dire. Il ajouta, en hochant la tête :
Neuf mois sans en parler à personne !
Jean perçut, sous la phrase, un humble reproche.
Tu comprends, mon vieux, il fallait...
Je comprends, dit Brunet.
Ils se turent un instant, puis :
Ne t'en fais pas pour les autres, Cormier. Regarde-les en face. Tu leur as répondu d'avance, hier. (Il prit le journal et lut d'une voix un peu rauque) « Je souhaite de toutes mes forces à chacun de vous de ne jamais connaître ce que j'ai connu... » Il tenta de rallumer sa pipe, laborieusement, mais il respirait beaucoup trop fort pour y parvenir.
Ces cochons-là, dit-il en balayant les croquis d'audience d'un geste méprisant : savent même pas dessiner !
Il saisit le journal, le pétrit à deux mains : en fit une boule qu'il jeta à la corbeille.
Jean alla frapper à la porte du patron :
Ah ! Cormier... (Le front plissé, juste un instant). Laissez-nous, Mademoiselle... Merci.
Cormier, dit-il en lui prenant les mains, je vous conserve toute mon estime. Il faut un certain courage — et même un courage certain — pour oser, comme vous l'avez fait, etc.
Il excellait dans le style « fin de banquet ». Comme la plupart des médiocres, il n'avait réussi qu'en sacrifiant tout à son métier.
Je pense, Cormier, que vous allez me demander un congé. Eh bien ! je suis tout disposé...
C'est juste le contraire, Monsieur je voudrais m'abrutir de travail.
— Ah ! J'avais pensé... commença le patron d'un air contrarié puis, changeant de ton. Écoutez, mon vieux, je n'irai pas par quatre chemins. Dans nos métiers, d'ailleurs, la franchise…
« Comme s'il existait des métiers où mentir fût recommandé ! » Jean connaissait par cœur le bonhomme et ses expressions : « Avant trois phrases, il m'aura placé son De quoi s'agit-il ?... »
— De quoi s'agit-il, Cormier ? De laisser passer un peu de temps, afin que le climat se modifie. D'ici là, il serait fâcheux pour notre Maison... Tout le monde n'a pas l'esprit aussi large...
Il s'arrêta au moment d'achever : « que moi ».
Cela tombe bien, Monsieur, s'écria Jean qui avait un peu pâli : je comptais justement vous demander de modifier mes fonctions... Moins de démarches, de relations extérieures ; des horaires moins stricts...
Il inventait à mesure, engageant allègrement l'avenir sur un réflexe qu'il jugeait orgueil mais qui n'était que dignité : « Reprendre l'initiative ! Impossible de laisser ce type avoir barre sur moi... ». Mais l'autre, les yeux mi-clos, calculait déjà ; Jean ne lui laissa pas non plus cet avantage :
— Bien entendu, nous réviserons ensemble ma situation financière. D'ailleurs, pour moi, désormais...
Il acheva d'un geste. Presque aussitôt, il songea « Yves » et regretta sa proposition. Trop tard : le bonhomme l'avait happée au passage. Il employait ingénument des mots ignobles :
— Entendu, Cormier : c'est un arrangement qui peut être payant pour nous deux, dit-il en lui frappant sur l'épaule.
On invite Jean de toutes parts. II accepte d'abord, heureux de fuir cet appartement qui, chaque soir, l'attend comme un malade, immobile, silencieux, Mais bientôt il n'y peut tenir. On ne lui parle jamais de l'affaire, bien sûr ; on emprunte même des détours trop visibles : le vide que l'on fait autour d'eux enrage les chiens de garde. Mais chaque fois que Jean lève les yeux, il fait fuir un regard insistant. Tous ces regards, sur lui, comme des mouches d'automne... Et ces poignées de mains de sacristie...
Il voudrait changer d'appartement, de quartier, d'amis. À quoi bon ? Sa vraie demeure, désormais, est la Nuit. Il a supprimé toutes les photos de Jeanne ; il leur préfère ses propres images, malgré les tourments qu'elles lui infligent : certains soirs il ne peut plus entendre la voix de Jeanne, ni retrouver la couleur de ses yeux. Une vitre entre elle et lui, durant des nuits entières... Il se réjouit — il est le seul sans doute à se réjouir que s'approche l'hiver et sa lente mise au tombeau. Ce brouillard qui, le matin, monte de la Seine et rend aveugle et sourd le paysage, n'est-ce pas le même qui, de plus en plus souvent, le sépare de Jeanne ?
Une nuit de novembre, il rêve qu'il pleure sans cesse et s'en réveille, le cœur frais et lavé, telle une ville après la pluie. « C'est donc aujourd'hui que j'irai chercher Yves ! » décide-t-il — car il est devenu attentif aux rêves, aux signes : humblement attentif à tout ce qu'il ne comprend pas. Sur l'instant, il s'imagine vraiment qu'il va ramener le petit garçon par la main. Neuf mois de tendresse et de larmes ne remplacent-ils pas toutes les démarches ?
Parvenu devant le bâtiment de l'Œuvre, il s'arrête, allume une cigarette — et se rappelle soudain qu'en ce même endroit, tandis qu'avec tant de fausse conviction il plaidait pour dissuader Jeanne de l'adoption, il fumait déjà une cigarette. Il jette celle-ci et, l'écrase avec une colère mêlée de crainte, comme une bête nuisible.
La directrice n’a pas changé — tant pis — et semble le reconnaître. Elle ouvre son grand livre :
— Voulez-vous me rappeler votre nom ?
— Cormier, Cormier Jean. (Cette interversion ridicule qu'on lui imposa partout où il fut malheureux : à la caserne, au camp, en prison, il s'humilie à l'énoncer lui-même dans l'espoir enfantin de n'être pas reconnu...).
La directrice considère l'habit de deuil, la cravate noire, fronce un sourcil et arque l'autre
Madame Cormier n'est pas... ?
Il abaisse la tête :
Il y a neuf mois.
— Je suis navrée (« Elle me joue la comédie. Cormier Jean — Jean Cormier : elle a lu les journaux, comme tout le monde »).
— Le petit Yves. Est-ce que je puis... ?
— Nous l'avons placé...
— Quoi ?
Il y a quelques mois déjà. Une très bonne famille.
Qui s'était inscrite avant nous ? demande Jean, la bouche sèche.
Non, mais qui s'était décidée.
— Yves... Ce n'est pas possible...
