vendredi 28 septembre 2018

En contemplant... Elizabeth Scalia, Les pépites ratzingeriennes


Le pape émérite, que ce soit en tant que Benoît XVI ou en tant que Joseph Ratzinger, figure parmi ceux que j'appelle mes premiers et meilleurs professeurs au sein du catholicisme 1. Et comme je suis une étudiante avide et souvent récalcitrante, j'en ai besoin de beaucoup : il est donc rejoint par saint Philippe Neri, saint François de Sales, Thomas Merton et le Psalmiste, parmi de nombreux autres instructeurs. Professorale est un mot fréquemment utilisé pour décrire l’écriture de Ratzinger, mais j’ai toujours pensé que paternelle pouvait être un meilleur terme. Je peux approcher les écrits des autres avec l’appréciation d’un élève qui fréquente une classe préférée, mais chaque fois que je prends un livre, ou une encyclique, ou un discours de Joseph Aloïs Ratzinger, j’ai l’impression de venir dans une pièce dans laquelle mon oncle me salue avec affection et me demande de prendre un thé pendant qu'il partage les fruits de sa contemplation tranquille.
Oui, cela semble fantaisiste, mais son écriture est tellement accessible et claire, même ses idées les plus compliquées sont rendues avec un tel sens de la chaleur et un souci du langage, que chaque rencontre me laisse le même sentiment : comme si j'étais aimée, pas enseignée, et aimant tant cela. Il est le plus clair des théologiens, ni pédant ni impénétrable, possédant un don rare et paradoxal : dans des pensées très simplement exprimées, il me force à considérer des choses à la fois profondes et complexes.
Il y a quelques pépites ratzingeriennes auxquelles je reviens sans cesse quand je trouve que ma propre lectio est insuffisante. Dans chaque cas, ils m'entraînent dans une contemplation priante, qui me laisse rafraîchie, mieux comprenante et désireuse de lire davantage, de réfléchir davantage, de prier davantage, afin de mieux connaître le Christ et d'aimer le Christ et moi-même :
L’amour passionné de Dieu pour son peuple est si grand qu’il retourne Dieu contre Lui-même, Son amour contre Sa justice.
Deus Caritas est, 10
Nous en voyons la preuve encore et encore dans les Écritures. Les Juifs, ne comprenant pas tout à fait qu'ils sont gouvernés par le Roi de la Création, demandent à un roi de chair et de sang de les diriger, à l’exemple des autres nations. Peut-être croient-ils qu'un roi humain les comprendra mieux, ou qu'un roi humain pourra être influencé par des voies autres que les mystères de la foi, de la prière et de l'abandon. Non seulement Dieu ne répond pas par la colère devant leur aveuglement, mais Il leur donne ce qu'ils demandent, et plus encore : un roi temporel en David et finalement le Roi des rois, Jésus de Nazareth, pour l'éternité avec nous, chair et sang, âme et divinité, à travers tous les temps.
Nous le voyons dans le Nouveau Testament, et plus profondément encore dans la Passion du Christ, qui est l’acte définitif de l’amour divin surpassant la justice. Mais nous le comprenons rarement de cette façon. Nous réalisons rarement que, tandis que nous exprimons à Dieu ce que nous voulons ou ce dont nous avons besoin, Il ne nous rétorque pas  : « Mon amour ne vous suffit pas ? », Il répond à nos besoins et désirs spécifiques de manière spécifique.
C’est étonnant si vous y réfléchissez. À cause de Son grand amour, Dieu se retourne contre Lui-même, nie, reconfigure ou retarde Son propre désir, afin de servir des créatures créées qui comprennent en général tout de travers. Si nous intériorisons vraiment cela, nous nous accrocherons à la promesse de Jésus dans l'Évangile de Jean : « Quand vous me demanderez quelque chose en mon nom, moi, je le ferai» (Jean 14, 14), en se souvenant de l’épître de Jacques : « Vous demandez, mais vous ne recevez rien ; en effet, vos demandes sont mauvaises, puisque c’est pour tout dépenser en plaisirs » (Jacques 4, 3).
Tout cela découlant d'une brève rencontre avec une seule ligne… Dieu est Amour !
Voici une autre citation, de la même source, qui me bouscule chaque fois que je la lis, parce que la langue de Benoît est ici, de manière inattendue, totalement vulnérable, totalement libre :
Je vois avec les yeux du Christ et je peux donner à l’autre bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires : je peux lui donner le regard d’amour dont il a besoin.
Deus est caritas, 18
La chair de poule, à chaque fois. Parce que c'est tellement évident, une reconnaissance irréfutable de ce qui est au cœur de chacun de nous : l'attente de ce faisceau d'amour profond et pénétrant auquel nous aspirons, mais que souvent nous ne pouvons pas accepter, car c’est un regard total et complet, aussi intime que l'amour, mais avec les lumières allumées, de sorte que nous ne pouvons rien nier de ce que nous donnons ou de ce que nous prenons. Le contact visuel est assez difficile pour beaucoup d'entre nous. Avoir un regard d'amour – qui n'a rien à voir avec la luxure, et tout à voir avec l'acceptation inconditionnelle et aimante – peut parfois sembler plus que ce que nous pouvons supporter. Cela implique de se laisser complètement connaître, ce qui est toujours une exposition de notre vulnérabilité.
Ce consentement à apprendre à voir de cette façon, avec les yeux du Christ, demande une reddition volontaire encore plus grande, car cela signifie consentir à se lancer courageusement dans une mer pleine de peur et de rejet humains, et sans aucune garantie que quiconque se laissera regarder ainsi et se convertira. C'est acquiescer à l’éventualité de vivre une vie totalement incomprise, destinée à une sorte de solitude satisfaite, comme Dieu Lui-même, Lui qui cherche constamment et trouve tant de peur, tant de colère, tant de rejet et de méfiance ; Lui qui nous voit si peu nombreux à nous convertir.
Ces deux idées me mettent au défi, car je veux être celle-là.
Je veux être celle qui comprend que Dieu m'offre déjà dans Son Moi Trinitaire un roi bienveillant plus grand que tout ceux que je pourrais rencontrer humainement ; celle qui apprend que l'amour est service, et que le plus grand roi est aussi un serviteur ; celle qui apprend à être serviteur, et partagera ainsi cette royauté afin d’être unis comme des amants, pour toujours.
Je veux avoir le courage d'apprendre à voir avec les yeux du Christ, à consentir à être ce regard d'amour pour les autres, malgré leurs craintes, malgré leur réflexe de baisser les yeux et de se détourner. Mais je suis moi-même craintive, et lente à faire confiance, et même si je sais qu'en me lançant je ne risque rien – ce que le pape émérite lui-même nous a rappelé au tout début de son pontificat (homélie du 24 avril 2005) – au cours de ce qui est peut-être sa meilleure leçon :
En quelque sorte, n’avons-nous pas tous peur ? Si nous laissons le Christ entrer pleinement dans nos vies, si nous nous ouvrons totalement à Lui, n'avons-nous pas peur qu'Il nous dépossède ? N'avons-nous pas peur de renoncer à quelque chose de grand, quelque chose d'unique, quelque chose qui rend la vie si belle ? Ne risquerions-nous pas de nous retrouver diminués, privés de notre liberté ? …
Non ! Si nous laissons le Christ entrer dans nos vies, nous ne perdrons rien, absolument rien de ce qui rend la vie libre, belle et grande.
Non ! Ce n’est que dans cette amitié que les portes de la vie s’ouvrent en grand, ce n'est que dans cette amitié que se dévoilent réellement les grandes potentialités de la condition humaine, ce n'est que dans cette amitié que nous faisons l'expérience de ce qui est beau et de ce qui libère.
Aujourd'hui, avec une grande force et une grande conviction, sur la base d'une longue expérience personnelle de la vie, je vous dis, chers jeunes : n’ayez pas peur du Christ ! Il n'enlève rien et Il vous donne tout !
Celui qui se donne à Lui reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ, et vous trouverez la vraie vie.
Amen.



1. Traduction non autorisée – et sûrement maladroite – de VI, d’après cet article d’Elizabeth Scalia, oblate bénédictine aux US.

mardi 18 septembre 2018

En aimant... Alphonse d'Heilly sj, Le Sacrement de mariage



Qu'est-ce qu'un Sacrement ?
Notre salut ne s'accomplit pas dans des mystères qui resteraient dans le passé. Par les sacrements, le Christ actualise dans l'Église son mystère sauveur de mort et de résurrection, faisant choix pour le signifier des gestes qu'Il veut.
Ainsi le Christ prend du pain et du vin pour nous donner Son corps et son Sang, ce sera la Messe. Il prend le consentement des époux pour signe de son rapport à l'Église, ce sera le sacrement de mariage.
Les sacrements ne sont pas l'expression de nos sentiments religieux, mais ils sont le signe efficace de l'action du Christ venant nous transformer : c'est Lui qui est premier et Son œuvre seule importe.
Même si l'on parle habituellement, dans l'analyse d'une vie conjugale, du comportement des époux cherchant à découvrir le Christ et Son action, on ne doit pas oublier que, dans un sacrement, une vocation, l'élément premier est l'appel de Dieu, la Grâce, le Christ lui-même. La réponse est donnée en fonction de cette invitation, qui est appel de grâce et qui prend corps dans le sacrement.
Il y aurait donc trois éléments essentiels dans tout sacrement.
D'abord, un geste humain, une réalité tangible extraite de la vie quotidienne, une tranche de l'expérience des hommes. Découvrons, sous les rites, des réalités quotidiennes. Avant que Notre Seigneur n'instituât l'Eucharistie, existaient le pain, aliment de tous, et la famille réunie autour de la table. Antérieurement au Baptême, il y a l'eau qui purifie et vivifie, et avant l'Extrême-Onction, les bienfaits de l'huile dans les soins aux malades.
