I.
— Mystère pascal
Outre le bien essentiel de l'unité
retrouvée, la réconciliation de l'Orient et de l'Occident chrétiens ménagerait
entre les Églises réunies des échanges de vues et des influences mutuelles dont
nos Frères séparés ne seraient pas les seuls bénéficiaires. Il ne sera pas sans
profit de rechercher quels seraient pour nous, Latins, — et c'est uniquement de
nous qu'il s'agit ici — les avantages qui résulteraient de ce rapprochement.
Notre zèle pour l'Union des Églises y
trouvera un stimulant nouveau ; et surtout, nos âmes, par les aveux que
pareille enquête ne manquera pas de nous suggérer, se pénétreront de modestie,
d'estime, de condescendance, de fraternelle bienveillance, dispositions
psychologiques indispensables à tous ceux qui veulent s'employer à l'Union des
Églises.
La théologie, la discipline, la
piété, bref tous les domaines de la vie religieuse offrent un vaste champ à ces
investigations ; nous voilà aux Fêtes de Pâques, limitons-nous aujourd'hui
à ce seul sujet et demandons à nos Frères orientaux de nous faire mieux
comprendre le grand mystère du Christ ressuscité.
Nous répondrons à trois
questions :
. Avons-nous besoin de cette
leçon ?
. Que nous apprennent les Orientaux
sur ce sujet ?
. Le moyen pratique de les
imiter ?
1er
point : besoin d’une leçon pour nous
Nous n'ignorons pas, dit saint Léon le Grand, que de tous les
mystères chrétiens le Sacrement pascal est le plus important 1.
C'est que le mystère de la Résurrection nous établit au foyer même de toute vie
surnaturelle. Par son triomphe définitif sur la mort, le Christ Homme est
devenu le contemporain de toutes les générations, le Seigneur du royaume des
vivants ses frères, en toute vérité, l'Auteur de la vie ό άρκηγος τής ζωής 2.
Corps et âme, hommes et choses, temps
et éternité, il vivifie tout de la plénitude de vie divine dont il surabonde.
« Si le Christ n'est pas ressuscité, notre foi est vaine ; nous
sommes encore dans nos péchés. Il n'y a pas d'hommes plus misérables que
nous »3. En toute vérité « la pierre angulaire, le centre,
le tout de l'économie nouvelle, c'est le Christ ressuscité »4.
Cette dévotion au Christ triomphant
qui remporte aujourd'hui pour notre race la victoire suprême, cette piété
ardente du peuple racheté saluant dans son Chef vainqueur la nouvelle humanité,
ces joies pascales enfin sont-elles encore nôtres ?
De tous les mystères de la vie du
Sauveur, celui-ci n'est-il pas le moins médité et le moins vécu chez
nous ?
Dans la contemplation de la vie du
Christ les fidèles s'arrêtent de préférence aux événements douloureux ; et
la Croix en Occident apparaît plus souvent entourée des instruments du supplice
que des trophées de la victoire.
Vraiment nous ne sommes plus au temps
des Christs couronnés, des Croix triomphales ; elles ont disparu les visions
célestes des mosaïques absidiales qui ornaient les basiliques
constantiniennes : le trône incrusté de pierreries, le Christ siégeant
dans toute la majesté de sa royauté souveraine, ses vêtements et son nimbe
étincelants, d'or, une grande Croix constellée de gemmes brillant au fond de la
scène, et la main du Père sortant des nues et couronnant l'Homme Dieu du
diadème de gloire.
Il n'est pas question bien entendu
d'ignorer la Croix et les souffrances du Sauveur ; mais n'oublions pas que
la Croix, sans les splendeurs de la Résurrection, ferait de nous les plus
misérables des hommes et du Christ le plus coupable des imposteurs.
