mardi 10 mai 2011

En lisant... Henri-Dominique Lacordaire, La puissance de Jésus-Christ

Jésus-Christ nous a donné sa parole qu'il était Dieu, il a prouvé la sincérité de sa parole par son caractère : donc il était Dieu. Mais est-ce là toute la preuve de sa divinité ? Sans doute la parole, c'est-à-dire l'affirmation de soi, est la première manifestation des êtres doués d'intelligence ; sans doute le caractère, c'est-à-dire l'expression de soi par la physionomie morale, est la seconde et naturelle manifestation des mêmes êtres : mais est-ce là tout ? n'y a-t-il rien au delà ? Et quand cette démonstration suffirait pour les rapports vulgaires que les hommes ont entre eux, serait-elle suffisante, lorsqu'il s'agit des communications de Dieu avec les hommes ? Non, évidemment non. Car, enfin, il faut une certaine pénétration pour juger d'un caractère ; il faut aussi du temps : ce n'est pas en un jour qu'une physionomie morale se découvre en entier, et lorsque Dieu paraît, lorsqu'il fait tant que de venir, il est manifeste que, du premier coup, il doit y avoir dans son apparition quelque chose qui exclue le doute, qui exclue le débat, qui exclue le temps, qui exclue même la science, quelque chose qui soit reconnaissable de tous et à l'instant, quelque chose, en un mot, qui soit la puissance publique de Dieu et révèle infailliblement sa puissance et son action. De même qu'il existe pour la souveraineté terrestre une expression certaine de sa majesté, il doit y avoir pour Dieu un mode éminent et égal à lui, par lequel, venant à se montrer, toute intelligence, à moins d'une révolte insensée, se courbe et dise : « C'est Lui ». Quel est ce mode de manifestation que j'ai appelé la puissance publique de Dieu ? En quoi consiste-t-il ? Jésus-Christ l'a-t-il possédé ? Quelles sont les objections auxquelles il donne lieu, et la réponse qui les détruit ? Tel est le vaste champ que nous allons parcourir.
Nul être ne peut se manifester que par les éléments qu'il contient en lui et qui constituent sa nature. Or tout être, quel qu'il soit, ne renferme que trois éléments, la substance, la force et la loi : la substance, qui est le fond de l'être ; la force, qui est son activité ; la loi, qui est la mesure de son action. Si nous jetons un regard sur le dernier des êtres, nous y reconnaîtrons ces trois éléments. Ainsi l'atome a une substance, quelque chose qui se tient, qui se porte, quelque chose que nous ne pouvons pas analyser, mais que nous avons appelé d'un nom mystérieux, qui veut dire ce qui est dessous et qui soutient tout ce qui est dessus. L'atome a une force de résistance ; pour le déplacer, encore faut-il un mouvement, si léger qu'il soit, et sans ce mouvement il restera là. Il a une force de cohésion par laquelle ses parties se retiennent ensemble, une force d'affinité par laquelle il attire à lui d'autres atomes ; car c'est sa vocation, comme c'est la vôtre, de s'agrandir. Il a une force de passivité par laquelle il reçoit la lumière, la chaleur et tous les fluides dont sa vie obscure, mais savante et profonde, a besoin. Enfin sa substance et sa force sont réglées par une loi ; il n'est pas seul au monde, il est lié à d'autres êtres, il subit des influences comme on subit la sienne ; il a une mesure dans son action, comme les autres ont une mesure dans leur action sur lui. Substance, force, loi, tout cela est dans un atome, et tout cela est en Dieu, qui est le père de l'atome. Dieu est la plénitude de la substance, la plénitude de la force, la plénitude de la loi ; il est la substance infinie, la force absolue, la loi éternelle. Il est plus encore que cela : il est le centre de toutes les substances, qu'il a créées et qu'il conserve ; le centre de toutes les forces, qui partent de lui et reviennent à lui ; le centre de toutes les lois, dont il est le principe, la sanction et la majesté.
Les êtres étant ainsi faits, depuis l'atome jusqu'à Dieu, tout être peut se manifester triplement, par sa substance, par sa force et par sa loi. Par sa substance : ainsi les corps nous apparaissent-ils ; par sa force : ainsi l'âme se révèle-t-elle à nous ; par sa loi : ainsi les astres, même invisibles, se font-ils pressentir de l'astronome à l'aide du mouvement général qui les gouverne, en les tenant ou en les emportant loin de nos regards. Et par conséquent Dieu lui-même peut se manifester comme substance, comme force et comme loi, comme centre de toutes les substances, de toutes les forces et de toutes les lois.
