mardi 31 octobre 2023

En testant… Louis XVI, Je suis prêt à paraître devant Lui

Au nom de la très Sainte Trinité, du Père, du fils et du Saint Esprit. Aujourd’hui vingt-cinquième de décembre mil sept cent quatre vingt douze. Moi, Louis, XVIe  du nom, Roi de France, étant depuis plus de quatre mois enfermé avec ma famille dans la Tour du Temple à Paris, par ceux qui étaient mes sujets, et privé de toute communication quelconque, même depuis le onze du courant avec ma famille. De plus impliqué dans un Procès dont il est impossible de prévoir l’issue à cause des passions des hommes, et dont on ne trouve aucun prétexte ni moyen dans aucune loi existante, n’ayant que Dieu pour témoin de mes pensées, et auquel je puisse m’adresser. Je déclare ici en sa présence, mes dernières volontés et mes sentiments.

Je laisse mon âme à Dieu mon créateur, et je le prie de la recevoir dans sa miséricorde, de ne pas la juger d’après ses mérites, mais par ceux de Notre Seigneur Jésus Christ qui s’est offert en sacrifice à Dieu son Père, pour nous autres hommes, quelque indignes que nous en fussions, et moi le premier.

Je meurs dans l’union de notre sainte Mère l’Église Catholique, Apostolique et Romaine, qui tient ses pouvoirs par une succession non interrompue de Saint Pierre auquel Jésus-Christ les avait confiés. Je crois fermement et je confesse tout ce qui est contenu dans le Symbole et les commandements de Dieu et de l’Église, les Sacrements et les Mystères tels que l’Église Catholique les enseigne et les a toujours enseignés. Je n’ai jamais prétendu me rendre juge dans les différentes manières d’expliquer les dogmes qui déchirent l’Église de Jésus-Christ, mais je m’en suis rapporté et rapporterai toujours, si Dieu m’accorde vie, aux décisions que les supérieurs Ecclésiastiques unis à la Sainte Église Catholique, donnent et donneront conformément à la discipline de l’Église suivie depuis Jésus-Christ. Je plains de tout mon cœur nos frères qui peuvent être dans l’erreur, mais je ne prétends pas les juger, et je ne les aime pas moins tous en Jésus-Christ suivant ce que la charité Chrétienne nous l’enseigne.

Je prie Dieu de me pardonner tous mes péchés, j’ai cherché à les connaître scrupuleusement, à les détester et à m’humilier en sa présence, ne pouvant me servir du Ministère d’un Prêtre Catholique. Je prie Dieu de recevoir la confession que je lui en ai faite, et surtout le repentir profond que j’ai d’avoir mis mon nom, (quoique cela fut contre ma volonté) à des actes qui peuvent être contraires à la discipline et à la croyance de l’Église Catholique à laquelle je suis toujours resté sincèrement uni de cœur. Je prie Dieu de recevoir la ferme résolution où je suis, s’il m’accorde vie, de me servir aussitôt que je le pourrai du Ministère d’un Prêtre Catholique, pour m’accuser de tous mes péchés, et recevoir le Sacrement de Pénitence.

Je prie tous ceux que je pourrais avoir offensés par inadvertance (car je ne me rappelle pas d’avoir fait sciemment aucune offense à personne), ou à ceux à qui j’aurais pu avoir donné de mauvais exemples ou des scandales, de me pardonner le mal qu’ils croient que je peux leur avoir fait.

Je prie tous ceux qui ont de la Charité d’unir leurs prières aux miennes, pour obtenir de Dieu le pardon de mes péchés.

Je pardonne de tout mon cœur à ceux qui se sont fait mes ennemis sans que je leur en aie donné aucun sujet, et je prie Dieu de leur pardonner, de même que ceux qui par un faux zèle, ou par un zèle mal entendu, m’ont fait beaucoup de mal.

Je recommande à Dieu, ma femme, mes enfants, ma Sœur, mes Tantes, mes Frères, et tous ceux qui me sont attachés par les liens du sang, ou par quelque autre manière que ce puisse être. Je prie Dieu particulièrement de jeter des yeux de miséricorde sur ma femme, mes enfants et ma sœur qui souffrent depuis longtemps avec moi, de les soutenir par sa grâce s’ils viennent à me perdre, et tant qu’ils resteront dans ce monde périssable.

Je recommande mes enfants à ma femme, je n’ai jamais douté de sa tendresse maternelle pour eux ; je lui recommande surtout d’en faire de bons Chrétiens et d’honnêtes hommes, de leur faire regarder les grandeurs de ce monde ci (s’ils sont condamnés à les éprouver) que comme des biens dangereux et périssables, et de tourner leurs regards vers la seule gloire solide et durable de l’Éternité. Je prie ma sœur de vouloir bien continuer sa tendresse à mes enfants, et de leur tenir lieu de mère, s’ils avaient le malheur de perdre la leur.