Il lui semble que quelqu'un vient de mourir. Il étouffe. Quoi ! s'il ne s'était pas dénoncé : s'il n'avait pas perdu les six mois de l'instruction, il aurait pu... C'est trop injuste !
— Nous recevons régulièrement de ses nouvelles, dit la directrice qui l'observe. Il va très bien.
— Une famille... de Paris ?
— Du quartier Monceau, oui. Des gens un peu âgés peut-être, mais...
— Est-ce que je puis savoir leur nom ? Il a posé la question trop vivement. À son tour, elle ferme le livre d'un geste qu'elle aurait voulu moins prompt.
— Nous n'avons pas le droit de le donner. Je regrette, Monsieur... Monsieur Cormier.
Pourquoi a-t-elle insisté sur ce nom ? et pourquoi dévisage-t-elle Jean avec cette fausse compassion ? Il prend congé en hâte. « Elle va me reconnaître... Non, elle vient de le faire ! ». Il ne reprend son souffle que loin de ce bureau… Mais soudain, tournant le dos à l'inscription SORTIE, il gravit l'escalier, deux à deux, sans un bruit. « Ce n'est pas vrai ! On peut révéler le nom des familles : c'est à moi seul qu'elle le refuse... D'ailleurs, Yves est-il seulement adopté ? Peut- être, se trouve-t-il encore ici... Oh ! s'il était ici... ».
Il retrouve son chemin : l'odeur n'a pas changé ; loin de l'écœurer, elle lui serre le cœur, aujourd'hui. Voici le couloir, la salle : dressé sur la pointe des pieds, Jean dévisage hâtivement tous ces enfants dont aucun ne l'intéresse, ne lui semble vivant... « Et si j'allais ne pas le reconnaître... Et si lui ne me reconnaissait plus... Et si... ».
Vous cherchez quelque chose, Monsieur ? Une infirmière... Elle sait ; Jean s'efforce de lui sourire :
J'étais venu, il y a plusieurs mois, visiter le petit Yves — et je ne le revois plus...
Yves-Marie, cinq ans ? Des yeux très noirs ?
C'est cela.
Adopté depuis juillet, Monsieur. D'ailleurs, si vous voulez parler à Mme la directrice...
Il feint l'étonnement, la satisfaction :
Adopté ? Alors, tant mieux. Je pense que les parents ne verront pas d'inconvénients à ce que je puisse le parrainer, le gâter.
— Certainement si, Monsieur : un grand inconvénient.
Vous croyez ? (La glace craque sous ses pas). Je veux le leur demander, en tout cas. Pouvez-vous me donner leur nom ?
Voyez la directrice, Monsieur. Nous n'avons pas le droit...
« Elle sait : ce renseignement, qui ne lui sert à rien et me sauverait, elle le connaît ; elle ne me le dira pas... Jeanne, au secours ! ». Il ne songe ni à la soudoyer ni à la persuader ; il sent que son visage se défait devant ces yeux indifférents. Il lui tourne brusquement le dos pour s'épargner de la supplier en vain. « Je demanderai à Bernard quels sont mes droits... Il est impossible qu'on m'empêche... J'irai jusqu'au bout... ».
Cette fois encore, les passants se retournent sur cet homme qui, au bord du trottoir, parle seul, parle haut, et ne parvient pas à allumer sa cigarette.
À partir de ce jour où le petit Yves lui échappait, Jeanne parut le fuir aussi. Pareille à la lumière de cet automne agonisant, sa mémoire se faisait plus pâle et plus brève, de jour en jour ; et pareils aux oiseaux de l'arrière saison, ses souvenirs le fuyaient. Ou plutôt ils ne chantaient plus : c'étaient seulement des précisions mortes. Assis sur son lit, la tête entre les mains, Jean cherchait dans ses ténèbres les cheveux de Jeanne, la bouche, les mains de Jeanne — et n'y voyait plus, grises et plates, que des photos des mains, de la bouche ou des cheveux de Jeanne. Il ressentait jusqu'au remords la certitude que, là où elle se trouvait, Jeanne ne vivait que de lui que son regard seul la gardait vivante. Alors, pourquoi ce vide et cette statue ? Lui qui ne s'était livré à la Justice que pour tout laver à grande eau : pour conserver Jeanne et mériter Yves, voici qu'il les perdait l'un et l'autre. Comme si le petit garçon l'avait rejointe, blotti sur ses genoux — et c'était Jean le mort.
Est-ce que vraiment les saisons allaient se succéder puis les années, toutes semblables ? L'hiver, et puis le printemps pour les autres ; et puis les vacances, et puis la rentrée — pour les autres ? Au camp, du moins, Jean gardait quelque chose à espérer ; tandis qu'à présent... Mais que signifiait de vivre, d'être libre ? Ouvrir cette fenêtre et regarder le ciel, qu'est-ce que cela signifiait ? Pourquoi les prisonniers et les malades se desséchaient-ils d'en être privés ? Et ces imbéciles, dans la rue, qui promenaient leurs projets, leurs honneurs, leur envie...
Il les regardait vivre, comme un homme, derrière une vitre, observe des danseurs sans entendre la musique : ridicules et irritants. Et il se réjouissait de ne se trouver aucun point commun avec eux, avec eux qui étaient heureux. Deux jours sans aller au bureau, puis il se jetait au travail avec frénésie ; et plus il le trouvait frivole, plus il s'y appliquait. Soudain heureux de feindre de jouer le jeu : heureux de gâcher son temps et d'éprouver absolument l'inanité de son existence. Un suicide invisible, insensible... Il se regardait au miroir : « Quel coup de vieux ! » — souriait à ses rides, à la couleur limoneuse, indécise que prenaient ses cheveux blonds en grisonnant. Il observait avec une joie secrète la façade se délabrer.
Un matin, il s'arrêta sur un pont afin d'observer les pêcheurs à la ligne, en contrebas, et soudain se mit à rire méchamment. Leur gravité, leurs accessoires ingénieux, leur oubli de tout ce qui n'était pas un liège flottant... Un rire qui le délivrait et le déchirait dans le même temps — rire aux larmes. L'un des pêcheurs leva son regard vide et, d'une lèvre à laquelle collait un mégot noir datant de l'aube, l'injuria. Jean descendit sur l'autre quai, s'assit sur un banc que les saisons avaient raviné et observa ce fleuve si paisible : cet étranger qui traversait la ville en silence. « Moi aussi, se dit-il tout haut. Moi aussi, à travers eux, sans un mot... » — puis il éclata en sanglots. Ces accès de faux rire, ces larmes sans raison le saisissaient comme une quinte, aussi incoercible qu'imprévisible. L'averse passée, il reporta son regard sur le fleuve patient. C'était l'eau du Moulin, des fontaines de Rome — toujours la même qui servait indispensable, indifférente comme le sang. Il demeura là jusqu'au soir et ne se leva qu'aux reflets, au premier frisson.