À l'autre extrémité, se situe une réalité invisible échappant à toute expérience (on ne le dira jamais assez) : la vie de Dieu communiquée dans la Grâce du Christ.
On voit déjà combien le fait de participer à un Sacrement devrait signifier Attitude de foi. En effet la foi seule nous révèle l'action divine dans et par ces institutions.
Comment ce geste humain, quelle que soit sa valeur de symbole, peut-il porter en lui une richesse divine aussi puissante ? C'est qu'il est devenu geste sacramentel, donc geste du Christ, par Son Corps qui est l'Église. Quel qu'en soit le ministre, un sacrement est toujours l'acte du Christ répété par Son Église.
Sur la base des trois éléments précédemment expliqués, voyons comment le mariage est un sacrement.
Le Signe
Le geste sacramentel sera le consentement des époux. Le oui réciproque, exprimé devant l'Église et assumé par elle, manifeste non seulement une volonté d'amour humain mais la décision de s'engager dans un amour vécu dans le Christ et, selon Lui, en chrétiens. C'est donc s'engager dans la grâce du Christ qui prépare les époux à affronter les responsabilités chrétiennes de l'amour.
Ces responsabilités, selon le Christ, sont « aimer l'autre comme il a besoin d'être aimé, nous aimer comme les autres ont besoin que nous nous aimions ». Les époux disent oui aux besoins de leur conjoint et, à travers lui, aux besoins de l'Église.
Dans le mariage sacramentel, l'échange des consentements en unissant les époux, les configure au Christ et à l'Église et constitue le sacrement proprement dit. Le oui mutuel qui donne à chacun un droit sur le corps de l'autre, constitue un contrat, dont Pie XI a mis en valeur la richesse spirituelle : « Le Christ, dit Pie XI, a choisi pour signe de la grâce le consentement conjugal lui-même, validement échangé entre les fidèles ».
Il apparaît ainsi clairement que le sacrement n'est pas une bénédiction qui se surajoute à la vie, mais, dit encore Pie XI aux époux, il est « votre contrat, élevé par le Christ au rang de signe efficace de la grâce ».
Nous sommes ici au delà de toute sentimentalité qu'on identifie souvent, par erreur à l'amour. Il s'agit bien au contraire d'une puissante réalité qui saisit le plus profond de l'être humain : sa liberté, et qui l'engage irrévocablement dans le Christ.
Les Ministres
Évidemment, consentir aux responsabilités du mariage ne peut être réalisé que par les intéressés, et seuls les époux peuvent prendre un tel engagement. Ils se trouvent donc être, non pas les auteurs du sacrement – Jésus-Christ seul est auteur du sacrement – mais ses ministres. Le oui est le moyen par lequel le Christ agit en eux. La part active que les conjoints prennent au sacrement de mariage manifeste la place qu'ils tiennent dans l'Église et comment, dans les limites de leur vocation, l'Église fait son œuvre par eux.
La présence du prêtre est nécessaire à la validité du sacrement. Il est le témoin qualifié : il représente canoniquement le mystère de l'Église dans lequel les époux entrent sacramentellement par leur mariage.
Le consentement mutuel a puissance sacramentelle puisqu'il est un geste de l'Église. Séparés d'elle, quels dons pourraient se faire des époux en s'aimant ? L'amour conjugal est si pauvre réduit à lui-même. Pour les conjoints unis dans l'Église, il sera guéri, fortifié, sauvé. Nous sommes là devant cette puissance de transformation si étonnante que le Christ a confiée à son Église. C'est à partir de là qu'on comprend le geste des fiancés venant remettre leur amour entre ses mains.
« Mais alors, disait un ménage, notre sacrement de mariage intéresse toute l'Église ». Bien sûr, et la Messe de mariage célébrée après l'échange sacramentel des consentements — puisque l'Eucharistie contient Celui qui est la vie même de l'Église — dit que l'amour des époux devra vivre de la vie du Christ dont vit l'Église, dont se nourrit l'Église.
Fécondité divine
L'union des époux chrétiens est le signe sacramentel de l'union du Christ et de l'Église. La grâce du mariage est de les rendre, l'un et l'autre, chaque jour, plus conformes intérieurement au Christ par leur amour mutuel.
L'amour du Christ et de l'Église est la réalité première, à laquelle les époux s'efforcent de se conformer : l'amour du Christ a été total. Il s'est livré jusqu'à la mort. L'Église aussi rend amour pour amour et ceci sera jusqu'à la fin des temps. Ainsi le véritable amour est-il celui dans lequel la personne s'engage tout entière et pour toujours. L'amour cesse d'être une passion pour devenir une fidélité.
Qui dit grâce, dit don de Dieu, une faveur du Seigneur. Quelle est-elle ? Si le Christ agit par des éléments humains l'eau, le pain, le consentement des époux... ce n'est pas seulement pour prolonger une vie naturelle, Il vient nous faire participer à Sa Vie, par les éléments naturels qu'Il utilise et transforme.
La qualité spirituelle du mariage sera l'effet d'une grâce guérissante de Dieu. La grâce propre que Dieu accorde aux époux, c'est d'éliminer les formes égoïstes de l'amour pour parvenir à la charité du Christ.
« Notre Seigneur a fait du mariage, dit Pie XI dans Casti Conubii, le signe et la source de cette grâce intérieure spéciale, destinée à perfectionner l'amour naturel, à confirmer l'indissoluble unité, à sanctifier les époux ».
Cette grâce est fidélité, obéissance. Le Christ continue dans chacun des époux ce que Saint Paul nous décrit ainsi : « Le Fils de Dieu, le Christ Jésus que nous avons annoncé parmi vous, n'a pas été oui ou non ; il n'y a eu en Lui que oui. Toutes les promesses de Dieu ont en effet leur oui en Lui ; aussi bien est-ce par Lui que nous disons notre amen à la gloire de Dieu. Celui qui nous affermit avec vous dans le Christ... c'est Dieu ».
Le Christ est le oui véritable du consentement mutuel des époux comme il a été le oui aux promesses de Dieu envers l'humanité par Son peuple. Un tel mystère ne peut être vécu que dans la foi ; vouloir sentir quelque chose serait de l'enfantillage. Si on s'efforce, dans les paroisses, d'orienter les chrétiens vers une cérémonie de mariage simple et priante, c'est bien pour essayer de créer, autour du sacrement, un climat de foi.
Le lien entre les époux est l'œuvre du Seigneur, de là découle une double conséquence :
— L'homme et la femme unis dans le sacrement ne peuvent se séparer. Le mariage est indissoluble. « Aucune autorité des hommes, dit Pie XI, ne pourra y porter atteinte ».
— Rien ne peut les séparer et c'est là l'aspect positif. Ce lien entre eux est tel que l'effort de chacun, sa fidélité, est une source de grâces pour l'autre, malgré tout ce qui ferait croire à une séparation : heurts de caractère qui donnent le sentiment qu'on ne se retrouve plus, travail qui absorbe l'un et l'autre, séparation entraînée par la guerre. Le lien entre eux est tel que rien ne peut les séparer.
De cette réalité vécue dans la foi, découlera toute une mentalité dont nous étudierons les conséquences pratiques en parlant de la communauté spirituelle.
La permanence du sacrement
L'approfondissement des valeurs spirituelles du mariage ne représente pas pour les époux une rétrospective dont l'intérêt serait bien illusoire. Célébrer dignement le sacrement au jour de leurs noces est bien, mais ensuite se révèlent les responsabilités et les besoins de chaque jour.
Nous nous trouvons, en effet, devant un mystère qui commande toute la vie quotidienne et dont la découverte se fait progressivement : mystère que les époux doivent manifester et rayonner autour d'eux, mystère de l'amour de Dieu pour nous dans son Incarnation et opérant notre Rédemption.
L'union indissoluble des époux chrétiens n'est pas comme telle un sacrement (celui-ci réside dans l'échange rituel des consentements) mais bien une réalité sacramentelle permanente. La fidélité quotidienne des époux est elle-même le signe permanent de l'union du Christ et de l'Église ; elle attire ainsi constamment sur eux la grâce du mystère chrétien.
Dans Casti Connubii, Pie XI exprime deux préoccupations : d'abord celle de voir les époux vivre leur sacrement de mariage comme une réalité durable : « Ils ont été sanctifiés et fortifiés par un sacrement spécial, dont la vertu efficace, tout en n'imprimant pas de caractère, dure cependant perpétuellement ».
D'autre part, le Pape ne se lasse pas de répéter qu'il dépend de chacun de faire fructifier ou non ce don de Dieu.
« Tout ceci ne se fait pas sans vous, souligne Pie XI. Il ne faut pas oublier que les hommes ne recueillent les fruits complets des sacrements qu'à la condition de coopérer à la grâce. Pour que la grâce de ce sacrement produise son plein effet, elle requiert la coopération des époux, dont nous avons déjà parlée et qui consiste à faire tout ce qui est en eux pour remplir leur devoir avec zèle ». Ce devoir consiste à être fidèle à toutes les exigences d'un amour vrai. En le réalisant à travers les étapes de toute une vie les chrétiens mariés coopèrent à la grâce de Dieu.
Si le foyer est le sacrement de l'union du Christ et de l'Église, il doit en porter témoignage par ses qualités d'intimité et de fécondité, par le renoncement mutuel de chacun des époux. Ce qui est donné une fois pour toutes doit être aussi acquis tout au long de la vie. Plus les époux seront l'un pour l'autre ce qu'ils doivent être, plus ils recevront aussi la grâce de leur mariage, qui, par leur fidélité, ne cesse d'agir en eux.
Méditons, comme Pie XI le recommande aux époux, ces paroles du Cardinal Bellarmin. Paroles consolantes à coup sûr, où le saint formule le sentiment que partagent avec lui d'autres théologiens éminents. Tâchons d'en faire, dans notre vie, une interprétation prudente et une application généreuse.
