samedi 14 mai 2011

En fondant... Elio Sgreccia, Le conflit entre la vie de la mère et la vie du nouveau-conçu

L’avortement « thérapeutique »
[ndvi : nous sommes passés maintenant à l’interruption « médicale » de grossesse (IMG), le « thérapeutique » étant quand même un peu gros…]
Le conflit entre la vie de la mère et la vie du nouveau-conçu
Il convient d'apporter tout de suite quelques précisions et distinctions sur ce thème particulier.
Avant tout, il faut dire que la qualification de « thérapeutique » est impropre, car il ne s'agit pas, en effet, de thérapie, si ce n'est dans un sens impropre et élargi. Nous avons déjà rappelé quelles sont les conditions pour que l'on puisse parler de principe thérapeutique : l'une d'entre elles est que l'intervention médico-chirurgicale soit directement destinée à soigner ou à enlever la partie malade du corps ; dans le cas dont il est question, il ne s'agit pas d'agir sur une maladie en cours mais, bien au contraire, on envisage la suppression du fœtus (sain) pour éviter que la santé de la mère ne s'aggrave ou que sa vie ne soit mise en danger. Le passage ne se fait pas de l'action thérapeutique sur la maladie pour rétablir la santé, mais il se présente plutôt comme une action sur ce qui est sain (sur le fœtus qui peut aussi être sain), pour prévenir une maladie ou le risque de mort. Il serait plus juste alors de parler d'interruption de grossesse, en présence de danger pour la vie ou pour la santé de la mère1.
Une autre clarification s'avère nécessaire pour comprendre l'« avortement indirect » qui, au contraire, entrerait dans l'acception proprement thérapeutique : c'est ce qui se produit quand on enlève une tumeur de l'utérus et que cela provoque indirectement la mort du fœtus. Cette distinction n'est plus utilisée aujourd'hui, et le problème ne se pose même plus sur le plan éthique, alors que l'on use le terme d'« avortement indirect » pour indiquer l'avortement « thérapeutique », objet de notre étude, qui est une tout autre question tant du point de vue éthique que médical.
L'acception et l'extension que l'on entend donner à l'expression « avortement thérapeutique » est d'une très grande importance, non seulement dans la littérature médicale mais aussi dans les législations les plus récentes.
Selon A. Bompiani2, nous pouvons faire les distinctions suivantes :
1. L'avortement « thérapeutique » est proposé comme l'unique moyen de sauver la vie de la mère, car la poursuite de la grossesse causerait avec une certitude scientifique la mort de la mère.
Cette hypothèse peut donner lieu à deux situations :
a) la poursuite de la grossesse comporterait la mort certaine de tous les deux ;
b) la poursuite de la grossesse comporterait avec certitude la mort de la mère, mais avec l'espoir de sauver l'enfant.
2. L'avortement « thérapeutique » est proposé pour sauvegarder la santé de la mère. Cette hypothèse aussi présente des situations à des degrés divers :
a) l'éventualité que la poursuite de la grossesse représente un risque mortel pour la vie de la mère plus qu'un préjudice pour sa santé ;
b) l'hypothèse que la poursuite de la grossesse comporte une aggravation permanente de la santé de la mère. Les limites deviennent plus floues et les prévisions difficiles pour ainsi dire presque impossibles, spécialement si par santé l'on n'entend pas seulement la dimension organique, mais également la dimension psychologique ou psychique ;
c) il s'agit simplement d'un intérêt pour la santé en général, compris en tant qu'« état de bien-être complet physique, psychologique et émotionnel » ;
d) on considère comme incidences sanitaires les répercussions psychologiques résultant de l'aggravation prévisible des conditions économiques, du fait qu'il s'agit d'une conception non désirée, de la crainte ou de la prévision d'un fœtus atteint d'anomalies ou de malformations.
Des hypothèses sont échafaudées dans ce cadre qui aboutissent à admettre, sous le nom d'« avortement thérapeutique », les cas de l'avortement eugénique (malformation ou maladie du fœtus), de la motivation contraceptive (enfant non désiré) et des motivations socio-économiques. Il faut reconnaître que l'extension progressive, au-delà des « indications médicales », a souvent été motivée par des raisons politiques, pour inclure sous la mention « thérapeutique » et sous l'aspect de « réglementation » de l'avortement toute la casuistique des instances contraceptives et de la « libéralisation ».