On a téléphoné du bureau, mon petit.
— Merci, Lia.
Il ne lui parlait presque plus. Quelquefois, cependant :
— Pourquoi me regardes-tu ainsi, Lia ?
— Je trouve que tu prends mauvaise mine...
Jusqu'au bout elle jouerait donc les maman-tisanes ! À son tour, il l'observait avec méfiance, peut-être pouvait-elle à son gré revoir Jeanne, retrouver sa voix... Elle qui s'en moquait ! Lui qui en crevait !... Pareille à cette infirmière qui connaissait l'adresse d'Yves – et qu'en faisait-elle ? Mais quelle conspiration avaient-ils donc formée contre lui, tous ces vivants ? Brunet lui- même…
Brunet le surprit un jour affalé sur son bureau, les épaules secouées.
— Mon pauvre vieux...
Mais non ! Jean riait, les yeux secs.
Qu'est-ce qui te prend, Cormier ? demanda l'autre en changeant de ton.
Jean désigna ses dossiers, ses projets, les maquettes fixées au mur :
— Toutes ces conneries...
Brunet blessé répondit sèchement
— Change de boîte ! Ou de métier
— Tu connais un métier intelligent, toi ?
Oui, dit Brunet, toubib — et tu devrais bien en consulter un, car tu ne tournes pas rond.
« Il me croit fou, pensa Jean sans déplaisir. Mais c'est lui, ce sont tous les autres qui le sont... ». Il ne parlait plus la langue du pays.
C'était un jeudi ; Jean quitta le bureau et se rendit au parc Monceau. Petit prince prisonnier, Yves se trouvait presque sûrement derrière ces grilles dorées. Le jardin avait déjà perdu sa grâce et ne montrait plus que ses artifices à travers les taillis transparents. L'hiver le rapetissait à ce point que Jean fut rempli d'espoir : d'un seul regard il embrassait presque tout le royaume d'Yves.
Il se mit à marcher, le regard à terre, dévisageant tous les enfants : mais quelle taille a-t-on à cinq ans ? Il s'assit sur un banc, s'informa bonnement auprès de mères méfiantes. On le suivait des, yeux par-dessus le tricot.
Au début, il était persuadé de reconnaître Yves parmi tous les autres ; ou encore que le petit allait courir à lui. Il ne craignait vraiment que le scandale, la surprise des parents inconnus (ces deux vieux !). Un peu plus tard, ivre de visages, il redoutait de laisser échapper le seul qui lui importât. Mais qu'en connaissait-il ? Là encore, sa mémoire morte ne lui fournissait qu'une vieille photo un enfant assis dans un petit fauteuil bleu et dont la tête tremble. « Jeanne le reconnaîtrait tout de suite, pensa-t-il. Jeanne tricotait d'instinct des vêtements à sa taille ». Et il lui vint l'idée singulière qu'il aurait dû se munir d'un de ces petits tricots, comme un chien policier qu'on lance sur une piste.
Lorsqu'il eut achevé sans résultat le tour du jardin, il se persuada qu'Yves avait pu y pénétrer entre temps et qu'il était plus sage de recommencer. Quand retentirent les sifflets des gardes, il avait fait six tours de parc ; il courut cependant à la grille principale et filtra du regard tous ceux qui sortaient — mais en vain.
Cet échec ne le surprit point ; il en trouva bien des raisons ; qu'il avait eu tort de guetter les parents âgés, les enfants uniques. Après tout, on avait peut-être donné à Yves une gouvernante, des frères adoptifs... En vérité, il avait su qu'il échouerait à partir du moment où, fermant les, yeux, il s'était trouvé incapable de revoir Yves vivant. Ce même mur qui lui cachait Jeanne lui dérobait « leur enfant » — c'était justice.
Il ne put se résigner à quitter ce quartier : il y traîna au hasard, comptant sur une rencontre de plus en plus improbable, et le souffle coupé par l'espoir à chaque croisement de rue. Le soir était tombé. Brusquement, sans même l'avoir prémédité, Jean pénétra dans une maison, n'importe laquelle. Les concierges dînaient déjà.
Est-ce que ce n'est pas ici qu'habite un petit garçon de cinq ans et demi qui... ?
— Pas d'enfants dans la maison, répondit l'autre la bouche pleine — et ils n'attendirent même pas que la porte soit refermée pour se plaindre « des gens qui vous dérangent à n'importe quelle heure et pour n'importe quoi ».
En sortant de là, et parce que tout espoir l'avait déserté, Jean se sentit soudain si las qu'il retrouva le souhait de son enfance : être transporté d'un coup dans son lit et tomber endormi.
Comme il gagnait une station de voitures, il aperçut à quelques pas devant lui une jeune femme et s'arrêta interdit. Elle avait exactement la même démarche que Jeanne ; le vent jouait dans ses cheveux aussi blonds, aussi légers que ceux de Jeanne ; son manteau aurait plu à Jeanne... Une ressemblance inexprimable, au-delà des formes et des gestes. D'où venait cette passante ? et n'allait-elle pas disparaître aussi soudainement ? Jean aurait pu, en se hâtant, la dépasser, se retourner ; un instinct l'en garda impérieusement : il fallait conserver ses distances avec le mystère... Il s'interdit même de respirer dans son sillage (n'aurait-ce pas été le parfum de Jeanne ?) — et, parce qu'il pressentit qu'alertée par ses pas elle allait se retourner, il baissa les yeux. Lorsqu'il les releva, la passante avait disparu ; il en fut presque soulagé : il venait de franchir une frontière interdite et d'éprouver la sensation insupportable d'être un autre homme.
Mais parce que l'inconnue l'avait mis sur le chemin de Jeanne, la morte ne le quitta plus cette nuit-là. Dès qu'il retrouva l'appartement, il sut que celui-ci était hanté ; il en fit le tour avec un sourire et des gestes d'oiseleur — mais le fantôme avait toujours une pièce d'avance sur l'homme qui, à mi-voix appelait « Tilou... Tilou... »
Il oubliait qu'il venait de perdre Yves pour la seconde fois et, sans doute, ne le reverrait-il jamais ; il avait retrouvé Jeanne, c'était assez. Et peut-être n'avait-il jamais désiré la présence du petit garçon que comme une assurance de retrouver Jeanne à sa volonté : un appât, une clef...
