L’avortement
« thérapeutique »
[ndvi : nous
sommes passés maintenant à l’interruption « médicale » de grossesse (IMG), le «
thérapeutique » étant quand même un peu gros…]
Le conflit entre
la vie de la mère et la vie du nouveau-conçu
Il convient
d'apporter tout de suite quelques précisions et distinctions sur ce thème
particulier.
Avant tout, il
faut dire que la qualification de « thérapeutique » est impropre, car
il ne s'agit pas, en effet, de thérapie, si ce n'est dans un sens impropre et
élargi. Nous avons déjà rappelé quelles sont les conditions pour que l'on
puisse parler de principe thérapeutique : l'une d'entre elles est que
l'intervention médico-chirurgicale soit directement destinée à soigner ou à
enlever la partie malade du corps ; dans le cas dont il est question, il
ne s'agit pas d'agir sur une maladie en cours mais, bien au contraire, on
envisage la suppression du fœtus (sain) pour éviter que la santé de la mère ne
s'aggrave ou que sa vie ne soit mise en danger. Le passage ne se fait pas de
l'action thérapeutique sur la maladie pour rétablir la santé, mais il se
présente plutôt comme une action sur ce qui est sain (sur le fœtus qui peut
aussi être sain), pour prévenir une maladie ou le risque de mort. Il serait
plus juste alors de parler d'interruption de grossesse, en présence de
danger pour la vie ou pour la santé de la mère1.
Une autre
clarification s'avère nécessaire pour comprendre l'« avortement
indirect » qui, au contraire, entrerait dans l'acception proprement
thérapeutique : c'est ce qui se produit quand on enlève une tumeur de
l'utérus et que cela provoque indirectement la mort du fœtus. Cette distinction
n'est plus utilisée aujourd'hui, et le problème ne se pose même plus sur le
plan éthique, alors que l'on use le terme d'« avortement indirect »
pour indiquer l'avortement « thérapeutique », objet de notre étude,
qui est une tout autre question tant du point de vue éthique que médical.
L'acception et
l'extension que l'on entend donner à l'expression « avortement
thérapeutique » est d'une très grande importance, non seulement dans la
littérature médicale mais aussi dans les législations les plus récentes.
Selon A.
Bompiani2, nous pouvons faire les distinctions suivantes :
1. L'avortement
« thérapeutique » est proposé comme l'unique moyen de sauver
la vie de la mère, car la poursuite de la grossesse causerait avec une certitude scientifique
la mort de la mère.
Cette hypothèse
peut donner lieu à deux situations :
a) la poursuite de la grossesse
comporterait la mort certaine de tous les deux ;
b) la poursuite de la grossesse
comporterait avec certitude la mort de la mère, mais avec l'espoir de
sauver l'enfant.
2. L'avortement
« thérapeutique » est proposé pour sauvegarder la santé de la
mère. Cette hypothèse aussi présente des situations à des degrés
divers :
a) l'éventualité
que la poursuite de la grossesse représente un risque mortel pour la vie de la
mère plus qu'un préjudice pour sa santé ;
b) l'hypothèse
que la poursuite de la grossesse comporte une aggravation permanente de la
santé de la mère. Les limites deviennent plus floues et les
prévisions difficiles pour ainsi dire presque impossibles, spécialement si par
santé l'on n'entend pas seulement la dimension organique, mais également la
dimension psychologique ou psychique ;
c) il s'agit simplement d'un intérêt
pour la santé en général, compris en tant qu'« état de bien-être
complet physique, psychologique et émotionnel » ;
d) on considère comme incidences
sanitaires les répercussions psychologiques résultant de
l'aggravation prévisible des conditions économiques, du fait qu'il s'agit d'une
conception non désirée, de la crainte ou de la prévision d'un fœtus atteint
d'anomalies ou de malformations.
Des hypothèses
sont échafaudées dans ce cadre qui aboutissent à admettre, sous le nom
d'« avortement thérapeutique », les cas de l'avortement eugénique
(malformation ou maladie du fœtus), de la motivation contraceptive (enfant non
désiré) et des motivations socio-économiques. Il faut reconnaître que
l'extension progressive, au-delà des « indications médicales », a
souvent été motivée par des raisons politiques, pour inclure sous la mention
« thérapeutique » et sous l'aspect de « réglementation » de
l'avortement toute la casuistique des instances contraceptives et de la « libéralisation ».