2ème
point : l’exemple de nos Frères orientaux
Or nos Frères orthodoxes (et bien
entendu il faut en dire autant des chrétientés orientales unies au Siège de
Rome, puisque les Livres liturgiques et la discipline sont identiques) donnent
au mystère de la Résurrection une place fondamentale dans leur Culte et leur
piété ; c'est en toute réalité et pour employer notre langage, la grande
dévotion de l'Orient. Leur liturgie en effet ne perd jamais de vue le mystère
pascal : chaque année dans le Temps pascal, chaque semaine dans
la célébration du Dimanche, chaque jour dans les mystères
eucharistiques, bref par cette triple institution annuelle, hebdomadaire, quotidienne, elle ramène la
contemplation féconde de cette vie nouvelle dont le Christ triomphant
déborde 5.
Pâque annuelle. — De toutes les solennités liturgiques,
l'Office de la grande Nuit de Pâques occupe le premier rang ; la liturgie,
dite chez nous le Samedi saint, est en toute vérité le centre du mystère
pascal, de toute l'année liturgique : c'est la vraie Fête de Pâques. Cet
office commence chez nos Frères orientaux le Samedi soir et se prolonge pendant
toute la nuit, jusqu'aux premières lueurs de l'aube pascale, l'heure même où le
Christ sortait vivant du tombeau : « Après le Sabbat, dit
l'Évangéliste, dès l'aube du premier jour de la semaine : Vespere Sabbati
quoe lucescit in prima Sabbati » (Matthieu XXVIII, 1).
Leur liturgie exubérante, déborde
aujourd'hui d'enthousiasme.
Dans la célèbre Laure (monastère)
orthodoxe russe de Potcheev, où il nous fut donné de séjourner l'an dernier,
des trois églises très spacieuses où se célèbrent selon les temps liturgiques
les différentes solennités, l'Église de l'Anastasis ou Résurrection brille
d'une splendeur sans égale. Fermée en d'autres temps, on l'inaugure chaque
année le soir du Samedi-Saint par la célébration de la grande nuit pascale ;
et toutes les solennités du cycle pascal s'y déroulent. La richesse de sa
décoration, l'étincellement de ses voûtes dorées, le reflet d'or de ses icônes
dont l'iconostase est tout illuminé, bref toute la splendeur byzantine de cet
édifice qui rappelle Saint-Marc de Venise, constitue pour la Solennité des
Solennités, un prestigieux décor.
Pour nous Latins, l'Office du Samedi
Saint a perdu pratiquement son rang et les fidèles y participent peu. Et, avouons-le,
les apparences sont décevantes : anticipation au matin du Samedi Saint,
maintien partiel de la loi du jeûne et de la couleur violette ; importance
prise par la messe du jour même de Pâques, tout contribue à donner à l'Office
actuel du Samedi Saint une allure de vigile de pénitence ; mais comment y
voir l'Office central de tout le cycle ? 6
« Le Seigneur est
ressuscité » ; « En vérité, il est ressuscité », tel est le
cri joyeux que tous nos Frères d’Orient échangent entre eux, en guise de salut,
au matin de Pâques. Et durant tout le temps pascal, aucune autre dévotion ne
détourne les fidèles de la contemplation des glorieux mystères :
Résurrection, Ascension, Descente du Saint-Esprit.
Dans la collection des Livres
liturgiques, un volume spécial, le πεντεχοστάοιον 7 contient toute la
liturgie pascale ; c'est comme une seule fête de cinquante jours, la
joyeuse Cinquantaine. L'idée unique qui inspire toutes ces pages est que la
Résurrection a fait de nous des citoyens du ciel, des hommes
célestes ; que nous vivons dès maintenant avec le Christ une
vie ressuscitée, dont la plénitude des effets est provisoirement suspendue,
mais qui nous anime et nous transforme déjà. « Entre le ciel et la terre,
dit saint Jean Chrysostome, une commune louange merveilleusement symphonique
s'établit : actions de grâces, allégresses, mélodies joyeuses, tout est
harmonieusement confondu »8. Les accents tout palpitants de foi
et d'amour d'un autre grand docteur de l'Église byzantine, saint Grégoire de
Nazianze, trouvent encore aujourd'hui un écho fidèle dans les chrétientés
orientales : « C'est la Pâque du Seigneur, la Pâque, oui la Pâque, je
le dis jusque trois fois en l'honneur de la Sainte Trinité. C'est la Fête des
fêtes, la Solennité des solennités, surpassant toutes les autres, autant que le
soleil surpasse les étoiles. Hier l'Agneau a été immolé, les portes teintes de
son sang, et ce sang nous a valu d'être épargnés par l'Ange exterminateur.