Il s'assit longtemps près du tiroir où les lainages se trouvaient toujours rangés. Quand il fermait les yeux, Jeanne était là, tricotant en silence, les paupières basses, et Yves à ses pieds. C'était tant de bonheur que son cœur battait la forge. Par instants, les larmes débordaient de ses yeux : il aurait voulu — ah ! comment avait-il pu les détester ? — embrasser Maria, sourire à Brunet, crier son amitié au monde entier.
Lia le trouva assis tout habillé auprès d'un tiroir entrouvert. Il souriait en dormant, comme les petits enfants.
Plusieurs fois encore, Jean reçut la Visite au seuil même du désespoir. Le reste du temps, c'était le désert et la hargne le port était à sec et la vase sentait. Pour retenir Jeanne ou la retrouver il n'hésitait devant aucune avenue. Par exemple, il acheta, une fois de plus, « tous les livres que vous possédez » sur la mort et l'au-delà. Il n'y rencontra qu'un tourbillon de mots ces théories cernaient la vérité comme des chiens tournent autour d'une maison fermée. Il les jeta au feu, page après page (car l'hiver avait réouvert le théâtre de la cheminée et Jean passait ses soirées devant le spectacle du feu).
Il alla aussi consulter une voyante ; puis, aux environs de Paris, une vieille gitane ; puis un jeune médium hongrois qui se tenait, paraît-il, en contact permanent avec les morts. Ici et là, il retrouva l'odeur de salpêtre et de cuisine de la rue des Pyrénées, le décor petit-bourgeois de l'imposture besogneuse. Mais, à la troisième tentative, la vue de ceux qui attendaient avec lui le fit s'enfuir. Qu'avait-il en commun avec cette tribu aux habits noirs, aux yeux noyés, à l'odeur de cire ? Et sa peine avec leur douleur, leur « douleur de vous faire part » ? Et Jeanne avec leurs morts ?
Séances de spiritisme, incantations, faux messages — tous ces mystères préfabriqués se brisaient contre le seul vrai qui est la Mort. C'était l'hiver, de nouveau, si semblable au précédent ; l'hiver immuable, comme si rien ne s'était passé depuis ni l'instruction ni les assises — rien. Pareil à l'arbre, à la terre entière, silencieux et seul ; Jean attendait. Il lui aurait suffi de tendre la main vers le téléphone noir mais que de fois, après avoir composé un numéro, raccrochait-il avant qu'une voix se fût fait entendre. Comme sous l'effet d'un mauvais charme, les visages les plus amicaux se fanaient dès qu'il songeait à eux ; celui de Bruno lui faisait honte ; celui de Marie-Thérèse horreur.
Il appela Bernard ; il voulait lui parler de Jeanne et d'Yves ; l'avocat ne pensait qu'euthanasie, projet de loi. Chacun entretenait l'autre de ce que celui-ci ne voulait plus entendre,
— Je pensais, fit amèrement Bernard, qu'au moins tu militerais à mes côtés. Mais non, tu ne penses qu'à toi !
— À moi, répéta Jean très lentement. À moi ? Mais je n'existe plus…
Bernard considéra ce visage : comme l'enfant, à force d'y repasser le crayon, perce chaque trait de son dessin, la Solitude et la Douleur y avaient, depuis un an, creusé chaque ride. « Nous avons le même âge », pensait Bernard ; et il se voyait aussi défait que Jean : ayant, lui aussi, franchi une frontière invisible — vivant par habitude. « Je n'existe plus »... Il lui passa un bras autour du cou :
— Allons boire un verre !
Ils en burent de très nombreux. La tiède marée monta doucement et parvint à l'étale : le temps ne passait plus ; Jean flottait, se laissait porter. Vivait-il plus que Jeanne ? N'était-ce pas cela mourir : attendre, sans plus rien ressentir ?
« Voilà pourquoi Bernard s'enivre, se dit-il en un dernier sursaut de lucidité par crainte de la mort et pour l'apprivoiser. Bruno avait raison ! » Bruno... — Il chassa ce visage ; mais celui de Jeanne (qui lui ressemblait tant) lui apparut alors avec une vie et une précision si proches qu'il se mit à pleurer. « Ivrogne, lui aussi ? pensa le barman. Comment se fait-il que je ne le connaisse pas ? »
— Deux autres fines ? Tout de suite, Maître.
Désormais, Jean ne dérangea plus Bernard et s'enivra tout seul. Plusieurs soirs, il descendit chez le bistro, son voisin, qui cessa de l'appeler « M. Viandox » et prit enfin en considération ce buveur d'alcool. Jamais assez ivre, cependant, pour ne pas s'apercevoir que le bonhomme sortait de sous son zinc le journal jauni du procès et, les yeux tournés vers lui, parlait bas aux autres clients. Jean déserta donc le bistro ; à regret à cause du chien : le seul regard vraiment humain qu'on y rencontrât.
Il n'était pas aisé de boire à la maison : Lia cachait les bouteilles, allongeait d'eau le cognac. « Je lui dirai qu'elle me foute la paix ! que je suis assez grand pour... » — Pas assez « grand » pour le lui dire, en tout cas...
Un instinct très sûr arrêtait pourtant ce bateau ivre dans les eaux où croisait, souriant, le fantôme de Jeanne : à mi-chemin du désespoir et de l'oubli. Malheureusement, Jean découvrit ainsi que les larmes du remords sont plus efficaces que celles du regret. Comme certains ne retrouvent Dieu qu'après l'abjection du péché (et il est vrai que la Grâce vole bas), Jean crut pouvoir, en prostituant son souvenir, provoquer celle qui le fuyait. Ou peut-être, comme font les enfants, voulait-il expérimenter « jusqu'où il pouvait déplaire impunément ». Il lâcha les rênes (pas entièrement, toutefois, puisque ni Lia, ni Brunet, ni personne n'en prirent du soupçon) et retourna, vingt ans après, dans les quartiers où son adolescence avait risqué ses premiers faux pas. Clichy, Pigalle. Ce n'étaient plus les mêmes prostituées, mais il reconnut les regards. Jamais il ne s'était autant méprisé : Jeanne seule pouvait le tirer de là ! Et il est vrai qu'après ces soirées (dont un bain brûlant ne suffisait pas à chasser de son corps l'immonde parfum), il s'endormait et rêvait d'elle.