« Le sacrement de mariage peut se concevoir sous deux aspects : le premier, lorsqu'il s'accomplit, le second, tandis qu'il dure, après avoir été effectué.
« C'est en effet, un sacrement semblable à l'Eucharistie, qui est un sacrement non seulement au moment où il s'accomplit, mais aussi durant le temps où il demeure ; car, aussi longtemps que les époux vivent, leur communauté est toujours le sacrement du Christ et de l'Église ».
Lorsqu'il s'accomplit : c'est le don mutuel du jour du mariage, le contrat dont nous avons parlé, l'engagement global d'être l'un pour l'autre mari et femme.
Tandis qu'il dure : il s'agit maintenant d'être, jour après jour, réellement, mari et femme.
À ce consentement qui prend en charge l'autre pour toute la vie, succède une multitude d'actes dans lesquels il faut être fidèle à ses responsabilités. Chacun de ces actes d'amour rend actuel, rend présent l'engagement initial et donc actualise les richesses sacramentelles. Dans la mesure où les époux sont fidèles, ils permettent à Dieu d'agir en eux et à travers eux. Et, dans la mesure où leur comportement est égoïste, ils refusent les richesses du sacrement.
Bellarmin établit une puissante comparaison avec l'Eucharistie pour éclairer cet aspect du sacrement de mariage. Tant que demeurent les apparences du pain, demeure le corps du Christ, et celui qui a faim du Seigneur peut s'approcher et le recevoir.
Tant que demeure, entre les époux, la fidélité à leur devoir, ils coopèrent à l'œuvre de Dieu, ils sont ainsi sanctifiés et fortifiés. Leur amour signifie efficacement l'union du Christ et de l'Église.
Mais si le pain se corrompt, si cette fidélité disparaît, l'œuvre du Christ ne peut s'accomplir.
« Que les époux se gardent donc, conclut Pie XI, de négliger la grâce qui est en eux, mais qu'ils s'appliquent avec soin, à l'observation de leurs devoirs, si laborieuse qu'elle soit, et qu'ils expérimentent ainsi la force, croissant chaque jour davantage, de cette grâce ».
De toute cette vision de foi, qui doit susciter dans le cœur de l'homme et de la femme tant d'actions de grâces, provoquer un tel émerveillement de l'œuvre accomplie par le Christ en eux et à travers eux, de toute cette perspective surnaturelle, découle une exigence très simple, très concrète : les époux chrétiens doivent apprendre à s'aimer, à dépouiller et purifier leur amour, et, peu à peu, arriver à s'aimer de l'amour dont le Christ aime son Église.
Père Alphonse d’Heilly sj, in Amour et Sacrement

vendredi 14 septembre 2018

En jalonnant... RP Doncœur, Rayonnement du Christ



Gratuité et fierté sont les deux mots qu'il faut inscrire au seuil de ce dernier chapitre.
Nous sommes du Christ, fils de l’Église. Nous avons le bonheur d'être insérés sur la plus authentique, sur la plus ancienne tradition spirituelle de la France. Nous respectons trop les dons de Dieu pour en vouloir disposer d'autorité. Notre collaboration avec les non-chrétiens sera de fraternelle et parfaite courtoisie. Nous admirerons qu'ils nous dépassent parfois et nous apprendrons d'eux à mieux exploiter le don que Dieu nous a fait de la vérité et de la grâce. Nous nous garderons surtout de toute politique sournoise qui poursuivrait des fins non avouées et les servirait par des voies sans droiture. Mais nous aurions également honte de dissimuler ce que nous devons au Christ et à son Église, de sembler désavouer, ne serait-ce que par le silence, son Évangile. C'est pour pouvoir affirmer notre foi avec fierté que nous requérons de nous le plus loyal désintéressement. Ceci posé, nous n'hésitons pas à affirmer au plus grand jour notre foi au Christ et les attitudes pratiques qu'elle comporte.
Combien notre peuple est aujourd'hui déchristianisé et combien sont graves les conséquences de cette apostasie, il n'y a pas à le dissimuler à de jeunes chrétiens qui arrivent à l'âge des options personnelles. Il n'y a pas lieu de craindre un scandale, puisque le fait ne leur échappe pas. Mais il est excellent de le leur faire mesurer et analyser. Combien notre vie publique est étrangère à la pensée de Dieu et de l’Évangile ; combien notre vie mondaine et bourgeoise, dans les milieux dits catholiques, est en opposition avec l'enseignement de Jésus Christ ; combien notre religion est sentimentale, routinière et souvent peu intelligente ; combien il s'en faut que nous en soyons fiers comme il se devrait ! Des constatations provocantes amorceront une recherche des causes de cette infidélité (Exploration de l'Histoire, enquête sur l'état présent du pays, discernement des courants spirituels qui travaillent la pensée de nos contemporains).
Nous ne craindrons pas de leur ouvrir les yeux sur nos insuffisances individuelles ou corporatives qui font le scandale d'esprits loyaux qui, par notre faute, sont rejetés loin de l'Église.
En revanche, nous observerons les ruines morales ou sociales, les déchéances personnelles ou nationales qui résultent de l'abandon d'un christianisme viril.
2° Sur l'angoisse ainsi éveillée, il deviendra possible d'exciter dans des cœurs loyaux et prévenus de la grâce, une faim exigeante de lumière en quoi consiste le passage d'une adhésion subie à une foi choisie. Et c'est l'objet central de la foi chrétienne, c'est-à-dire la personne du Christ, que nous travaillerons à leur faire discerner. Dans les temps tragiques où ils vivent, on ne peut guère concevoir que des chrétiens demeurent fidèles, avec joie et fierté, s'ils n'ont pas fait cette découverte personnelle du Christ, sur quoi toute leur vie reposera.
Le rôle du prêtre auprès de nos jeunes chrétiens est de les amener à se poser la question, puis de les aider par une pédagogie respectueuse et cordiale à discerner les traits humains de Jésus Christ, dont peu à peu la transcendance leur apparaîtra comme le rayonnement voilé de la divinité.
Comme historiquement a agi le Christ, vivant le plus humainement dans les contacts quotidiens avec les gens de son village, puis se proposant à l'amitié de jeunes hommes et leur découvrant progressivement la splendeur, l'audace, la puissance de son message, pour, après de lentes préparations, les conduire à la croix, où il savait que tout s'écroulerait, sauf une secrète adhésion que le Saint Esprit ferait bientôt radieuse et conquérante ; ainsi nous ne pourrons mieux faire que de suivre avec nos garçons les chemins de la vie et de confronter leur expérience des hommes, voire leur propre détresse, avec les paroles du Christ, ou Ses actes, dont ils saisiront soudain la portée.
Lorsqu'ils seront fortement accrochés, virilement, intellectuellement plus que sentimentalement, à leur Maître, nous pourrons et nous devrons les introduire dans la connaissance du Mystère : paternité divine, communion au Christ dans l'Esprit Saint, toute l'économie de la grâce et de la vie sacramentaire dans le Christ mystique incarné dans l'Église. Mais nous n'oublierons pas que saint Paul lui-même n'a abouti à cette connaissance qu'après le choc de Damas, suivi d'années de prière, de contemplation, de grâces mystiques extraordinaires. Nous ne serons pas surpris que plusieurs ne s'ouvrent que tardivement à ces vérités.
Au préalable, il sera plus aisé et plus juste d'apprendre à nos garçons à se faire un cœur vraiment chrétien, à s'identifier vitalement au Christ, à le reproduire, non par une copie extérieure, mais par une inspiration profonde de son esprit ; à juger du monde, des événements à cette lumière, et à porter leur témoignage sans peur.
Car il est inconcevable qu'un chrétien de cette trempe ne fasse pas resplendir dans toute sa vie la grâce dont il est pénétré. Telle est la plus juste forme du témoignage. C'en est la plus humble, mais aussi la plus efficace.
Il sera beau que ces jeunes chrétiens apportent à la communauté chrétienne, à la paroisse, la sève de leur foi vivace : que par eux le culte de Dieu reprenne splendeur et fraîcheur ; qu'ils renouvellent la liturgie si souvent avilie, ennuyeuse, efféminée, par un style cérémonial, par une qualité du chant et en général par de beaux et hardis « Retours en chrétienté ». La tradition chrétienne des baptêmes, fiançailles, mariages, funérailles, débarrassés des formes mondaines et rendus à leur vérité primitive, sera pour nos jeunes hommes beaucoup plus qu'une joie personnelle, elle apportera de plus en plus à la paroisse une vitalité féconde. Il y aura encore beaucoup à redécouvrir dans cet ordre : célébration des fêtes, cycle du temps, fêtes saisonnières, rogations, fêtes des Mères, du travail, fêtes nationales, etc.
Il faut surtout qu'ils créent dans la communauté chrétienne cette atmosphère d'amitié fraternelle qui rendra du courage à beaucoup (à commencer par les prêtres), qui fera plaisir à Dieu et qui exercera autour de nous une séduction très puissante. Le « Voyez, comme ils s'aiment ! » a attiré plus de païens au Christ que les traités savants des Apologètes.
Leur action sera beaucoup plus orientée vers la charité opérante que vers la dispute ou l'éloquence. C'est ici que l'héroïsme, si connaturel à la véritable jeunesse, retrouvera sa place, si l'amour du Christ inspire à nos garçons des générosités et des hardiesses qui briseront avec l'égoïsme bourgeois où se meurt notre christianisme. Il sera bon d'être en éveil pour leur proposer des réalisations un peu aventurées au delà des positions de tout repos : l'hospitalité, par exemple, aura dans ce temps des occasions nombreuses d'affirmer que des chrétiens croient à la parole du Christ : « Qui vous reçoit me reçoit ».
À de jeunes hommes on peut proposer une charité encore plus fidèle aux enseignements du Christ : celle d'une loyale et pure amitié donnée aux pécheurs, à ceux qui ne sont pas de la paroisse, aux non-croyants, aux égarés, aux déchus, aux bannis. Ils y gagneront beaucoup plus qu'ils ne risqueront d'y perdre. Leur foi y trouvera souvent le choc violent qui les conduira droit au Christ vivant et parfois jusqu'au sacerdoce.