Il est vrai, présentement il nous cache sa substance, à nous autres hommes, et nous pouvons dire de lui avec le prophète : Vous êtes vraiment le Dieu caché ! Mais s'il nous dérobe cette vision directe de lui-même, ce n'est point par impuissance ou par envie, c'est par respect pour notre liberté et pour le commerce même qu'il veut entretenir avec nous. Si nous eussions vu tout d'abord sa substance, l'éclat irrésistible de cette manifestation eût ravi notre âme à ses libres mouvements ; elle eût adoré Dieu malgré elle, tandis que l'adoration voulue de Dieu, et qu'Il a droit de vouloir, est une adoration de choix et d'amour, qui sorte de notre cœur et qui touche le sien. Il fallait donc que Dieu se manifestât sans nous éblouir et nous rendre les esclaves de sa beauté ; il fallait que nous Le vissions sans Le voir, que nous fussions certains de Sa présence sans en être opprimés, et c'est pourquoi Il nous a caché sa substance tout en nous laissant Sa lumière, comme il arrive que le soleil assemble des nuages pour diminuer sa splendeur, tout en demeurant visible au milieu du ciel.
Si la manifestation de Dieu par sa substance eût été trop forte pour notre liberté, il y avait un autre inconvénient à ce qu'Il ne se manifestât que par Sa loi. La loi de Dieu, c'est la vérité, c'est-à-dire l'ensemble de tous les rapports nécessaires et de tous les rapports possibles, de tous les rapports incréés et de tous les rapports créables. En nous révélant la vérité, Dieu se révèle bien Lui-même à nous, mais sous une forme qui nous permet facilement de le méconnaître, parce que nous détachons la vérité du fond vivant qui la porte, et que nous en faisons une sorte de création et d'idole de notre esprit ; ou bien encore parce que, ne pouvant, en certains cas, la saluer comme le produit de notre intelligence, nous la mettons dehors, ainsi qu'une étrangère qui nous offense et nous ment. Sans doute, Dieu peut élever la vérité jusqu'à la prophétie, en annonçant de loin les rapports qui s'établiront au fond des âges entre des choses et des empires dont le nom n'existe pas encore ; mais la prophétie a besoin de temps pour s'accomplir et se vérifier ; jusqu'au dernier moment elle demeure suspendue dans l'histoire comme un rêve indigne de notre attention, et si elle veut s'attacher à des événements trop voisins, elle perd de sa force en perdant de son antériorité. Même à l'état prophétique, la vérité ne saurait donc être le signe instantané de la présence divine. De la sorte, tandis que la manifestation de Dieu par Sa substance serait trop absolue, celle qu'Il nous donne de Lui par Sa loi, c'est-à-dire par la vérité, est trop faible pour nous convaincre immédiatement.
Reste à Dieu la force pour se révéler avec une clarté qui ne donne ni trop ni trop peu de jour.
Mais la force elle-même, Dieu la possède et peut l'exercer dans trois ordres différents : l'ordre physique, qui renferme tous les règnes de l'âme ; l'ordre moral, qui est l'ensemble des choses de l'âme ; l'ordre social, qui comprend l'âme et le corps de l'homme, rangés sous les lois de l'unité. Or Dieu a visiblement appliqué Sa force par Jésus-Christ aux deux derniers ordres, c'est-à-dire à l'âme et à la société. Toutefois ce signe de divinité ne pouvait être l'auréole immédiate et subite de Jésus-Christ, lorsque, paraissant pour la première fois au milieu des hommes, il avait à leur présenter ses lettres de créance au nom du Père, dont Il se disait l'unique et auguste Fils. La conversion de l'âme, son élévation aux plus inaccessibles vertus, exigent du temps et la coopération de l'homme lui-même ; la fondation d'une société visible, douée des privilèges de l'unité, de l'universalité, de la stabilité, de la sainteté exige un temps plus grand encore, et la coopération d'une multitude innombrable d'hommes disséminés sur la face des âges et des lieux. Dieu ne crée pas une société du jour au lendemain ; Il ne convertit même pas une âme du jour au lendemain ; et quand par hasard Il accomplit ce dernier prodige, celui qui en a été l'objet et qui en a l'inébranlable conscience, ne devient pas tout de suite un flambeau qui éclaire le monde du spectacle de sa vertu. On porte longtemps dans l'ombre le mystère de Dieu, on se retire comme saint Paul dans le désert, et ce désert, fût-il la foule elle-même, passe bien des jours à côté d'une âme transfigurée avant d'y reconnaître le signe divin.
Que reste-t-il donc à Dieu, pour être son mode éminent d'apparition, son cachet propre et inimitable, le relief public de sa figure dans l'espace et le temps ? Il lui reste sa force physique, ou, en d'autres termes, sa souveraineté sur la nature, souveraineté qui ne rencontre dans la matière et l'ordre qui en sont le théâtre, aucune liberté à respecter, et par conséquent aucune coopération à solliciter et à attendre, mais seulement une immense énergie dont la soumission instantanée annonce le maître du ciel et de la terre à tout homme qui n'a pas peur de rencontrer Dieu. Le propre de cet acte souverain est de n'exiger dans le spectateur ni étude, ni science, ni aucun appareil qui coûte du temps ou de la distinction, mais seulement de la bonne foi. Il est si étranger à tous les procédés humains, qu'il produit au moins la confusion, s'il ne produit la conviction, et que le rebelle n'a que le silence contre l'exclamation de l'homme droit : Le doigt de Dieu est là ! Aussi les langues humaines, organes mystérieux de la vérité, ont-elles donné un nom singulier à l'acte par lequel Dieu exerce Sa souveraineté sur la nature et manifeste instantanément Sa présence aux hommes ; elles l'ont appelé miracle, c'est-à-dire l'acte admirable par excellence, l'acte qui constitue la puissance publique de Dieu.