Le texte de la loi italienne 194/78 indique à l'art. 4 : « pour l'interruption volontaire de grossesse dans les quatre-vingt-dix premiers jours, la femme qui présente des circonstances pour lesquelles la poursuite de la grossesse, l'accouchement ou la maternité comporteraient un grave danger pour la santé physique ou psychique, par rapport à son état de santé, ou à ses conditions économiques, ou sociales ou familiales, ou aux circonstances dans lesquelles a eu lieu la conception, ou en prévision d'anomalies ou de malformations du nouveau-conçu, peut s'adresser à une consultation publique (instituée selon l'art. 2, lettre a), de la loi du 29 juillet 1975, n° 405, ou à une structure socio-sanitaire habilitée de la région, ou à un médecin de son choix ».
On peut se rendre compte de la multiplicité des « indications » ; elles incluent tout type de motivation socio-économique, et cette formulation du « grave danger » ne correspond pas à une interprétation ni d'ordre médical ni de type juridique.
On passe pratiquement de l'avortement « thérapeutique » à l'avortement conçu comme « moyen de contrôle des naissances », motivation exclue par la loi elle-même à l'art. 1, mais en fait réintroduite à l'art. 4. L'histoire de l'application de cette loi a confirmé cette interprétation subreptice et extensive. Voyons ce que dit l'art. 6 de la loi italienne, après les quatre-vingt-dix jours : « L'interruption volontaire de grossesse, après les quatre-vingt-dix premiers jours, peut être pratiquée :
a) quand la grossesse ou l'accouchement comporte un grave danger pour la vie de la femme ;
b) quand des processus pathologiques ont été constatés, y compris ceux concernant des anomalies importantes ou des malformations chez l'enfant à naître, qui entraînent un grave danger pour la santé physique ou psychique de la femme ».
Les « indications » de l'avortement thérapeutique
Il est nécessaire de donner des précisions supplémentaires sur la consistance et l'importance des indications médicales en la matière.
a) avant tout, il existe des conditions organiques de fait qui compliquent la grossesse, ou pour lesquelles la grossesse provoque une aggravation des conditions de santé ; elles sont, de toute façon, toujours mieux contrôlables et susceptibles d'être compensées par une assistance adéquate.
Les progrès de la médecine et de l'assistance médicale permettent de réduire toujours plus les risques pour la vie et pour la santé de la mère. Il est évident que, dans ces cas, l'interruption de grossesse est, même du seul point de vue médical et déontologique, injustifiée.
b) il existe, ensuite, des conditions de santé qui sont normalement prises en considération pour l'IVG, mais pour lesquelles l'interruption a une incidence encore plus négative sur la santé que la poursuite de la grossesse, ou qui, de toute façon, n'apporterait pas une réelle amélioration. Il est évident que là aussi l'interruption n'est pas justifiée médicalement.
c) il existe, enfin, des conditions où l'aggravation est réelle, mais peut être affrontée avec des méthodes thérapeutiques autres que l'interruption (la dialyse périodique chez les femmes enceintes souffrant d'une grave insuffisance rénale, la chirurgie cardiaque pour les femmes ayant des défauts cardiaques).
Il n'est pas nécessaire de s'étendre davantage sur ces cas pour comprendre que la vraie thérapie, celle qui élimine directement la maladie sans offenser la vie du fœtus, est l'unique thérapie licite.
Sans nous arrêter sur les indications socio-économiques qui, toutes réelles qu'elles soient, ne peuvent être mises sur le même plan que la vie de l'enfant à naître, il y aurait lieu de revoir rigoureusement, avant tout, sur le plan médical et déontologique, la série des « indications » médicales pour pratiquer l'IVG. Un grand nombre de ces « indications » ont, à la lumière des progrès de la science et de l'assistance médicale, perdu leur raison d'être.
La tuberculose, les cardiopathies, les maladies vasculaires, les maladies de l'appareil hématopoïétique (certaines formes d'anémie), les maladies rénales, les maladies hépatiques et pancréatiques, les maladies gastro-intestinales, la chorée gravidique, la myasthenia gravis, les tumeurs (à l'exception de celles de l'appareil génital) : toutes ces maladies sont indiquées comme motif à « indications ». Mais une étude approfondie de chacune d'entre elles, à la lumière de ce qui vient d'être dit, permet de conclure que le fondement médical de ces « indications » est très réduit et que les cas où, en l'absence d'alternative thérapeutique, subsiste un risque réel pour la vie ou pour la santé de la mère sont en forte et progressive diminution.