Il est clair qu'instruits par l'Église des doctrines sociales qui conditionnent l'ordre et la prospérité des sociétés, nos jeunes chrétiens devront, dans leur famille (leur femme leurs enfants, leurs domestiques, leurs amis et leurs voisins), dans leur métier, dans la cité, faire agir et triompher les vérités de l'Évangile, dans la justice, dans l'amour, dans le sacrifice de chacun au bien de tous, et enfin dans l'offrande de toute la communauté terrestre aux fins qui la dépassent : la Rédemption du monde et la Gloire de Dieu.
Les prêtres nés de nos mouvements de jeunesse achèveront l'effort de leurs frères, et ceux qui — nombreux, plus nombreux — partiront dans les pays païens comme missionnaires du Christ, donneront à la France le gage le plus sûr de sa durée, en même temps qu'ils seront le plus beau fruit de son peuple. Nous dépassons ici tout l'ordre des événements temporels qui nous attristent ou nous enivrent, qui nous occupent à l'excès ; des œuvres du temps nous atteignons aux œuvres éternelles. Avec Péguy, aux pires heures, la pensée qui fera notre force sera de savoir « qu’il y va du salut éternel de la France ».
Ce sera la force et ce sera la joie de notre vie.
* * *
À chacun d'imaginer ce qui incarnera authentiquement les belles intentions qui deviendront, dans des entreprises proportionnées à ses moyens, la réalité d'une France rajeunie et vivante.
Soyez sûrs qu'alors de belles maisons se bâtiront et se rassembleront pour offrir à Dieu un beau Pays, digne du bon Peuple Jardinier, du Peuple qui a fait la Croisade et les Cathédrales.
Révérend Père Paul Doncœur, in Jalons de route

mardi 11 septembre 2018

En tapissant... Charles Péguy, Les armes de Jésus


Les armes de Jésus c’est sa croix équarrie,
Voilà son armement, voilà son armoirie,
Voilà son armature et son armurerie ;
Rinçant ses beaux drapeaux à l’eau de la rivière,
Les lavant au lavoir comme une lavandière,
Les battant au battoir comme une mercenaire ;
Les armes de Jésus c’est sa face maigrie,
Et les pleurs et le sang dans sa barbe meurtrie,
Et l’injure et l’outrage en sa propre patrie ;
Ravaudant ses drapeaux comme une roturière,
Les mettant à sécher sur le front de bandière,
Les donnant à garder à quelque vivandière ;
Les armes de Jésus c’est la foule en furie
Acclamant Barabbas et c’est la plaidoirie,
Et c’est le tribunal et voilà son hoirie ;
Teignant ses beaux drapeaux comme une teinturière,
Les faisant repasser par quelque culottière,
Adorant le bon Dieu comme une couturière ;
Les armes de Jésus c’est cette barbarie,
Et le décurion menant la décurie,
Et le centurion menant la centurie ;
Les armes de Jésus c’est l’interrogatoire,
Et les lanciers romains debout dans le prétoire,
Et les dérisions fusant dans l’auditoire ;
Les armes de Jésus c’est cette pénurie,
Et sa chair exposée à toute intempérie,
Et les chiens dévorants et la meute ahurie ;
Les armes de Jésus c’est sa croix de par Dieu,
C’est d’être un vagabond couchant sans feu ni lieu,
Et les trois croix debout et la sienne au milieu ;
Les armes de Jésus c’est cette pillerie
De son pauvre troupeau, c’est cette loterie
De son pauvre trousseau qu’un soldat s’approprie ;
Les armes de Jésus c’est ce frêle roseau,
Et le sang de son flanc coulant comme un ruisseau,
Et le licteur antique et l’antique faisceau ;
Les armes de Jésus c’est cette raillerie
Jusqu’au pied de la croix, c’est cette moquerie
Jusqu’au pied de la mort et c’est la brusquerie
Du bourreau, de la troupe et du gouvernement,
C’est le froid du sépulcre et c’est l’enterrement,
Les armes de Jésus c’est le désarmement ;
L’avanie et l’affront voilà son industrie,
La cendre et les cailloux voilà sa métairie
Et ses appartements et son duché-pairie ;
Les armes de Jésus c’est le souple arbrisseau
Tressé sur son beau front comme un frêle réseau,
Scellant sa royauté d’un parodique sceau ;
Les disciples poltrons voilà sa confrérie,
Pierre et le chant du coq voilà sa seigneurie,
Voilà sa lieutenance et capitainerie ;
Le lavement de mains et la forfanterie
De ce garde des sceaux et la plaisanterie
De ces beaux damoiseaux et la galanterie
De ces beaux jouvenceaux c’est sa boulangerie,
Et son pain de poussière et de sueur pétrie,
Et l’éponge de fiel et de vinaigrerie ;
La croix bien assemblée en double coulisseau,
L’ironique pancarte engravée au ciseau,
Le tasseau pour les pieds descendant en biseau ;
Un autre bûcheron avait coupé ce bois,
Un autre charpentier avait taillé la croix,
Mais lui-même, et nul autre, avait porté ce poids ;
L’image de la Vierge en tissu de soierie,
Et sainte Marguerite en fleurs de draperie,
Et sainte Catherine et la tapisserie
Où l’on voit saint Michel habillé de nouveau,
Le Saint-Esprit planant sous figure d’oiseau,
Et l’archange écrasant Satan sur le museau ;
Mais Satan lui résiste et par sorcellerie
Et par atermoiement et par grivèlerie
S’est juré d’absorber et la Beauce et la Brie ;
Les saints ont sur la tête un très léger cerceau
Pour bien voir que c’est eux, une sorte d’arceau
Ouvre le paradis, Jésus dans son berceau
Regarde saint Joseph et par espièglerie
Veut lui tirer la barbe et le vieux se récrie
Et fait semblant de mordre afin que l’enfant rie ;
Mais Satan les regarde et fumant du naseau
Ce serpent venimeux, cet immonde pourceau
S’est juré d’empester le faubourg Saint-Marceau ;
Ce serpent à sonnette avec sa sonnerie
S’est vanté qu’il ferait (voyez sa hâblerie)
Jeter par ses suppôts les saints à la voirie ;
Les armes de Jésus c’est la paille et l’étable
Et le pain et le vin et la nappe et la table,
Et le plus malheureux, voilà son connétable ;
Les armes de Satan c’est la supercherie,
Un aplomb infernal, une aigre drôlerie,
Le savoir des savants et la cafarderie ;
Les armes de Jésus c’est la poignante épine,
C’est la fleur de son sang sur la blanche aubépine,
Et les fleurs de ses pleurs sur la rouge églantine ;
La perle qui descend sur sa joue attendrie,
Et la perle qu’il boit sur sa lèvre appauvrie,
Voilà ses beaux cristaux et sa joaillerie ;
Les armes de Jésus c’est la verte couronne,
C’est ce front que l’amour et la grâce environne,
Et l’éternelle fleur qui sur sa peau fleuronne ;
La perle qui descend sur sa face amoindrie
Et qui vient humecter sa langue rabougrie,
Voilà son coffre-fort et sa bijouterie ;
Les armes de Jésus c’est notre forfaiture,
Les clous et le marteau, la robe sans couture,
L’homme, l’ange et la bête et la double nature ;
Les armes de Satan c’est la jobarderie,
C’est le scientificisme et c’est l’artisterie,
C’est le laboratoire et la flagornerie ;
Les armes de Satan c’est notre forfaiture,
C’est d’avoir dispersé la robe sans couture,
C’est la bête sous l’ange et la double nature ;
Les armes de Satan c’est la bouffonnerie,
Et c’est le moraliste et son infirmerie,
Et la haute éloquence et sa pâtisserie ;
Les armes de Jésus c’est la peine de l’homme,
C’est le chemin qui mène et qui ramène à Rome,
C’est la main qui le frappe et le poing qui l’assomme ;
Les armes de Satan c’est la parfumerie
De l’écrivain disert et c’est la sucrerie
De l’écrivain amer et c’est la pruderie,
La blette aridité de la vieille dévote,
C’est l’âme en confiture et la poire en compote,
Et le raisin coti moisissant dans la hotte ;
Les armes de Satan c’est le clou dans la botte,
La nef sans nautonier, la flotte sans pilote,
Le carcan, le garrot, l’entrave, la menotte ;
Les armes de Satan c’est quelque jonglerie,
C’est le loup dans la ferme et dans la bergerie,
C’est le renard feutré dans la poulaillerie ;
Les armes de Jésus c’est l’amour et la peine,
Les armes de Satan c’est l’envie et la haine,
Et la guerre est aux mains de toute châtelaine ;
Les armes de Satan c’est quelque forgerie,
Un document secret dans quelque hôtellerie,
Les armes de Satan c’est toute diablerie ;
Les armes de Jésus c’est la croix de Lorraine,
Et le sang dans l’artère et le sang dans la veine,
Et la source de grâce et la claire fontaine ;
Les armes de Satan c’est la croix de Lorraine,
Et c’est la même artère et c’est la même veine,
Et c’est le même sang et la trouble fontaine ;
Les armes de Jésus c’est l’esclave et la reine
Et toute compagnie avec son capitaine
Et le double destin et la détresse humaine ;
Les armes de Satan c’est l’esclave et la reine
Et toute compagnie avec son capitaine
Et le même destin et la même déveine ;
Les armes de Jésus c’est la mort et la vie,
C’est la rugueuse route incessamment gravie,
C’est l’âme jusqu’au ciel insolemment ravie ;
Les armes de Satan c’est la vie et la mort,
Le désir et la femme et les dés et le sort
Et le droit du plus dur et le droit du plus fort ;
Les armes de Jésus c’est la mort et la vie,
C’est le glaive de Dieu qui hésite et dévie,
C’est la fidèle route obscurément suivie ;
Les armes de Satan c’est la vie et la mort,
