mercredi 29 juin 2011

En ordonnant... Cardinal Sarah, homélie à Saint-Martin


Bien chers frères et sœurs en Jésus-Christ, chers frères dans l'épiscopat et le sacerdoce, bien chers ordinands,
Je ne crois pas que ce soit un pur hasard, ou très simplement une heureuse coïncidence que vous ayez choisi de recevoir la grâce du diaconat et du presbytérat, la veille de la solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ. C'est pour moi une évidence que la Providence divine, maître de l'histoire et des événements, a aidé elle-même à prédisposer les circonstances et les moments du sacrement que nous célébrons aujourd'hui. Dieu veut ainsi vous montrer, à la fin de cette longue préparation à votre ministère sacerdotal et pastoral, que ce n'est pas vous qui vous donnez à Lui, mais c’est Lui qui, gratuitement et dans sa grande miséricorde, sa grande générosité, se donne à vous.
Certes, aujourd'hui, aux yeux du monde, vous vous engagez à offrir votre corps, votre cœur, toute votre vie, et toute votre capacité d'aimer, au Seigneur. Cet engagement personnel et librement consenti, vous le manifesterez tout à l'heure par les réponses que vous donnerez aux questions que je vous poserai concernant votre disponibilité à prêcher l'Évangile, à consacrer votre vie à la prière et à la louange, et à vivre dans l'obéissance, le célibat et la pauvreté par amour pour le Christ et en signe du don de vous-mêmes à Dieu.
Mais en réalité, c'est Dieu Lui-même qui se donne à vous, pour qu’en accueillant au plus profond de votre cœur, il fasse de vous des instruments de son amour. Saint Jean nous rappelle plus d'une fois les paroles de Jésus : « Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisi et établi pour que vous alliez porter du fruit et que votre fruit demeure ». Dans sa première lettre il ajoute : « En ceci consiste l'amour : ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu mais c'est Lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés.1 […] Quant à nous, aimons, puisque que Lui nous a aimés le premier »2.
En effet, avec le Saint Sacrement du Corps et du Sang de Jésus, sacrement que l'on peut dire de la générosité divine, Dieu nous concède sa grâce, et c'est Dieu lui-même qui se donne à nous en Jésus-Christ, qui est réellement et toujours présent, non seulement durant la Sainte Messe, avec son Corps, avec son Âme, avec son Sang et sa Divinité. Désormais par l'ordination presbytérale, vous aurez par vocation à perpétuer quotidiennement le Sacrifice Eucharistique, le sacrifice du don que Jésus fait de Lui-même. Et vous, les diacres, régulièrement à genoux pour le contempler, pour l’adorer, vous aurez à donner cette Présence d'Amour aux fidèles chrétiens pour qu’ils s'en nourrissent.
Par l'imposition de mes mains, par une nouvelle et ineffable effusion de l'Esprit Saint, vous allez recevoir dans vos âmes un caractère indélébile qui vous configure au Christ, vous rend entièrement semblable au Christ-Prêtre, en vous associant à la plénitude du Christ pour agir au nom du Christ, tête du Corps mystique. Vous aurez à travailler chaque jour pour que, grâce à l'Esprit Saint, vous ressembliez parfaitement au Christ, ressemblance pareille à celle qui existe entre l’eau et l’eau ; entre l'eau qui jaillit de la Source et celle qui, de là, est venue dans l’amphore. En effet c'est, par nature, la même pureté que l'on voit dans le Christ, et chez celui qui participe au Christ. Mais chez le Christ, elle jaillit de la Source et celui qui participe du Christ puise à cette source, et fait passer dans sa vie la pureté et la beauté du Christ.
Oui, désormais vous n'êtes pas seulement un alter Christus, un autre Christ ; mais bien plus vous êtes ipsus Christus, vous êtes le Christ lui-même, mystère admirable mais combien redoutable et terrifiant en même temps. Avec le sacrement de l'ordre, vous allez, en prononçant les paroles mêmes du Christ, consacrer le pain et le vin pour qu'Il devienne le Corps et le Sang du Christ. Vous allez ainsi offrir à Dieu le saint sacrifice, pardonner les péchés dans la confession sacramentelle, et exercer le ministère de l'enseignement de la doctrine au peuple. In iis quae sunt ad Deum : en tout ce qui se réfère à Dieu, et en cela seulement. Vous voyez que tout ce que vous êtes, tout ce que vous faites, tout ce que vous dites, ne vous appartient pas ; tout, absolument tout est donc une manifestation de l'amour de Dieu en votre faveur, et sans mérite aucun de votre part.
