vendredi 27 janvier 2023

En pensant... Simone Weil, Le contact de l'âme avec la pureté


Il ne dépend pas de nous de croire en Dieu, mais seulement de ne pas accorder notre amour à de faux dieux. Premièrement, ne pas croire que l'avenir soit le lieu du bien capable de combler. L'avenir est fait de la même substance que le présent. On sait bien que ce qu'on a en fait de bien, richesse, pouvoir, considération, connaissances, amour de ceux qu'on aime, prospérité de ceux qu'on aime, et ainsi de suite, ne suffit pas à satisfaire. Mais on croit que le jour où on en aura un peu plus on sera satisfait. On le croit parce qu'on se ment à soi-même. Car si on y pense vraiment quelques instants, on sait que c'est faux. Ou encore, si on souffre du fait de la maladie, de la misère ou du malheur, on croit que le jour où cette souffrance cessera, on sera satisfait. Là encore, on sait que c'est faux ; que dès qu'on s'est habitué à la cessation de la souffrance, on veut autre chose. Deuxièmement, ne pas confondre le besoin avec le bien. Il y a quantité de choses dont on croit avoir besoin pour vivre. Souvent c’est faux, car on survivrait à leur perte. Mais même si c’est vrai, si leur perte peut faire mourir ou du moins détruire l’énergie vitale, elles ne sont pas pour cela des biens. Car personne n’est satisfait de vivre purement et simplement. On veut toujours autre chose. On veut vivre pour quelque chose. Il suffit de ne pas se mentir pour savoir qu'il n'y a rien ici-bas pour quoi on puisse vivre. Il suffit de se représenter tous ses désirs satisfaits. Au bout de quelque temps, on serait insatisfait. On voudrait autre chose, et on serait malheureux de ne pas savoir quoi vouloir. Il dépend de chacun de garder l'attention fixée sur cette vérité. Par exemple les révolutionnaires, s'ils ne se mentaient pas, sauraient que l'accomplissement de la révolution les rendrait malheureux, parce qu'ils y perdraient leur raison de vivre. De même pour tous les désirs. La vie telle qu'elle est faite aux hommes n'est supportable que par le mensonge. Ceux qui refusent le mensonge et préfèrent savoir que la vie est intolérable, sans pourtant se révolter contre le sort, finissent par recevoir du dehors, d'un lieu situé hors du temps, quelque chose qui permet d'accepter la vie telle qu'elle est. Tout le monde sent le mal, en a horreur et voudrait s'en délivrer. Le mal n'est ni la souffrance ni le péché, c'est l'un et l'autre à la fois, quelque chose de commun à l'un et à l'autre ; car ils sont liés, le péché fait souffrir et la souffrance rend mauvais, et ce mélange indissoluble de souffrance et de péché est le mal où nous sommes malgré nous et où nous avons horreur de nous trouver.

Le mal qui est en nous, nous en transportons une partie sur les objets de notre attention et de notre désir. Et ils nous le renvoient comme si ce mal venait d'eux. C'est pour cela que nous prenons en haine et en dégoût les lieux dans lesquels nous nous trouvons submergés par le mal. Il nous semble que ces lieux mêmes nous emprisonnent dans le mal. C'est ainsi que les malades prennent en haine leur chambre et leur entourage, même si cet entourage est fait d'êtres aimés ; que les ouvriers prennent parfois en haine leur usine ; et ainsi de suite. Mais si par l'attention et le désir nous transportons une partie de notre mal sur une chose parfaitement pure, elle ne peut pas en être souillée, elle reste pure, elle ne nous renvoie pas ce mal ; ainsi nous en sommes délivrés.

Nous sommes des êtres finis ; le mal qui est en nous est aussi fini ; ainsi, au cas où la vie humaine durerait assez longtemps, nous serions tout à fait sûrs par ce moyen de finir par être un jour, dans ce monde même, délivrés de tout mal. Les paroles qui composent le Pater sont parfaitement pures. Si on récite le Pater sans aucune autre intention que de porter sur ces paroles mêmes la plénitude de l'attention dont on est capable, on est tout à fait sûr d'être délivré par ce moyen d'une partie, si petite soit-elle, du mal qu'on porte en soi. De même si on regarde le Saint-Sacrement sans aucune autre pensée sinon que le Christ est là ; et ainsi de suite.

Il n'y a pas de pur ici-bas que les objets et les textes sacrés, la beauté de la nature si on la regarde pour elle-même, et non pas pour y loger ses rêveries et, à un degré moindre, les êtres humains en qui Dieu habite, et les œuvres d'art issues d'une inspiration divine. Ce qui est parfaitement pur ne peut pas être autre chose que Dieu présent ici-bas. Si c'était autre chose que Dieu, cela ne serait pas pur. Si Dieu n'était pas présent, nous ne pourrions jamais être sauvés. Dans l'âme où s'est produit un tel contact avec la pureté, toute l'horreur du mal qu'elle porte en soi se change en amour pour la pureté divine. C'est ainsi que Marie-Madeleine et le bon larron ont été des privilégiés de l'amour.

Le seul obstacle à cette transmutation de l'horreur en amour, c'est l'amour-propre qui rend pénible l'opération par laquelle on porte sa souillure au contact de la pureté. On ne peut en triompher que si on a une espèce d'indifférence à l'égard de sa propre souillure, si on est capable d'être heureux, sans retour sur soi-même, à la pensée qu'il existe quelque chose de pur. Le contact avec la pureté produit une transformation dans le mal. Le mélange indissoluble de la souffrance et du péché ne peut être dissocié que par lui. Par ce contact, peu à peu la souffrance cesse d'être mélangée de péché; d'autre part le péché se transforme en simple souffrance. Cette opération surnaturelle est ce qu'on nomme le repentir. Le mal qu’on porte en soi est alors comme éclairé par de la joie.

Il a suffi qu’un être parfaitement pur se trouve présent sur terre pour qu’Il ait été l’agneau divin qui enlève le péché du monde, et pour que la plus grande partie possible du mal diffus autour de Lui se soit concentrée sur Lui sous forme de souffrance.  