C’est l’écueil immobile en plein milieu du port,
C’est la peine immuable en plein milieu du sort ;
Les armes de Jésus c’est la vie et la mort,
C’est un heureux naufrage en plein milieu du port,
C’est le plus beau présage en plein milieu du sort ;
Les armes de Satan c’est la vie et la mort,
C’est le péril de mer, c’est l’homme dans son tort,
Le voleur aux aguets, le tyran dans son fort ;
Les armes de Jésus c’est la vie et la mort,
C’est Dieu dans sa justice et Satan dans son tort,
La beauté du plus pur, le juste dans son fort ;
Les armes de Jésus c’est la vie et la mort,
C’est l’enfant et la femme et le secret du sort,
Le navire acouflé dans le recreux du port ;
Les armes de Satan c’est l’homme qui dévie,
C’est les deux poings liés et c’est l’âme asservie,
C’est la vengeance inlassablement poursuivie ;
Les armes de Jésus ce sont les deux mains jointes,
Et l’épine et la rose et les clous et les pointes,
Et sur le lit de mort les pauvres âmes ointes ;
C’est le chœur alterné des martyrs et des saintes,
C’est le chœur conjugué des sanglots et des plaintes,
Le temple, les degrés, les pilastres, les plinthes ;
Les armes de Satan c’est le vert térébinthe,
Cet arbre résineux et c’est la coloquinte,
Cette citrouille amère et c’est la morne absinthe ;
Les armes de Satan c’est les deux poings liés,
Les armes de Jésus les cœurs humiliés,
Les pauvres à genoux, les suppliants pliés ;
Les armes de Jésus c’est la belle jacinthe
Posée en un tapis dans une belle enceinte,
Plus douce que la laine et plus souple et mieux teinte ;
Les armes de Jésus c’est la cloche qui tinte
Pour les sept sacrements, c’est l’ordre et la contrainte,
Et le dessin fidèle et l’image bien peinte ;
Les armes de Satan c’est la cloche qui tinte
Pour le feu de l’enfer, c’est la ville contrainte
À passer par le sort, c’est toute âme repeinte
Avec un faux pinceau, c’est toute règle enfreinte
Au nom de quelque règle et toute foi restreinte
Au nom de quelque maître et toute ville ceinte
D’un rempart frauduleux et toute fleur déteinte
À force de pleuvoir et toute flamme éteinte
À force de brûler, toute infortune atteinte
Au seuil de toute mort et la morne complainte
Au long de toute vie et l’éphémère empreinte
De nos pas sur le sable et la mortelle étreinte
Des deux amants impurs : le corps, l’âme contrainte ;
Les armes de Satan c’est la ruse et la feinte,
L’épouvante, l’envie et la graisse qui suinte,
Et le double concert des asthmes et des quintes,
Et les cœurs compliqués et les soins et les craintes
Et les cœurs contournés comme des labyrinthes ;
Les armes de Jésus c’est l’éternelle empreinte
De ses pas sur le sable et l’immortelle étreinte
Des deux époux très purs : le corps et l’âme astreinte ;
Les armes de Jésus c’est la faim assouvie,
C’est le corps glorieux, ce n’est pas la survie,
C’est l’éternelle table abondamment servie ;
Satan c’est la vengeance elle-même assouvie,
Les armes de Satan c’est une horlogerie,
Un chef-d’œuvre d’adresse et de serrurerie ;
Mais la clef c’est Jésus et Jésus est la porte,
Et la porte du ciel ne se prend qu’à main forte,
Et tous les serruriers resteront à la porte ;
Les armes de Jésus c’est cette grande escorte
Que Rome lui prêta, c’est la rude cohorte
Qui lui faisait honneur et c’est la croix qu’il porte ;
Les armes de Satan sont de la même sorte,
Car c’est la même Rome et c’est la même escorte
Et la même cohorte et la même mer Morte ;
Les armes de Jésus c’est qu’il nous réconforte
En notre déconfort et c’est qu’il nous reporte
Au premier paradis et c’est qu’il nous apporte
Le pardon de son père et c’est qu’il nous emporte
Au dernier paradis et c’est qu’il nous déporte
De l’exil du péché vers ce qui seul importe
Et c’est notre salut et c’est qu’il nous transporte
Au royaume de grâce et c’est qu’il nous supporte,
Nous et notre péché cette immense mainmorte
Qu’il porte sur l’épaule et c’est qu’il nous exhorte
Par son silence même et qu’il frappe à la porte
Et que l’homme est au vent comme la feuille morte ;
Les armes de Satan c’est la même mainmorte,
Le même désarroi, c’est qu’il nous déconforte
En notre réconfort et c’est qu’il nous reporte
Au péché d’origine et c’est qu’il nous rapporte
Le mépris du pardon et c’est qu’il nous remporte
À la science du mal et qu’il nous redéporte
Vers la terre du bagne et qu’il nous retransporte
Au ténébreux royaume où lui-même supporte
Le poids de tout un monde et c’est qu’il nous exhorte
Par les beaux compliments et qu’il gratte à la porte,
Et que l’homme est léger comme la feuille morte
Et comme elle pourrit sous les pieds du cloporte ;
Les armes de Jésus c’est la vie et la mort,
C’est un solide ancrage au beau milieu du port,
Et c’est le grand partage au beau milieu du sort ;
Les armes de Jésus c’est la vie et la mort,
C’est un heureux mouillage en plein milieu du port,
C’est le grand héritage en plein milieu du sort ;
Les armes de Jésus c’est la vie et la mort,
C’est le bon voisinage en plein milieu du port,
Et le pèlerinage en plein milieu du sort ;
Les armes de Jésus c’est la vie et la mort,
C’est le compagnonnage en plein milieu du port,
Et c’est l’appareillage en plein milieu du sort ;
Les armes de Satan ce sont les sept péchés,
Et la mirauderie avec les airs penchés,
Et les honteux ressorts savamment déclenchés ;
Les armes de Jésus ce sont les trois Vertus,
Et les torses courbés et les reins courbatus,
Et les galériens battus et rebattus ;
Les armes de Satan c’est la méthode torte,
Le sang de l’oreillette et le sang de l’aorte,
Le sang du ventricule et de la veine porte ;
Les armes de Jésus c’est tout le sang du cœur,
Le sang de la victime et le sang du vainqueur,
Le sang du noble cerf et le sang du piqueur ;
Les armes de Satan ce sont les sept péchés
Embarqués quatre à quatre et mollement couchés
Dans la folle galère aux dais empanachés ;
Les armes de Jésus c’est la barque de Pierre,
Qui toujours fluctuante et toujours batelière,
Racle de ses filets le fond de la rivière ;
Les armes de Jésus c’est la barque de Pierre,
C’est le vieux pêcheur d’homme assis sur son derrière,
Dépeuplant l’Océan, le lac et la rivière ;
Les armes de Jésus c’est les sept sacrements
Dans la barque de Pierre et les sept bâtiments
Qui suivent par derrière et les sept monuments
Qui ne périront point, les sept couronnements,
Qui sont les sept douleurs, les sept fleuronnements
De l’arbre de la grâce et les sept firmaments ;
Les armes de Jésus c’est cette unique nef
Gouvernant au plus près sous cet unique chef,
Toujours en plein péril et toujours sans méchef ;
Les armes de Jésus c’est cet unique fief,
Tenu par un seul homme armé de quelque bref,
Toujours en plein péril et toujours sans grief ;
Les armes de Jésus c’est l’éternelle peine
Assise au creux du lit de toute race humaine
Et la mort est aux mains de toute châtelaine ;
Les armes de Jésus c’est la grande semaine
Qui part du lundi saint, c’est la grande neuvaine
Qui part du trois janvier et c’est la barque pleine ;
Les armes de Jésus c’est cette unique nef,
Le bateau vers l’écluse amarré dans le bief,
Le bateau charpenté par le vieux saint Joseph ;
Mais c’est aussi Jacob et le premier Joseph,
Moïse sur le Nil dans une étroite nef,
Et le peuple de Dieu gouverné derechef ;
Les armes de Jésus c’est le sang de sa veine
Et le sang de son cœur, les sanglots de sa peine
Et l’immense sanglot de toute race humaine ;
Les armes de Satan c’est la sourde gangrène
Et l’obscur mal de tête et la lourde migraine
Et l’orgueil et l’ivraie et la mauvaise graine ;
Les armes de Jésus c’est la double prière,
L’une marchant devant, l’autre marchant derrière,
Comme lui matinale et vers lui journalière ;
Les armes de Jésus c’est la double prière,
L’une arrivant devant, l’autre avançant derrière,
Comme lui vespérale et vers lui journalière ;
C’est aussi le secret, la prière nocturne,
L’immuable regret dans un cœur taciturne,
Et la mort de l’amour et la cendre dans l’urne ;
Les armes de Jésus, c’est l’angélus du soir
Et celui du matin, le calme reposoir
Dans la procession, l’éclatant ostensoir
Balancé sur les fronts comme un soleil ardent ;
Les armes de Satan c’est la griffe et la dent,
Le nez mal retroussé, le regard impudent ;
Les armes de Jésus c’est le calme du soir,
C’est la procession assise au reposoir
De feuilles et de fleurs, c’est le lourd ostensoir
Levé dessus les fronts comme un soleil levant,
Les armes de Jésus c’est la pluie et le vent
Qui souffle sur la nef et c’est le cœur fervent ;
C’est le fruit qui mûrit aux planches du dressoir,
C’est l’enfant qui se couche et qui vous dit bonsoir
Et s’endort en priant, c’est le lourd ostensoir
Haussé dessus les fronts comme un soleil couchant,
C’est le souple vallon, c’est le coteau penchant,
L’église dans la plaine et la prose et le chant ;