C'est pourquoi le prêtre doit être exclusivement un homme de Dieu : un saint, ou un homme qui aspire à la sainteté, quotidiennement adonné à la prière, à l'action de grâce et à la louange, et renonçant à briller dans des domaines où les autres chrétiens n'ont nul besoin de lui. Le prêtre n'est pas un psychologue, le prêtre n'est pas un sociologue, ni un anthropologue, ni un chercheur dans les centrales nucléaires, ni un homme politique. C'est un autre Christ, et je répète, il est vraiment ipse Christus, le Christ lui-même, destiné à soutenir et à éclairer les âmes de ses frères et sœurs, à conduire les hommes vers Dieu, et à leur ouvrir les trésors spirituels dont ils sont terriblement privés aujourd'hui.
Vous êtes prêtres pour révéler le Dieu d'amour qui s'est manifesté sur la Croix, et pour susciter, grâce à votre prière, la foi, l'amour, et le retour de l'homme à Dieu. En effet, dans un monde où Dieu est de plus en plus absent, et où nous ne savons plus quelles sont nos valeurs, et quels sont nos repères, il n'y a plus de référence morale commune, on ne sait plus ce qui est mal et ce qui est bien, il existe une multitude de points de vue. Aujourd'hui on appelle blanc ce qu'hier on appelait noir, ou vice versa.
Dans ce contexte, comme prêtre, pasteur, et guide du peuple de Dieu, vous devez avoir la préoccupation constante d'être toujours loyaux envers la doctrine du Christ. Il vous faut constamment lutter pour acquérir la délicatesse de conscience, le respect fidèle envers le dogme et la morale qui constituent le dépôt de la foi et le patrimoine commun de l'Église du Christ.
C'est précisément le conseil et l'exhortation que saint Paul adresse à chacun de vous aujourd'hui dans la première lecture. Je le redis au nom de saint Paul : « Montre-toi un modèle pour les croyants »3. Car le prêtre est d'abord un croyant, qui conduit et éduque la foi. Montre-toi un modèle pour les croyants, par la parole, la conduite, la charité, la foi, la pureté. Consacre-toi à la lecture, à l'exhortation, à l'enseignement, ne néglige pas le don spirituel qui est en toi, qui t’a été confié par une intervention prophétique, accompagnée de l'imposition des mains du collège des presbytes. Veille sur ta personne et sur ton enseignement. Persévère en ces dispositions.
Si nous avons peur de proclamer la vérité de l'Évangile ; si nous avons honte de dénoncer les déviations graves dans le domaine de la morale ; si nous nous accommodons à ce monde de relâchement des mœurs, de relativisme religieux et éthique ; si nous avons peur de dénoncer énergiquement les lois abominables de la nouvelle éthique mondiale sur le mariage, la famille sous toutes ses formes, sur l'avortement – lois en totale opposition aux lois de la nature et de Dieu – que les nations et les cultures occidentales promeuvent et imposent grâce aux mass media et à la puissance économique ; alors les paroles du prophète Ézéquiel tomberont sur nous comme un grave reproche divin : « Fils d'homme, prophétise contre les pasteurs d'Israël […] qui se paissent eux-mêmes. Les pasteurs ne doivent-ils pas paître leurs troupeaux ? Vous vous êtes nourris de lait, vous vous êtes vêtus de laine, […] vous n'avez pas fortifié la brebis chétive, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée. Vous n'avez pas ramené celle qui s'égarait, cherché celle qui était perdue. Mais vous les avez gouvernées avec violence et dureté »4.