Mais Jésus-Christ porte-t-il sur son front ce signe de la force absolue ? A-t-il opéré des miracles ? A-t-il exercé la puissance publique de Dieu ?
Un jour Jean-Baptiste envoie ses disciples pour lui demander : Êtes-vous celui qui doit venir, ou bien faut-il que nous en attendions un autre ; Jésus-Christ leur répond : Allez et annoncez à Jean ce que vous avez entendu et ce que vous avez vu. Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. C'est-à-dire que Jésus-Christ, cet homme en qui nous avons reconnu le plus admirable caractère qu'ait signalé l'histoire, ne craint pas de donner pour preuve de sa mission et de sa divinité toute une suite de faits miraculeux opérés par lui. Et en effet, d'un bout à l'autre de ses pages, l'Évangile est un tissu de paroles simples qui vont jusqu'au fond de l'âme, et de paroles prodigieuses qui bouleversent la nature jusque dans ses fondements. En vain veut-on les séparer, et voir deux œuvres dans une seule œuvre ; l'Évangile résiste à cette analyse, qui prétend extraire de son sein la substance morale au mépris de la substance miraculeuse, ravir au thaumaturge l'appui du sage, et au sage l'appui du thaumaturge. Tous les deux se tiennent étroitement unis contre les subtils efforts de l'incrédulité ; la doctrine appuie le miracle, le miracle justifie la doctrine, et l'Évangile parcourt le monde avec un caractère invincible d'unité, qui ne souffre et n'obtient pour Jésus-Christ qu'une haine absolue ou une totale adoration.
Cette unité, pour qui réfléchit avec quelque profondeur, est à elle seule une démonstration. Pourtant, l'incroyance, étonnée de ne pouvoir diviser Jésus-Christ, se retourne sur elle-même et se dit avec anxiété : est-il donc bien vrai que Jésus-Christ ait rendu la vue aux aveugles, la marche aux boiteux, la pureté aux lépreux, l'ouïe aux sourds, la vie aux morts ? Est-il vrai qu'il ait agi en maître de la nature, et que chaque jour, sous les yeux du peuple, à la clarté du soleil, son doigt créateur ait prouvé qu'une vertu divine habitait en lui ? Est-il vrai que cela soit ? N'y a-t-il pas un horrible mensonge greffé sur la sincérité de cette vie ?
L'Évangile est d'un temps historique ; il est une histoire. Les miracles de Jésus-Christ ont eu lieu sur les places publiques, en présence d'une foule innombrable de toutes les conditions, devant des ennemis nombreux et acharnés. Ils étaient la base d'un enseignement qui partageait tout un pays, et qui bientôt partagea l'univers. Si, malgré le caractère de vérité qui fait de l'Évangile un livre à part, vous suspectez son témoignage, comme étant l'œuvre de ceux qui croyaient en Jésus-Christ, vous ne pouvez ; par une raison contraire, suspecter les récits et les impressions de ceux qui ne croyaient pas au maître nouveau, et qui persécutaient dans tout le monde ses disciples, ses doctrines et jusqu'à son nom. Un débat public était engagé ; un homme s'était dit Dieu ; Il était mort pour l'avoir dit ; sa nation, divisée sur sa tombe, en appelait de ce sang, et on en appelait d'elle à ce sang répandu, qui trouvait partout des adorateurs ; il y avait là un intérêt suprême et une suprême publicité. Or la publicité est une puissance qui force les ennemis d'une cause à se prononcer tout haut, et à concourir malgré eux à la formation authentique d'une histoire qu'ils détestent et qu'ils voudraient anéantir. C'est en vain, la publicité les presse, il faut qu'ils parlent, et que, même en calomniant, ils disent assez la vérité pour qu'elle ne puisse plus périr. C'est là ce qui sauve l'histoire. Il n'y a rien à quoi dans le monde on en veuille plus ; les oppresseurs des peuples et les oppresseurs de Dieu ne travaillent à rien plus ardemment qu'à empêcher l'histoire d'exister ; ils rassemblent contre elle le silence des quatre vents du ciel ; ils renferment leurs victimes dans les murs étroits et profonds des cachots ; ils mettent autour encore des canons, des lances, tous les appareils de la menace et de la peur : mais la publicité est plus forte que tout empire ; elle entraîne ceux-là mêmes qui l'ont en exécration ; elle les contraint de parler ; les canons se détournent, les lances se baissent, et l'histoire passe !