C’est la grappe giclant sous l’énorme pressoir,
C’est l’étang répandu dessus le déversoir,
C’est l’encens balancé dans le lourd encensoir ;
Les armes de Satan c’est l’écu trébuchant,
Le propos alléchant, le souffle desséchant,
La plaine sans église et l’ortie et le champ ;
Les armes de Jésus c’est l’écuyer tranchant,
Le bon et le méchant, le beau vaisseau marchand,
L’église sur la plaine et l’homme sur le champ ;
Les armes de Jésus c’est la belle marraine
Et c’est le beau baptême et c’est la belle étrenne
Et l’avoine et le seigle et c’est la bonne graine
Et c’est le séneçon et c’est les sept péchés
Par la contrition et les nœuds relâchés
Du filet de Satan et les cordons tranchés ;
Les armes de Satan c’est les sept débauchés,
Et c’est le prince – évêque et les sept évêchés,
Et les tentations courant sur les marchés ;
Les armes de Jésus c’est sept cents évêchés,
Et c’est le pape– évêque et cent archevêchés,
Et l’esclave et l’enfant vendus sur les marchés ;
Les armes de Jésus c’est sa tête penchée,
Son coude, son genou, son épaule écorchée,
Son estomac, ses reins, sa hanche démanchée ;
Sa barbe, ses cheveux, ses habits arrachés,
Sa poitrine, ses bras, ses poignets attachés,
Les plus savants ressorts à l’instant décrochés ;
C’est dans le vieux Paris la foule endimanchée
Le dimanche matin, c’est la soif étanchée
Au calice d’or pur, la pauvresse penchée
Sur une plus pauvresse et c’est l’amour cachée
Dans l’âme la plus pauvre et la douleur couchée
Dans le lit de tout homme et toute orge fauchée ;
Les armes de Jésus c’est toute onde épanchée
Dans un gosier de fièvre et toute âme ébauchée
Au coin de toute lèvre et toute fleur jonchée
Au pied des pieds saignants et toute arme ébréchée
À force de servir et la tige ébranchée
À force de produire et la paille hachée ;
Les armes de Jésus c’est l’amour et la peine,
Et l’amour est aux mains des suppôts de la haine,
Et la mort est aux mains de toute châtelaine ;
Les armes de Jésus c’est la vie et la mort,
C’est le fleuve fécond, c’est l’éternel apport
De vase et de limon en plein milieu du port ;
Les armes de Jésus c’est ce gamin qui dort,
C’est la honte et la peine et son frère le sort,
Et l’amour est aux mains des suppôts de la mort ;
Les armes de Satan c’est la sensiblerie,
C’est censément le droit, l’humanitairerie,
Et c’est la fourberie et c’est la ladrerie ;
Les armes de Satan c’est la bête lâchée,
Le déshonneur gratuit, la honte remâchée,
Le troupeau mal conduit, la terre mal bêchée ;
Les armes de Satan c’est le membre arraché,
Le bourgeon retranché, le rameau détaché,
Le bœuf aiguillonné, le cheval cravaché ;
Les armes de Jésus c’est la haute terrasse
D’où retombe en jet d’eau la source de la grâce,
Et la vasque au flanc grave et le sang de la race ;
Les armes de Satan c’est la basse menace
Aux coins de toute lèvre et la gluante trace
Que laisse sur la fleur la visqueuse limace ;
Les armes de Satan c’est un esprit pointu,
C’est le corps en lambeaux, c’est le cœur combattu,
Le bourreau mal payé, le procès débattu ;
Les armes de Jésus c’est le cœur combattu,
C’est le corps tout entier et la même vertu
Et la grappe écrasée et le froment battu ;
Les armes de Jésus c’est le grain sous la meule,
Le raisin sous la presse et l’oiseau dans la gueule,
Et le fils dans le père et l’enfant dans l’aïeule ;
Mais Satan le regarde et ce vil vermisseau
À juré d’étouffer sous l’ombre et le boisseau
La lumière et la lampe et la plaine Monceau ;
Les armes de Satan c’est une gagerie,
C’est sa forfanterie et son effronterie,
Et c’est le philologue et sa quincaillerie ;
Les armes de Satan c’est notre servitude,
C’est notre hébétement, notre longue habitude
Et la nuit et la veille et la lampe et l’étude ;
Les armes de Jésus c’est la béatitude
Et c’est la parabole et la mansuétude
Et c’est quand il pleura sur cette multitude ;
Les armes de Satan c’est notre quiétude
Et c’est le théorème et c’est la certitude,
Le pouvoir, le savoir et la décrépitude ;
Les armes de Jésus c’est le tranchant du sort,
C’est ce point sur le glaive où la vie et la mort
Déjouent le corps et l’âme en plein milieu du port ;
Les armes de Jésus c’est notre inquiétude,
L’axiome, la règle et notre incertitude,
Le devoir, le pouvoir et la vicissitude ;
Les armes de Jésus c’est notre servitude,
C’est toute solitude et toute plénitude,
Et notre turpitude et notre lassitude ;
Les armes de Satan c’est la criaillerie,
Le vote, le mandat et la suffragerie,
Et l’avocasserie et la haranguerie ;
Les armes de Jésus c’est sa sollicitude,
Et notre ingratitude et son exactitude,
Et la similitude et toute rectitude ;
Les armes de Satan c’est pure vanterie,
C’est du vieux bric-à-brac, de l’antiquaillerie,
Du fabriqué, du faux, de la ferronnerie ;
Les armes de Satan c’est le fruit défendu,
C’est le meurtre d’Abel, c’est le sang répandu,
C’est Judas dépendu, c’est Judas rependu ;
Les armes de Satan c’est le filet tendu,
C’est le propos douteux et le sous-entendu,
Et toute controverse et tout malentendu ;
Les armes de Satan c’est Jésus-Christ vendu,
C’est les trente deniers, c’est Joseph descendu
Au fond de la citerne et captif revendu ;
Les armes de Satan c’est la race perdue,
C’est le lacet tressé, c’est la corde tordue,
Toute chair assaillie et toute chair mordue ;
Les armes de Satan c’est tout le résidu
Et la lie et l’écume et c’est l’individu
Et c’est le commentaire et le compte rendu ;
Les armes de Satan c’est toute dette due
Irrémissiblement, la honte suspendue,
Et par son gouverneur toute ville rendue ;
Les armes de Jésus c’est Satan confondu,
Tout fossé remparé, tout rempart défendu,
Tout terrain regagné sur le terrain perdu ;
Et la dette remise et la dette rendue
Par le frère à son frère et la brebis perdue
Et toute âme assaillie et toute âme mordue ;
Les armes de Jésus c’est la nuit répandue
Pour le repos de l’homme et la ferme vendue
Pour payer les impôts et la brebis tondue ;
Les armes de Jésus c’est la neige fondue
Au soleil du printemps, la hache suspendue
Au jour du jugement et c’est l’âme éperdue
De son indignité, c’est la grande étendue
Et l’arbre de Noël et la bûche fendue
Et c’est depuis Adam la nouvelle attendue ;
Les armes de Jésus c’est la bonne aventure,
Et c’est le Créateur créant la créature,
Et le sceau du Seigneur mettant la signature ;
Les armes de Satan c’est la caricature
Et la contrefaçon de toute signature
Et l’homme jugeant l’homme et la magistrature
Assise au tribunal, c’est la lettre surie,
La littéralité morne et déjà pourrie,
Les armes de Satan c’est la chancellerie ;
Les armes de Satan c’est la plaisanterie,
Cette sauce tournée et c’est l’hôtellerie
Pour les mauvais passants et c’est l’ivrognerie
Les coudes sur la table et la clabauderie
Et la ribauderie et la maussaderie
Et la badauderie et la nigauderie ;
Les armes de Jésus c’est la charpenterie,
L’établi, la varlope et la menuiserie,
La scie et le rabot et l’ébénisterie,
Le denier de la veuve et le bon ouvrier ;
Les armes de Satan c’est le vil usurier,
L’armurier, le guerrier, le manufacturier ;
Les armes de Satan c’est la truanderie,
Le mauvais compagnon, la camaraderie,
Le mauvais camarade et la cafarderie
Et le mauvais garçon ; c’est le regard oblique
Jeté sur le voisin, le peuple famélique
Sous la bombance énorme et pantagruélique ;
Les armes de Jésus c’est la foi catholique
Enchâssée à prix d’or, la ronde basilique,
Et c’est la paix publique et la sainte relique ;
Les armes de Satan c’est tout ce qui complique
La très simple existence et c’est quand il implique
L’innocent dans le crime et dans le diabolique ;
Les armes de Jésus c’est le cèdre biblique,
La salutation, la ferveur angélique,
L’annonciation de l’ère évangélique ;
Les armes de Satan c’est sa ruse et sa clique
Et sa claque sournoise et méphistophélique,
Et sa noise en sourdine et machiavélique ;
Les armes de Jésus c’est le léger caïque
De Pierre sur le lac, c’est l’archange archaïque
Fermant le paradis, c’est la foi judaïque
Et la première loi, c’est la race hébraïque
Et le tronc d’Israël, et c’est la mosaïque
De la vertu des clercs, de la vertu laïque ;
Les armes de Jésus c’est la loi mosaïque,
Les dix commandements au peuple liturgique,
Et qu’il n’a point rayés de Rome apostolique ;
Les armes de Jésus c’est la mort héroïque
Du martyr dans l’arène et la douceur stoïque
Du saint et c’est aussi la vertu prosaïque ;
Les armes de Satan c’est la courbe saïque
Souple vaisseau de charge et c’est l’art chaldaïque
Et la vertu du riche et du pharisaïque ;
Et c’est l’aigre réplique et le somnambulique,
Et le cyrénaïque et l’aristotélique,
Et le pire de tout c’est bien quand il explique ;
Les armes de Jésus c’est l’ardente supplique
Du pauvre au gouverneur, c’est le parabolique,
Et c’est les huit bonheurs sous Rome apostolique,