Il a laissé comme souvenir de Lui des choses parfaitement pures, c est-a-dire où Il se trouve présent ; car autrement leur pureté s'épuiserait à force d'être au contact du mal. Mais on n'est pas continuellement dans les églises, et il est particulièrement désirable que cette opération surnaturelle du transport du mal hors de soi puisse s'accomplir dans les lieux de la vie quotidienne et particulièrement sur les lieux du travail. Cela n'est possible que par un symbolisme permettant de lire les vérités divines dans les circonstances de la vie quotidienne et du travail comme on lit dans les lettres des phrases écrites qui les expriment. Il faut pour cela que les symboles ne soient pas arbitraires, mais qu'ils se trouvent écrits, par l'effet d'une disposition providentielle, dans la nature même des choses. Les paraboles de l'Évangile donnent l'exemple de ce symbolisme. En fait, il y a analogie entre les rapports mécaniques qui constituent l'ordre du monde sensible et les vérités divines. La pesanteur qui gouverne entièrement sur terre les mouvements de la matière est l'image de l'attachement charnel qui gouverne les tendances de notre âme. La seule puissance capable de vaincre la pesanteur est l'énergie solaire. C'est cette énergie descendue sur terre dans les plantes et reçue par elles qui leur permet de pousser verticalement de bas en haut. Par l’acte de manger, elle pénètre dans les animaux et en nous ; elle seule nous permet de nous tenir debout et de soulever des fardeaux. Toutes les sources d’énergie mécanique, cours d'eau, houille, et très probablement pétrole, viennent d'elle également ; c'est le soleil qui fait tourner nos moteurs, qui soulève nos avions, comme c'est lui aussi qui soulève les oiseaux. Cette énergie solaire, nous ne pouvons pas aller la chercher, nous pouvons seulement la recevoir. C'est elle qui descend. Elle entre dans les plantes, elle est avec la graine ensevelie sous terre, dans les ténèbres, et c'est là qu'elle a la plénitude de la fécondité et suscite le mouvement de bas en  haut qui fait jaillir le blé ou l'arbre. Même dans un arbre mort, dans une poutre, c'est elle encore qui maintient la ligne verticale ; avec elle nous bâtissons nos demeures. Elle est l'image de la grâce, qui descend s'ensevelir dans les ténèbres de nos âmes mauvaises et y constitue la seule source d'énergie qui fasse contrepoids à la pesanteur morale, à la tendance au mal. Le travail du cultivateur ne consiste pas à aller chercher l'énergie solaire, ni même à la capter, mais à tout aménager de manière que les plantes capables de la capter et de nous la transmettre la reçoivent dans les meilleures conditions possibles. L'effort qu'il fournit dans ce travail ne vient pas de lui, mais de l'énergie qu'a mise en lui la nourriture, c'est-à-dire cette même énergie solaire enfermée dans les plantes et la chair des animaux nourris de plantes. De même que de disposer notre âme à recevoir la grâce, et l'énergie nécessaire à cet effort nous est fournie par la grâce. Un cultivateur est perpétuellement comme un acteur qui jouerait un rôle dans un drame sacré représentant les rapports de Dieu et de la création. Ce n'est pas seulement la source de l'énergie solaire qui est inaccessible à l'homme, mais aussi le pouvoir qui transforme cette énergie en nourriture. La science moderne regarde la substance végétale qu'on nomme chlorophylle comme étant le siège de ce pouvoir ; l'antiquité disait sève au lieu de chlorophylle, ce qui revient au même. Comme le soleil est image de Dieu, de même la sève végétale qui capte l'énergie solaire, qui fait monter les plantes et les arbres tout droit contre la pesanteur, qui s'offre à nous pour être broyée et détruite en nous et entretenir notre vie, cette sève est une image du Fils, du Médiateur. Tout le travail du cultivateur consiste à saisir cette image. Il faut qu'une telle poésie entoure le travail des champs d'une lumière d'éternité. Autrement, il est d'une monotonie qui conduirait facilement à l'abrutissement, au désespoir ou à la recherche des satisfactions les plus grossières ; car le manque de finalité qui est le malheur de toute condition humaine s'y montre trop visiblement. L'homme s'épuise au travail pour manger, il mange pour avoir la force de travailler, et après un an de peine tout est exactement comme au point de départ. Il travaille en cercle. La monotonie n'est supportable à l'homme que par un éclairage divin. Mais par cette raison même une vie monotone est bien plus favorable au salut.


Simone Weil, in Pensées sans ordre concernant l'amour de Dieu

dimanche 1 janvier 2023

En homéliant... Monseigneur Charles, Marie Theotokos


Huit jours après Noël, le nouveau calendrier propose très justement aux chrétiens une fête spéciale pour vénérer celle qui nous a donné Jésus. Profitons-en pour nous demander le rôle qu'elle a joué dans l'élaboration de ce chef-d'œuvre de l'humanité qu'est le Cœur de Jésus. Certes, le Saint-Esprit en est le premier responsable, comme le manifeste le caractère surhumain de ce cœur humain ; mais cela n'empêche pas qu'en cette maternité la mère n'ait communiqué à son enfant ce qu'elle avait de meilleur et qu'elle tenait elle-même de Dieu. On trouvera ici quelques-uns des traits communs à la mère et au Fils. On en pourrait donner beaucoup d'autres.

A-t-on remarqué comme Marie est curieuse de savoir, au meilleur sens du mot ? Elle ne s'en laisse pas conter facilement. Sa question à l'ange au jour de l'Annonciation le prouve : Comment cela pourra-t-il se faire ?

Cette curiosité, elle la transmet à Jésus. Bien que le Christ puisse tout connaître lorsque son intelligence humaine rejoint sa science divine, Il aime à interroger les hommes : Combien avez-vous de pains ? Depuis combien de temps es-tu là ? De quoi parlez-vous ? et surtout : Que dit-on de moi ? Procédé pédagogique sans doute, et même peut-être parfois procédé littéraire de la part des évangélistes, mais aussi disposition d'un cœur avide d'explorer les pensées et les sentiments des hommes dont Il est venu résoudre les problèmes.

Marie est audacieuse, c'est-à-dire qu'elle se jette dans l'action sans s'arrêter devant le danger. L'épisode où elle se compromet avec sa parenté et relance Jésus, sans doute pour l'arracher à l'hostilité provoquée par sa prédication, comportait un risque, celui de déplaire à son fils. Elle l'a accepté par amour pour lui et de ce fait a encouru sa réprimande. Ce cœur audacieux, le Christ l'a hérité de sa mère. Qu'on se souvienne de la façon dont Il n'hésite pas à se mettre à dos les Pharisiens, les vendeurs du Temple ! Rien ne l'arrête quand il s'agit de remplir sa mission.

Marie, si discrète aux heures de triomphe de son fils, le rejoint au pied de la Croix. Sa vaillance est exemplaire. Son fils tient d'elle. Non seulement, Il monte volontairement à Jérusalem, conscient des périls qui l'y attendent, mais à l'heure de son arrestation Il s'avance pour protéger ses apôtres et demande à ses adversaires : Qui cherchez-vous ? Sa question est dite sur un tel ton qu'ils en reculent épouvantés.

L'initiative que prend Marie aux noces de Cana est touchante. Elle n'attend pas que les époux s'inquiètent du manque de vin ; elle s'aperçoit avant eux du désagrément et  s'efforce d'y porter remède spontanément. Cette charité prévenante à l'égard des hommes est passée au cœur de Jésus. Il fait plusieurs de ses miracles sans que personne ne lui demande rien : la multiplication des pains parce qu'Il s'est aperçu le premier que ses auditeurs avaient faim : Naïm où Il rend un fils à sa mère ; Béthesda où Il guérit un paralysé qui avait perdu tout espoir.

En vraie fille d'Israël, Marie a la vocation religieuse de son peuple, elle pense selon les formules de l'Ancien Testament, et le Magnificat nous apporte bien l'écho de son espérance messianique. Elle a sans doute bercé l'enfant des textes inspirés, car le cœur de Jésus a d'abord le souci des brebis perdues de la maison d'Israël ; Il veut réaliser les prophéties ; et c'est très souvent qu'Il suggère à sa bouche les mots de la Bible.