Ainsi a passé l'histoire des miracles de Jésus-Christ. Elle a passé par ses ennemis mêmes, par les pharisiens qui avaient crucifié Jésus-Christ, par les rationalistes païens, qui crucifiaient sa mémoire. Il fallait bien que les Juifs déicides, devant une publicité qui remplissait la terre, s'expliquassent sur la vie miraculeuse du Christ ; il fallait qu'ils prononçassent un oui ou un non, et le non, ils n'ont pas osé le dire, parce que personne au monde, dès qu'il parle, ne peut dire un mensonge absolu sur des faits publics. Le mensonge absolu n'est pas plus possible dans l'ordre de l'histoire, que l'erreur absolue n'est possible dans l'ordre de la spéculation.
Les Juifs ont dénaturé les miracles du Christ, ils ne les ont pas niés. Ils ont écrit que Jésus avait dérobé dans le temple le nom incommunicable de Dieu, et que c'était à l'aide de ce nom souverain qu'il commandait à la nature. Cette explication est consignée dans les monuments les plus sérieux de leur tradition, et c'est tout ce qu'ils ont pu contre la mémoire accusatrice de Jésus-Christ, contre ce sang que tout l'univers leur reprochait et leur reproche encore. Mais que pouvaient-ils de plus ? La publicité est la maîtresse des hommes qui ont vu ; elle se change en tradition sur leur tombeau, et les poursuit d'âge en âge, de justice en justice, jusque dans leur dernière postérité.
Les rationalistes païens sont venus à leur tour mettre la main dans l'histoire de Jésus-Christ. Sans doute ils n'avaient pas pris part à son supplice et ce n'était pas son sang qui leur faisait peur ; mais, avec son sang, Jésus-Christ avait répandu sur le monde une vérité qui convainquait de néant la raison des sages : les sages pouvaient-ils lui pardonner ? Ils eurent donc aussi à donner de sa vie un texte critique, et à user, pour l'amoindrir, de toutes les ressources que pouvaient présenter les traditions et les discussions de leur temps. Qu'ont-ils dit des miracles de Jésus-Christ ? Qu'en ont dit Celse, Porphyre, Julien, hommes à jamais illustres pour avoir été, dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, les hérauts du Fils de Dieu dans les offices incomparables de l'inimitié ? Ont-ils nié que Jésus-Christ eût fait des œuvres merveilleuses à l'appui de sa doctrine ? Ils ne l'ont pas plus nié que les Juifs ; ils ont fait de lui seulement un habile magicien. Pourquoi un magicien, et non pas un sage ? Quelle nécessité d'une aussi étrange expression ? C'est que l'histoire était là. On pouvait bien dénaturer le côté miraculeux de Jésus-Christ, on ne pouvait pas s'en taire.
Il reste donc acquis, par le témoignage même des ennemis du Christ, que sa prédication a été accompagnée de prodiges surhumains. Mais il ne faut pas séparer ces motifs extérieurs de foi, tout graves qu'ils sont, du caractère intime de l'Évangile et de Jésus-Christ. Tout se lie dans un édifice de la base au sommet. Si Jésus-Christ a été une nature sincère, ainsi que nous l'avons démontré, une nature marquée au trait d'une supériorité divine, sa sincérité et sa supériorité appellent la confiance sur ses miracles comme sur les affirmations pures qu'il a faites de lui. Si Jésus-Christ n'a pas menti en disant qu'Il était Dieu, à plus forte raison n'a-t-Il pas menti en agissant comme Dieu. Car il est plus honteux, plus contraire à la sincérité d'opérer des prestiges, c'est-à-dire, pardonnez-moi l'expression, mais cette expression même, par sa force, témoigne du mépris de l'humanité pour les prestiges, il est plus honteux, dis-je, d'être un jongleur que d'être un fourbe. Le fourbe n'emploie que sa parole pour tromper ; le jongleur y ajoute de viles manipulations destinées à éblouir les yeux de spectateurs ignorants. C'est un mensonge sur un mensonge, une indignité sur une indignité. Et c'est pourquoi les langues humaines, habiles à exprimer le mépris, ont créé cet odieux nom de jongleur pour désigner tout homme qui a l'audace d'appeler le prestige au secours de l'imposture.