Cette humiliation prit fin un soir où il caressait un peu brutalement la poitrine d'une fille ; il entendit une plainte qu'il connaissait trop bien, puis :
— Arrête ! pria la voix enrouée, Tu me fais mal...
Il s'écarta d'elle avec horreur et, sans répondre à ses questions puis à ses injures, s'habilla en hâte et s'enfuit.
C'est après avoir roulé droit devant lui durant des minutes (incapable de penser ni de formuler autre chose que « Salaud !... salaud !... ») qu'il freina brusquement, « il faut que je revienne, que je la retrouve... que je l'avertisse... » retourna sur ses pas en brûlant les feux rouges ; il avait enfin reconnu son vieil ennemi le Temps : chaque seconde comptait. « Je la ferai soigner, opérer par Louville à mes frais... À temps, cette fois ! oui, à temps ! »
La chambre était occupée par d'autres clients.
— Vous ne seriez pas de la police, dites ? demanda l'hôtelier.
— Oh non ! s'écria Jean. (L'odeur de Fresnes, celle des gardes...)
L'autre alors changea de ton et refusa tout renseignement. II ne connaissait absolument pas cette personne. Quoi ? Tout à l'heure ? — C'est bien possible, mais s'il fallait observer tous les visages. Lorsqu'il vit Jean suffisamment désemparé, il se fâcha et le mit dehors. Jusqu'à l'aube, Jean arpenta tous les trottoirs de Barbès aux Batignolles, parmi les propositions ignobles et les sourires vénéneux. Il ne retrouva jamais la fille.
Ni Jeanne non plus ; et, tel un captif affolé qui se rue successivement contre la porte de fer puis la lucarne grillagée, il décide de rechercher Yves. « Cinq ans il fréquente un cours, la maternelle ou le jardin d'enfants. Avec un peu de méthode et beaucoup de patience... » — En désordre et impatiemment, il fait le tour de toutes les écoles de la plaine Monceau. Le ruban de la légion d'honneur et le costume noir inspirent confiance. Heureusement ! car ses fables sont incroyables : « Pas exactement son parrain mais... Rien que son prénom, oui... » Il pousse la maladresse jusqu'à parler d'adoption — ce qui ferme tous les visages.
II tombe enfin sur un directeur d'école gris de poil, d'habit, de ton, et qui l'écoute sans le quitter des yeux. Des yeux gris, eux aussi, mais comme l'est un ciel de mars : traversé de bleu. Le genre d'homme que, sur ses chaussures, Jean aurait, deux ans plus tôt, classé besogneux.
Allons, l'interrompit sans élever la voix, vous feriez mieux de tout me dire ;
Mais...
Depuis le commencement.
Jean hésite encore un instant puis, sans savoir pourquoi, se livre à cet inconnu.
— Peut-être avez-vous lu dans les journaux, il y a quelques mois...
Il va tout raconter, depuis le commencement, sans aucune complaisance. Dans les pièces voisines, les enfants babillent, pleurent, protestent. On entend leur piétinement, le choc des objets et la voix égale de la maîtresse, Chaque fois que Jean lève les yeux, ils rencontrent ce regard gris qui veille comme une lampe.
Lorsqu'il a achevé (au moment où le regret de s'être ainsi, confié va l'emporter sur le soulagement), l'homme a un geste surprenant : il pose ses deux mains sur la manche noire et ferme enfin ses yeux, Il les gardera clos en parlant.
— Yves-Marie n'est pas ici, je vous le promets. Mais s'il s'y trouvait, je ne vous le montrerais pas.
Jean sursaute ; l'aveugle resserre sa poigne :
— Écoutez-moi. Prendre Yves-Marie n'a plus de sens. Il aurait été votre enfant, votre enfant à tous les deux ; à présent qu'en feriez-vous ? — Un orphelin, déjà.
Mais comment voulez-vous, pourquoi voulez-vous que je continue à vivre ainsi ?
Vous ne me parlez que de vous !
C'est une parole que le Dr Louville lui a déjà dite... Il faut bien l'accepter ; Jean ne répond rien. Étonné, l'autre ouvre enfin les yeux et repart plus doucement :
— Les deux vieilles personnes qui ont pris cet enfant l'ont adopté pour lui, pas pour eux.
— Qu'en savez-vous ?
— Sans quoi, on ne le leur aurait pas donné. Le public s'étonne parfois : « Tant de demandes, tant d'enfants abandonnés, et pourtant si peu d'adoptions ! » — En voilà la raison...
Bien, fait Jean en se levant. Alors, qu'est-ce qui me reste ?
Les autres.
Les autres enfants ?
— Non, dit l'homme gris : tous les autres.
Ils se quittent sans plus un mot. En passant devant les portes vitrées, Jean évite de regarder les enfants.
Il eut l'impression de sortir d'une serre étouffante et se retrouva faible et transi comme un homme qui a perdu du sang, Presque en face de l'école s'ouvrait une sorte de chapelle. Il y entra sans autre désir que celui d'être seul, au chaud — à l'écart, surtout. Il faisait sombre, calme ; l'organiste s'exerçait. Une cloche sonna, très haut la tête parlait et Jean était enfoui au fond du corps.
Il demeurait sans pensée, engourdi par la tiédeur et le silence ronronnant de ce désert. Seules, quelques noires bigotes sur des chaises de paille et le chuintement de leur prière... À ce calme qu'il prenait pour de la paix, cette somnolence de l'esprit pour de la méditation, Jean crut, un moment, que la Grâce enfin le visitait. Il confondait de bonne foi cette anesthésie générale avec le christianisme qui en est précisément tout le contraire.
Une à une, les prieuses se retirèrent. Un sacristain sortit des coulisses en traînant savates et prépara la messe du lendemain aux différents autels. Mi-lingère, mi-sommelier, avec des gestes dont on devinait qu'ils lui étaient quotidiens depuis un quart de siècle et constituaient son assurance contre la mort, il disposait ses étoffes et ses petits ustensiles. Les burettes s'entrechoquaient avec un cliquetis de wagon-restaurant. Jean lui-même ressentit combien cette pantouflade était indécente. Ah, non ! plutôt mourir comme un loup sur le parvis d'une cathédrale que ressembler à ce vieux chien d'évêque !
Ayant achevé cette besogne qui comptait les jours à sa place, le bonhomme retourna vers le maître-autel, esquissa une génuflexion avare et se retira en paraissant effacer ses propres traces avec ses chaussons. Personne dans la chapelle ?
Il y promena un regard distrait puis éteignit toute lumière.