Nous pouvons citer, littéralement, les conclusions de A. Bompiani « Compris comme un acte capable de soustraire la patiente au danger de mort imminente et comme une intervention thérapeutique irremplaçable pour parvenir à cette fin, l'avortement thérapeutique a réellement perdu beaucoup de terrain et ne trouve plus sa place logique dans les critères modernes d'assistance sociale : tout au contraire, dans un grand nombre de cas aigus, il s'est révélé plus nuisible qu'utile juste- ment à cause de l'état de "décompensation" maternelle »3.
L'appréciation éthique à propos de l'avortement thérapeutique
Il faut reconnaître, ou tout du moins supposer, qu'il peut se présenter des cas où la grossesse peut constituer une circonstance aggravante :
a) les conditions socio-économiques, ayant des répercussions sur l'état de santé psychique de la patiente ;
b) les conditions de santé physique comportant une aggravation permanente de celle-ci ;
c) un état de réel et grave danger pour la vie de la mère allant jusqu'à devoir choisir, dans l'hypothèse la plus grave, entre la vie de la mère et la perte de la mère et de l'enfant.
Les indications de caractère éthico-rationnel devront s'orienter selon les lignes de pensée et de comportement suivantes, conformes à une vision personnaliste de l'homme.
1. Il faut partir du fait et du principe éthique de base : la personne humaine est la plus grande valeur dans le monde et elle transcende tout autre bien temporel et toute considération économique4. C'est pourquoi les autorités publiques et la communauté doivent prendre en considération les raisons qui se rattachent aux motivations économiques, en ce sens qu'il faut adapter l'économie à la personne et non pas sacrifier la personne à l'économie. Cela est d'autant plus vrai si l'on considère que la vie de chaque individu n'est pas seulement un bien personnel inaliénable, mais aussi un bien social et appartenant à tous : la société a, donc, l'obligation de la défendre et de la promouvoir.
2. Même la motivation dite « sociale » (nombre des enfants, engagements éducatifs, etc.) ne peut prévaloir sur la valeur de la vie personnelle, même d'une seule personne.
Au niveau ontologique et axiologique, la personne précède la société, car la société tire son origine des personnes ; c'est en complétant et en aidant la croissance de chaque personne que la société trouve son fondement. La société est, donc, pour les personnes et des personnes. C'est pourquoi, même le principe de la « mise en balance » des valeurs est inconsistant du point de vue éthique, quand il est appliqué à la justification sociale de l'avortement. Il n'existe aucune mise en balance, mais une harmonie et une subordination des valeurs sociales par rapport à la personne humaine. C'est la philosophie du droit, outre celle de la médecine, qui est ici mise en jeu. La mise en comparaison même entre individu et société dans son ensemble est impossible, parce que la valeur-personne n'est pas une valeur numérique et quantitative, mais une valeur ontologique et qualitative. Aussi ceux qui autorisent le meurtre direct d'une personne innocente portent atteinte à la valeur qui donne sa fondation à toute la société et à chaque personne5.
3. La vie physique, dont il s'agit ici, même si elle ne représente pas la totalité des valeurs de la personne, représente le fondement premier et indispensable de toutes les autres valeurs personnelles.
Aussi la suppression de la vie physique de l'enfant à naître par l'avortement, même « thérapeutique », équivaut à compromettre totalement toutes les valeurs temporelles qui se basent nécessairement sur la vie physique.
4. Le principe « thérapeutique » est, ici, invoqué abusivement et extrapolé, comme nous l'avons déjà indiqué, non seulement parce que très souvent les possibilités alternatives à l'élimination du fœtus ne sont pas prises en examen, mais aussi parce que la finalité thérapeutique est indirecte et passe à travers la suppression d'un bien suprême, la vie.
C'est pourquoi dans la confrontation entre santé de la mère et vie du fœtus, la comparaison est déséquilibrée et viciée et, de toute façon, l'on ne peut pas instrumentaliser la vie de l'enfant à naître pour le bien de la santé (bien secondaire par rapport à la vie) de la mère ; il faudrait aussi prendre en considération le fait que la maternité comporte, en soi, un risque pour la santé, comme tout autre devoir de la vie.