Et c’est le roi de France et c’est la république
Et c’est le bref du pape et la lourde encyclique
Parmi les deuils privés et la vertu publique ;
Les armes de Satan c’est le vil publicain,
Le percepteur de Rome et le fieffé coquin
Qui berne l’honnête homme et qui fait le faquin ;
L’avare péager, le servile sequin,
L’infidèle berger, le manteau d’Arlequin
De vice et de vertu, le grossier mannequin
Qui fait peur aux moineaux, le rude casaquin
Sur l’armure de guerre et le lourd troussequin
Sur le cheval de guerre et l’ennuyeux pasquin ;
Les armes de Jésus c’est le Samaritain,
Le blessé recueilli, le pauvre franciscain,
Les armes de Jésus c’est le républicain ;
Les armes de Satan c’est le faux symbolique,
La pierre en comprimé, le marbre en majolique,
(La pierre de Jésus, c’est le pur pentélique) ;
Les armes de Satan c’est toute hyperbolique,
Le masque de Satan c’est toute bucolique
Modulant sous le hêtre une pure idyllique ;
Les armes de tous deux c’est le mélancolique,
Soit qu’il soit descendu du vieux cèdre biblique,
Soit qu’il soit remonté de jeune république ;
Les armes de Satan c’est toute idolâtrie,
Tout réassortiment, toute replâtrerie,
Tout fatras, tout raccord, toute folâtrerie ;
Les armes de Jésus c’est culte de doulie
Ou d’asservissement, c’est culte de latrie
Ou d’adoration, c’est culte de patrie
Ou de terre natale ; et démonolâtrie
Retourne vers Satan avec zoolâtrie,
Avec psychiatrie, avec chimiatrie,
Avec l’ergot du seigle et les autres caries,
Et les phylloxéras et les vignes flétries,
Et les puits desséchés et les races taries ;
Les armes de Jésus c’est la pauvre monture,
L’ânon de cette ânesse et c’est la courbature
De ses reins bâtonnés et c’est la sépulture
Dans un caveau prêté, c’est l’agneau sans pâture,
C’est la barque de Pierre errante et sans mâture
Et le préteur de Rome et c’est la préfecture
Et le préfet de Rome et cette humble toiture,
Ce chaume au ras du sol et l’unique voiture
Avec un seul cheval et la vieille clôture
En mauvais fil de fer et la progéniture
Attendant sous la lampe une humble nourriture,
Espérant vaguement un pot de confiture ;
Les armes de Satan c’est cette dictature
De ces sept qui sont sept sur la même monture,
Sur un cheval pourri tenus par la ceinture ;
Les armes de Jésus c’est la sainte Écriture
Depuis le premier livre et c’est toute droiture
Depuis le premier pas et c’est toute armature
Tenant son homme roide et c’est toute ossature
Tenant son homme ferme et toute architecture
Tenant la maison pleine et basse de stature ;
Les armes de Satan c’est le mauvais docteur,
(Mais en est-il de bons ?), c’est le mauvais acteur
Qui joue à contre sens et le mauvais lecteur
Qui lit à contre texte et c’est le détracteur
Qui détracte et détraque et le simple électeur
Qui rétracte et qui vote et le morne inspecteur
Qui regarde et surveille et le dur directeur
Qui regarde et gouverne et le lourd protecteur
Qui regarde et qui pèse et qui fait le recteur ;
Les armes de Satan c’est le contradicteur
Qui dit d’abord : mais non, c’est l’antique licteur
Et l’antique faisceau, c’est Satan destructeur ;
Les armes de Satan c’est Satan constructeur
Du satané parvis, c’est Satan conducteur
De l’homme vers sa perte et Satan rédacteur
De la fausse nouvelle et c’est tout abstracteur
De la cinquième essence et tout contrefacteur
Qui sera poursuivi, c’est Satan collecteur
D’impôts pour son État, c’est Satan correcteur
Dans son mauvais journal, et traître traducteur
Dans son mauvais patois, et fourbe producteur
De produits frelatés, brillant introducteur
Au royaume d’enfer, décevant instructeur
De mauvaise recrue et sinistre amateur
D’art pour ses collections et savant armateur
De naufrage et superbe et docile imposteur,
Les armes de Satan c’est Satan séducteur ;
Les armes de Satan c’est la sévère cotte
De maille et c’est aussi le regard qui clignote
Sous la lourde visière et sous la bourguignote ;
Les armes de Jésus c’est la race future,
C’est le riche missel, c’est la miniature,
Et le ciel et l’enfer et la terre en peinture ;
Les armes de Satan c’est la mésaventure,
Le traître couronné, la mauvaise lecture,
Les armes de Satan c’est la littérature ;
Les armes de Jésus c’est noblesse et roture
Égales vers sa face et la belle sculpture
Au portail de l’église et la fine moulure ;
Les armes de Jésus c’est la riche tenture
Devant le tabernacle et la rouge teinture
De la robe du prêtre et des croix de torture ;
Les armes de Satan c’est toute conjecture
Maraudant sur le texte et c’est toute imposture,
Toute note au crayon, toute maculature ;
Et c’est toute leçon qui n’est pas la lecture,
Et c’est toute façon qui n’est pas la facture,
Et c’est toute moisson qui n’est pas drue et dure ;
Et c’est toute prison qui n’est pas la capture,
Et toute liaison qui n’est pas la rupture,
Toute cendre, tout feu qui n’est pas feu qui dure ;
Les armes de Satan c’est la désinvolture,
C’est la fausse élégance et toute conjoncture
Où l’homme droit est mis en oblique posture ;
Les armes de Satan c’est la fausse culture
Qui sème le chiendent et c’est la couverture
Volée au vieux cheval et c’est toute ouverture
Que l’on n’a pas ouvert et toute fermeture
Que l’on n’a pas fermée et toute quadrature
Que l’on n’a pas quarrée et c’est toute arcature
Que l’on n’a pas arquée et c’est toute rature
Au milieu de la page et toute ligature
Qui n’est pas pour la greffe et toute horticulture
Qui n’est pas pour la fleur, toute arboriculture
Qui n’est pas pour le fruit, toute viticulture
Qui n’est pas pour le vin, c’est toute agriculture
Qui n’est pas pour le blé, c’est toute apiculture
Qui n’est pas pour le miel, toute sylviculture
Qui n’est pas pour le bois et c’est toute bouture
Qui n’a pas pris racine et c’est toute mouture
Qui n’est pas du moulin et toute portraiture
Qui n’est pas le modèle et toute investiture
Qui ne vient pas de Dieu, c’est le point de suture
Quand il est mal cousu, c’est la judicature
D e l’homme sur un homme et la candidature
Assise en robe blanche au seuil de la préture ;
Les armes de Satan c’est la nomenclature
Et le dénombrement, c’est toute fourniture
Qui n’est pas à bon poids, c’est la belle denture
Des bêtes dans l’arène et c’est la devanture
Qui masque la maison et c’est toute jointure
Qui s’articule mal et c’est toute fracture
Qui ne se réduit pas, c’est toute contracture
Qui ne se résout pas et c’est toute structure
Qui n’est pas organique et c’est toute questure
Où l’on est candidat et c’est toute texture
Qui n’est pas de bon fil et c’est toute mixture
Qui n’est pas du bon vin et c’est toute mouture
Qui n’est pas du bon pain et c’est toute pâture
Qui n’est pas du bon grain et c’est toute clôture
Qui n’est pas de bon bois et c’est toute questure
Qui requiert à faux poids, frappe à fausse mesure,
Paie à fausse monnaie et prête avec usure ;
Les armes de Jésus c’est la législature
Des dix commandements et c’est la tablature
Des tables de la loi, c’est la nonciature
Quand le nonce est du pape et la judicature
Quand le juge craint Dieu, c’est la magistrature
Quand elle est magistrale et la cléricature
Quand le clerc est prudhomme et c’est la prélature
Quand l’évêque est Aignan ou saint Bonaventure
Ou saint Côme ou saint Loup, la sacrificature
Quand c’est lui la victime et c’est toute vêture
Qui vêt l’âme et le corps et c’est toute tonture
Qui n’écorchera pas la faible créature ;
Les armes de Jésus c’est la belle paroisse
Assise au cœur de France et c’est la noble angoisse
Du curé soucieux que son troupeau recroisse ;
Les armes de Jésus c’est la belle provende
Éparse au râtelier, c’est le thym, la lavande,
Et la rose et l’œillet et la souple guirlande ;
Les armes de Jésus c’est le bon voisinage
Entre les pauvres gens, c’est le pauvre village
Et l’église au milieu, c’est le compagnonnage
Entre bons compagnons, c’est le pèlerinage
Entre bons pèlerins, c’est le pauvre ménage
Entre l’homme et la femme et le long mariage ;
Les armes de Jésus c’est les enfants bien sages
Assis au coin du feu, c’est les belles images
Qu’on voit sur les vitraux et c’est les trois rois mages ;
Les armes de Satan c’est les magiciens
Et la magicerie et les faux entretiens
Et les libres discours au conseil des anciens ;
Les armes de Jésus c’est la pauvre famille,
Les frères et la sœur, les garçons et la fille,
Le fuseau lourd de laine et la savante aiguille ;
Les armes de Jésus c’est tous les cœurs païens :
Pourvu qu’on les baptise et les rende chrétiens,
Il en fait les plus purs de tous ses paroissiens ;
Les armes de Jésus c’est tous les plébéiens :
À moins qu’on les courtise et les rende vauriens,
Il en fait les plus durs de ses fermes soutiens ;
Les armes de Jésus c’est les bons citoyens :
Quand la grâce les prend par ses secrets moyens,