Le texte de la
loi italienne 194/78 indique à l'art. 4 : « pour l'interruption
volontaire de grossesse dans les quatre-vingt-dix premiers jours, la femme qui
présente des circonstances pour lesquelles la poursuite de la grossesse,
l'accouchement ou la maternité comporteraient un grave danger pour la santé
physique ou psychique, par rapport à son état de santé, ou à ses conditions
économiques, ou sociales ou familiales, ou aux circonstances dans lesquelles a
eu lieu la conception, ou en prévision d'anomalies ou de malformations du
nouveau-conçu, peut s'adresser à une consultation publique (instituée selon
l'art. 2, lettre a), de la loi du 29 juillet 1975, n° 405, ou à une structure
socio-sanitaire habilitée de la région, ou à un médecin de son choix ».
On peut se rendre
compte de la multiplicité des « indications » ; elles incluent
tout type de motivation socio-économique, et cette formulation du « grave
danger » ne correspond pas à une interprétation ni d'ordre médical ni
de type juridique.
On passe
pratiquement de l'avortement « thérapeutique » à l'avortement conçu
comme « moyen de contrôle des naissances », motivation exclue par la
loi elle-même à l'art. 1, mais en fait réintroduite à l'art. 4. L'histoire de
l'application de cette loi a confirmé cette interprétation subreptice et
extensive. Voyons ce que dit l'art. 6 de la loi italienne, après les
quatre-vingt-dix jours : « L'interruption volontaire de grossesse,
après les quatre-vingt-dix premiers jours, peut être pratiquée :
a) quand la grossesse ou
l'accouchement comporte un grave danger pour la vie de la femme ;
b) quand des processus
pathologiques ont été constatés, y compris ceux concernant des anomalies
importantes ou des malformations chez l'enfant à naître, qui entraînent un
grave danger pour la santé physique ou psychique de la femme ».
Les
« indications » de l'avortement thérapeutique
Il est
nécessaire de donner des précisions supplémentaires sur la consistance et
l'importance des indications médicales en la matière.
a) avant tout, il existe des
conditions organiques de fait qui compliquent la grossesse, ou pour lesquelles
la grossesse provoque une aggravation des conditions de santé ; elles
sont, de toute façon, toujours mieux contrôlables et susceptibles d'être
compensées par une assistance adéquate.
Les progrès de
la médecine et de l'assistance médicale permettent de réduire toujours plus les
risques pour la vie et pour la santé de la mère. Il est évident que, dans ces
cas, l'interruption de grossesse est, même du seul point de vue médical et
déontologique, injustifiée.
b) il existe, ensuite, des
conditions de santé qui sont normalement prises en considération pour l'IVG,
mais pour lesquelles l'interruption a une incidence encore plus négative sur la
santé que la poursuite de la grossesse, ou qui, de toute façon, n'apporterait
pas une réelle amélioration. Il est évident que là aussi l'interruption n'est
pas justifiée médicalement.
c) il existe, enfin, des
conditions où l'aggravation est réelle, mais peut être affrontée avec des méthodes
thérapeutiques autres que l'interruption (la dialyse périodique chez
les femmes enceintes souffrant d'une grave insuffisance rénale, la chirurgie
cardiaque pour les femmes ayant des défauts cardiaques).
Il n'est pas
nécessaire de s'étendre davantage sur ces cas pour comprendre que la vraie
thérapie, celle qui élimine directement la maladie sans offenser la vie du
fœtus, est l'unique thérapie licite.
Sans nous
arrêter sur les indications socio-économiques qui, toutes réelles qu'elles
soient, ne peuvent être mises sur le même plan que la vie de l'enfant à naître,
il y aurait lieu de revoir rigoureusement, avant tout, sur le plan médical et
déontologique, la série des « indications » médicales pour pratiquer
l'IVG. Un grand nombre de ces « indications » ont, à la lumière des
progrès de la science et de l'assistance médicale, perdu leur raison d'être.
La tuberculose,
les cardiopathies, les maladies vasculaires, les maladies de l'appareil
hématopoïétique (certaines formes d'anémie), les maladies rénales, les maladies
hépatiques et pancréatiques, les maladies gastro-intestinales, la chorée gravidique,
la myasthenia gravis, les tumeurs (à l'exception de celles de
l'appareil génital) : toutes ces maladies sont indiquées comme motif à
« indications ». Mais une étude approfondie de chacune d'entre elles,
à la lumière de ce qui vient d'être dit, permet de conclure que le fondement
médical de ces « indications » est très réduit et que les cas où, en
l'absence d'alternative thérapeutique, subsiste un risque réel pour la vie ou
pour la santé de la mère sont en forte et progressive diminution.