Il est dit de Marie qu'elle gardait tous les souvenirs de la naissance et de l'enfance du Christ et les méditait sans cesse dans son cœur. Ce goût du recueillement et de la prière solitaire se retrouve dans le cœur du Christ. De son temps, on s'adressait à Dieu surtout avec des psaumes et au cours des cérémonies liturgiques. Il est bien remarquable que Jésus ajoute à ce mode de prière les heures silencieuses de la nuit dont sans doute sa mère lui avait appris à utiliser la paix pour se mettre plus consciemment en relation avec son père.

La Vierge a une expérience unique du Saint-Esprit. C'est par l'action de cette personne divine que l'enfant est conçu dans son sein. Tout naturellement, elle rejoindra les apôtres dans leur retraite d'attente du Saint-Esprit après l'Ascension et le recevra de nouveau avec eux au jour de la Pentecôte. Le même évangéliste Luc qui nous raconte ces choses sera aussi très attentif à signaler l'action de ce même Esprit sur le cœur humain de Jésus qui pense, parle, agit sous son impulsion, comme si l'Esprit était passé de Marie en Jésus pour y continuer son œuvre.

Mais c'est à l'heure suprême des décisions que le cœur de Jésus réagit comme le cœur de sa mère. Au cours de l'agonie à Gethsémani, le Christ en son cœur troublé trouve pour donner son assentiment à la Rédemption douloureuse le même mot que celui par lequel Marie avait donné son consentement à l'Incarnation : Fiat, qu'il soit fait... selon ta parole... Que ta volonté soit faite et non la mienne. Et c'est ce même mouvement du cœur qu'Il propose à tout homme qui veut prier avec lui, puisqu'Il en a inséré la formule dans le Notre Père.

Souvenons-nous, en découvrant les richesses du cœur de Jésus enfant, adolescent et adulte, qu'elles viennent de sa mère. Adorons les premières, admirons les secondes et en rendant grâce pour tant de beauté morale et spirituelle, disons : « Vierge bénie entre toutes les femmes, mère de Dieu entre toutes les mères, donne-nous ton fils... Donne-nous ton fils ! »

Monseigneur Charles, in Ephata

 

vendredi 9 décembre 2022

En éclairant, Stanislas Fumet, Rediviniser Dieu

 

Pourquoi ce malaise dans le monde chrétien à l'heure actuelle, dont je m'étonne qu'il n'inquiète pas davantage les croyants ? Sont-ils les seuls à ne pas sentir qu'il s'est produit dans leur monde, qu'il s'est produit dans leur univers, puisque c'est tout un univers qui s'en trouve affecté, comme un changement de lumière ? On n'a pas éteint, car on n'a pas renoncé à voir, mais on a installé un autre système d'éclairage, sous lequel plus rien n'est tout à fait ce qu'il était avant. Il est des éclairages qui tuent les valeurs, ainsi qu'il est des tons de voix décourageants qui affadissent le plus beau langage des poètes. Nous en sommes là, j'ai le regret de le constater, avec le christianisme moderne.

Je parlais de ces éclairages qui tuent les valeurs ; c'est une image de peintres. Si nous devenions boursiers, nous écririons que les mêmes valeurs sont lourdes, sinon qu'elles sont tombées. Je ne veux pas dire qu'en réalité le christianisme soit en baisse, mais les valeurs qu'il jette sur le marché sont dépréciées ; et le fait est d'autant plus inadmissible que ces valeurs ne sont pas proprement humaines – j'entends qu'elles ne sont pas naturellement humaines, qu'elles sont puisées en Dieu, dans la nature même de Dieu, qu'elles sont, en un mot, surnaturelles. Or, on passe devant les valeurs chrétiennes sans même avoir envie de retirer son chapeau, comme si elles n'avaient rien d'extraordinaire, comme si elles étaient dépouillées de tout prestige et de toute majesté, comme si l'on était de plain-pied avec elles. La Divinité incarnée, on est de sa famille. Dieu, « de sa race nous sommes ». Les valeurs chrétiennes ? Ces déesses, après tout, sont nos tantes. Il n'y a plus de fossé infranchissable entre les valeurs chrétiennes et les valeurs naturelles. Oui, notre christianisme est admirable, c'est d'accord, on lui fait un petit salut de la main à l'occasion, ou pas de salut du tout, et l'on n'a point le sentiment de commettre une impertinence excessive.

— Attention que je n'ai en vue, pour le moment, que les croyants, car c'est de leur attitude à eux qu'il s'agit, non de celle des incroyants, qui est tout autre. Les incroyants ne sont même pas forcés de tenir compte des valeurs chrétiennes ; celles-ci peuvent très bien leur échapper, surtout aujourd'hui où l'on fait tout ce qui est humainement possible pour leur prouver qu'il n'y a pas de différence notable entre l'ordre présumé de Dieu et l'ordre contrôlé des professeurs, des ingénieurs et des médecins.

L'incroyant cependant n'a pas absolument confiance en la sincérité des chrétiens quand ils minimisent leurs trésors. Quelque chose de plus profond que l'assurance des catholiques modernes lui fait appréhender une vérité : il doit y avoir dans les valeurs chrétiennes un élément spécial, inconnu, inassimilable et peut-être dangereux. Les catholiques modernes ont beau lui déballer leur marchandise et lui expliquer qu'elle est à la portée de toutes les bourses, l'incroyant fronce le sourcil, hoche la tête et, bien que ça ne l'engage à rien, comme on s'évertue si débonnairement à l'en persuader, l'incroyant poursuit son chemin, il se méfie, il n'achète pas.

Mais qu'est-il donc arrivé ? Le christianisme de notre époque a fait mille sacrifices pour plaire à la nature, et voilà que la nature le boude. On nous objectera qu'avec un catholicisme désurnaturé  (je ne dis tout de même pas désurnaturalisé, car on ne désurnaturalise vraiment pas le christianisme qui conserve les sacrements, mais je dis catholicisme désurnaturé comme les pharmaciens disent alcool dénaturé) vous pouvez atteindre les masses. Or nul n'ignore que tel est le grand souci de notre époque : aller aux masses, parler aux masses, éduquer les masses, convaincre les masses, soulever les masses, utiliser les masses, etc. Il faut donc s'adresser à la peau, aux tripes. La philosophie thomiste, comme l'Évangile, se contentait de s'adresser aux sens, au cœur. Mais notre éclairage veut que les sens ne soient pas encore distincts, que le cœur ne soit pas encore isolé du reste du ventre. Le christianisme moderne prend tellement au sérieux les découvertes de la psychophysiologie qu'il ne voudrait pas se singulariser en respectant les acquisitions de l'antique sagesse. On consent bien à l'humanisme, pourvu que l'homme ne soit pas plus détachable de l'animalité primitive que son cœur – d'où montent depuis toujours des pensées si étranges – ne l'est de la tripaille.