5. L'obligation éthique de la société, de la science et des individus prévoit l'engagement de prévenir, par des moyens légitimes et licites, les situations de risque et de détérioration de la santé des femmes enceintes, pour leur garantir la meilleure assistance hospitalière et technique, c'est-à-dire pour orienter la politique sanitaire vers le soutien de la vie, et non pas vers sa suppression trop facile. La science est pour la vie, la société est pour la personne : tel est l'engagement éthique de fond.
Les cas dramatiques
Ceci dit, même en présence d'appréciations plus rigoureusement scientifiques et même en ayant affaire à des consciences informées et intègres du point de vue éthique, il faut admettre qu'il existe des cas, en nombre plus limité cependant que ceux prévus par les lois abortistes, où le conflit entre la vie de l'enfant à naître et la survie de la mère se pose dans tout son drame humain tant aux parents, qu'aux professionnels de la médecine et qu'au personnel paramédical.
Nous allons maintenant nous occuper de ces cas dramatiques, restant fidèle à une attention multiple : l'attention au drame subjectif, l'attention concernant l'implication personnelle et professionnelle du médecin, du chirurgien ou du gynécologue, et la vision objective des valeurs en question et de la ligne éthique à suivre.
Théoriquement, et peut-être même pas seulement de façon théorique, on peut distinguer deux degrés dans le cas du conflit entre la vie de la mère et la vie du fœtus :
a) la poursuite de la grossesse cause non seulement la mort de la mère, mais ne sauve même pas l'enfant ; par contre, l'avortement provoqué représente pour la mère, le salut ;
b) la poursuite de la grossesse comporte la mort de la mère, alors que l'on peut espérer sauver l'enfant.
Nous nous référons avant tout aux positions éthiques relatives au premier cas, beaucoup plus complexe et grave et qui, de par lui-même, éclaire déjà le deuxième cas.
Certains moralistes, même de milieu catholique, ont, dans le premier cas, cherché des motivations destinées à justifier l'avortement dans le but de sauver la mère, toujours dans le cas où l'alternative est la perte de la mère et de l'enfant. Examinons l'une après l'autre ces motivations :
1. Le conflit des devoirs. Le médecin a le devoir de soutenir la vie de la mère et le devoir de faire naître l'enfant ; ne pouvant les assumer tous les deux, et le conflit se situant dans les choses et non pas dans la volonté des personnes, on choisit le devoir qui est le plus accessible6. Il faut remarquer que déjà ici le choix ne passe pas à travers une assistance prioritaire à la mère, dont dépend involontairement la mort du fœtus ; mais il s'agit d'un choix meurtrier, au moyen d'une action directe de suppression du fœtus vivant. Cet auteur qui propose cette thèse indique que cela ne peut s'accomplir qu'« avec crainte et tremblement ».
2. La qualification subordonnée du fœtus déjà condamné. L'on ne peut pas appeler de plein droit vie humaine le fœtus qui est déjà condamné à mourir de lui-même : on peut, dans ces cas, considérer l'avortement comme une anticipation de la mort, motivée par surcroît par le salut de la mère7.
Il n'est pas difficile de déceler une difficulté dans cette thèse : le fait que l'enfant soit de lui-même condamné à mourir ne constitue pas une raison suffisante pour le supprimer, car l'on ne peut pas comparer la mort naturelle au meurtre direct, autrement n'importe quel acte d'euthanasie pourrait aussi être justifié.
3. L'appréciation globale. On considère que le problème d'assistance mère-enfant en danger est un problème global ; globale est aussi l'activité du médecin responsable : dans cette globalité, ne pouvant obtenir un plein et complet succès, on cherche à obtenir le succès possible8 ; cette ligne directrice se fonde, d'ailleurs, sur l'engagement de protéger la vie, engagement qui est mieux garanti avec le salut de la vie de la mère.
Cette solution aussi est empiriquement critiquable car, en réalité, il ne s'agit pas d'un fait global même si les vies sont au nombre de deux ; et l'engagement de défense de la vie (de la mère) n'autorise pas le moyen disproportionné et monstrueux de la suppression du fœtus ; et l'intention de celui qui agit (finis operantis)ne peut faire abstraction de l'objectivité réelle de l'action (finis operis).