Ces reproches sont graves. Mais plus importante est l'offense que l'on fait à Dieu quand, ayant reçu la charge de veiller au bien spirituel de tous, on maltraite les âmes en les privant du vrai enseignement sur Dieu, sur l'homme, et sur les valeurs de l'existence humaine ; en les privant de l'eau limpide du Baptême qui régénère l’âme, de l'huile sanctifiante de la Confirmation qui la renforce, du Tribunal qui pardonne, et de l'Aliment Eucharistique qui donne la vie éternelle.
Vous, chers amis et bien-aimés serviteurs de Dieu, aimez vous asseoir dans le confessionnal pour entendre les âmes qui viennent avouer leur péché, et désirent humblement revenir dans la maison paternelle ; aimez célébrer l'eucharistie avec dignité ferveur et foi ; aimez enseigner la doctrine de l'Église.
Et celui qui ne lutte pas pour prêcher l'Évangile, convertir, protéger, nourrir et conduire le peuple de Dieu sur la voie de la vérité et de la vie qu’est Jésus lui-même ; celui qui se tait devant les déviations graves de ce monde, ensorcelé par sa technologie et ses succès scientifiques ; s'expose à l'un ou l'autre de ces esclavages qui savent enchaîner nos pauvres cœurs. L'esclavage d’une vision exclusivement humaine des choses. L’esclavage du désir ardent de pouvoir et de prestige temporel. L’esclavage de la vanité. L’esclavage de l'argent. La servitude de la sensualité. Et il n'y a qu'une voie qui puisse nous libérer des esclavages et nous conduire à assumer pleinement notre ministère de pasteurs et de bergers. C'est la voie de l'amour.
L'amour, l'agapè, est la clef pour comprendre le Christ. Et pour celui qui exerce le ministère pastoral de l'Église, il ne peut puiser ses énergies que dans un amour suprême pour le Christ. Faire paître le troupeau est un acte d'amour : c'est parce que l'amour nous lie étroitement et intimement au Christ que nous sommes à même de paître son troupeau. Et ce lien d'amour avec le Christ est si fort que nous ne pouvons plus aller où nous voulons.
Nous ne somme plus maîtres de notre temps, ni de nous-mêmes, et c'est précisément pour cela que Jésus ne demande pas à Pierre s'il Le connaissait bien, s'il avait bien étudié théologiquement qui Il était. Il ne lui demande pas non plus s'il était content de la pêche miraculeuse dont il venait d'être gratifié, pour ensuite lui confier une mission personnelle et toute spéciale. Jésus demande à Pierre : « Pierre, est-ce que tu m'aimes ? ». Et aujourd'hui il nous pose la même question : « Est-ce que tu m'aimes ? ». Les deux premières fois, Pierre réponds : « Oui, Seigneur, Tu sais que je T'aime »5. Mais la troisième fois, à la suite des insistances de Jésus, Pierre se fait plus humble, plus petit. Profondément meurtri par le souvenir de sa trahison et de son péché, il n’utilise plus le verbe aimer tout seul, avec tout ce que sa signification comporte de pureté, de limpidité, de force, de vérité et d'engagement. Se souvenant de l'expérience douloureuse de sa misère et de ses faiblesses humaines durant la Passion, il nuance sa réponse, en la rendant plus humble, et en l’atténuant par une phrase qui est comme une expression d'abandon de soi à la science et à l'amour miséricordieux de Dieu.
Saint Jean rapporte que Pierre fut peiné parce que Jésus lui demande pour la troisième fois : « m’aimes-tu ? ». Il Lui dit : « Seigneur, Tu sais tout, Tu sais bien que je T'aime ». Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis ». Comme le cœur de Pierre, comme celui de Jean-Baptiste dont nous avons célébré la naissance hier, le cœur du prêtre doit être rempli d'amour et rechercher l'humilité, car l'humilité nous configure davantage au Christ, qui a dit : « Je suis doux et humble de cœur »6. Oui, l'humilité et l'amour nous rapprochent de Dieu. L'humilité et l'amour nous font ressembler à Dieu qui s'est anéanti et s'est abaissé Lui-même, devenant obéissant jusqu'à la mort, et la mort sur la croix.