Loin de moi l'intention de condamner chez les chrétiens ces généreuses préoccupations du sort matériel des hommes, qui ne seront jamais trop hardies, et ce désir qu'ont les meilleurs d'entre eux de réformer la société suivant les préceptes du Christ. Il y a une large part de vérité dans l'inclination du christianisme contemporain vers les besoins les plus humbles d'une humanité que les sept péchés capitaux retiennent dans un indéracinable esclavage. Que l'on ait saisi qu'il fallait nourrir les bouches des affamés avant même de faire entendre raison aux cœurs, et qu'il s'agissait d'appliquer la justice avant même d'en appeler à la charité (qui cependant est la seule qui comprenne toute la justice et soit à même de la prévoir jusque dans sa surabondance, car : « si votre justice n'abonde pas plus que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux ») ; que les chrétiens aient enfin pensé à mettre un peu la terre sous l'influence de ce royaume des cieux, et à ne pas rejeter comme par un fait exprès toute la lettre de l'Évangile, ce n'est évidemment point cela qui désurnaturalisera le christianisme. Ce qui le désurnature, en revanche, c'est de l'incarner par des moyens humains ; c'est d'oublier que l'Incarnation est l'œuvre du Saint-Esprit et non point l'ouvrage de l'homme, cet homme fût-il le plus juste et le plus digne, fût-il au milieu des temps le sublime charpentier Joseph. — Ce qui est déposé en votre sein, Marie, n'est point ouvrage d'homme... Et l'incarnation qu'on veut nous faire, dans de trop bonnes intentions, est avant tout ouvrage d'homme, ouvrage d'honnête homme, ouvrage de brave homme ; ouvrage de créature limitée, bénie sans doute, mais pas du tout œuvre personnelle de Dieu. La créature humaine, Adam, c'était déjà merveilleusement beau. Et, du côté de l'animalité, c'était déjà suffisamment magnifique ; et du côté de la grâce, sous le spiraculum vitae originel, avant le péché, c'était déjà indescriptiblement ravissant. Mais enfin il y a ici plus que Salomon, vers lequel s'en venait, transpercée de désirs, la reine du Midi. Il y a ici plus que toutes les beautés de la création. Il y a ici Jésus-Christ, Fils de Dieu, Verbe fait chair et Dieu fait homme. Il y a ici la seconde œuvre de Dieu, où Dieu ne met pas que la trace de son Esprit, où Dieu ne met pas que la forme de son idée et l'empreinte de son pouce, où, comme écrivait saint Jean de la Croix,

Mille grâces répandant
Il a passé en hâte par ces forêts
et tour à tour les regardant
par Son seul visage
les a revêtues de Sa beauté...

mais où Dieu s'engage lui-même tout entier, avec sa Nature à lui. Car, le surnaturel, ce n'est pas moins que cela. Dieu n'est pas qu'intéressé au surnaturel : Il est fixé dedans. Il est crucifié dedans. Et la contemplation du Verbe reste libre dedans. Et le Fils de l'homme y meurt, au cœur du surnaturel, et Il y est enseveli, et Il y descend aux enfers, et Il y ressuscite, et Il y est glorifié.

Mais tous ces miracles se voient-ils ? Non, car ce qui est divin n'est pas préhensible aux sens et ne se découvre pas au regard naturel. Et, entre le saint chrétien, qui le plus souvent ne dispose pas de la palette des mystiques musulmans ou des swami hindous pour dépeindre l'état surnaturel de son âme, et le bon type qui trouve dans le meilleur de sa nature finie des ressources morales remarquables, on ne surprend pas, à l'œil nu, cette différence vertigineuse que la métaphysique catholique a le front de proclamer. Ceci est vrai. La bonté naturelle, qui est première œuvre de Dieu, n'est pas absolument différente de la bonté du saint, mû par tout le ciel de la charité. Mais l'acte de bonté du second diffère dans sa substance même de l'acte analogue du premier et, branché sur Dieu pour ainsi dire, extrait du cœur de Dieu, il se trouve, sans y être de soi pour rien, avoir une valeur infinie.

Or cette valeur infinie des actes chrétiens tend à disparaître dans la présentation que l'on nous en offre à l'heure actuelle. Les chrétiens ne sont pas moins bons aujourd'hui qu'hier ; il peut y en avoir un plus grand nombre qui soient bons. Et dans un sens on n'a jamais autant voulu, chez les catholiques, être chrétiens. On s'agite énormément pour témoigner au nom du Christ, on est toujours prêt à manifester sa foi, on a le sentiment qu'on porte Dieu partout, on n'aspire qu'à rayonner. — On déclare même, ingénument, qu'on rayonne. — Mais en réalité les valeurs dont on est si fier ont perdu leur éclat profond. Les valeurs chrétiennes, à force de s'extérioriser dans l'humain, de viser à devenir quotidiennes et familières, ces valeurs, au lieu de rapprocher Dieu de l'homme, sembleraient l'en éloigner. Ou bien le Dieu que l'on véhicule à si peu de frais n'est plus tout à fait Dieu. C'est cela que je voulais dire. C'est ce danger que je me permets de dénoncer.

Dieu n'est pas Dieu aussi facilement que les chrétiens modernes le croient. Il n'est que de se pencher sur les gouffres des âmes en état de purification, des âmes qui acceptent Dieu tel qu'Il est, pour s'en convaincre. Dieu ne parvient pas à être Dieu dans la nature humaine, que le péché a bouleversée, sans reconstruire un monde nouveau sur les ruines de l'ancien, – encore, je ne l'ignore pas, que les matériaux de l'un doivent resservir à l'édification de l'autre. Une âme surnaturalisée serait donc une âme à travers laquelle Dieu se retrouve Dieu. C'est le jeu même de l'expérience spirituelle. Ô mystère de cette reconnaissance ! Ô privilège de l'âme qui se laisse entièrement pénétrer par la grâce, livre à Dieu toutes les voies, en elle, de communication, tous les réduits secrets, tous les placards, toutes les arrière-pensées, tous les arrière-désirs ! Mais il faut une vie de saint pour atteindre à ce Consummatum est ! à la vérité. C'est d'après le Christ et les saints que l'on peut juger des valeurs chrétiennes. Sans la sainteté du Christ et la sainteté de son Corps mystique, il y aurait d'autres valeurs louables, il n'y aurait pas de valeurs intrinsèquement chrétiennes.

Le monde catholique ne rêve que d'un Dieu à promener dehors. Il est excité par l'action, qu'il appelait hier les œuvres. Sans doute lui faut-il réagir contre plusieurs siècles de dévotion privée et de tant de négligence à l'égard de ce Corps mystique qui doit perpétuer le Corps du Seigneur. Le chrétien, depuis la Révolution française et surtout depuis le début de notre siècle, a ouvert les yeux. Longtemps il les avait tenus soigneusement fermés, craignant de perdre son cœur dans de troublantes inquiétudes et des divertissements périlleux. Il avait abusé de cette réclusion qui, le coupant du reste de l'humanité, lui faisait prendre pour diabolique toute participation spontanée à la vie naturelle. Non point qu'il évitât mieux le péché, car la nature humaine déviée depuis l'Éden sécrète elle-même, jusque dans l'enceinte la mieux préservée, tous les accessoires dont l'homme a besoin pour commettre le mal et offenser Dieu. Il est trop facile aux psychologues de nous le rappeler et de nous prouver que jamais les énergies refoulées ne se tiennent complètement pour battues. Au vrai, le catholicisme avait grand besoin de sortir et de se retremper à l'air de la nature. Ce n'est pas le retour à la nature qu'il faut blâmer dans notre catholicisme moderne ; ce dont je l'accuserais, c'est d'avoir profité de cette libération pour se vider de toute une part de sa substance.