4. Avortement indirect. Le principe de l'action à double effet, un effet bon et un effet mauvais, est bien connu : dans ces cas-là, il est licite d'effectuer l'action en vue de l'effet bon, même s'il en découle indirectement un effet négatif non désiré. La confirmation nous en est donnée par l'admissibilité et la licéité de l'avortement indirect, dans le cas de l'ablation d'une tumeur9.
Toutefois, même dans ce cas, les choses ne se présentent pas de la même manière, car dans le cas en question l'action directe est la suppression du fœtus, l'effet indirect est le salut de la mère. Le vieux concept : non sunt facienda mala ut veniant bona est appliqué et pris en considération ici afin que soient licites et la fin et le moyen.
5. Enfin, l'autre motivation : la non absoluité de la norme. Ne pas tuer ne constitue pas une norme absolue, parce qu'elle a toujours eu des exceptions justifiées : la légitime défense contre un agresseur injuste, le sacrifice pour le bien du prochain, la peine de morts10. Même ce raisonnement, qui n'est d'ailleurs pas nouveau, ne peut prévaloir dans notre cas : parce qu'il s'agit ici d'une vie innocente et non d'un agresseur injuste ou d'un coupable qui, connaissant la peine de mort, la transgresse consciemment. Ensuite, celui qui se sacrifie pour le bien du prochain, le fait consciemment pour un motif supérieur, et ce n'est pas à proprement parler lui qui se tue, mais ce sont les autres qui le tuent injustement.
Conclusion
Conforme à la position personnaliste et aux normes de l'éthique objective, voici notre conclusion :
a) il incombe au médecin de soutenir la vie tant de la mère que de l'enfant, et d'offrir tous les moyens thérapeutiques pour leur salut à tous deux. Le meurtre direct, qui n'est ni un acte médical ni un acte éthique, ne figure pas parmi ces moyens. La vie humaine peut s'interrompre pour de nombreuses causes, mais pour aucune raison la vie innocente qui est une valeur transcendante ne peut être directement supprimée, ni ne peut être directement sacrifiée par autrui même si c'est pour sauver la vie de quelqu'un. En admettant des dérogations à ce principe et en introduisant des appréciations telles que : « vie sans valeur », « valeur subordonnée », « vie non pleinement humaine », on ouvre la voie à l'euthanasie et à tout autre procédé discriminatoire.
b) le cas qui, à première vue, paraît plus simple, est celui de la prévision de la mort de la mère avec la poursuite de la grossesse, liée toutefois à l'espoir de sauver l'enfant.
L'on ne peut pas choisir la vie de la mère, avec une action directe de suppression de l'enfant, parce qu'aucun homme n'a le droit de choisir pour la vie d'autrui.
Il est certainement possible de tenter, dans ce cas, une césarienne, qui est une intervention normale, quand il y a l'espoir de sauver l'enfant, chez une femme déjà en fin de vie : par contre, s'il est possible, avec l'utilisation du masque à oxygène, d'attendre jusqu'au moment de la mort clinique, l'on doit attendre la mort naturelle de la mère.
On peut aussi se trouver dans la nécessité de maintenir artificiellement « en vie » une femme enceinte en état de mort cérébrale dans le but de permettre au fœtus d'atteindre un stade de développement qui puisse lui permettre une vie autonome hors de l'utérus11.
La décision de la Cour Constitutionnelle du 18 février 1975, n° 27, établissant la priorité de la vie et de la santé de la mère, a, sur ce point, ouvert la voie à une procédure discriminatoire et à un abattement progressif des défenses de la vie allant, en tout cas, jusqu'à soumettre la vie du fœtus à la volonté d'autrui : le premier acte de relativisation a été accompli en faveur de la vie maternelle, ce même critère a ensuite été utilisé pour sauvegarder la santé maternelle, puis la santé psychologique, puis pour des raisons sociales.
L'implication de la profession médicale dans cette procédure est telle qu'elle resterait elle-même subordonnée non plus à la vie, mais à l'activité directement meurtrière.
C'est face à cette implication éthique et déontologique que se pose le cas de l'objection de conscience.
Mgr Elio Sgreccia, in Manuel de Bioéthique, W&L (1999)

1. Häring, Liberi e fedeli..., III, pp. 58-60.
2. A. Bompiani, Indicazioni dell'aborto « terapeutico » : stato attuale del problema, in Fiori, Sgreccia (eds.), L'aborto. pp. 191-215.