« Il m'oublie, pensa Jean, et c'est juste ici aussi je suis de trop... » Pourtant, il serait resté des heures dans ces ténèbres, seul mais environné. Que lui rappelait-elle, cette flamme rouge auprès du tabernacle ? — Celle qui brûlait, seule vivante, au chevet de Jeanne, derrière les volets clos, le 18 décembre...
— Ici aussi cette lumière veille un mort, murmura-t-il comme pour se prouver le contraire et c'est moi ! Oui, moi.
Jean reconnut très bien la rue basse et cendrée, la palissade et les gosses au nez rouge ; tout paraissait l'attendre. « Ici, du moins, rien n'a changé... » Il lui vint cette pensée de riche qu'en recherchant le pire Bruno avait choisi la meilleure part : parce que le pire ne change pas, le pire est le plus sûr.
— Non merci, je vais l'attendre dehors, répondit-il à la vieille du presbytère qui ressemblait à Lia comme un arbre d'hiver à un autre arbre d'hiver.
Seul dans un quartier misérable, au plus loin de chez lui, au seuil impitoyable de l'hiver, il ressentait une singulière sécurité. Il était même venu jusqu'ici en métro, car sa voiture demeurait le témoin ou le gage d'un certain bonheur. Emporte-t-on sa voiture en exil ?
À la vue de cette statue au bord du trottoir, Bruno arrêta sa moto et, la poussant, s'approcha si doucement qu'il fit tressaillir Jean lorsqu'il l'appela. Il aurait dû demander : « Y a-t-il longtemps que vous m'attendez ? » — Mais il dit au contraire :
Je t'attendais depuis longtemps...
Jamais il n'avait tutoyé Jean ; il le trouvait vieilli et cela accentuait encore l'écart entre eux. Pourtant, quelque chose l'assurait que les rôles étaient à jamais inversés et qu'il n'était plus temps de dire « vous » à ce vieil enfant. Jean murmura n'importe quoi.
Montons, dit Bruno.
Sa chambre était absolument nue, hormis la reproduction d'une Sainte Face de Rouault qui sortait du mur à hauteur d'homme, tel Lazare, et un crucifix fait de deux bois assemblés. Sur la table, une photo très agrandie de Jeanne : quel que dût être l'entretien, ils seraient trois... Comme, avec effort, Jean détachait du portrait son regard pour le reporter sur Bruno immobile, la ressemblance de l'un à l'autre le bouleversa une fois de plus. Pourtant, l'extrémité des cheveux si courts avait blanchi comme si quelque neige légère... Non, comme si un soleil de feu les avait attaqués. « Il a vieilli, pensa Jean : vieilli pour deux... » — et il l'envia.
— Il y a longtemps que j'aurais dû te faire signe, Bruno, commença-t-il d'un ton bourru, mais...
Nous n'avons jamais été aussi proches que durant ces mois.
C'est faux (Ah ! non, pas de bonnes paroles !) Je me suis, au contraire, conduit d'une façon ignoble j'ai bu, j'ai... j'ai fait n'importe quoi.
— Tu te battais comme tu le pouvais pour remonter à la surface, dit Bruno déconcerté. Moi aussi.
Non, non cria Jean en lui tournant le dos, je n'ai jamais pensé à toi, jamais.
— C'est normal, surtout après le procès. Mais pour moi, ajouta-t-il très vite, impossible de penser à Jeanne sans penser à toi.
— Sans penser que je l'ai tuée ?
— Assieds-toi, dit Bruno. Sur le lit.
Mais Jean ne s'assit point.
Pourquoi leur as-tu dit que, cette nuit-là, tu avais pensé que c'était moi ?
— Parce qu'ils m'avaient fait jurer de dire la vérité.
Il y eut un silence. Jean le regardait fixement, mais le bleu de ses yeux changeait. Bruno reprit doucement :
Cela ne pouvait nuire qu'à moi, Jean, pas à toi.
— Et tu ne m'as rien dit durant neuf mois, rien ! Et si je ne m'étais pas dénoncé, tu ne m'aurais rien dit !
— C'est toi qui me l'aurais avoué, un jour,
— Tu crois donc que c'est pour cela que je me suis livré parce qu'il fallait, comme un pauvre type, que je le raconte à quelqu'un ?
— Non pour payer.
Le visage de Jean se défit, comme si une main en déliait les nœuds invisibles.
— Oui, dit-il sourdement, pour payer. Mais à qui ? À n'importe qui !
Non : à Jeanne.
— Tu es fou ? C'est elle qui m'avait demandé ce geste... Tu ne me crois pas ? reprit-il, blessé par le silence de Bruno.
Je crois que tu l'as cru, et il n'y a que cela qui compte.
— Elle me l'a demandé ! cria Jean.
Alors pourquoi cries-tu ? demanda l'autre durement, sans le quitter des yeux. Mais il le regretta aussitôt. Jean tomba assis ; ses lèvres remuaient, sans paroles. À la fin :
Je ne sais plus, murmura-t-il. Oh ! Bruno, je voudrais mourir de la même mort !
Jusqu'au bout ?
Jusqu'au bout.
Bruno posa ses deux mains sur ses épaules :
C'est une parole de chrétien, Jean.
L'autre revit le sacristain, les vieilles en noir.
Sûrement pas !
De tout temps, les saints ont tant aimé le Christ qu'ils ont voulu assumer sa douleur même. Et ceux qui reçoivent les stigmates...
C'est Jeanne que j'aime, personne d'autre. PERSONNE ! reprit-il pour blesser le jeune homme, mais il n'osa pas citer le Christ.
— Allons, dit Bruno d'une voix forte, tu sais bien qu'elle est vivante quelque part !
Plus que moi.
Vivante quelque part : alors, cherche ton chemin jusque-là. Moi, je n'en connais pas d'autre...
— Non, non, dit Jean. J'ai bien compris Dieu, c'est la mort.
— Rien compris. Car c'est juste le contraire : la mort, c'est Dieu. La mort, ajouta-t-il très bas, c'est lorsque la Sainte Face ouvre enfin ses yeux…
— Le Dieu de la Joie, fit Jean en hochant la tête, ils disent que c'est le Dieu de la Joie...
Et il se mit à pleurer — mais le savait-il seulement ? Il n'avait plus le cœur de se mettre en colère. La révolte, en lui, comme un feu éteint une cendre grise...