Quelle est cette part ? Il est difficile de le déterminer sans se montrer injuste. Mais il n'est pas douteux que ce soit du côté du divin que se cache la lézarde. On a tellement voulu humaniser Dieu que l'on a faussé le sens de l'humanité du Christ. On a tellement voulu, par le Christ, réduire Dieu à l'homme, qu'il ne reste plus de Dieu, à la fin, qu'un homme comme nous — en mieux. La sainte humanité du Christ, cette absolue fidélité au Père, on nous l'a métamorphosée en une bonne, en une brave humanité comme la nôtre. Partant d'en bas, partant de nous, homme, nous avons refait Dieu à notre ressemblance, avec ce coup de pouce idéaliste qui est la marque du mauvais artiste chrétien. Naguère, c'était l'homme, dans la sainteté, qui tirait sa forme de l'Esprit de Dieu ; aujourd'hui, c'est Dieu qui tirera la sienne de l'esprit humain. On branchait l'homme sur Dieu ; on branchera Dieu sur l'homme.

Et voilà pourquoi les chrétiens ne pensent plus qu'à ajouter à Dieu. Ils s'appuient volontiers sur une parole inouïe de saint Paul, exprimant qu'il veut être à Dieu une humanité de surcroît, ou de complément. Mais il ne s'agit là que d'une humanité qui prolonge, en quelque sorte, à l'intérieur du Corps mystique, l'humanité de Jésus-Christ. Ce n'est pas seulement cela qu'ils conçoivent. Ils croient avoir comme l'intuition que l'on peut ajouter à Dieu, que l'on enrichit Dieu avec les trésors du monde, que l'idée de Dieu est une abstraction qu'il faut meubler. « Ce que le Christ ajoute à Dieu », a dit l'un des leurs, et l'on voit la suite. Aussi est-on transporté d'enthousiasme quand on s'aperçoit qu'il faut se distraire de Dieu pour mieux le louer et le servir. On est concret avant tout, ce qui dans la sainteté ferait la plus belle vertu, mais on est concret théoriquement, on intellectualise le concret et le mot, trop en vedette, finit par se substituer à la chose. Le concret, pour de jeunes hommes facilement actifs et que caractérise une grande paresse d'esprit, le concret, c'est l'évasion de cet unique nécessaire qui ne suffisait peut-être pas à Marthe non plus, s'agitant à la cuisine avant que Jésus la convertît à la stabilité de l'église. On fuit Dieu à travers les biens secondaires et l'on cherche sa religion dans un accidentel qui avait été jadis trop méprisé, sans doute, qui avait trop vulgairement passé pour du profane, mais qui, s'il peut et doit en effet se relier à Dieu, n'est pas essentiel au culte. Nous voyons des âmes sacerdotales pleines de mérite s'évertuer à rajeunir la messe, où il est clair que les chrétiens s'ennuient et où ils s'ennuieront de plus en plus s'ils cherchent l'évasion de l'âme dans un concret qui ne sera jamais trop extériorisé. Elles ajoutent à Dieu tout ce qu'elles peuvent, ne demandant qu'à faire entrer dans le temple refroidi le cinéma, le phonographe, la conférence, les lectures explicatives et tout ce qu'on peut se permettre d'emprunter au dehors pour rendre plus vivant, hélas ! le dedans. C'est ici que je m'aperçois que le christianisme est très malade : il recourt à la médiocrité du monde pour ajouter à Dieu. Naguère, nous avions déjà les plaisirs du bruit, la chanteuse et le violoniste, les mauvaises musiques d'opéra : c'était la part de l'art ; aujourd'hui, nous avons la science et le commentaire, durant la messe, des saints mystères qui ont lieu sous nos yeux. Explications, effusions sentimentales et crécelles intellectuelles : que de richesses humaines dont Dieu manquait ! Nous sauvons Dieu du silence, nous lui expliquons bêtement tout ce qu'il fait. Et le chrétien se relève de son prie-Dieu, la messe finie, avec de l'agacement et de la déception. Dieu, il était permis de croire que c'était plus que cela.

Eh bien, on veut que Dieu, pour nous être présent, ne soit pas plus que cela. On entend qu'Il s'incarne à hauteur d'homme, ce qui est légitime, ce qui est historique, ce qui est providentiel ; mais on tient à ce que cette humanité qu'Il a prise pour nous racheter n'ait pas d'autre ambition que de nous réfléchir. Jadis, on avait conscience d'être Ses bourreaux. Aujourd'hui, on est Ses camarades. Le Christ est un chef – on a la hantise du chef, mais un chef avec qui l'on est en confiance (la foi), un chef qui vous relève le moral quand il est bas (l'espérance), un chef qui vous apprend les devoirs de l'amour en tant de leçons (la charité). Ceci encore ne doit pas être condamné, mais la transcendance de Dieu, dont le cœur du chrétien est affamé tout comme son intelligence en est éprise, la transcendance de Dieu n'a plus grand'chose à voir, pour tout dire, en cette religion si étroitement humaine.

Tout dans la religion d'aujourd'hui penche à l'immanentisme – et je sais bien que le Dieu de l'Incarnation ne se présente à nous que sous des espèces assimilables ; mais, quand la transcendance vient à tomber, à quoi donc se réduit l'immanence ? Il est très beau d'aimer Dieu, mais encore faut-il s'assurer que ce Dieu soit Dieu. Pour Le rendre acceptable, j'ai peur que l'on ait tendance à Le dédiviniser. Illusion ? peut-être, mais je ne sais pourquoi toute exposition du christianisme moderne, jusque dans ses prétentions révolutionnaires, m'inspire cette défiance. Plus on ajoute à Dieu, et plus je sens qu'on Le limite ; plus on Le nomme, et plus je Le vois qui s'efface, un doigt sur les lèvres ; plus on le dit régnant, et plus je Le vois qui meurt. Plus on Le rend condescendant, et plus je constate qu'Il est terrible. Plus on Le veut humain, et plus je m'aperçois qu'Il ne saurait l'être de cette humanité-là.