Le devoir et la mission du berger de témoigner du Christ ne se comprennent que si l'on aime, que si l’on est amoureux du Crucifié. Et la croix est la plus grande l'école où nous apprenons à aimer. Quand on n’aime pas, on est terriblement apeuré devant les pouvoirs de ce monde, et on cherche des compromis. Quand, au contraire, on aime, il n'y a pas de pouvoir qui puisse nous faire fermer la bouche. Les coups de cravaches, les menaces, les calomnies et même la lapidation, ne serviraient qu’à nous purifier de la peur et nous remplir le cœur de la joie d'avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le nom de Jésus.
Il me semble que s'il y a aujourd'hui une véritable crise dans le monde, cette crise est celle de l’amour pour le Christ et pour le pape, le vicaire du Christ. Chez beaucoup, et même parmi certains chrétiens, certains prêtres, certains évêques. Ceux-là considèrent le Christ et le pape comme une idée, une institution, un pouvoir, un mythe, et non pour ce qu'ils sont divinement et modestement, à savoir un Dieu qui dans l'homme Jésus-Christ a vaincu la mort pour que l'homme puisse vivre une expérience de libération ; un frère, le pape, qui guide ces hommes libérés par le Sang de Jésus, et qui sont appelés à leur tour à conduire les autres vers la plénitude de la libération, qui n'est autre que la plénitude de l'amour.
C'est seulement en aimant que le monde qui ne croit pas comprendra ce que signifie croire, et découvrira l'amour. Cet amour qui n'est pas un sentiment vague, ni une recherche égoïste du plaisir, mais un visage à Lui, un Frère qui est mort pour chacun d'entre nous. Le Christ m'a aimé et s'est livré pour moi afin que le monde découvre l'amour. Ce sera alors la pâque pour toujours et pour tous, cette pâque que l'ordination sacerdotale vous donne de célébrer chaque jour pour la gloire de Dieu, la sanctification et le salut du monde.
Je vous confie à Marie et à Jean-Baptiste. Que Dieu vous bénisse. Amen.

Robert, cardinal Sarah, Président du Conseil Pontifical Cor Unum
En la Basilique Notre-Dame-de-la-Trinité de Blois
Le 25 juin 2011

1. 1 Jean 4, 10
2. 1 Jean 4, 19
3. 1 Timothée 4, 12
4. Ézéchiel 34, 2
5. Jean 21, 15
6. Matthieu 11, 29

[ndvi 1] Voici le rituel d’engagement des ordinands, qui complète si bien l’homélie du cardinal Sarah.
Fils bien-aimés, avant d'être ordonnés prêtres, il convient que vous déclariez devant l'assemblée votre ferme intention de recevoir cette charge.
Voulez-vous devenir prêtres, collaborateurs des évêques dans le sacerdoce, pour servir et guider sans relâche le Peuple de Dieu sous la conduite de l'Esprit Saint ?
Voulez-vous accomplir avec sagesse et dignement le ministère de la Parole, en annonçant l'Évangile et en exposant la foi catholique ?
Voulez-vous célébrer avec foi les mystères du Christ, tout spécialement dans le sacrifice eucharistique et le sacrement de la réconciliation, selon la Tradition de l'Église, pour la louange de Dieu et la sanctification du peuple chrétien ?
Voulez-vous implorer avec nous la miséricorde de Dieu pour le peuple qui vous sera confié, en étant toujours assidus à la charge de la prière ?
Voulez-vous, de jour en jour, vous unir davantage au Souverain Prêtre Jésus-Christ qui s'est offert pour nous à son Père, en victime sans tache, et vous consacrer à Dieu pour le salut du genre humain ?
[…]
Chaque ordinand s'approche de l'évêque et, agenouillé devant lui, met ses mains jointes entre les mains de l'évêque, en signe d'obéissance. Celui-ci demande :
Promettez-vous de vivre en communion avec votre évêque Ordinaire, dans le respect et l'obéissance ?
L'ordinand :
Je le promets.
L'évêque :
Que Dieu lui-même achève en vous ce qu'il a commencé.
Sois avec nous, Seigneur, Père très saint, sois avec nous, Dieu éternel et tout-puissant, toi qui fondes la dignité de la personne humaine et qui répartis toutes grâces, toi, la source de toute vie et de toute croissance. Pour former le peuple sacerdotal, tu suscites en lui, par la force de l'Esprit Saint, et selon les divers ordres, les ministres de Jésus, le Christ, ton Fils bien-aimé.