— Tu es pareil aux enfants, dit Bruno : tu souffres sans comprendre. On se sent, devant toi, complice d'injustice... (Il se leva brusquement). Oui, le Dieu de la Création, de la splendeur et de la Joie ; ou bien celui de la Douleur : des malades, des victimes, des pauvres ? Le mystère, c'est qu'il puisse être à la fois l'un et l'autre : le maître du printemps et celui de l'hiver, au même instant.
— Allons, refusa Jean, c'est impensable.
— Impensable mais évident. Et chacun doit aussi assumer à la fois sa part de la splendeur et de la tristesse du monde. Mais, devant la première, il oublie Dieu et, devant la seconde, il le maudit.
Jean fit un geste comme pour écarter de lui ces paroles, toute parole. « Mon Dieu, pria Bruno, après Jeanne, après Bernard, ne me laissez pas échouer avec celui-ci... » Il reprit :
— J'ai mis longtemps à accepter. Non pas « comprendre » — cela ne veut rien dire ! — mais accepter ; et je bronche encore quelquefois. Accepter que l'odeur de Dieu soit à la fois celle du chèvrefeuille et celle de la sueur, de la sanie, Mais voici le plus dur, donc le plus noble, une fidélité par delà la fleur, une fidélité fétide. La tienne pour Jeanne aux derniers temps, ajouta-il très bas.
Jean se leva à son tour, comme un homme qui s'entend appeler.
— Justement non, Bruno : je ne l'ai pas assez aimée.
— Tu n'as pas supporté de la voir souffrir...
— De la voir s'abîmer, dit Jean d'une voix rauque.
— C'est donc pour ne pas souffrir, toi ? pour abréger ton supplice plutôt que le sien, que tu l'as achevée ?
— Peut-être, balbutia-t-il. Et soudain, se jetant à genoux devant le portrait de Jeanne : oui, cria-t-il, oui, c'est vrai, c'est vrai. Oh ! pardon...
— Tu le regrettes ? Non pas ton geste, mais la part d'égoïsme et de lâcheté qu'il contenait, tu la regrettes ?
L'homme à genoux étendit les bras en secouant la tête : il ne possédait rien, plus rien.
— Alors, dit Bruno, ne pense plus à toi, ni même à Jeanne seulement ; mais à tous ceux qui ont mal et qui pleurent : à tous ceux qui sont seuls pour mourir, ou pour survivre. Cette croix sur le mur les représente tous, tu le sais ?
— Laisse-moi, dit Jean,
— Sûrement pas ! C'est cela que tu es venu chercher ici. Car tu as obtenu le pardon des hommes : ils t'ont acquitté, et rien n'a été changé pour toi. Tu viens chercher un autre pardon.
L'autre se défendit encore :
— Celui de Jeanne, c'est tout.
— Et pourquoi me le demander à moi ? Parce que tu ne m'as pas appelé à temps, la nuit de sa mort ? Parce que tu as mis son âme en danger ? — Mais non ! tu n'y as pas songé une seule fois depuis un an ! Et moi, ajouta-t-il en cachant son visage, j'y pense chaque nuit...
— Ce n'est pas moi qui t'ai appelé, dit Jean après un silence : c'est elle qui t'a réclamé en faisant un signe de croix, son dernier geste.
Il se sentit saisi à bras-le-corps, furieusement, joyeusement :
— Le signe de la croix, répéta Bruno ; puis, criant presque : elle a fait le signe de la croix ?
Il était tombé à genoux aux côtés de Jean ; celui-ci l'entendit prononcer « Magnificat anima mea dominum !... Oh ! Jeanne... » Il n'aurait su dire si, derrière ces mains qui tremblaient, Bruno riait ou pleurait. Les deux à la fois, lorsqu'il se releva :
— Jean, veux-tu que je te donne l'absolution ?
— Non, ce serait trop facile, ce serait de la lâcheté...
— Trop facile ? Il regarda ce visage raviné, ce regard usé, cette statue de la honte et du remords.
— Assez d'orgueil à présent, ordonna- t-il. Non, reste à genoux. Ton acte de contrition, le sais-tu encore ? (L'autre secoua la tête en haussant les épaules.) Alors, répète après moi : « Mon Dieu... j'ai un extrême regret... »
Du fond des temps, Jean reconnut les paroles qu'il n'avait jamais entendues que sortant des ténèbres, derrière la grille de bois de cet invisible prisonnier qui vous délivre : Ego te absolvo a peccatis tuis... Passio domini nostri Jesu Christi... Et il ferma les yeux, comme autrefois. À cet instant, il revit Jeanne ; elle souriait. À cet instant, il ressentit si fort cette pensée qu'il ne put la retenir :
— Bruno, murmura-il le temps n'existe pas.
Bruno le prit par les épaules et le releva, étonné de le trouver si léger :
— Le temps n'existe pas, répéta-t-il, tu as trouvé tout seul le secret.
Jean s'assit pesamment. De quelle longue marche sortait-il épuisé ? Le silence. Quelque part, dans cette bâtisse, un robinet coulait goutte à goutte : tac… tac... tac...
— Bruno, fit Jean d'un ton très las, c'est sans lendemain : je ne sais pas prier...
— Jeanne t'apprendra.
— Dieu... commença-t-il — mais Bruno l'interrompit d'un geste :
Dieu est le seul qui vous voit ensemble. L'espace non plus n'existe pas. Quand tu auras ressenti cela, jusqu'au fond, tu ne pourras plus t'empêcher de prier.
— J'ai essayé, dit Jean comme s'il faisait l'aveu d'une faiblesse. J'ai essayé de prier c'est monotone.
— Oui : comme de contempler la photo de quelqu'un qu'on aime. Monotone — inépuisable...
— Prier, répéta Jean. (Tac… tac... était-ce au dessus ou à côté, cette goutte d'eau ? ou seulement dans sa tête ?) Non, Bruno : je ne veux rien demander pour moi : je ne mérite rien.
— Penser à soi très humblement est encore penser à soi, dit le jeune homme en souriant. Mais les autres, Jean, les autres !
— Les autres m'ont toujours fait peur. La foule, son odeur, son haleine... Oh ! Bruno, un wagon de métro à six heures du soir...
— C'est une fleur japonaise : un bout de papier fripé qui ne ressemble à rien ; mais si tu le mets dans l'eau — quelles couleurs ! quelle surprise ! L'eau, c'est ton amour pour eux.
— Je ne les aime pas. Je ne peux pas croire que Dieu s'intéresse à chacun d'eux. Ils sont laids, Bruno.