Quand un jeune curé, souffrant de la déchristianisation de son peuple, introduit dans sa messe à l'offertoire, pour la rendre plus sensible aux cœurs des mamans, des papas, comme ils disent, et de leurs chers enfants, des accessoires de ménage, la soupière et la brosse à habit, le fer à repasser et tout ce dont nous sommes obligés de nous servir à la maison, pour les faire participer au sacrifice de l'Agneau, et que ces témoins de notre intéressante vie quotidienne sont conviés à l'église pour rappeler à la mère de famille qu'ici elle est encore chez elle, de même que le râteau, la bêche, la scie, l'établi, la varlope et, demain, la lampe à souder, la clé anglaise, l'écrou et le bouchon de radiateur, par leur présence devant l'autel, désennuieront des mystères de la liturgie l'infatigable travailleur – et pourquoi pas le cheval de bois pour l'enfant, l'ours en peluche, l'avion mécanique et le baby en carton ? – je ne demande pas mieux que de comprendre, mais l'initiative, pour généreuse qu'elle soit, me laisse rêveur. Non que je trouve le moins du monde sacrilège l'introduction des outils et des ustensiles de ménage dans le temple de Dieu comme symboles de l'humble vie des gens, ou que rien me semble fait pour rester exclu de la prière des mortels, certes ; mais, enfin, pourquoi retenir l'imagination dans ces choses fabriquées dont il n'est pas si mauvais de s'abstraire à l'église, où l'âme a surtout besoin de quiétude et de vacuité ? Je sais bien que tout peut avoir sa place à l'église, à condition de ne s'y faire pas remarquer plus qu'il ne convient. Les béquilles accrochées au mur en ex-voto, dans la pénombre, ont leur grâce, mais elles nous embarrasseraient beaucoup entassées sur les marches de l'autel au moment où le prêtre les gravit pour dire sa messe. La vérité est que nous nous efforçons d'ajouter à la simplicité de Dieu dans l'espoir de rendre Dieu plus attrayant en Le décorant de nos préoccupations individuelles. Nous sommes déjà trop enclins à alourdir l'esprit avec la matière. Ce n'est pas en allant à Dieu qu'il faut s'encombrer. Ce n'est qu'en revenant de Dieu que l'on trouve la casserole et le rabot spiritualisés. Ici la poésie divine commence. L'erreur, en effet, est de penser que les choses de la terre qui contribuent à notre existence sont hors de Dieu, alors qu'elles sont déjà bel et bien en Lui, dans la mesure où elles nous servent à vivre. Il était admirable d'apporter l'offrande toutes sortes de présents destinés aux indigents, les fruits de la terre ou des pièces de métal, en les faisant passer par Dieu pour les bénir. Mais c'était spontané, il n'y avait rien là de didactique et, comme toujours, à notre époque, de voulu et de sentimental. C'est en Dieu qu'il faut que le chrétien s'habitue à chercher les grandes raisons d'émotion et non dans les seules difficultés de la vie ingrate qu'il doit subir. S'il en est autrement, l'art, avec ses évasions fallacieuses, aura bien plus de succès que la religion. « Par la pureté on va à Dieu », prophétisait Rimbaud dans un instant de singulière lucidité. Et la pureté est faite pour tous, aussi bien pour les petits que pour ceux qui ont l'air grands. Or il n'y a pas de pureté sans mystère. Le jour où d'exécrables adaptations modernes de l’Évangile, comme il en circule maintenant, à l'usage des paroisses populaires, se verront substituées aux traductions dans lesquelles nous avons appris Dieu jusqu'en ces derniers temps, le jour où à ces étonnantes images, qui ont la grandeur humaine de l'antiquité et où l'humanisme trouvait sa couronne, on préférera les platitudes que des âmes bien intentionnées nous donnent pour des équivalences, il y aura peut-être moins d'obscurités dans les paroles du Christ pour l'entendement des ouvriers des villes, mais aussi combien moins de lumière !

Nous revenons à notre changement d'éclairage, à cette pseudo-humanisation du divin qui éteint les lampes d'en haut pour n'allumer que celles d'en bas. Si la méthode s'accentue encore, elle finira par supprimer de l'Incarnation CE qui est incarné.

Chrétiens, pour récupérer notre place dans le monde, une place que les impies ont déclarée vacante, il faut de toute urgence que Dieu soit redivinisé. Tout est là. Ce n'est pas en rendant le Saint-Esprit comparable aux esprits des mortels que l'on touchera le peuple jusqu'au fond de l'âme — et Dieu sait si les chrétiens modernes ont raison de penser que le peuple pour son bonheur a besoin d'être évangélisé ! — mais en faisant valoir combien le christianisme est différent de tout ce qui n'est pas lui, à quel point il est surnaturel et comment, s'il ressemble par quelque côté aux autres doctrines, il les devance d'un infini.

Stanislas Fumet, in Défense de Dieu

Février 1944

mercredi 31 août 2022

En témoignant... Madeleine Delbrêl, L'Homme qui est seul

 


Pour faire l'œuvre de Jésus-Christ, nous avons besoin de Jésus-Christ.

La vie chrétienne n'est pas une reconstitution du Christ, un portrait qui « fasse ressemblant » ; en nous, elle germe, se développe, se dilate. L'imitation évangélique de Jésus-Christ réclame notre chair et notre sang, des actes issus de notre tête et de notre cœur ; mais, si nous en restons là, cette imitation, comparée à ce qu'elle devrait être, semble mince comme une feuille de papier. L'imitation du Christ nous revêt authentiquement si nous revêtons, avec tout ce que nous sommes, la vie même du Christ. Beaucoup d'entre nous semblent avoir l'attrait, sans doute est-il une grâce, d'une obéissance concrète à l'Évangile ; mais ils ont reçu, souvent comme une rançon, la tendance à un « évangélisme » qui extériorise l'Évangile par souci de lisibilité et le goût d'un « style » qui, pour faciliter les compréhensions, découpe la vie en clichés caractéristiques. Tout cela demeurerait vrai si nous ne nous en laissions pas préoccuper au point d'oublier, peu ou beaucoup, le mystère, tout ce qui dans l'Évangile dépasse l'homme. Les yeux purs qui mettent tout le corps dans la lumière naissent dans l'ombre : c'est la condition pour eux d'être sensibles à l'éclairage de chaque lieu de mission, de mieux s'accommoder au jour. N'y a-t-il pas dans certains fonds marins des poissons qui sont aveugles mais reçoivent à chaque changement de milieu une adaptation différente qui leur permet de voir ?

La vie du Christ qui est la vie chrétienne ne se gagne pas dans un jeu de hasard : elle nous est donnée, elle nous est conservée mais, à nous de la gagner comme on gagne sa vie, comme on gagne de quoi vivre, comme on gagne son pain.

Autant reste obscure la profondeur de notre lien à cette vie, autant les lois de celle-ci nous sont explicitées. Le chrétien peut avoir des dons exceptionnels d'invention ou de juridisme : ils ne le rendront pas davantage chrétien. Une soumission exacte à l'économie intime de la vie chrétienne, peut seule nous rendre chrétiens davantage. C'est cette même soumission qui nous fait gagner de quoi vivre sans que nous ayons à choisir comment.

La vie chrétienne est un réalisme.

Si nous avons besoin de Jésus-Christ, nous Le trouverons là où Il nous a dit de Le prendre, oui, de Le prendre. Si tous les points de départ de la vie chrétienne sont des obéissances volontaires, des adhésions de notre esprit, si notre croissance en grâce réclame des moyens que nous pouvons accepter ou refuser mais non choisir, ces moyens nous conduisent tous à un pouvoir, pouvoir qui reste un devoir : la saisie de Jésus-Christ. Par des actes que nous posons librement, mais que nous ne sommes pas libres de remplacer par d'autres, nous avons, à discrétion, la vie que Jésus-Christ continue à donner et à répandre. Ces actes nous compromettent entièrement ; ils pétrissent ce que nous sommes du fond de notre âme au bout de nos mains, aux bords de nos lèvres.

Jésus-Christ est dans les Pauvres, dans tous ceux qui sont petits, dans tous ceux qui sont souffrants ; Il y attend notre tendresse. Oublier les pauvres, les petits, les souffrants c'est refuser pratiquement notre cœur à une attente qui, à elle seule et à travers notre seul cœur, glorifie tous les cœurs d'hommes. Mais, retrouver Jésus-Christ dans les pauvres, les petits, les souffrants n'épuise pas le don de Jésus-Christ.