Il en fait les plus sûrs de ses curés doyens ;
Les armes de Jésus c’est la docilité,
C’est la foi, l’espérance et c’est la charité,
C’est la femme et l’enfant et la fidélité ;
Les armes de Jésus c’est la fragilité,
C’est la vertu civique et c’est la liberté,
C’est la femme et l’enfant et c’est la pauvreté ;
Les armes de Jésus c’est la simplicité,
C’est la paix éternelle et c’est dans la cité
Tout un fleuve de grâce et d’efficacité ;
Les armes de Jésus c’est la nécessité
Du travail et du pain et c’est dans la cité
Tout un fleuve de grâce et de félicité ;
Les armes de Jésus c’est la sagacité,
Le pardon de l’offense et c’est dans la cité
Tout un fleuve de grâce et de vivacité ;
Les armes de Jésus c’est la mendicité
Du dernier misérable et c’est dans la cité
Tout un fleuve de grâce et de ténacité ;
Les armes de Satan c’est le chemin tortu,
Le sentier dérobé, le cheval abattu
Les quatre fers en l’air et le mulet têtu ;
Les armes de Satan c’est la fausse tendresse
Couchée au lit de l’homme et la molle paresse
Qui dort le long du jour et se désintéresse
Du pauvre et de l’enfant et c’est la charmeresse
Avec ses mots savants et la devineresse
Et sa vieille grimace et c’est l’enchanteresse
Avec ses vieux onguents et c’est la sécheresse
Du cœur et c’est la vraie et c’est la fausse adresse
De l’homme très malin ; c’est l’homme qui transgresse
Les vieilles lois de l’homme et c’est l’homme qui tresse
Le chanvre du gibet et l’homme qui progresse,
Les armes de Satan c’est l’homme qui s’engraisse
Du sang du malheureux, le serpent qui redresse
La tête et c’est aussi le vigneron qui presse
La grappe et fait jaillir le vin doux et l’ivresse ;
Les armes de Jésus c’est toute forteresse
Qui tient et c’est la noble et la pure caresse
De la mère à l’enfant et c’est la maladresse
De l’homme pas malin et la sourde tendresse
De la mère à la fille afin que reparaisse
En cette enfant naissante une même tendresse
Et dans le temps futur une même caresse
Et ce même regard et cette même tresse
Blonde qui fleurira, cette même détresse
Qui sera consolée, et cette âme pauvresse
Et dans le dernier temps une même allégresse ;
Les armes de Jésus c’est l’homme qui s’adresse
Directement à Dieu, c’est l’homme qui s’adresse
À quelque saint patron, c’est l’homme qui se dresse
Contre l’iniquité, c’est l’homme qui s’empresse
À panser le blessé, c’est la fraîche compresse
Sur la cuisante plaie et l’homme qui s’engraisse
De sanglots et de pleurs, de peine et de détresse,
Et d’un regret plus beau que la même tendresse,
Et l’arme aux mains de l’ange ardente et vengeresse
Au seuil du paradis avant que comparaisse
L’âme toujours chassée et toujours chasseresse,
L’âme toujours esclave et ensemble maîtresse,
L’âme toujours enfant et toujours pécheresse ;
Les armes de Jésus c’est la lettre et l’esprit
Mais c’est l’esprit qui mène et l’esprit qui nourrit,
Et la lettre n’est là que comme un mot d’écrit ;
Les armes de Jésus c’est la lettre et l’esprit,
C’est le père qui gronde et l’enfant qui sourit,
C’est le Père et le Fils et c’est le Saint-Esprit ;
La lettre est ce qui tue et l’esprit vivifie,
Et la lettre est la mort et l’esprit est la vie,
Et la lettre est l’orgueil et la lettre est l’envie ;
C’est l’esprit qui commande et la lettre qui sert,
C’est l’esprit qui demande et la lettre qui perd
Et c’est l’esprit qui sauve et prêche en plein désert ;
C’est l’esprit qui gouverne et l’esprit qui conduit
L’homme vers un seul point et la lettre qui suit
Vers la lampe de l’ogre et c’est l’esprit qui cuit
Le pain quand il est chaud, c’est l’esprit qui déduit
Jésus du vieil Adam et derechef induit
Israël en Jésus que la lettre réduit ;
C’est l’esprit qui combat et la lettre qui fuit,
C’est l’esprit qui travaille et l’esprit qui produit
La paille, le bon grain, la feuille, le bon fruit ;
Et la lettre n’a jamais fait qu’un peu de bruit,
C’est elle qui séduit et c’est elle qui nuit,
Et la lettre et l’esprit c’est le jour et la nuit ;
Mais l’esprit et la lettre est la nuit et le jour,
Les armes de Jésus c’est l’honneur et l’amour
Et le roi dans son camp et le roi dans sa cour ;
Les armes de Jésus c’est le feu dans le four,
La pâte et le levain et c’est le pain du jour,
Et c’est le roi David retiré dans sa tour ;
Les armes de Jésus c’est tout homme proscrit
Qui sera rappelé, c’est le jeune conscrit
Qui sera convoqué, c’est le jeune homme inscrit
Sur le livre éternel et c’est le cœur contrit
Qui sera fomenté, c’est le billet souscrit
Qui sera présenté, c’est le bonheur décrit
Un jour sur la montagne et l’honnête rescrit
De par le roi du ciel et le pardon prescrit
Par la nouvelle loi, c’est Dieu même transcrit
De Moïse en Jésus, c’est Satan circonscrit,
C’est tout ce qu’il fallait pour que Jésus souffrît,
Les armes de Jésus c’est surtout Jésus-Christ ;
C’est tout ce qu’il fallait pour que Jésus ouvrît
La porte du tombeau, pour que Jésus offrît
Le premier sacrifice et qu’il rendît l’esprit ;
C’est tout ce qu’il fallait pour que Jésus couvrît
Le pécheur devant Dieu, pour qu’il redécouvrît
Le chemin du salut et pour qu’il entreprît
De remonter la pente et pour qu’il se reprît
Et qu’il reprît le monde et pour que l’homme apprît
Le chemin difficile et pour qu’il désapprît
La route sans cailloux et pour qu’un jour en Gaule,
D’autres soldats romains, le manteau sur l’épaule,
Le torse bien moulé dans leurs lames de tôle,
Chevauchant par la route épaisse comme un môle,
La lance entre les doigts comme on tient une gaule,
Un jour en plein hiver sous la neige du pôle,
Le long des blancs bouleaux, le long du même saule,
Voyant un vagabond, quelque échappé de geôle,
Un autre centurion, de ceux que Rome enrôle,
Du manteau militaire enfin se découvrît ;
C’est tout ce qu’il fallait pour que l’homme s’éprît
Du seul amour qui dure et pour qu’il se déprît
Du seul amour qui passe et pour qu’il se méprît
Comme il faut se méprendre et qu’alors il comprît
Tout ce qu’il faut comprendre et qu’alors il en prît
Tout ce qu’il faut en prendre et qu’alors il surprît
Le secret mal gardé, le secret manuscrit
Qui n’est pas dans la lettre et se cache en esprit ;
Les armes de Jésus c’est le chemin fleuri,
Mais plus que le printemps galamment refleuri,
C’est le sévère automne à l’instant défleuri ;
Et la fleur de Marie est la rose fleurie,
Mais plus que l’humble rose au printemps refleurie,
C’est la rose d’automne humblement défleurie ;
Les armes de Jésus c’est le vallon fleuri,
Mais plus que le printemps incessamment fleuri,
Et plus que le printemps insolemment fleuri,
Et plus que le printemps impudemment fleuri,
Et plus que le printemps effrontément fleuri,
C’est le pudique automne à jamais défleuri ;
Les armes de Jésus c’est un peuple chéri
Comme un fils qui revient, c’est un mourant guéri
Par son extrême onction, c’est un peuple aguerri
Par une juste guerre et le marin péri
Au péril de la mer, le navire atterri
Dans le recreux du port, tout un peuple nourri
De quelques poissons secs, tout un monde nourri
D’une seule victime et le raisin mûri
Pour le vin du calice et l’autre vin suri
Pour l’éponge et la lance et le vinaigre aigri ;
Les armes de Jésus c’est le levain pétri
Au milieu de la pâte et lui-même suri ;
Les armes de Satan c’est le fleuve tari,
C’est chez l’équarrisseur le cheval équarri,
C’est l’enfant affamé, c’est le pain renchéri ;
Les armes de Satan c’est le cœur mal guéri
De la vieille blessure et c’est le cœur tari
À force de saigner et le cœur mal nourri
À force de jeûner, c’est tout ce qui tarit,
C’est tout ce qui périt, tout ce qui dépérit,
Et tout ce qui surit et tout ce qui pourrit ;
Les armes de Satan c’est la sève appauvrie,
C’est le sang répandu, la branche rabougrie,
Le rameau desséché, la prude renchérie ;
Les armes de Satan c’est tout ce qui flétrit,
Rapetisse, avilit, injurie, amoindrit,
C’est tout ce qui méprise et tout ce qui meurtrit ;
Les armes de Jésus c’est tout ce qui nourrit,
C’est tout ce qui boutonne et tout ce qui périt
Aux jardins de Touraine et tout ce qui mûrit ;
Les armes de Jésus c’est un cœur tout fleuri,
Plus que le jeune cœur au printemps refleuri,
C’est le cœur à l’automne à jamais défleuri ;
Les armes de Satan c’est la paix et la guerre,
Les peuples éventrés, les sacrements par terre,
La honte, la terreur, la rage militaire ;
Les armes de Jésus c’est la guerre et la paix,
Les peuples respectés et les derniers harnais
De guerre suspendus aux frontons des palais ;
Les armes de Satan c’est l’horreur de la guerre,
Les peuples affolés, Jésus sur le Calvaire,
Le sang, le cri de mort, le meurtre volontaire ;
Les armes de Jésus c’est l’honneur de la guerre,
Les peuples rétablis, Jésus sur le Calvaire,
Le sang, le sacrifice et la mort volontaire.
Charles Péguy, in La Tapisserie de sainte Geneviève et Jeanne d’Arc