Aujourd'hui nous quittons à jamais cette terre d'Egypte, son tyran Pharaon et
ses odieux préfets... Hier j'étais cloué sur la croix avec le Christ,
aujourd'hui je partage son triomphe ; hier je mourais de sa mort,
aujourd'hui je vis de sa vie ; hier j'étais enseveli avec lui, aujourd'hui
je suis associé à sa Résurrection »9.
Pâque hebdomadaire. — Chaque semaine l'Église a fixé un
jour, une solennité pour célébrer le mystère de la Résurrection : le
dimanche. Dom Dumaine dans son ouvrage sur Le Dimanche chrétien 10 et le chanoine Callewaert
dans ses études sur le Carême 11 ont mis cette vérité en pleine
lumière : la raison d'être et l'origine de l'institution dominicale est la
célébration du triomphe du Christ glorieux : la tradition est unanime sur
ce point et l'Église orientale y est restée fidèle : « Aux temps les
plus anciens, dit Dom Dumaine, on le consacrait (le dimanche) au souvenir
joyeux de la Résurrection, à l'allégresse de la vie éternelle retrouvée, à
l'espérance du salut prochain. C'était la fête, la solennité générale des
chrétiens, avant que tout autre fête ait été instituée 12.
Dans la liturgie byzantine le
dimanche est appelé άναστάσιμος (qui a rapport à la Résurrection) et le livre dominical
qui contient le texte noté des diverses pièces anastasimes, c'est à dire
des pièces qui se chantent aux offices du dimanche, porte un nom qui a la même
étymologie 13.
En Russie également, le Dimanche
porte le nom de Résurrection (voscrénié). Dans les liturgies du type
byzantin, à partir des premières Vêpres du Samedi, tous les offices dominicaux
se terminent par l’Apolisis ou prière qui débute par ces mots : ό άναςτάς έκ νεκρών « Ô vous qui
êtes ressuscité des morts ».
Chaque dimanche de l'année, à Matines,
après la lecture de l'Évangile on chante un tropaire tiré de l'office de
Pâques 14 et qui n'est que l'embolisme de notre antienne du
Vendredi Saint Crucem tuam. Nous
la donnons en latin pour faciliter le rapprochement.
...Crucem tuam, Christe, adoramus et
Sanctam Resurrectionem tuam laudamus et glorificamus... Venite omnes fideles,
adoremus Christi sanctam Resurrectionem ; ecce enim venit propter crucem
gaudium in universo mundo. Benedicentes Dominum laudemus Resurrectionem ejus...
Le Dimanche nous présente donc comme
en un raccourci suggestif le grand mystère pascal, et devient un hommage
hebdomadaire à la royauté du Christ ressuscité.
Pâque quotidienne. — Enfin la liturgie byzantine accentue
fortement le rapport de la Communion eucharistique avec la Résurrection du
Sauveur : en effet la parole divine est formelle : « Celui qui
mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au
dernier jour » (Saint
Jean, VI, 55). C'est que la messe, comme le mystère pascal comporte l'échange
de deux vies : l'alliance conclue par la Rédemption entre Dieu et le
nouvel Adam se réalise ici pour chacun de ses membres : nous nous donnons,
nous nous consacrons au Père par le sacrifice ; le Père nous donne le gage
de la vie éternelle par la Communion.
Entendant développer cette idée, un
moine de rite byzantin, nous dit toute sa satisfaction de trouver la
justification théologique des chants de la Résurrection qui accompagnent chez
les Russes la distribution de la Communion. Il me fit lire les paroles
suivantes que le Diacre prononce en tenant la patène au-dessus du calice,
aussitôt après la communion des fidèles :
Ayant
vu la Résurrection de Jésus, adorons notre divin Sauveur... nous adorons Votre
Croix ô Seigneur, nous chantons et nous glorifions Votre Sainte Résurrection...