La supériorité de Jésus-Christ n'est pas moins favorable à la réalité de ses miracles que sa sincérité. Nul homme grave et profond n'usera jamais de prestige pour appuyer un enseignement doctrinal. Car qu'est-ce que le prestige ? C'est l'emploi d'une force inconnue à la science du temps où l'on vit. Mais la science ne tardera pas à venir ; absente un moment, elle est inévitable dans le cours de l'humanité ; elle se lève un jour toute radieuse, et, retournant son éclat investigateur sur le passé, elle juge tout, elle pèse tout, elle vérifie tout, et tandis qu'elle donne aux œuvres véritables du génie ou de la Divinité leur dernière consécration, elle réduit en poudre les puériles pratiques qui avaient surpris la bonne foi des générations inexpérimentées. Aussi, rien de grand sur la terre ne s'est fondé sur le prestige ; toute œuvre de quelque force et de quelque dignité, encore même qu'elle ne fût pas pure de mensonge, a puisé dans quelque chose d'ancien et de vrai sa portion de solidité. Mahomet vous en est un mémorable exemple. Auteur d'une révolution religieuse dans un pays que n'éclairait pas la science, il a employé à son succès tous les moyens humains, sauf le prestige, parce que le prestige n'est pas un moyen humain. Je viens de lire le Coran tout entier. De vingt pages en vingt pages, Mahomet se pose la question des miracles ; il s'objecte et on lui objecte qu'il n'en fait pas ; pas une seule fois il ne se hasarde à dire qu'il en a fait ou qu'il en fera. Il élude constamment la question. Il invoque Abraham, Moïse, tous les patriarches, tel endroit de sa vie où Dieu l'a protégé, telle victoire qui a couronné ses armes et justifié sa doctrine ; il affirme de plus belle que Dieu est Dieu, et que Mahomet est son prophète : voilà tout. Et ce n'est pas une petite marque de son habileté, et même de son génie, que ce mépris du prestige et cette bonne tenue dans les idées de la Providence et les souvenirs traditionnels.
Et vous voulez que Jésus-Christ, l'auteur de l'Évangile, soit descendu aux plus viles imitations de la toute-puissance de Dieu, qu'Il ait passé le temps de sa mission publique à tromper les yeux de ses contemporains par des simulacres aussi honteux qu'impuissants ! Vous voulez qu'un si misérable jeu ait obtenu le plus grand succès de foi dont le genre humain ait encore été l'artisan ? Cela n'est pas possible. Le sens commun parle aussi haut que l'histoire contre une telle supposition. La vie publique de Jésus-Christ correspond à sa vie intime, et sa vie intime confirme sa vie publique. Il s'est dit Dieu, Il s'est cru Dieu, Il a agi comme Dieu, et précisément parce que cette position est d'une force admirable, il a fallu tenter contre elle les derniers efforts ; l'histoire comme le bon sens parlant trop haut en faveur de Jésus-Christ, il a fallu recourir à la métaphysique et à la physique pour lui arracher au moins le spectre des miracles. Voyons si l'on a réussi.
On nous a dit deux choses. On nous a dit d'abord : Jésus-Christ n'a pas fait de miracles, parce qu'il est impossible d'en faire. On nous a dit en second lieu : il importe peu que Jésus-Christ ait fait des miracles ; car tout le monde en peut faire, tout le monde en a fait, tout le monde en fait.
Premièrement, Jésus-Christ n'a pas fait de miracles, parce qu'il est impossible qu'on en fasse. Et pourquoi ? Parce que la nature est soumise à des lois générales qui font de son corps une harmonieuse et parfaite unité, où chaque partie correspond au tout, de manière que, violée dans un seul de ses points, elle périrait tout entière à la fois. L'ordre, même lorsqu'il vient de Dieu, n'est pas une chose arbitraire qui se puisse détruire ou changer à volonté ; l'ordre exclut le désordre nécessairement, et nul plus grand désordre ne saurait être conçu dans la nature que cette action souveraine qui aurait la faculté d'en briser les lois et la constitution. Le miracle est impossible à ces deux titres : impossible comme désordre, impossible parce qu'une violation partielle de la nature en serait l'anéantissement.
C'est-à-dire qu'il est impossible à Dieu de se manifester par le seul acte qui annonce publiquement et instantanément sa présence, par l'acte de souveraineté. Tandis que le dernier des êtres a le droit de se produire au sein de la nature par l'exercice de la force qui lui est propre, tandis que le grain de sable, appelé dans le creuset du chimiste, répond à ses interrogations par des signes caractéristiques qui le classent dans les registres de la science, à Dieu seul il serait interdit de manifester sa force dans la mesure personnelle qui le distingue et qui en fait un être à part ! Non seulement Dieu ne se serait pas manifesté, mais il Lui serait impossible à tout jamais de se manifester, en vertu même de l'ordre dont Il est le créateur. Agir, c'est vivre ; paraître, c'est vivre ; se communiquer, c'est vivre : mais Dieu ne peut plus agir, paraître, se communiquer ; cela Lui est interdit. Relégué au fond de son éternité sourde et obscure, si nous l'interrogeons, si nous le supplions, si nous crions vers lui, il ne peut que nous répondre, supposé toutefois qu'Il puisse nous répondre : « Que voulez-vous j'ai fait des lois ? demandez au soleil et aux étoiles, demandez à la mer et aux sables de ses rivages ; pour moi, mon sort est accompli, je ne suis plus rien que le repos et le serviteur contemplatif des œuvres de ma droite ».