Je prie ma femme de me pardonner tous les maux qu’elle souffre pour moi, et les chagrins que je pourrais lui avoir donnés dans le cours de notre union, comme elle peut être sûre que je ne garde rien contre elle si elle croyait avoir quelque chose à se reprocher.

Je recommande bien vivement à mes enfants, après ce qu’ils doivent à Dieu qui doit marcher avant tout, de rester toujours unis entre eux, soumis et obéissants à leur mère, et reconnaissants de tous les soins et les peines qu’elle se donne pour eux, et en mémoire de moi. Je les prie de regarder ma sœur comme une seconde mère.

Je recommande à mon fils, lorsqu’il deviendra Roi, de songer qu’il se doit tout entier au bonheur de ses sujets, qu’il doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément tout ce qui a rapport aux malheurs et aux chagrins que j’éprouve. Qu’il ne peut faire le bonheur des Peuples qu’en régnant suivant les Lois, mais en même temps qu’un Roi ne peut les faire respecter, et faire le bien qui est dans son cœur, qu’autant qu’il a l’autorité nécessaire, et qu’autrement, étant lié dans ses opérations et n’inspirant point de respect, il est plus nuisible qu’utile.

Je recommande à mon fils d’avoir soin de toutes les personnes qui m’étaient attachées, autant que les circonstances où il se trouvera lui en donneront les facultés, de songer que c’est une dette sacrée que j’ai contractée envers les enfants ou les parents de ceux qui ont péri pour moi, et ensuite de ceux qui sont malheureux pour moi. Je sais qu’il y a plusieurs personnes de celles qui m’étaient attachées, qui ne se sont pas conduites envers moi comme elles le devaient, et qui ont même montré de l’ingratitude, mais je leur pardonne, (souvent, dans les moment de troubles et d’effervescence, on n’est pas le maître de soi) et je prie mon fils, s’il en trouve l’occasion, de ne songer qu’à leur malheur.

Je voudrais pouvoir témoigner ici ma reconnaissance à ceux qui m’ont montré un véritable attachement et désintéressé. D’un côté si j’étais sensiblement touché de l’ingratitude et de la déloyauté de gens à qui je n’avais jamais témoigné que des bontés, à eux et à leurs parents ou amis, de l’autre, j’ai eu de la consolation à voir l’attachement et l’intérêt gratuit que beaucoup de personnes m’ont montrés. Je les prie d’en recevoir tous mes remerciements ; dans la situation où sont encore les choses, je craindrais de les compromettre si je parlais plus explicitement, mais je recommande spécialement à mon fils de chercher les occasions de pouvoir les reconnaître. 

Je croirais calomnier cependant les sentiments de la Nation, si je ne recommandais ouvertement à mon fils MM de Chamilly et Hue, que leur véritable attachement pour moi avait portés à s’enfermer avec moi dans ce triste séjour, et qui ont pensé en être les malheureuses victimes. Je lui recommande aussi Cléry des soins duquel j’ai eu tout lieu de me louer depuis qu’il est avec moi. Comme c’est lui qui est resté avec moi jusqu’à la fin, je prie MM de la Commune de lui remettre mes hardes, mes livres, ma montre, ma bourse, et les autres petits effets qui ont été déposés au Conseil de la Commune.

Je pardonne encore très volontiers à ceux qui me gardaient, les mauvais traitements et les gênes dont ils ont cru devoir user envers moi. J’ai trouvé quelques âmes sensibles et compatissantes, que celles-là jouissent dans leur cœur de la tranquillité que doit leur donner leur façon de penser.

Je prie MM de Malesherbes, Tronchet et de Sèze, de recevoir ici tous mes remerciements et l’expression de ma sensibilité pour tous les soins et les peines qu’ils se sont donnés pour moi.

Je finis en déclarant devant Dieu et prêt à paraître devant Lui, que je ne me reproche aucun des crimes qui sont avancés contre moi.

Louis


mardi 17 octobre 2023

En fêtant... Saint Ignace d'Antioche, Lettre aux Romains


Ignace, dit aussi Théophore, à l’Église qui a reçu miséricorde par la magnificence du Père très haut et de Jésus-Christ Son Fils unique, l’Église bien-aimée et illuminée par la volonté de Celui qui a voulu tout ce qui existe, selon la foi et l’amour pour Jésus-Christ notre Dieu ; l’Église qui préside dans la région des Romains, digne de Dieu, digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom du Père ; je la salue au nom de Jésus-Christ, le Fils du Père ; aux frères qui, de chair et d’esprit, sont unis à tous ses commandements, remplis inébranlablement de la grâce de Dieu, purifiés de toute coloration étrangère, je leur souhaite en Jésus-Christ notre Dieu toute joie irréprochable.