Nous pouvons
citer, littéralement, les conclusions de A. Bompiani « Compris comme un
acte capable de soustraire la patiente au danger de mort imminente et comme une
intervention thérapeutique irremplaçable pour parvenir à cette fin,
l'avortement thérapeutique a réellement perdu beaucoup de terrain et ne trouve
plus sa place logique dans les critères modernes d'assistance sociale :
tout au contraire, dans un grand nombre de cas aigus, il s'est révélé plus
nuisible qu'utile juste- ment à cause de l'état de "décompensation"
maternelle »3.
L'appréciation
éthique à propos de l'avortement thérapeutique
Il faut
reconnaître, ou tout du moins supposer, qu'il peut se présenter des cas où la
grossesse peut constituer une circonstance aggravante :
a) les
conditions socio-économiques, ayant des répercussions sur l'état de santé psychique
de la patiente ;
b) les
conditions de santé physique comportant une aggravation permanente de
celle-ci ;
c) un état
de réel et grave danger pour la vie de la mère allant jusqu'à devoir choisir,
dans l'hypothèse la plus grave, entre la vie de la mère et la perte de la mère
et de l'enfant.
Les indications
de caractère éthico-rationnel devront s'orienter selon les lignes de pensée et
de comportement suivantes, conformes à une vision personnaliste de l'homme.
1. Il faut
partir du fait et du principe éthique de base : la personne humaine est la
plus grande valeur dans le monde et elle transcende tout autre bien temporel et
toute considération économique4. C'est pourquoi les autorités
publiques et la communauté doivent prendre en considération les raisons qui se
rattachent aux motivations économiques, en ce sens qu'il faut adapter
l'économie à la personne et non pas sacrifier la personne à l'économie. Cela
est d'autant plus vrai si l'on considère que la vie de chaque individu n'est
pas seulement un bien personnel inaliénable, mais aussi un bien social et
appartenant à tous : la société a, donc, l'obligation de la défendre et de
la promouvoir.
2. Même la
motivation dite « sociale » (nombre des enfants, engagements
éducatifs, etc.) ne peut prévaloir sur la valeur de la vie personnelle, même
d'une seule personne.
Au niveau
ontologique et axiologique, la personne précède la société, car la société tire
son origine des personnes ; c'est en complétant et en aidant la croissance
de chaque personne que la société trouve son fondement. La société est, donc,
pour les personnes et des personnes. C'est pourquoi, même le principe de la
« mise en balance » des valeurs est inconsistant du point de vue
éthique, quand il est appliqué à la justification sociale de l'avortement. Il
n'existe aucune mise en balance, mais une harmonie et une subordination des
valeurs sociales par rapport à la personne humaine. C'est la philosophie du
droit, outre celle de la médecine, qui est ici mise en jeu. La mise en
comparaison même entre individu et société dans son ensemble est impossible,
parce que la valeur-personne n'est pas une valeur numérique et quantitative,
mais une valeur ontologique et qualitative. Aussi ceux qui autorisent le
meurtre direct d'une personne innocente portent atteinte à la valeur qui donne
sa fondation à toute la société et à chaque personne5.
3. La vie
physique, dont il s'agit ici, même si elle ne représente pas la totalité des
valeurs de la personne, représente le fondement premier et
indispensable de toutes les autres valeurs personnelles.
Aussi la
suppression de la vie physique de l'enfant à naître par l'avortement, même
« thérapeutique », équivaut à compromettre totalement toutes les
valeurs temporelles qui se basent nécessairement sur la vie physique.
4. Le principe
« thérapeutique » est, ici, invoqué abusivement et extrapolé, comme
nous l'avons déjà indiqué, non seulement parce que très souvent les
possibilités alternatives à l'élimination du fœtus ne sont pas prises en
examen, mais aussi parce que la finalité thérapeutique est indirecte et passe à
travers la suppression d'un bien suprême, la vie.
C'est pourquoi
dans la confrontation entre santé de la mère et vie du fœtus, la comparaison
est déséquilibrée et viciée et, de toute façon, l'on ne peut pas
instrumentaliser la vie de l'enfant à naître pour le bien de la santé (bien
secondaire par rapport à la vie) de la mère ; il faudrait aussi prendre en
considération le fait que la maternité comporte, en soi, un risque pour la
santé, comme tout autre devoir de la vie.