Ah ! ce n'est pas ainsi que jusqu'à présent l'humanité tout entière a compris Dieu. Elle L'a compris comme un être libre et souverain ; et encore qu'elle n'ait pas toujours eu de sa nature une connaissance exacte, elle ne Lui a du moins jamais refusé la puissance et la bonté. Partout et toujours, sûre de ces deux attributs de son Père céleste, elle a fait monter vers lui son inextinguible prière ; elle Lui a tout demandé, et Lui demande chaque jour, à deux genoux, la lumière de l'esprit, la droiture du cœur, la santé du corps, l'éloignement des fléaux, la victoire dans la guerre, la prospérité dans la paix, la satisfaction de tout besoin au ciel, sur la terre et dans les enfers.
Il y a ici quelque pauvre femme qui entend à peine ce que je dis. Ce matin elle s'est mise à genoux au chevet de son enfant malade, et, abandonnée de tous, n'ayant pas de pain pour la journée, elle a croisé ses mains, elle a fait appel à Celui qui fait mûrir le blé et qui crée la charité ; elle Lui a dit : « Seigneur, venez à mon secours, hâtez-vous de venir ! » Et, en ce moment même, des voix innombrables s'élèvent vers Dieu de tous les points de la terre pour Lui demander des choses où la nature toute seule ne peut rien, et où ces âmes sont persuadées que Dieu peut tout. Qu'est-ce donc qui se trompe ici ? Qui se trompe du métaphysicien ou du genre humain ? Et comment la nature nous a-t-elle appris à mépriser la nature pour nous confier à Dieu ? Car ce n'est pas la science qui nous enseigne à prier ; nous prions malgré la science, et comme il n'y a ici-bas que la science, la nature et Dieu, si nous prions malgré la science, il faut bien que ce soit la nature ou Dieu qui nous enseigne à prier et à croire de tout notre cœur aux miracles de la puissance et de la bonté divines. Après cela, que la nature s'en trouve mal ou non, qu'elle doive périr chaque fois que Dieu la touche du doigt, c'est assurément notre moindre souci. Par égard pourtant pour certaines sortes d'esprits, je prouverai que le miracle n'attente en rien à l'ordre naturel.
La nature, comme je l'ai déjà dit, se réduit à trois éléments : les substances, les forces et les lois. Les substances sont essentiellement variables ; elles changent de forme, de poids, se combinent et se séparent à tout moment. Les forces le sont aussi ; elles augmentent ou diminuent, s'accumulent ou se détendent. Il n'y a d'immuable que les lois mathématiques, qui gouvernent à la fois les forces et les substances, et d'où dépend tout l'ordre de l'univers. La mobilité des forces et des substances répand le mouvement et la vie dans la nature ; l'immutabilité des lois mathématiques y maintient une ordonnance qui ne faillit jamais. Sans les premières tout y serait mort ; sans les secondes tout y serait chaos. Cela posé, quand Dieu opère un miracle, que fait-il ? Touche-t-il au principe de l'ordre universel, qui est la loi mathématique ? Pas le moins du monde. La loi mathématique appartient à la région des idées, c'est-à-dire à la région de l'éternel et de l'absolu ; Dieu n'y peut rien, car c'est Lui-même. Mais Il agit sur les substances et sur les forces : sur les substances, qui sont créées ; sur les forces, qui ont leur racine dans sa suprême volonté. Semblable à nous, qui, soumis aux combinaisons générales de la nature, tirons cependant de notre vitalité intime, des mouvements contraires en apparence aux règles de la pesanteur, Dieu agit sur l'univers comme nous agissons sur notre corps. Il applique quelque part la force qui est nécessaire pour y produire un mouvement inaccoutumé : c'est un miracle, parce que Lui seul, dans le réservoir infini de sa volonté, qui est le centre de toutes les forces créées et créables, peut puiser assez d'éléments pour agir subitement à ce degré. S'il Lui plaît d'arrêter le soleil, pour me servir de l'expression vulgaire, il oppose à sa force de projection une force qui la contrebalance, et qui, en vertu même de la loi mathématique, produit le repos. Il ne Lui est pas plus difficile d'arrêter le mouvement total de l'univers.
Ainsi en est-il de tous les autres miracles ; c'est une question de force, dont l'usage, loin de blesser l'ordre physique, ce qui serait très peu de chose, y rentre de soi, et, de plus, maintient sur la terre l'ordre moral et religieux, sans lesquels l'ordre physique n'existerait pas.
Cette objection éclaircie, hâtons-nous d'épuiser la seconde. On nous dit que le miracle ne prouve rien, parce que toutes les doctrines ont eu des miracles en leur faveur, et qu'à l'aide d'une certaine science occulte, il est facile d'en opérer.
