Ô Toi l'au-delà de tout, — n'est-ce pas là tout ce qu'on peut chanter de Toi ?
Quelle hymne Te dira le langage ? Aucun mot ne T'exprime 1.
À quoi l'esprit s'attachera-t-il ? Tu dépasses toute intelligence.
Seul, Tu es indicible, car tout ce qui se dit est sorti de Toi :
Seul, Tu es inconnaissable, car tout ce qui se pense est sorti de Toi.
Tous les êtres, ceux qui parlent et ceux qui sont muets, Te proclament.
Tous les êtres, ceux qui pensent et ceux qui n'ont point la pensée, Te rendent hommage.
Le désir universel, l'universel gémissement tend vers Toi.
Tout ce qui est Te prie, et vers Toi tout être qui pense Ton univers fait monter un hymne de silence.
Tout ce qui demeure, demeure par Toi ; par Toi subsiste l'universel mouvement.
De tous les êtres Tu es la fin ; Tu es tout être, et Tu n'en es aucun 2.
Tu n'es pas un seul être, Tu n'es pas leur ensemble ; Tu as tous les noms 3, et comment Te nommerai-je, Toi le seul qu'on ne peut nommer ?
Quel esprit céleste pourra pénétrer les nuées qui couvrent le ciel même ?
Prends pitié,
Ô Toi, l'au-delà de tout ; — n'est-ce pas tout ce qu'on peut chanter de Toi 4 ?
Henri de Lubac, in Sur les chemins de Dieu
1. Cf. Saint EPHREM : « Qui totus alienus est ab omnibus linguis » (Edmund BECK, op. cit., p. 247).
2. Cf. Maxim. SANDAEUS, sj., Pro theologia mystica clavis (1640), p. 167 : « Quae, si ut debent intelligantur, nemo vel Scho-lasticus reprehendit. Ut enim Deus dicitur Omnia, quia orrmia in ipso per unam simplicissimam rationem Deitatis continentur, quo fit ut sit Omnia vel forrnaliter, vel aequivalenter, vel erninenter : ita dici potest Nihil Rerum, quia est ultra omnia ».
3. « La polyonymie de Dieu est un phénomène fréquent dès la fin de l'âge hellénistique ». (FESTUGIÈRE, op., La Révélation d'Hermès Trismégiste, t. IV (1954), p. 65.
4. Cet hymne, qui figure parmi les œuvres de saint Grégoire de Nazianze, serait peut-être de Proclus. (A. Jahn, L.-J. Rosan ; contra : J. Dräseke, A. Ludwig, Schmid-Stählin ; cf. FESTUGIÈRE, op. cit., p. 67.) Il est certain, en tout cas, que, pour l'expression de leur « théologie négative », les Pères de l'Église — et à leur suite les philosophes chrétiens de tous les siècles suivants — doivent beaucoup au néoplatonisme. Ce qui ne signifie pas du tout que leur idée de Dieu, prise en sa totalité, soit néoplatonicienne, ni même qu'elle n'en soit pas très profondément différente. — BOSSUET a traduit une partie de l'hymne dans son Instruction sur les états d'oraison, second traité, ch. XXII, théologie et contemplation de saint Grégoire de Nazianze (éd. E. LEVESQUE, 1897, pp. 58-61).
Non seulement dans les écrits des Pères, mais dans la liturgie elle-même, on trouve un type d'action de grâces, ou plutôt de louanges, « dans lequel le thème chrétien de la connaissance de Dieu revêt le style de la philosophie hellénistique. L'inaccessible grandeur de Dieu y est rendue par l'accumulation d'attributs négatifs ; — généralement formés avec a privatif : "Dieu incréé, inscrutable, ineffable, incompréhensible à toute substance créée". Ainsi dans l'Anaphore de Sérapion... » : Joseph-André JUNGMANN, sj., Missarum Sollemnia, explication génétique de la messe romaine, traduction française, t. 1(1951), p. 58.
Cf. déjà le beau passage de l'Ecclésiastique, XLIII, 27-31 :
Cf. déjà le beau passage de l'Ecclésiastique, XLIII, 27-31 :
Nous en dirions deux fois plus que nous ne serions pas au bout ;
et la fin du discours, c'est qu'Il est le Tout.
et la fin du discours, c'est qu'Il est le Tout.
Louons-Le encore, car nous ne Le pénétrerons pas,
et Il est plus grand que toutes ses œuvres.
Le Seigneur est terrible et souverainement grand,
et merveilleuse est sa puissance.
Vous qui louez le Seigneur, élevez la voix
autant que vous pourrez, car il reste toujours à louer.
Vous qui L'exaltez, prenez de nouvelles forces,
et ne vous lassez pas, car vous ne Le pénétrerez pas.
Qui L'a vu et pourrait en parler, et qui Le louera tel qu'il est ?
(Trad. DUBARLE)
Cf. ANGELUS SILESIUS, Le Pèlerin chérubinique, I. V, 196-197 :
On peut nommer le Très-Haut de tous les noms,
et d'autre part on ne peut lui en attribuer un seul.
Dieu n'est rien et est tout, sans vaine subtilité
car dis ce qu'Il est ? ou nomme quelque chose qu'Il ne soit pas ?
(Trad. H. PLARD, p. 293.)