Déjà, dans la première Alliance, des fonctions sacrées préparaient les ministères à venir.
Tu avais mis à la tête du peuple Moïse et Aaron, chargés de le conduire et de le sanctifier ; tu avais aussi choisi des hommes, d'un autre ordre et d'un autre rang, pour les seconder dans leur tâche.
C'est ainsi que, pendant la marche au désert, tu as communiqué l'esprit donné à Moïse aux soixante-dix hommes pleins de sagesse qui devaient l'aider à gouverner ton peuple.
C'est ainsi que tu as étendu aux fils d'Aaron la consécration que leur père avait reçue, pour que des prêtres selon la Loi soient chargés d'offrir des sacrifices qui étaient l'ébauche des biens à venir.
Mais, en ces temps qui sont les derniers, Père très saint, tu as envoyé dans le monde ton Fils Jésus, l'Apôtre et le Grand Prêtre que notre foi confesse.
Par l'Esprit Saint, il s'est offert lui-même à toi comme une victime sans tache ; il a fait participer à sa mission ses Apôtres consacrés dans la vérité, et tu leur as donné des compagnons pour que l'œuvre du salut soit annoncée et accomplie dans le monde entier.
Aujourd'hui encore, Seigneur, viens en aide à notre faiblesse : accorde-nous les coopérateurs dont nous avons besoin pour exercer le sacerdoce apostolique.
NOUS T'EN PRIONS,
PÈRE TOUT-PUISSANT,
DONNE À TES SERVITEURS QUE VOICI
D'ENTRER DANS L'ORDRE DES PRÊTRES ;
RÉPANDS UNE NOUVELLE FOIS
AU PLUS PROFOND D'EUX-MÊMES
L'ESPRIT DE SAINTETÉ ;
QU'ILS REÇOIVENT DE TOI, SEIGNEUR,
LA CHARGE DE SECONDER
L'ORDRE ÉPISCOPAL ;
QU'ILS INCITENT
À LA PURETÉ DES MŒURS
PAR L'EXEMPLE DE LEUR CONDUITE.
Qu'ils soient de vrais collaborateurs des évêques pour que le message de l'Évangile, par leur prédication et avec la grâce de l'Esprit Saint, porte du fruit dans les cœurs et parvienne jusqu'aux extrémités de la terre.
Qu'ils soient avec nous de fidèles intendants de tes mystères, pour que ton peuple soit régénéré par le bain de la nouvelle naissance et reprenne des forces à ton autel, pour que les pécheurs soient réconciliés, et les malades, relevés.
En communion avec nous, Seigneur, qu'ils implorent ta miséricorde pour le peuple qui leur est confié et pour l'humanité toute entière.
Alors toutes les nations, rassemblées dans le Christ, seront transformées en l'unique peuple qui t'appartient et qui trouvera son achèvement dans ton Royaume.
Par Jésus-Christ, ton Fils, notre Seigneur et notre Dieu, qui règne avec toi et le Saint-Esprit maintenant et pour les siècles des siècles.
L'évêque reçoit le grémial et fait une onction de Saint-Chrême dans les paumes des mains de chaque nouveau prêtre agenouillé devant lui, en disant :
Que le Seigneur Jésus-Christ, lui que le Père a consacré par l'Esprit Saint et rempli de puissance, vous fortifie pour sanctifier le peuple chrétien et pour offrir à Dieu le sacrifice eucharistique.
L'évêque remet aux nouveaux prêtres l'hostie et le calice, le pain et le vin qu'ils consacreront en offrant le sacrifice de la Messe.
Recevez l'offrande du peuple saint pour la présenter à Dieu. Ayez conscience de ce que vous ferez, imitez dans votre vie ce que vous accomplirez par ces rites et conformez-vous au mystère de la Croix du Seigneur.

[ndvi 2] À la fin de la cérémonie, le temps suspendit son vol : le cardinal, à genoux, reçut la bénédiction avec imposition des mains de la part de chacun des nouveaux prêtres. Saisissant.

[ndvi 3] Et, en guise de bis, l’homélie du Saint Père… 60 ans après sa propre ordination !