Fidèles, accourez tous ! adorons la Sainte Résurrection du Seigneur car,
par la Croix, la joie est entrée dans le monde entier.
Bénissons sans cesse le Seigneur, chantons Sa Résurrection car, par Ses
souffrances sur la Croix, Il a détruit la mort par la mort.
Resplendissez
nouvelle Jérusalem, et vous, très pure Mère de Dieu, revêtez-vous du vêtement
de la joie, car Il est ressuscité Celui auquel vous avez donné le jour.
Ô
Christ, Pâque sublime et très sainte... 15
Dans la liturgie de saint Basile un
chant semblable accompagne la consommation des saintes Espèces par le
Diacre 16.
Inutile d'insister sur cet aspect si
profond des Saints Mystères. Cette résurrection des membres, garantie par la
communion au corps glorieux du Christ, est mise profondément en relief
dans toute la tradition chrétienne, et saint Thomas est l'écho fidèle de
celle-ci, quand il insiste dans ses écrits sur cet aspect : « L'Eucharistie
ne nous introduit pas immédiatement dans la gloire, mais nous donne la vertu
d'y parvenir, de là son nom de viatique »17.
Et ailleurs : « Il
appartient à ce sacrement de nous assurer la possession de la vie éternelle »18.
Et cette idée qui lui est chère se retrouve dans l'office du Saint Sacrement à
plusieurs reprises : futurœ gloriœ nobis pignus datur.
Les constatations que nous venons de
faire doivent nous remplir de joie et d'espérance. Cette foi profonde et cette
piété de nos Frères orientaux envers le Christ ressuscité sont des facteurs
puissants de vie chrétienne et des gages précieux de fraternité et de paix.
3ème
point : leçons pour nous, Latins
Bornons-nous à trois
considérations :
1° Quand on retrace l'histoire de la
liturgie latine on constate que jusqu'au Xe siècle, et même au delà,
le relief du mystère pascal était aussi fortement accentué que dans les
liturgies orientales. Pour ne relever ici que quelques exemples : Le grand
office pascal dans la nuit du Samedi Saint ne revêtait nulle part une solennité
aussi grande que dans la Basilique du Latran à Rome. En aucune circonstance,
nous dit le Père Grisar, sj, qui décrit longuement cette fonction liturgique
nocturne d'après les Ordines romani 19, la basilique ne renfermait dans son
enceinte une foule aussi nombreuse, accourue à la tombée de la nuit. Le Cortège
pontifical une fois entré dans la basilique assombrie, un diacre gravissait
l'ambon et commençait le chant de l'Exultet, louange au Christ ressuscité symbolisé par le cierge
pascal. L'heure anticipée et matinale à laquelle se déroule cette cérémonie
aujourd'hui, enlève à ce symbole sa puissante expression. Mais qu'on se
transporte en esprit aux âges de foi, dans cette basilique la plus vénérable du
monde chrétien, à la tombée de cette Nuit sainte entre toutes où le monde
chrétien célèbre le triomphe du Rédempteur.
Et l'Office se prolongeait jusqu'à
l'aube du dimanche. Il n'y avait plus de messe au Latran dans la matinée et ce
n'est que plus tard qu'une messe pontificale diurne fut célébrée à
Sainte-Marie-Majeure. Les Russes qui ont assisté à Moscou aux cérémonies de la
nuit pascale seront frappés, nous n'en doutons pas, de cette similitude.
En Occident la Messe de Nuit est
réservée à la fête de Noël. Combien il serait désirable que l'Office du
Samedi-Saint, le vrai Office de Pâques, puisse se célébrer comme jadis et à
l'exemple de nos Frères séparés dans la nuit pascale ! Fiat, Fiat.
Et que dire des solennités de toute
la Semaine pascale en Occident ; des discours des Pères occidentaux sur le
temps pascal ; des lois ecclésiastiques et des capitulaires de Charlemagne
qui imposaient le chômage des tribunaux et des armées pendant toute la
quinzaine pascale ; et tant d'autres coutumes, patrimoine commun jusqu'au
Xe siècle de l'Occident et de l'Orient ? Il en va de même de la
vraie signification du dimanche, vraie fête hebdomadaire de la Résurrection. Ce
n'est qu'au VIIIe siècle environ qu'une messe votive de la Sainte
Trinité fut fixée pour les dimanches, et qu'insensiblement la physionomie de ce
jour se modifia.