3. Ibid., p. 214.
4. Partant de cette prémisse, l'Église Catholique a toujours défendu l'inviolabilité de la vie humaine. À ce propos, Pie XII a affirmé que : « [...] il n'existe aucun homme, aucune autorité humaine, aucune science, aucune "indication médicale", eugénique, sociale, économique, morale, qui puisse fournir ou donner un titre juridique valable pour une directe position délibérée sur une vie humaine innocente, c'est-à-dire une disposition destinée à sa destruction, tant comme but que comme moyen pour un autre but peut-être aucunement illicite en soi » (Pie XII, Alle congressiste dell'Unione Cattolica Italiana Ostetriche,(29.10.1951), in Discorsi e Radiomes saggi, XIII, Città del Vaticano 1969, pp. 211-221). À d'autres occasions aussi Pie XII est intervenu sur le thème de l'avortement : Allocuzione all'Unione MedicoBiologica di « S. Luca », 12 novembre 1944 ; Discorso al VII Congresso internazionale di chirurgia, 21 maggio 1948 ; Allocuzione al Convegno de ! « Fronte della Famiglia » e della Federazione delle Associazioni delle Famiglie numerose, 27 novembre 1951. Parmi les interventions suivantes du Magistère, nous rappelons : Jean XXIII, Lettera Enciclica « Mater et Magistra », 15 maggio 1961 ; Paul VI,Lettera Enciclica Hamante Vitre, 25 luglio 1968 ; id., Discorso ai partecipanti al XXIII Congresso Nazionale dell'Unione Giuristi Cattolici Italiani, 9 dicembre 1972 ; Jean-Paul II, Esortazione Apostolica « Familiaris Consortio », 22 novembre 1981 ; id., Discorso ai partecipanti a un Convegno de !« Movimento per la Vita » italiano, 12 octobre 1985 ; id., Lettera aile Famiglie, 2 febbraio 1994 ; id., Lettera Enciclica « Evangelium Vitre », 25 marzo 1995. Pour une analyse de l'enseignement pontifical en matière d'avortement, consulter : M.L. Di Pietro, La Lettera Enciclica « Evangelium Vitte » e l'aborto procurato. Nuovi elementi di riflessione nella continuità di un insegnamento, « Vitae Pensiero », 1995, 10, pp. 653-676.
5. Nous n'examinerons pas ici le problème de la peine de mort ou du sacrifice de personnes particulières pour la défense de la communauté ; ni les cas où il n'y a pas la suppression directe ou lorsqu'il ne s'agit pas de personnes innocentes ; de toute façon, même cette liste de cas devrait être reconsidérée du point de vue éthique par une interprétation différente par rapport au modèle historique.
6. E. Pousset, Être humain déjà, « Études », 1970, novembre, pp. 512-513. Consulter aussi Tettamanzi,Comunità cristiana..., pp. 298-299.
7. R. Troisfontaines, Faut-il légaliser l'avortement ?, « Nouvelle Revue de Théologie », 1971, 103, p. 500.
8. G. Davanzo, L'aborto nella problematica etico-cristiana, « Anime e Corpi », 1971, 38, pp. 550-551, présente l'hypothèse comme point de réflexion dubitative.
9. A. Günthor indique quelques conditions pour effectuer une action qui soit licite (ou accomplir une omission) qui provoque également un effet néfaste : « 1. l'action doit être bonne en soi, ou tout du moins moralement indifférente ; 2. à côté de l'effet néfaste, il y en a aussi un bon, et la volonté tend directement au bon effet, sans viser sur l'effet néfaste, ni comme moyen ni comme fin ; 3. le bon effet n'est pas obtenu à travers l'effet néfaste, mais ce dernier peut tout au plus provenir de l'action parallèlement au bon effet ; 4. la permission de l'effet néfaste ne se justifie que par un mobile adéquat » (in Chiamata       , I, p. 531).
10. J.M. Pidier, La Chiesa e l'aborto, « Il Regno attualità », 1973, 2, pp. 16-17.
11. Consulter à ce propos : A.G. Spagnolo, Bioetica nella ricerca e nella prassi medica, Torino 1997, pp. 357-359.