Chers frères et sœurs,
« Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis ! » (cf. Jn 15, 15). À soixante années du jour de mon Ordination sacerdotale, j’entends encore résonner en moi ces paroles de Jésus, que notre grand Archevêque, le Cardinal Faulhaber, avec une voix désormais un peu faible et cependant ferme, nous adressa à nous les nouveaux prêtres à la fin de la cérémonie d’Ordination. Selon le déroulement liturgique de l’époque, cette acclamation signifiait alors aux nouveaux prêtres l’attribution explicite du mandat pour remettre les péchés. « Non plus serviteurs, mais amis » : je savais et j’avais conscience qu’à ce moment précis, ce n’était pas seulement une parole rituelle, ni une simple citation de la Sainte Écriture. J’avais conscience qu’en ce moment-là, le Seigneur Lui-même me l’adressait de façon toute personnelle. Dans le Baptême et dans la Confirmation, Il nous avait déjà attirés vers Lui, Il nous avait déjà accueillis dans la famille de Dieu. Cependant, ce qui arrivait à ce moment-là était quelque chose de plus encore. Il m’appelle ami. Il m’accueille dans le cercle de ceux auxquels Il s’était adressé au Cénacle. Dans le cercle de ceux que Lui connaît d’une façon toute particulière et qui ainsi sont amenés à Le connaître de façon particulière. Il me donne la faculté, qui fait presque peur, de faire ce que Lui seul, le Fils de Dieu, peut dire et faire légitimement : Moi, je te pardonne tes péchés. Il veut que moi – par son mandat – je puisse prononcer avec Son « Je » une parole qui n’est pas seulement une parole mais plus encore une action qui produit un changement au plus profond de l’être. Je sais que derrière cette parole, il y a Sa Passion à cause de nous et pour nous. Je sais que le pardon a son prix : dans Sa Passion, Lui-même est descendu dans la profondeur obscure et sale de notre péché. Il est descendu dans la nuit de notre faute, et c’est seulement ainsi qu’elle peut être transformée. Et par le mandat de pardonner, Il me permet de jeter un regard sur l’abîme de l’homme et sur la grandeur de Sa souffrance pour nous les hommes, qui me laisse deviner la grandeur de Son amour. Il me dit : « Non plus serviteurs, mais amis ». Il me confie les paroles de la Consécration eucharistique. Il m’estime capable d’annoncer Sa Parole, de l’expliquer de façon juste et de la porter aux hommes d’aujourd’hui. Il s’en remet à moi. « Vous n’êtes plus serviteurs mais amis » : c’est une affirmation qui procure une grande joie intérieure et qui, en même temps, dans sa grandeur, peut faire frémir au long des décennies, avec toutes les expériences de notre faiblesse et de Son inépuisable bonté.
« Non plus serviteurs mais amis » : dans cette parole est contenu tout le programme d’une vie sacerdotale. Qu’est-ce que vraiment l’amitié ? Idem velle, idem nolle – vouloir les mêmes choses et ne pas vouloir les mêmes choses, disaient les anciens. L’amitié est une communion de pensée et de vouloir. Le Seigneur nous dit la même chose avec grande insistance : « Je connais les miens et les miens me connaissent » (cf. Jn 10, 14). Le Pasteur appelle les siens par leur nom (cf. Jn 10, 3). Il me connaît par mon nom. Je ne suis pas n’importe quel être anonyme dans l’immensité de l’univers. Il me connaît de façon toute personnelle. Et moi, est-ce que je Le connais Lui ? L’amitié qu’Il me donne peut seulement signifier que moi aussi je cherche à Le connaître toujours mieux ; que moi dans l’Écriture, dans les Sacrements, dans la rencontre de la prière, dans la communion des Saints, dans les personnes qui s’approchent de moi et que Lui m’envoie, je cherche à Le connaître toujours plus. L’amitié n’est pas seulement connaissance, elle est surtout communion du vouloir. Elle signifie que ma volonté grandit vers le « oui » de l’adhésion à la sienne. Sa volonté, en effet, n’est pas pour moi une volonté externe et étrangère, à laquelle je me plie plus ou moins volontiers, ou à laquelle je ne me plie pas. Non, dans l’amitié, ma volonté en grandissant s’unit à la sienne, Sa volonté devient la mienne et ainsi, je deviens vraiment moi-même. Outre la communion de pensée et de volonté, le Seigneur mentionne un troisième, un nouvel élément : Il donne sa vie pour nous (cf. Jn 15, 13 ; 10, 15). Seigneur, aide-moi à Te connaître toujours mieux ! Aide-moi à ne faire toujours plus qu’un avec Ta volonté ! Aide-moi à vivre ma vie non pour moi-même, mais à la vivre avec Toi pour les autres ! Aide-moi à devenir toujours plus Ton ami !