L'étude de l'art et de l'iconographie
religieux aboutirait à la même conclusion : Les Christs glorieux étaient
en honneur au Moyen-Âge en Occident comme en Orient. Bref dans le culte du
mystère pascal comme dans d'autres domaines, le retour aux origines révèle
entre nous et nos Frères aujourd'hui séparés nombre de choses communes.
2° Une grande leçon et un grand
exemple que nous, Latins du XXe siècle, nous devons recevoir de nos
Frères d’Orient, c'est un plus grand amour de la tradition et de la piété de
l'Église. Sans doute le progrès en tout domaine est souhaitable ; mais ce
progrès doit s'accomplir dans la ligne de la tradition. Du jour où des
nouveautés font passer à l'arrière plan dans la piété chrétienne des
institutions saintes et vénérables qui ont servi à sanctifier des générations,
il n'y a plus de progrès mais recul. Ce serait le cas si le grand mystère de
Pâques, les fêtes et les Octaves du Temps pascal, la liturgie des dimanches,
l'intelligence traditionnelle de la Communion aux Saints Mystères, si tout cet
ensemble qui nous fait vivre avec notre Chef ressuscité, était éclipsé par les
institutions plus récentes des mois et des neuvaines.
3° Enfin la liturgie bien comprise
révèle une fois de plus son importance dans la vie de l'Église ; elle est
un point de contact et un rendez‑vous pacifique où tous ceux qui aiment le Christ
peuvent fraterniser et apprendre à se connaître et à s'aimer pour se retrouver
bientôt dans l'indivisible unité d'un même bercail.
II.
— La Fête Dieu
Dans le domaine du culte, les
divergences en apparence les plus accentuées entre nos Frères orientaux et nous
sont relatives au culte de la Sainte Eucharistie. Les solennités de la Fête
Dieu nous fournissent l'occasion d'aborder ce sujet. Relevons tout d'abord les
différences les plus caractéristiques de la Liturgie eucharistique orientale.
Pour la messe :
1/ Concélébration de tous les prêtres
au même autel, dès lors en principe pas de messes solitaires.
2/ Les messes basses sont
inconnues ; si toutes ne sont pas solennelles, du moins toutes sont
dialoguées.
3/ Préparation de la matière du
sacrifice au début de la Liturgie, avec offrande du pain par les fidèles.
4/ Textes de la Liturgie, en langue
vulgaire, du moins pour les Lectures.
5/ Canon récité à haute voix et les
Paroles de la Consécration chantées d'une seule voix par tous les
concélébrants, l'iconostase et les voiles étant fermés.
6/ Usage du pain fermenté identique à
celui qui nous nourrit.
7/ Couleur des ornements moins
précise : nuances claires pour les Fêtes, nuances sombres pour les féries
de pénitence.
Pour la Sainte Communion :
1/ Communion sous les deux espèces.
2/ Communion des petits enfants
encore à la mamelle.
3/ Communion pendant la messe, sauf
pour les empêchés et les infirmes.
4/ Communion debout.
Pour la Sainte Réserve :
1/ Dans les églises dont le titulaire
a charge d'âmes, on conserve la Sainte Réserve pour les infirmes et les
moribonds.
2/ La Sainte Réserve, en dehors des
Saints Mystères, n'est pas l'objet d'un culte public et solennel.
3/ La Fête Dieu, les Prières des
Quarante Heures, les Saluts, Expositions et visites du Saint Sacrement, les
adorations nocturnes, bref tout l'ensemble de ce qu'on est convenu d'appeler
les exercices de piété eucharistiques, très développés chez nous Latins, sont
accessoires et pour ainsi dire inconnus chez nos Frères orientaux.
Bref : le culte eucharistique
peut atteindre trois objets d'importance inégale : le Sacrifice, la
Communion, la Sainte Réserve ; il s'agit de garder l'ordre hiérarchique
entre l'Autel, la Table Sainte et le Tabernacle.