— Laid ou beau, qu'elle en ait deux ou douze, chaque enfant est irremplaçable pour sa mère. Eh bien, chaque être est irremplaçable pour Dieu — c'est simple à comprendre : si tu l'acceptes, tu es sûr de toujours voir la dignité de l'autre malgré sa disgrâce. Un nain, une prostituée... Et après ? Le corps est suspect ; l'âme seule... — La maladie de Jeanne ne te l'a donc pas appris ? demanda-t-il avec une sorte de dureté.
Ils se turent parce qu'il fallait faire face aux images, se colleter avec les images.
— Moi, reprit Bruno, quand je ne suis plus en état de grâce, il ne m'est plus donné de voir les âmes en filigrane derrière les visages...
Qu'est-ce que « l'état de grâce » ? demanda Jean.
Mais… je viens de te le dire.
Je ne l'ai donc jamais connu, fit le grand amèrement, et je ne le connaîtrai jamais. Les autres… (Il parut les écarter à deux mains). La forêt me cache les arbres !
— C'est le contraire, Jean : chaque arbre résume la forêt. Dans la douleur, l'infirmité, le désarroi d'un seul être, il t'est donné de ressentir ceux de l'humanité tout entière. Voilà la réponse de Dieu au mystère accablant de la foule.
— « Douleur », répéta Jean avec violence, vous n'avez que ce mot à la bouche !
Qui ça, « nous » : Jeanne et moi ?
Tais-toi !
Le monde entier et moi ! poursuivit Bruno plus violemment. Tu te défends encore, mais trop tard ! « Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas déjà trouvé »… Tu as pu passer quarante ans de ta vie en détournant les yeux chaque fois que tu rencontrais la Douleur : quarante ans à l'étranger ! mais ton passeport n'est plus valable. À présent, tu la verras partout... Depuis le passant qui fronce un instant le sourcil parce qu'il vient d'avoir mal, jusqu'à l'agonisant qui meurt seul dans un hôpital sordide, c'est le chemin de la Douleur.
— Et si je veux garder la paix, moi ?
 Comme Bernard ? Ce qu'il appelle « la paix » ? Alors, ne remarque même pas le sourcillement du passant ! C'est peut-être pour cette raison que les aveugles semblent si paisibles : ils ne voient pas d'autre douleur que la leur.
Jean se leva, s'étira : éprouva ses membres comme un cavalier qui vient de tomber de cheval puis, se plantant devant Bruno :
Bon. Et alors ? Qu'est-ce que je peux faire, moi ? « Aimer les autres », bondieuserie mise à part, qu'est-ce que ça veut dire ?
Parvenir à aimer leur visage de douleur : à aimer le visage même de la Douleur, qui s'appelle la Sainte Face.
Absolument pas je n'ai aucun besoin de Dieu pour cela.
Je crois que si : justement parce qu'il est aussi le Dieu de la Création et de la Joie. Vivre à la fois dans l'enchantement de la Création et la compassion des créatures, comment y parvenir sans Lui ?
Jean parut se voûter d'un coup. Il y eut un silence sans fin que ponctuait la goutte d'eau quelque part : le temps aveugle, le temps stupide...
— Pourquoi m'as-tu dit tout cela ? demanda-t-il enfin d'un ton très las. J'en crèverai. On ne peut qu'en crever. Tous les vrais chrétiens, s'il y en a, devraient se suicider.
Ils sourient, au contraire, c'est même à cela que tu les reconnaîtras ! à ce sourire qui n'est ni provocation, ni suffisance, ni niaiserie. Un sourire au regard grave, et qui naît de la rencontre, au même instant, sur un visage humain, de toute la joie et de toute la douleur du monde.
Jean ferma les yeux :
— Avant, je ricochais toujours à la surface. Maintenant, Bruno...
— Maintenant ?
— Maintenant, je vais sombrer ; mais je m'en fous.
— Maintenant tu marcheras sur les eaux, dit Bruno d'une voix forte. Debout !
Jean le considéra avec un sourire triste : ses épaules étroites, sa soutane luisante, ses grosses chaussures — de haut en bas, avec un sourire triste.
— Bruno, murmura-t-il, mon petit frère Bruno — et son menton tremblait un peu.
On n'entendait plus le tac... tac... tac..., mais ce bruissement confus et constant qui sert aux villes de silence.
— Bon, dit Bruno, ce n'est pas tout : pas d'absolution sans pénitence. Pour pénitence...
— Ne m'impose pas de prières comme à un gosse : je ne sais pas prier ! Et puis...
Il hésita encore et dit, sans regarder Bruno :
Ou bien tout ça ne signifie rien, ou bien cela ne peut se résoudre en paroles toutes faites qu'on ressasse à genoux.
— Comme pénitence, reprit lentement Bruno, tu diras : Oui.
— Quoi ?
— À tout ce qu'on te demandera, à tout ce qu'on n'osera pas te demander : à la plainte, au regard de n'importe quel inconnu, tu diras : Oui.
— À tout le monde ?
— Sauf à toi-même.
— Jusqu'à quand ?
— Le reste de ta vie.
— Bruno !
C'est cela que tu es venu chercher non pas l'acquittement mais l'absolution. Et c'en est le prix.
Aucun d'eux n'aurait su dire l'heure, mais la nuit était tombée depuis longtemps. Ils s'accoudèrent à la fenêtre, en silence. Un vent froid, estafette de l'hiver, passait à leur hauteur. La ville s'étalait comme un champ de bataille ; la ville blessée ouvrait et refermait ses yeux innombrables... « Chaque lumière est peut-être un appel », pensa Jean avec angoisse. Il secoua encore une fois la tête et dit :
— Si je t'écoutais, Bruno, jamais plus je ne serais tranquille !
— Tu l'étais donc depuis un an ? (Il fit signe que non). Tranquille ? Sûrement pas ; mais un jour, peut-être, tu ne parviendras plus à distinguer ta joie et ton devoir.
Tu en es là ? demanda Jean.
— Par instants — mais ils me payent de tout. Le temps n'existe pas : il n'y a que les instants qui comptent.
Comme s'il suffoquait, Jean leva soudain les yeux au ciel. La lune y surgissait du cœur d'un grand désastre. Ces étoiles innombrables, invisibles, ces milliards de constellations royales, c'était la foule du métro à six heures : Jean lui faisait face avec calme et amitié. Le ciel respirait puissamment. Des siècles de nuages y dérivaient avec une grande lenteur ; et Jean regardait comme pour la première fois ce ciel habité, plein d'amours renouées — ce ciel de retrouvailles...
Gilbert Cesbron, in Il est plus tard que tu ne le penses