5. L'obligation
éthique de la société, de la science et des individus prévoit l'engagement de
prévenir, par des moyens légitimes et licites, les situations de risque et de
détérioration de la santé des femmes enceintes, pour leur garantir la meilleure
assistance hospitalière et technique, c'est-à-dire pour orienter la politique
sanitaire vers le soutien de la vie, et non pas vers sa suppression trop
facile. La science est pour la vie, la société est pour la personne : tel
est l'engagement éthique de fond.
Les cas
dramatiques
Ceci dit, même
en présence d'appréciations plus rigoureusement scientifiques et même en ayant
affaire à des consciences informées et intègres du point de vue éthique, il
faut admettre qu'il existe des cas, en nombre plus limité cependant que ceux
prévus par les lois abortistes, où le conflit entre la vie de l'enfant à naître
et la survie de la mère se pose dans tout son drame humain tant aux parents,
qu'aux professionnels de la médecine et qu'au personnel paramédical.
Nous allons
maintenant nous occuper de ces cas dramatiques, restant fidèle à une attention
multiple : l'attention au drame subjectif, l'attention concernant
l'implication personnelle et professionnelle du médecin, du chirurgien ou du
gynécologue, et la vision objective des valeurs en question et de la ligne
éthique à suivre.
Théoriquement,
et peut-être même pas seulement de façon théorique, on peut distinguer deux
degrés dans le cas du conflit entre la vie de la mère et la vie du fœtus :
a) la poursuite de la
grossesse cause non seulement la mort de la mère, mais ne sauve même pas
l'enfant ; par contre, l'avortement provoqué représente pour la mère, le
salut ;
b) la poursuite de la
grossesse comporte la mort de la mère, alors que l'on peut espérer sauver
l'enfant.
Nous nous
référons avant tout aux positions éthiques relatives au premier cas, beaucoup
plus complexe et grave et qui, de par lui-même, éclaire déjà le deuxième cas.
Certains
moralistes, même de milieu catholique, ont, dans le premier cas, cherché des
motivations destinées à justifier l'avortement dans le but de sauver la mère,
toujours dans le cas où l'alternative est la perte de la mère et de l'enfant.
Examinons l'une après l'autre ces motivations :
1. Le conflit
des devoirs. Le
médecin a le devoir de soutenir la vie de la mère et le devoir de faire naître
l'enfant ; ne pouvant les assumer tous les deux, et le conflit se situant
dans les choses et non pas dans la volonté des personnes, on choisit le devoir
qui est le plus accessible6. Il faut remarquer que déjà ici le choix
ne passe pas à travers une assistance prioritaire à la mère, dont dépend
involontairement la mort du fœtus ; mais il s'agit d'un choix meurtrier,
au moyen d'une action directe de suppression du fœtus vivant. Cet auteur qui
propose cette thèse indique que cela ne peut s'accomplir qu'« avec crainte
et tremblement ».
2. La
qualification subordonnée du fœtus déjà condamné. L'on ne peut pas appeler de
plein droit vie humaine le fœtus qui est déjà condamné à mourir de
lui-même : on peut, dans ces cas, considérer l'avortement comme une
anticipation de la mort, motivée par surcroît par le salut de la mère7.
Il n'est pas
difficile de déceler une difficulté dans cette thèse : le fait que
l'enfant soit de lui-même condamné à mourir ne constitue pas une raison
suffisante pour le supprimer, car l'on ne peut pas comparer la mort naturelle
au meurtre direct, autrement n'importe quel acte d'euthanasie pourrait aussi
être justifié.
3. L'appréciation
globale. On considère que le problème d'assistance mère-enfant en
danger est un problème global ; globale est aussi l'activité du médecin
responsable : dans cette globalité, ne pouvant obtenir un plein et complet
succès, on cherche à obtenir le succès possible8 ; cette ligne
directrice se fonde, d'ailleurs, sur l'engagement de protéger la vie,
engagement qui est mieux garanti avec le salut de la vie de la mère.
Cette solution
aussi est empiriquement critiquable car, en réalité, il ne s'agit pas d'un fait
global même si les vies sont au nombre de deux ; et l'engagement de
défense de la vie (de la mère) n'autorise pas le moyen disproportionné et
monstrueux de la suppression du fœtus ; et l'intention de celui qui agit (finis
operantis)ne peut faire abstraction de l'objectivité réelle de l'action (finis
operis).