Deuxième considération. Les divergences relevées plus haut
quelqu'accentuées qu'elles paraissent sont donc accessoires. Bien plus on ne
serait pas loin de la vérité en affirmant qu'anciennement nombre de ces
divergences n'existaient pas : elles ont été introduites légitimement au
cours des âges par des contingences locales ou régionales, sans répercussion
dans d'autres milieux plus éloignés. La concélébration, la rareté des messes
basses, l'offrande par les fidèles des éléments du sacrifice, la communion des
petits enfants, sans parler des questions jadis si brûlantes et encore
historiquement pendantes du pain azyme et de la récitation à haute voix du
canon, tous ces rites et tant d'autres ont été jadis communs aux deux Églises.
Pour parler d'un rite caractéristique de l'Orient, l'iconostase (grande cloison
tapissée d'images icônes qui sépare
le sanctuaire du chœur et cache en grande partie les Saints Mystères) n'est
rien autre chose que le développement ou si l'on veut l'hypertrophie de
l'ancienne balustrade qui à Rome comme à Byzance séparait le sanctuaire du
chœur et de la nef. Pour protester et réagir au IXe siècle en Orient
contre l'erreur des iconoclastes ou briseurs d'images, on a exposé à la vénération
des fidèles de nombreuses icônes, appendues à cette fin à la balustrade du
sanctuaire. Les proportions de celle-ci augmentèrent insensiblement jusqu'à
devenir la cloison actuelle qui hausse jusqu'au sommet cinq rangs d'images
pieuses : l'icono-clasme amène par réaction l'icono-stase ; au lieu
de briser on exposa, et les limites géographiques de l'erreur continrent dans
les mêmes bornes l'innovation liturgique ; celle-ci engendra dans la suite
différents rites nouveaux que ne connurent pas les Églises occidentales.
Ce simple exemple illustre à
merveille cette thèse que l'histoire de nos liturgies occidentale et orientale
nous révélera nos origines communes, tout en justifiant pleinement à nos yeux
des divergences inévitables qui se sont légitimement produites dans le cours
des âges.
Troisième considération. Il faut reconnaître cependant qu'il
existe entre l'Église latine et les Églises orientales une différence notable
dans la piété eucharistique. Je veux parler du culte public rendu à la Sainte
Réserve ; il est nul en Orient en dehors des Saints Mystères ; il est
prédominant chez nous.
La solution complète de cette
difficulté demanderait tout un traité. Bornons-nous ici à quelques brèves
observations.
a/ Jusqu'au XIe siècle
environ, la différence que nous venons de signaler n'existe pas entre les deux
Églises. Le culte de l'Eucharistie y est compris et pratiqué de façon identique. Aussi dans les
controverses anciennes n'est-il jamais question de divergence dans ce domaine.
b/ En Occident le dogme de la
Présence réelle fut violemment attaqué dans le courant du XIe
siècle. Les prédications hérétiques de Bérenger, archidiacre d'Angers († 1090)
et de Tanquelin de Zélande († 1115) troublèrent profondément la Gaule. Léon IX
en 1050 et Grégoire VII en 1070 tiennent des conciles à Rome pour les
condamner. Aussitôt le culte va suivre le développement de la doctrine et les
négations hérétiques vont amener en Occident des manifestations cultuelles de
plus en plus explicites en l'honneur de la Présence réelle, et le culte de la
Sainte Réserve va se développer. Sans suivre ici cette évolution, notons
seulement l'établissement dans l'Eglise latine d'une Fête nouvelle, la
Fête-Dieu, par la bulle Transiturus de Urbain IV du 11 août 1264.
Du XIIIe au XVe
siècle, le culte du Saint Sacrement s'accentua, sans cependant atteindre dès
lors au développement actuel.
c/ Sous l'influence des erreurs de
Luther, le culte de la Sainte Réserve prit en Occident un élan nouveau.