I. Par mes prières j’ai obtenu de Dieu de voir vos saints visages, car j’avais demandé avec insistance de recevoir cette faveur ; enchaîné dans le Christ Jésus, j’espère vous saluer, si du moins c’est la volonté de Dieu que je sois trouvé digne d’aller jusqu’au terme. Le commencement est facile, si du moins j’obtiens la grâce de recevoir sans empêchement la part qui m’est réservée. Mais je crains que votre charité ne me fasse tort. Car à vous il est facile de faire ce que vous voulez, mais à moi il est difficile d’atteindre Dieu, si vous ne m’épargnez pas.

II. Je ne veux pas que vous plaisiez aux hommes, mais que vous plaisiez à Dieu ; comme, en fait, vous lui plaisez. Pour moi, jamais je n’aurai une telle occasion d’atteindre Dieu ; et vous, si vous gardez le silence, vous ne pouvez souscrire à une œuvre meilleure. Si vous gardez le silence à mon sujet, je serai à Dieu ; mais si vous aimez ma chair, il me faudra de nouveau courir. Ne me procurez rien de plus que d’être offert en libation à Dieu 1, tandis que l’autel est encore prêt, afin que, réunis en chœur dans la charité, vous chantiez au Père dans le Christ Jésus, parce que Dieu a daigné faire que l’évêque de Syrie fût trouvé en Lui , l’ayant fait venir du levant au couchant. Il est bon de se coucher loin du monde vers Dieu, pour se lever en Lui.

III. Jamais vous n’avez jalousé personne, vous avez enseigné les autres. Je veux, moi, que ce que vous commandez aux autres par vos leçons garde sa force. Ne demandez pour moi que la force intérieure et extérieure, pour que non seulement je parle, mais que je veuille ; pour que non seulement on me dise chrétien, mais que je le sois trouvé de fait. Si je le suis de fait, je pourrai me dire tel, et être un vrai croyant, quand je ne serai plus visible au monde. Rien de ce qui est visible n’est bon. Car notre Dieu, Jésus-Christ, étant en son Père, se fait voir davantage. Car ce n’est pas une œuvre de persuasion que le christianisme, mais une œuvre de puissance, quand il est haï par le monde.

IV. Moi, j’écris à toutes les Églises, et je mande à tous que moi c’est de bon cœur que je vais mourir pour Dieu, si du moins vous vous ne m’en empêchez pas. Je vous en supplie, n’ayez pas pour moi une bienveillance inopportune. Laissez-moi être la pâture des bêtes, par lesquelles il me sera possible de trouver Dieu. Je suis le froment de Dieu, et je suis moulu par la dent des bêtes, pour être trouvé un pur pain du Christ. Flattez plutôt les bêtes, pour qu’elles soient mon tombeau, et qu’elles ne laissent rien de mon corps, pour que, dans mon dernier sommeil, je ne sois à charge à personne. C’est alors que je serai vraiment disciple de Jésus-Christ, quand le monde ne verra même plus mon corps. Implorez le Christ pour moi, pour que, par l’instrument des bêtes, je sois une victime offerte à Dieu. Je ne vous donne pas des ordres comme Pierre et Paul : eux, ils étaient libres, et moi jusqu’à présent un esclave 2. Mais si je souffre, je serai un affranchi de Jésus-Christ 3, et je renaîtrai en lui, libre. Maintenant enchaîné, j’apprends à ne rien désirer.

V. Depuis la Syrie jusqu’à Rome, je combats contre les bêtes 4, sur terre et sur mer, nuit et jour, enchaîné à dix léopards, c’est-à-dire à un détachement de soldats ; quand on leur fait du bien, ils en deviennent pires. Mais, par leurs mauvais traitements, je deviens davantage un disciple, mais  je n’en suis pas pour autant justifié 5. Puissé-je jouir des bêtes qui me sont préparées. Je souhaite qu’elles soient promptes pour moi. Et je les flatterai, pour qu’elles me dévorent promptement, non comme certains dont elles ont eu peur, et qu’elles n’ont pas touchés. Et, si par mauvaise volonté elles refusent, moi, je les forcerai. Pardonnez-moi ; ce qu’il me faut, je le sais, moi. C’est maintenant que je commence à être un disciple. Que rien, des êtres visibles et invisibles, ne m’empêche par jalousie, de trouver le Christ. Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocation des os, mutilation des membres, mouture de tout le corps, que les pires fléaux du diable tombent sur moi, pourvu seulement que je trouve Jésus-Christ.