4. Avortement
indirect. Le
principe de l'action à double effet, un effet bon et un effet mauvais, est bien
connu : dans ces cas-là, il est licite d'effectuer l'action en vue de
l'effet bon, même s'il en découle indirectement un effet négatif non désiré. La
confirmation nous en est donnée par l'admissibilité et la licéité de
l'avortement indirect, dans le cas de l'ablation d'une tumeur9.
Toutefois, même
dans ce cas, les choses ne se présentent pas de la même manière, car dans le
cas en question l'action directe est la suppression du fœtus, l'effet indirect
est le salut de la mère. Le vieux concept : non sunt facienda mala
ut veniant bona est appliqué et pris en considération ici afin que
soient licites et la fin et le moyen.
5. Enfin,
l'autre motivation : la non absoluité de la norme. Ne pas
tuer ne constitue pas une norme absolue, parce qu'elle a toujours eu des
exceptions justifiées : la légitime défense contre un agresseur injuste,
le sacrifice pour le bien du prochain, la peine de morts10. Même ce
raisonnement, qui n'est d'ailleurs pas nouveau, ne peut prévaloir dans notre
cas : parce qu'il s'agit ici d'une vie innocente et non d'un agresseur
injuste ou d'un coupable qui, connaissant la peine de mort, la transgresse
consciemment. Ensuite, celui qui se sacrifie pour le bien du prochain, le fait
consciemment pour un motif supérieur, et ce n'est pas à proprement parler lui
qui se tue, mais ce sont les autres qui le tuent injustement.
Conclusion
Conforme à la
position personnaliste et aux normes de l'éthique objective, voici notre
conclusion :
a) il incombe au médecin de
soutenir la vie tant de la mère que de l'enfant, et d'offrir tous les moyens
thérapeutiques pour leur salut à tous deux. Le meurtre direct, qui n'est ni un
acte médical ni un acte éthique, ne figure pas parmi ces moyens. La vie humaine
peut s'interrompre pour de nombreuses causes, mais pour aucune raison la vie
innocente qui est une valeur transcendante ne peut être directement supprimée,
ni ne peut être directement sacrifiée par autrui même si c'est pour sauver la
vie de quelqu'un. En admettant des dérogations à ce principe et en introduisant
des appréciations telles que : « vie sans valeur »,
« valeur subordonnée », « vie non pleinement humaine », on
ouvre la voie à l'euthanasie et à tout autre procédé discriminatoire.
b) le cas qui, à première
vue, paraît plus simple, est celui de la prévision de la mort de la mère avec
la poursuite de la grossesse, liée toutefois à l'espoir de sauver l'enfant.
L'on ne peut pas
choisir la vie de la mère, avec une action directe de suppression de l'enfant,
parce qu'aucun homme n'a le droit de choisir pour la vie d'autrui.
Il est
certainement possible de tenter, dans ce cas, une césarienne, qui est une
intervention normale, quand il y a l'espoir de sauver l'enfant, chez une femme
déjà en fin de vie : par contre, s'il est possible, avec l'utilisation du
masque à oxygène, d'attendre jusqu'au moment de la mort clinique, l'on doit
attendre la mort naturelle de la mère.
On peut aussi se
trouver dans la nécessité de maintenir artificiellement « en vie »
une femme enceinte en état de mort cérébrale dans le but de permettre au fœtus
d'atteindre un stade de développement qui puisse lui permettre une vie autonome
hors de l'utérus11.
La décision de
la Cour Constitutionnelle du 18 février 1975, n° 27, établissant la priorité de
la vie et de la santé de la mère, a, sur ce point, ouvert la voie à une
procédure discriminatoire et à un abattement progressif des défenses de la vie
allant, en tout cas, jusqu'à soumettre la vie du fœtus à la volonté
d'autrui : le premier acte de relativisation a été accompli en faveur de
la vie maternelle, ce même critère a ensuite été utilisé pour sauvegarder la
santé maternelle, puis la santé psychologique, puis pour des raisons sociales.
L'implication de
la profession médicale dans cette procédure est telle qu'elle resterait
elle-même subordonnée non plus à la vie, mais à l'activité directement
meurtrière.
C'est face à
cette implication éthique et déontologique que se pose le cas de l'objection de
conscience.
Mgr Elio
Sgreccia, in Manuel de Bioéthique, W&L (1999)
1. Häring, Liberi e fedeli..., III, pp.
58-60.