La Parole de Jésus sur l’amitié se place dans le contexte du discours sur la vigne. Le Seigneur associe l’image de la vigne avec la tâche confiée aux disciples : « Je vous ai institués pour que vous alliez et que vous portiez du fruit et un fruit qui demeure » (Jn 15, 16). La première tâche donnée aux apôtres – aux amis - est de se mettre en route, de sortir de soi-même et d’aller vers les autres. Puissions-nous ici entendre ensemble la parole du Ressuscité adressée aux siens, avec laquelle Saint Matthieu termine son évangile : « Allez et enseignez à tous les peuples… » (cf. Mt 28, 19s). Le Seigneur nous exhorte à dépasser les limites du milieu dans lequel nous vivons, à porter l’Évangile dans le monde des autres, afin qu’Il envahisse tout et qu’ainsi le monde s’ouvre au Royaume de Dieu. Cela peut nous rappeler que Dieu-même est sorti de Lui-même, Il a abandonné Sa gloire pour nous chercher, pour nous donner Sa lumière et Son amour. Nous voulons suivre le Dieu qui se met en chemin, surpassant la paresse de rester repliés sur nous-mêmes, afin que Lui-même puisse entrer dans le monde.
Après la parole sur la mise en route, Jésus continue : portez du fruit, un fruit qui demeure ! Quel fruit attend-Il de nous ? Quel est le fruit qui demeure ? Eh bien, le fruit de la vigne est le raisin à partir duquel se prépare par la suite le vin. Arrêtons-nous un instant sur cette image. Pour que le bon raisin puisse mûrir, il faut non seulement du soleil mais encore de la pluie, le jour et la nuit. Pour que parvienne à maturité un vin de qualité, il faut le foulage, le temps nécessaire à la fermentation, le soin attentif qui sert au processus de la maturation. Le vin fin est caractérisé non seulement par sa douceur, mais aussi par la richesse de ses nuances, l’arôme varié qui s’est développé au cours du processus de maturation et de fermentation. N’est-ce pas déjà une image de la vie humaine, et selon un mode spécial, de notre vie de prêtre ? Nous avons besoin du soleil et de la pluie, de la sérénité et de la difficulté, des phases de purification et d’épreuve, comme aussi des temps de cheminement joyeux avec l’Évangile. Jetant un regard en arrière nous pouvons remercier Dieu pour les deux réalités : pour les difficultés et pour les joies, pour les heures sombres et les heures heureuses. Dans les deux cas nous reconnaissons la présence continuelle de son amour, qui toujours nous porte et nous soutient.
Maintenant, nous devons cependant nous demander : de quelle sorte est le fruit que le Seigneur attend de nous ? Le vin est l’image de l’amour : celui-ci est le vrai fruit qui demeure, celui que Dieu veut de nous. N’oublions pas pourtant que dans l’Ancien Testament le vin qu’on attend du raisin de qualité est avant tout une image de la justice qui se développe dans une vie vécue selon la loi de Dieu ! Et nous ne disons pas qu’il s’agit d’une vision vétérotestamentaire et dépassée aujourd’hui : non, cela demeure toujours vrai. L’authentique contenu de la Loi, sa summa, est l’amour pour Dieu et le prochain. Ce double amour, cependant, n’est pas simplement quelque chose de doux. Il porte en lui la charge de la patience, de l’humilité, de la maturation dans la formation de notre volonté jusqu’à son assimilation à la volonté de Dieu, à la volonté de Jésus-Christ, l’Ami. Ainsi seulement, l’amour véritable se situe aussi dans le devenir vrai et juste de tout notre être, ainsi seulement il est un fruit mûr. Son exigence intrinsèque, la fidélité au Christ et à son Église, requiert toujours d’être réalisée aussi dans la souffrance. Ainsi vraiment grandit la véritable joie. Au fond, l’essence de l’amour, du vrai fruit, correspond à l’idée de se mettre en chemin, de marcher : l’amour signifie s’abandonner, se donner ; il porte en soi le signe de la croix. Dans ce contexte Grégoire le Grand a dit une fois : si vous tendez vers Dieu, veillez à ne pas le rejoindre seul (cf. H Ev 1,6,6 : PL 76, 1097S) – une parole qui doit nous être, à nous comme prêtres, intimement présente chaque jour.