Je nie hardiment qu'aucune doctrine historique, c'est-à-dire, fondée au plein jour de l'histoire par des hommes authentiquement connus, possède pour base des faits miraculeux. Quant aux temps présents, nous n'en avons pas d'exemple ; personne, sous nos yeux, parmi tant d'instituteurs du genre humain dont nous avons le spectacle, n'a encore osé nous promettre l'exercice d'une puissance supérieure à la puissance vulgaire dont nous disposons. Personne de nos contemporains n'a paru sur les places publiques pour guérir des aveugles et ressusciter des morts. L'extravagance ne s'est montrée que dans les idées et le style, elle n'a pas passé plus loin. En redescendant du siècle présent jusqu'à Jésus-Christ, personne encore, dans l'innombrable multitude des hérésiarques fameux, n'a pu se vanter de commander à la nature, et mettre sous la protection du miracle les inspirations de l'orgueil révolté. Mahomet, hérétique et infidèle tout à la fois, ne l'a pas tenté plus que les autres ; je l'ai déjà dit, et le Coran le dira mieux à qui voudra prendre la peine de lire ce plagiat de la Bible fait par un écolier de rhétorique de la Mecque. Au delà de Jésus-Christ, dans les siècles revendiqués par l'histoire, que reste-t-il, en laissant de côté Moïse et les prophètes, c'est-à-dire les propres ancêtres de Jésus-Christ ? Compterons-nous quelques faits singuliers de la Grèce et de Rome ? Parlerons-nous de cet augure qui coupa, dit Tite-Live, une pierre avec un rasoir, ou bien de cette vestale qui fit marcher un vaisseau en le tirant par sa ceinture, ou bien encore de l'aveugle guéri par Vespasien montant à l'empire ? Ces faits, quels qu'ils soient, sont isolés et ne tiennent à aucune doctrine ; ils n'ont provoqué aucun débat dans le monde et n'y ont rien établi ; ce ne sont pas des faits doctrinaux. Or il s'agit ici de miracles fondateurs de doctrines religieuses, les seuls dont il y ait à s'occuper ; car, évidemment, si Dieu se manifeste par des actes de souveraineté, ce doit être pour une grande cause, digne de lui et digne de nous, c'est-à-dire pour une cause où il s'agisse des destins éternels de l'humanité. C'est ce qui met hors de la discussion tous les faits isolés, tels que ceux rapportés dans la Vie d'Apollonius de Thyane.
Ce personnage est du premier siècle de l'ère chrétienne, et sa vie a été écrite beaucoup plus tard par un philosophe alexandrin appelé Philostrate, qui a voulu en faire le pendant de l'Évangile, et d'Apollonius lui-même le calque de Jésus-Christ. Il est sorti de ce dessein une physionomie très singulière et on ne peut plus curieuse ; mais c'est tout. Qu'a fait doctrinalement Apollonius de Thyane ? Où sont ses écrits, ses œuvres sociales, la trace de son passage sur la terre ? Il est mort le lendemain de sa vie. Eût-il, au lieu de quelques faits équivoques, remué les montagnes de son vivant, ce ne serait encore qu'une curiosité littéraire, un accident, un homme, rien.
Où sont donc les doctrines fondées au soleil de l'histoire sur des faits miraculeux ? Où est dans le monde historique une autre toute-puissance que celle de Jésus-Christ, d'autres miracles que les siens et ceux des saints qui l'ont pris pour maître, et ont puisé dans ses cendres la force de continuer ce qu'il avait commencé ? Rien ne paraît à l'horizon I Jésus-Christ reste seul, et ses ennemis, en l'environnant d'une attaque immortelle, ne peuvent lui opposer que des doutes, et pas un fait égal à lui, ou même analogue à lui.
Mais du moins n'existe-t-il pas dans la nature des forces occultes qui nous ont été révélées depuis, et dont Jésus-Christ se serait autrefois emparé ? Je nommerai ces forces occultes auxquelles on fait allusion, je les nommerai sans crainte : on les appelle les forces magnétiques. Et je pourrais m'en délivrer aisément, puisque la science ne les reconnaît pas encore, et même les proscrit. Toutefois, j'aime mieux obéir à ma conscience qu'à la science. Vous invoquez donc les forces magnétiques : eh bien ! j'y crois sincèrement, fermement ; je crois que leurs effets ont été constatés, quoique d'une manière qui est encore incomplète et qui le sera probablement toujours, par des hommes instruits, sincères et même chrétiens ; je crois que ces effets, dans la grande généralité des cas, sont purement naturels ; je crois que le secret n'en a jamais été perdu sur la terre, qu'il s'est transmis d'âge en âge, qu'il a donné lieu à une foule d'actions mystérieuses dont la trace l est facile à reconnaître, et qu'aujourd'hui seulement il a quitté 'ombre des transmissions souterraines, parce que le siècle présent a été marqué au front du signe de la publicité : je crois tout cela. Oui, par une préparation divine contre l'orgueil du matérialisme, par une insulte à la science qui date de plus haut qu'on puisse remonter, Dieu a voulu qu'il y eût dans la nature des formes irrégulières, irréductibles à des formules précises, presque inconstatables par les procédés scientifiques. Il l'a voulu, afin de prouver aux hommes tranquilles dans les ténèbres des sens, qu'en dehors même de la religion, il restait en nous des lueurs d'un ordre supérieur, des demi-jours effrayants sur le monde invisible, une sorte de cratère par où notre âme, échappée un moment aux liens terribles du corps, s'envole dans des espaces qu'elle ne peut pas sonder, dont elle ne rapporté aucune mémoire, mais qui l'avertissent assez que l'ordre présent cache un ordre futur, devant lequel le nôtre n'est que néant.