Jésus-Christ est dans l'Évangile ; en repasser les paroles en nous-mêmes, les laisser pénétrer, germer, pousser, porter des fruits dans notre vie, c'est trouver Jésus-Christ dans une révélation intime, dans les reflets imparfaits de ce qu'Il est et de ce qu'Il fait, reflets perceptibles sur les actes d'obéissance à Sa parole. Mais, là encore, nous n'allons pas au fond du don de Jésus-Christ.

Jésus-Christ est au milieu de nous quand, en Son nom, nous nous rassemblons, Il est avec nous chaque jour, Il est avec nous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles ; nous Le trouvons en notre compagnie. Mais, même en marchant avec Lui du matin au soir de nos journées, nous ne finirons pas de Le trouver comme Il se donne.

Jésus-Christ demeure en nous et nous en Lui, dans ce partage obscur de Sa vie et de la nôtre ; mais, même si nous nous laissions comme engloutir dans cet abîme de prédilection, ce ne serait pas le don plénier de Sa vie. Car la plénitude de ce don n'est pas dans un arrêt, dans un point final : elle est dans la suppression de ce qui nous empêche d'être totalement vivants, d'être entièrement aptes à vivre.

Si pour faire les œuvres de Jésus-Christ, nous avons besoin de Jésus-Christ, c'est à l'Église qui nous L'a donné la première que nous devons d'abord le demander : l'Église nous Le donnera toujours. Jésus-Christ continue en elle les actes mêmes de son amour : Son corps livré, Son sang répandu ; elle en perpétue le sacrifice ; par eux nous sommes rachetés, réparés, nourris, fortifiés. Jésus-Christ nous aimant ainsi et pas autrement est dans Son Église. Là nous pouvons Le saisir, nous devons Le saisir vivant, pour nous laver avec Lui, vivant, pour nous nourrir de Lui vivant, pour devenir forts en Lui vivant, pour être transformés par Lui quand se transforme notre vie ou quand la mort s'annonce à nous.

Si nous avons besoin de Jésus-Christ, si nous le demandons à l'Église, nous avons besoin de ceux par qui l'Église Le donne : nous avons besoin du prêtre. Nous n'avons pas le droit, ni pour nous, ni pour les autres, de mourir de maladie ou de faim. Dans les talents dont il nous faudra rendre compte, il y a celui de l'homme fort que nous aurions pu être, si nous ne le sommes pas devenu, s'il n'a pas été nourri et soigné, il nous sera quand même réclamé ce que nous aurions dû pouvoir faire. Un seul peut suppléer si le prêtre manque, qu'il soit absent ou qu'il soit captif, c'est Jésus-Christ seul qui peut empêcher des famines de tourner à la mort, mais Il ne fait de miracles que si les famines sont choisies par Lui et non par nous.

La vie missionnaire dont nous essayons de déchiffrer l'ébauche est un essentiel chrétien. Il lui faut les aliments essentiels de la vie chrétienne, ou bien elle ne sera pas : d'avance elle est liée au prêtre.

Le prêtre est indispensable à un apostolat comme celui que nous poursuivons, le prêtre est indispensable, parce que le sacerdoce est indispensable. Sans lui et sauf un luxe de circonstances exceptionnelles, la vie apostolique sera frappée de dégénérescence ; elle ne recevra pas les éléments essentiels à son développement.

Le sacerdoce lui est extérieur, elle n'est pas autonome par rapport à lui : pour une large part, ce qui la fait elle-même est subordonné au sacerdoce. Il n'est pas question de savoir si nous trouvons que cela est bien : cela est ainsi ; on vit la vie, on ne l'organise pas.

Il ne s'agit pas d'être des sortes d'idéalistes, de vivre des idées collées sur des faits, de mettre à la place du sacerdoce ce qui n'est pas le sacerdoce. Le grand risque c'est de le confondre avec les prêtres qui l'ont reçu : les fonctions vitales qui nous donnent Jésus-Christ sont remises au sacerdoce auquel des hommes acceptent de faire servir leur vie, ils acceptent qu'on les rencontre en lieu et place de Jésus-Christ.

Là où est un prêtre, là est la communication, pour nous nécessaire, de Jésus-Christ.

Il est légitime et pour nous et pour ces prêtres que chacun soit aimé personnellement par nous pour ce qu'il est, ce qu'il fait, ce qu'il a fait pour nous. Certains ont pu incarner l'orientation de notre vie et nous aider à la reconnaître ; d'autres peuvent représenter ce qui, dans l'Église, nous tient le plus au cœur, rien de tout cela ne fait qu'ils sont prêtres, rien de tout cela n'est le sacerdoce lui-même, le sacerdoce unique de Jésus-Christ.

Réaliser notre relation exacte avec ce seul et simple sacerdoce est une des premières nécessités apostoliques.

Je ne veux pas parler des fonctions sacerdotales du prêtre, mais de ce qui lui est demandé pour être revêtu de ces fonctions. En parlant seulement de ce que le peuple chrétien considère comme inséparable de la vie du prêtre, sans m'aventurer sur le plan de ce que l'Église considère comme lui étant ou non essentiel, sans m'aventurer davantage sur le plan juridique où sont précisées les distinctions entre ce qui fait le prêtre et ce qui fait le religieux, on pourrait signaler ce qui dans la définition commune et courante du prêtre, coïncide avec le fond de vie apostolique précisé par notre recherche. Dans cette coïncidence, je ne m'arrêterai qu'à une chose :

Pour l'infidèle comme pour le fidèle, le prêtre est d'abord l'homme de son bon Dieu dit l'un, l'homme de Dieu dit l'autre.

Pour tous, le prêtre est « celui qui est seul ».

La solitude du célibat est, dans la vie du prêtre, la principale pierre d'achoppement. Dans les milieux indifférents, surtout dans les milieux peu denses et fermés des petites villes et des campagnes, le célibat du prêtre est le thème favori des histoires et des... petites histoires, des chansons à boire comme des campagnes de diffamation. Ces milieux partagent avec les incroyants un a priori de scepticisme sur la réalité de ce célibat. Une discussion sérieuse de la question, quels que soient les gens qui y participent, dans la plupart des milieux sociaux y compris ceux qui n'ont pas d'hostilité religieuse, considèrent un célibat réel soit comme impossible, soit comme cause ou conséquence de déséquilibre. De plus en plus, des gens sympathiques à l'Église et une petite minorité chrétienne tiennent pour nuisible à la mission du prêtre un état de vie qui le sépare de la condition humaine commune. Ils affirment que son témoignage s'en trouve dévalorisé et ses possibilités de conseil et d'appui, diminuées. Ceux qui discutent dans la perspective du prolétariat renforcent volontiers ces prises de position.

Le prêtre est l'homme qui est seul.

La part considérable qu'a pris la solitude dans notre recherche apostolique n'est pas à souligner. Pourtant, quoique prévue, elle sera vraisemblablement et généralement accidentelle ; elle n'en sera que plus difficile à tolérer d'emblée, mais, notre vieille horreur de souffrir aura vite fait de nous rappeler le caractère d'épreuve d'une solitude qui, en réalité, sera une suite de solitudes. Très vite, nous nous souviendrons qu'il n'y a pas eu accord entre Dieu et nous, quelque chose en nous attendra obstinément que ça passe.