VI. Rien ne me servira des charmes du monde ni des royaumes de ce siècle. Il est bon pour moi de mourir 6 pour m’unir au Christ Jésus, plus que de régner sur les extrémités de la terre. C’est lui que je cherche, qui est mort pour nous ; lui que je veux, qui est ressuscité pour nous. Mon enfantement approche. Pardonnez-moi, frères ; ne m’empêchez pas de vivre, ne veuillez pas que je meure. Celui qui veut être à Dieu, ne le livrez pas au monde, ne le séduisez pas par la matière. Laissez-moi recevoir la pure lumière ; quand je serai arrivé là, je serai un homme. Permettez-moi d’être un imitateur de la passion de mon Dieu. Si quelqu’un a Dieu en lui, qu’il comprenne ce que je veux, et qu’il ait compassion de moi, connaissant ce qui m’étreint 7.

VII. Le prince de ce monde veut m’arracher, et corrompre les sentiments que j’ai pour Dieu. Que personne donc, parmi vous qui êtes là, ne lui porte secours ; plutôt soyez pour moi, c’est-à-dire pour Dieu. N’allez pas parler de Jésus-Christ, et désirer le monde. Que la jalousie n’habite pas en vous. Et si, quand je serai près de vous, je vous implore, ne me croyez pas. Croyez plutôt à ce que je vous écris. C’est bien vivant que je vous écris, désirant de mourir. Mon désir terrestre a été crucifié, et il n’y a plus en moi de feu pour aimer la matière, mais en moi une eau vive 8 qui murmure et qui dit au-dedans de moi : Viens vers le Père 9. Je ne me plais plus à une nourriture de corruption ni aux plaisirs de cette vie ; c’est le pain de Dieu que je veux, qui est la chair de Jésus-Christ, de la race de David 10, et pour boisson je veux son sang, qui est l’amour incorruptible.

VIII. Je ne veux plus vivre selon les hommes. Cela sera, si vous le voulez. Veuillez-le, pour que vous aussi, vous obteniez le bon vouloir de Dieu. Je vous le demande en peu de mots : croyez-moi, Jésus-Christ vous fera voir que je dis vrai, Il est la bouche sans mensonge par laquelle le Père a parlé en vérité. Demandez pour moi que je l’obtienne. Ce n’est pas selon la chair que je vous écris, mais selon la pensée de Dieu. Si je souffre, vous m’aurez montré de la bienveillance ; si je suis écarté, de la haine.

IX. Souvenez-vous dans votre prière de l’Église de Syrie, qui, en ma place, a Dieu pour pasteur. Seul Jésus Christ sera son évêque, et votre charité. Pour moi, je rougis d’être compté parmi eux, car je n’en suis pas digne, étant le dernier d’entre eux, et un avorton 11. Mais j’ai reçu la miséricorde d’être quelqu’un, si j’obtiens Dieu. Mon esprit vous salue, et la charité des Églises qui m’ont reçu, au nom de Jésus-Christ 12, non comme un simple passant. Et celles-là mêmes qui n’étaient pas sur ma route selon la chair, allaient au-devant de moi de ville en ville.

X. Je vous écris ceci de Smyrne par l’intermédiaire d’Éphésiens dignes d’être appelés bienheureux. Il y a aussi avec moi, en même temps que beaucoup d’autres, Crocus, dont le nom m’est si cher. Quant à ceux qui m’ont précédé de Syrie jusqu’à Rome pour la gloire de Dieu, je crois que vous les connaissez maintenant : faites-leur savoir que je suis proche. Tous sont dignes de Dieu et de vous, et il convient que vous les soulagiez en toutes choses. Je vous écris ceci le neuf d’avant les calendes de septembre. Portez-vous bien jusqu’à la fin dans l’attente de Jésus-Christ.

Saint Ignace d'Antioche, Lettre aux Romains

1. Philippiens 2, 17; 2 Timothée 4, 6.
2. 1 Corinthiens 9, 1.
3. 1 Corinthiens 7, 22.
4. 1 Corinthiens 15, 32.
5. 1 Corinthiens 4, 4.
6. 1 Corinthiens 9, 15.
7. Philippiens 1, 23.
8. Jean 4, 10 ; 7, 38 ; Apocalypse 14, 25.
9. Jean 14, 12, etc.
10. Jean 7, 42 ; Romains 1, 3.
11. 1 Corinthiens 14, 8-9.
12. Matthieu 18, 40-41.