Tout cela est vrai, je le crois ; mais il est vrai aussi que ces forces obscures sont renfermées dans des limites qui ne témoignent d'aucune souveraineté sur l'ordre naturel. Plongé dans un sommeil factice, l'homme voit à travers des corps opaques à de certaines distances ; il indique des remèdes propres à soulager et même à guérir les maladies du corps ; il paraît savoir des choses qu'il ne savait pas, et qu'il oublie à l'instant du réveil ; il exerce par sa volonté un grand empire sur ceux avec lesquels il est en communication magnétique : tout cela est pénible, laborieux, mêlé à des incertitudes et des battements. C'est un phénomène de vision bien plus que d'opération, un phénomène qui appartient à l'ordre prophétique, et non à l'ordre miraculeux. On n'a vu nulle part une guérison subite, un acte évident de souveraineté. Même dans l'ordre prophétique, rien n'est plus misérable.
Il semble que cette vision d'un genre extraordinaire devrait au moins nous révéler quelque chose de cet avenir qu'on pourrait appeler l'avenir présent. Il n'en est rien. Qu'a produit le magnétisme depuis cinquante ans ? Qu'il nous dise, non pas ce qui sera dans mille ans, non pas même ce qui sera après-demain, mais ce qui sera demain matin ? Tous ceux qui disposent de nos destinées sont vivants ; ils parlent, ils écrivent, ils remuent des ressorts sensibles : eh bien ! qu'on nous dise le résultat certain de leur action pour une seule affaire publique. Hélas ! le magnétisme, qui devrait changer le monde, n'a pas même pu devenir un instrument de police ; il confond l'imagination aussi bien par sa stérilité que par son étrangeté. Ce n'est pas un principe, c'est une ruine. Ainsi, sur les bords désolés de l'Euphrate, aux lieux où fut Babylone et où s'éleva ce monument fameux qui devait porter jusqu'au ciel, pour parler comme Bossuet, le témoignage de l'antique puissance des hommes, le voyageur rencontre des débris frappés de la foudre et comme surhumains par leur grandeur. Il se baisse, il prend dans ses mains avides une brique mutilée ; il y discerne des caractères d'écriture ; le débris sacré retombe de ses mains sur le colosse calciné par le feu : ce n'est plus qu'une tuile cassée, que méprise la curiosité elle-même.
Je regarde, je ne vois plus rien : Jésus-Christ est seul.
Pourtant, vous me direz peut-être encore : si Jésus-Christ a opéré des miracles durant sa vie, et même aux premiers temps de son Église, pourquoi n'en opère-t-il plus ?
Pourquoi il n'en opère plus ? Hélas ! il en opère encore chaque jour ; mais vous ne les voyez pas. Il en opère avec moins de prodigalité, parce que le miracle moral et social, le miracle qui demandait du temps, est accompli, et sous vos yeux. Quand Jésus-Christ posait les fondements de son Église, il lui fallait obtenir la foi à une œuvre qui ne faisait encore que commencer ; aujourd'hui elle est faite, quoique pas encore achevée ; vous la voyez, vous la touchez, vous la comparez, vous la mesurez, vous jugez si c'est une œuvre humaine. Pourquoi donc Dieu prodiguerait-il le miracle à qui ne voit pas le miracle ? Pourquoi, par exemple, vous conduirais-je aux montagnes du Tyrol pour y voir des prodiges que cent mille de nos contemporains y ont vus depuis quinze ans ? Pourquoi ramasserais-je une pierre dans la carrière, quand l’Église est bâtie ? Le monument de Dieu est debout : toute force y a touché ; toute science l'a scruté ; tout blasphème l'a maudit ; regardez-le, il est là. Il est suspendu depuis dix-huit siècles entre le ciel et la terre, comme dit le comte de Maistre : Si vous ne le voyez pas, que verrez-vous ? Dans une parabole célèbre, Jésus-Christ parle d'un mauvais riche disant à Abraham : Envoyez mes frères quelqu'un des morts. Et Abraham répond : S'ils ne croient pas à Moïse et aux prophètes, ils ne croiront pas à quelqu'un revenu des morts. L'Église est Moïse, l'Église est tous les prophètes, l'Église est le miracle vivant : qui ne voit pas les vivants, comment verrait-il les morts ?

Henri-Dominique Lacordaire, op, in Qui est Jésus-Christ ?