2. A. Bompiani, Indicazioni dell'aborto
« terapeutico » : stato attuale del problema, in Fiori,
Sgreccia (eds.), L'aborto. pp. 191-215.
3. Ibid., p.
214.
4. Partant
de cette prémisse, l'Église Catholique a toujours défendu l'inviolabilité de la
vie humaine. À ce propos, Pie XII a affirmé que : « [...] il n'existe
aucun homme, aucune autorité humaine, aucune science, aucune "indication
médicale", eugénique, sociale, économique, morale, qui puisse fournir ou
donner un titre juridique valable pour une directe position délibérée sur une
vie humaine innocente, c'est-à-dire une disposition destinée à sa destruction,
tant comme but que comme moyen pour un autre but peut-être aucunement illicite
en soi » (Pie XII, Alle congressiste dell'Unione Cattolica
Italiana Ostetriche,(29.10.1951), in Discorsi e Radiomes saggi,
XIII, Città del Vaticano 1969, pp. 211-221). À d'autres occasions
aussi Pie XII est intervenu sur le thème de l'avortement : Allocuzione
all'Unione MedicoBiologica di « S. Luca », 12 novembre
1944 ; Discorso al VII Congresso internazionale di chirurgia, 21
maggio 1948 ; Allocuzione al Convegno de ! « Fronte
della Famiglia » e della Federazione delle Associazioni delle Famiglie
numerose, 27 novembre 1951. Parmi les interventions suivantes du
Magistère, nous rappelons : Jean XXIII, Lettera Enciclica
« Mater et Magistra », 15 maggio 1961 ; Paul VI,Lettera
Enciclica Hamante Vitre, 25 luglio 1968 ; id., Discorso
ai partecipanti al XXIII Congresso Nazionale dell'Unione Giuristi Cattolici
Italiani, 9 dicembre 1972 ; Jean-Paul II, Esortazione
Apostolica « Familiaris Consortio », 22 novembre 1981 ; id.,
Discorso ai partecipanti a un Convegno de !« Movimento per la Vita » italiano, 12 octobre 1985 ; id., Lettera aile Famiglie, 2
febbraio 1994 ; id., Lettera Enciclica « Evangelium
Vitre », 25 marzo 1995. Pour une analyse de l'enseignement pontifical en
matière d'avortement, consulter : M.L. Di Pietro, La Lettera
Enciclica « Evangelium Vitte » e l'aborto procurato. Nuovi elementi
di riflessione nella continuità di un insegnamento, « Vitae
Pensiero », 1995, 10, pp. 653-676.
5. Nous
n'examinerons pas ici le problème de la peine de mort ou du sacrifice de
personnes particulières pour la défense de la communauté ; ni les cas où
il n'y a pas la suppression directe ou lorsqu'il ne s'agit pas de personnes
innocentes ; de toute façon, même cette liste de cas devrait être
reconsidérée du point de vue éthique par une interprétation différente par rapport
au modèle historique.
6. E.
Pousset, Être humain déjà, « Études », 1970, novembre,
pp. 512-513. Consulter aussi Tettamanzi,Comunità cristiana..., pp.
298-299.
7. R. Troisfontaines, Faut-il
légaliser l'avortement ?, « Nouvelle Revue de
Théologie », 1971, 103, p. 500.
8. G. Davanzo, L'aborto
nella problematica etico-cristiana, « Anime e Corpi », 1971,
38, pp. 550-551, présente l'hypothèse comme point de réflexion dubitative.
9. A. Günthor
indique quelques conditions pour effectuer une action qui soit licite (ou
accomplir une omission) qui provoque également un effet néfaste :
« 1. l'action doit être bonne en soi, ou tout du moins moralement
indifférente ; 2. à côté de l'effet néfaste, il y en a aussi un bon, et la
volonté tend directement au bon effet, sans viser sur l'effet néfaste, ni comme
moyen ni comme fin ; 3. le bon effet n'est pas obtenu à travers l'effet
néfaste, mais ce dernier peut tout au plus provenir de l'action parallèlement
au bon effet ; 4. la permission de l'effet néfaste ne se justifie que par
un mobile adéquat » (in Chiamata , I, p.
531).
10. J.M. Pidier, La Chiesa e l'aborto, « Il
Regno attualità », 1973, 2, pp. 16-17.
11. Consulter à
ce propos : A.G. Spagnolo, Bioetica nella ricerca e nella prassi
medica, Torino 1997, pp. 357-359.