Mais, dans la mesure où ces tares sont publiques, dans la mesure aussi où elles se refusent elles-mêmes à être accidentelles et revendiquent une durée dont leurs différents systèmes affirment être la garantie, elles poussent notre foi à vouloir des contrepoids religieux publics, des équivalences durables. Une vie sacerdotale liée à cette tentative apostolique y serait comme la signature, officielle, donnée pour l'éternité, de tout ce qui serait rassemblé d'authentiquement missionnaire, mais, obscurément, précairement, fragmentairement, pauvrement.

La solitude du célibat sacerdotal est éclatante.

Juge qui voudra les vies réputées médiocres qui suivirent le don sincère et solennel à Dieu. Ce Dieu, lui, ne pourra pas oublier l'homme qui Lui aura remis à tout jamais ce que personne ne lui prenait de force, ce qui, s'il le reprenait, deviendrait pour lui un vol : la possibilité de vivre toute une part de sa nature d'homme, la réalisation de tout un sillon de sa vie, un sillon qui le traverse entièrement, de ce qu'il a de strictement humain, à ce qu'il partage avec les êtres les plus élémentaires ; et ce qui était sa seule garantie sur la mort — au cas où toute foi serait vaine —.

Car Dieu qui sait ce que c'est que la vie sait mieux que n'importe quel homme la mort partielle et anticipée qu'est en réalité le célibat volontaire.

Pour un être humain normal, accepter l'appel au célibat, c'est accepter une solitude qui rejoint une sorte d'humilité essentielle, un choix de la moindre place où Dieu trouve gloire. Le célibat rend petit l'homme naturel. Il est muré, cet homme naturel, dans la solitude de celui qu'il est. Il ne peut pas rejoindre celle qui lui est complémentaire et sans laquelle est impossible cette réalité que Dieu lui-même dit infrangible ; le réel de tous les autres n'est pas le sien. Pas davantage il ne peut se laisser rejoindre. Il est comme chassé de l'avenir. Après la mort, la Foi est vraie ou il n'y a rien. Ses enfants, ce lui-même qui le quitterait et dans lequel il continuerait à vivre et qu'il préférerait à lui, ses enfants n'existeront jamais. Il est implacablement réduit à lui-même.

Juge qui voudra cet homme, car cet homme, Dieu aussi le jugera.

Mais ce n'est pas l'homme naturel qui choisit le célibat volontaire, c'est un homme qui est aimé de Dieu et qui le sait. Le savoir ne lui a pas fait choisir de donner à Dieu un amour exceptionnel ; mais, le savoir lui a rendu comme impossible de ne pas donner à Dieu son entière possibilité d'amour ; peu lui importe qu'elle soit petite ou grande, ce qu'il veut c'est qu'elle soit entière.

Quoi que disent les rumeurs que nous évoquions il y a quelques pages, nous prétendons que cet homme a encore sa raison : nous revendiquons qu'il puisse la garder ! Dans ce cas, il saura avancer sans illusions. Il ne croira pas que, pour ceux qui se donnent à Dieu, la grâce tienne lieu d'amour naturel. Il n'escompte pas de son corps les dispositions qui seront les siennes à la résurrection de la chair. Il se préparera à ne pas appeler tentations le malaise d'un corps normal dans une vie qui ne l'est pas, mais à ne pas l'appeler davantage : état d'esprit ; il l'appellera de son vrai nom, même si le mot n'est plus à la mode : pénitence. Il y a peu de sacrifices qui ne fassent pas faire pénitence. Et c'est là où tout change avec l'homme naturel. Pour celui-ci, la souffrance est une intruse ; pour n'importe quel chrétien, elle va de pair avec l'amour, amour de Dieu ou l'amour d'autrui.

Le prêtre sait bien que dans la majorité des domaines, sa souffrance est la même que celle de n'importe quel homme, mais, pour lui, comme pour tout chrétien elle est chose due depuis notre baptême car si la vie du baptême est la vie de Dieu elle est aussi la vie de l'homme des douleurs ; le chrétien a un accord de principe avec elle, même si pratiquement il proteste ou crie. Aussi la souffrance du célibat, si elle existe, s'inscrit-elle sous la rubrique qui groupe toutes les souffrances : celle de la croix.

Le facteur solitude qui domine si fortement toute la question du célibat garde sa force et toutes ses dimensions dans le célibat sacerdotal, mais ses conséquences qui sont les mêmes au départ se retournent entièrement, se convertissent prises dans l'intention religieuse de la vie, — je ne suis pas une juriste et je donne au mot religieux son sens général —.

Tout à l'heure nous avions à faire à une solitude négative, qui sapait et mutilait. Ici, la solitude devient comme le contraire d'elle-même, elle fait du prêtre l'hôte privilégié de Dieu. Tout ce qui dans sa vie est esseulé ou dépeuplé devient la possibilité d'une hospitalité plus vaste aux venues de Dieu. Ce qui empêchait l'homme de se compléter au-dehors, devient facilité de réunion à Dieu, d'intimité et d'échange avec lui. Non que le prêtre réserve ces zones consacrées avec lui dans le sacrifice de lui-même, à l'exaltation ou à des évocations pseudo-mystiques, mais parce que, même dans l'étonnement de sa raison et l'insipidité que diffuse la fatigue il se sait dans la présence préférée de son Dieu enseigné en le sachant ou à son insu, mis en charge auprès de lui, comme un accumulateur de force.

Il sait que les paternités ne sont pas toutes selon la chair et qu'il est consacré pour transmettre une vie devenue sienne grâce à la libéralité du Christ. Il suffisait que lui-même l'ait reçue pour avoir accès dès aujourd'hui dans l'éternel ; mais il est convié à engendrer des citoyens d'éternité. Il connaît les ruses de l'homme ; il sait que Dieu les discerne mieux que lui ; il ne s'étonne pas d'élever des enfants qui disparaissent de sa vie, tandis qu'il donne la vie à des fils qu'il ne connaîtra jamais.

Le prêtre qui est seul marchera avec Dieu vers la mort. Peut-être l'attendra-t-il comme certains de ceux que j'ai connus, déjà silencieux et immobiles comme elle. Quand elle arrive, quand la mémoire se réveille pour évoquer la liste du mal et des omissions, s'il trouve la paix, ce ne sera peut-être pas dans le souvenir de dévouements ou de renoncements onéreux, mais bien plutôt dans le souvenir de mois, de jours, peut-être de minutes, glacés, étreints, écrasés par la solitude, où une voix, la sienne, disait : « Dieu, mon Dieu, je ne regrette rien ».

De telles minutes sont nécessaires à la terre, c'est peut-être le plus profond labour qu'on puisse y faire, pour qu'elle puisse recevoir le Seigneur : il est le sien par droit de sang.

Si des brèches cèdent un jour dans son opaque résistance, ce sera par des solitudes assez passionnément ambitieuses de faire place à Dieu.

Madeleine Delbrêl, in La femme, le prêtre et Dieu

L'homme qui est seul (1957)