Chers amis, je me suis peut-être attardé trop longtemps sur la mémoire intérieure des soixante années de mon ministère sacerdotal. Il est maintenant temps de penser à ce qui est propre au moment présent.
À l’occasion de la Solennité des Saints Apôtres Pierre et Paul, j’adresse mon salut le plus cordial au Patriarche Œcuménique Bartolomée Ier et à la Délégation qu’il a envoyée et que je remercie vivement pour la visite appréciée en cette heureuse circonstance des Saints Apôtres Patrons de Rome. Je salue également Messieurs les Cardinaux, les Frères dans l’Épiscopat, Messieurs les Ambassadeurs et les Autorités civiles, ainsi que les prêtres, les religieux et les fidèles laïcs. Je vous remercie tous pour votre présence et votre prière.
Aux Archevêques Métropolitains nommés après la dernière Fête des grands Apôtres, le pallium va maintenant être imposé. Qu’est-ce que cela signifie ? Celui-ci peut nous rappeler avant tout le joug léger du Christ qui nous est déposé sur les épaules (cf. Mt 11, 29s). Le joug du Christ est identique à Son amitié. C’est un joug d’amitié et donc un « joug doux », mais justement pour cela aussi, un joug qui exige et qui modèle. C’est le joug de Sa volonté, qui est une volonté de vérité et d’amour. Ainsi, c’est pour nous surtout le joug qui introduit les autres dans l’amitié avec le Christ et nous rend disponibles aux autres pour en prendre soin comme Pasteurs. Avec cela, nous atteignons un sens supplémentaire du pallium : tissé avec de la laine des agneaux bénis en la fête de Sainte Agnès, il nous rappelle ainsi le Pasteur devenu Lui-même Agneau par amour pour nous. Il rappelle le Christ qui a marché sur les montagnes et dans les déserts, où son agneau – l’humanité – s’était égaré. Le pallium nous rappelle que Lui a pris l’agneau, l’humanité - moi - sur ses épaules, pour me ramener à la maison. Il nous rappelle de cette manière que, comme Pasteurs à son service, nous devons aussi porter les autres, les prendre, pour ainsi dire, sur nos épaules et les porter au Christ. Il nous rappelle que nous pouvons être Pasteurs de son troupeau qui reste toujours sien et ne devient pas nôtre. Enfin, le pallium signifie aussi très concrètement la communion des Pasteurs de l’Église avec Pierre et avec ses successeurs – il signifie que nous devons être des Pasteurs pour l’unité et dans l’unité et que c’est seulement dans l’unité dont Pierre est le symbole que nous conduisons vraiment vers le Christ.
Soixante années de ministère sacerdotal – chers amis, je me suis peut-être trop attardé sur des éléments particuliers. Mais en cet instant, je me suis senti poussé à regarder ce qui a caractérisé ces dizaines d’années. Je me suis senti poussé à vous dire – à tous, prêtres et Évêques comme aussi aux fidèles de l’Église – une parole d’espérance et d’encouragement ; une parole, mûrie à travers l’expérience, sur le fait que le Seigneur est bon. Cependant, c’est surtout un moment de gratitude : gratitude envers le Seigneur pour l’amitié qu’Il m’a donnée et qu’Il veut nous donner à tous. Gratitude envers les personnes qui m’ont formé et accompagné. Et en tout cela se cache la prière qu’un jour le Seigneur dans sa bonté nous accueille et nous fasse contempler sa joie.
Amen !