L'hérésiarque s'attaqua spécialement au culte de la Sainte Réserve qui selon
lui était inconnu dans l'Église avant le XIIe siècle. Il basait ce
fait sur cette doctrine étrange qui fut condamnée par le Concile de Trente :
Jésus n'est présent dans l'Eucharistie que lorsque ce sacrement est en état
d'usage, c'est à dire aussi longtemps que la table sacramentelle est
dressée et servie pendant la fonction liturgique. Mais une fois la Fraction
du Pain achevée, le Sacrement est hors d'usage et la présence réelle cesse.
Le culte de latrie rendu à la Sainte
Réserve à partir du XIIIe siècle est, selon lui, idolâtrique. De là
cette haine de Luther pour le Fête Dieu qui a inauguré ce culte de la Sainte
Réserve. Il a écrit dans la fameuse lettre aux Vaudois que de toutes les Fêtes
de l’Église romaine, il n'en est aucune qu'il déteste davantage.
c/ Le culte eucharistique dans l'Église
latine continua à partir du XVIe siècle à évoluer par réaction
contre les négations protestantes, et le phénomène que nous avons constaté dans
le développement de l'iconostase se produisit en Occident pour le culte de la
Sainte Réserve. Au lieu de réserver
comme jadis, dans le secret, derrière des grilles et des voiles, on exposa, on remonstra, on manifesta sa foi par des processions et des
expositions, bref tout un culte nouveau s'organisa en Occident, tandis que
l'Orient restait étranger à ce mouvement et conservait le culte eucharistique
que nous avions connu en commun jusqu'au XIe siècle.
d/ On comprend dès là que le culte de
la Sainte Réserve ait été considéré comme le culte eucharistique spécifiquement
catholique romain, comme un signe authentique de catholicité, comme un culte
apologétique qui devint très cher aux uns et abhorré des autres.
Qu'il nous suffise de dire ceci que
l'Église romaine par sa législation s'efforça sans y réussir toujours de
maintenir l'ordre hiérarchique traditionnel entre l'Autel, la Table Sainte et
le Tabernacle : les expositions du Saint Sacrement doivent être
extraordinaires et autorisées seulement pour une cause grave et publique ;
régulièrement elles ne doivent pas avoir lieu pendant la messe ; tandis
que les messes et les communions sont rendues aussi fréquentes que possible,
des dispositions restrictives sont prises pour la conservation de la Sainte
Réserve et le principe traditionnel est maintenu : ne peuvent la conserver
que les églises dont les titulaires ont charge d'âmes : preuve évidente
que sa destination principale est le besoin des infirmes et des moribonds. Bref,
dans la pensée de l'Église romaine, les développements légitimes qui se sont
produits à partir du XIIe siècle dans l'Église latine sont
accessoires et ne doivent pas modifier les principes traditionnels du culte
eucharistique.
Quatrième considération. Tout ce que nous avons dit, montre à
l'évidence que ce serait verser dans l'erreur du latinisme que de penser que
les Églises orientales aujourd'hui séparées de nous auraient à modifier quoi
que ce soit dans leur culte eucharistique et à adopter les exercices de piété
eucharistique qui se sont légitimement développés dans l'Église latine sous les
influences que nous avons dites. Pas plus que nous, Latins, ne devrons ériger
chez nous des iconostases, nos Frères séparés ne devront forger des ostensoirs,
dresser d'immenses trônes d'exposition ou sculpter les tabernacles artistiques
que gardent précieusement nos anciennes églises. Mais qu'ils conservent dans
toute sa splendeur et sa solennité la liturgie des Saints Mystères, avec cette
participation active et constante des fidèles, cette âme collective qui anime
leurs assemblées liturgiques, cette indentification
de tous les membres du Christ dans la grande oblation qui fait les Saints. Pour
tous les chrétiens sans distinction, tel est l'essentiel du culte eucharistique.
Dom Lambert Beauduin, osb, in
Mélanges liturgiques
1. Sermon 47,
chap. I, M.L., tome 54, col. 295.
2. Actes
III, 15.
3. Corinthiens XV, 17-19
4. Tobac, Le problème de la justification chez saint Paul, Louvain, 1908, p. 156.
5. Voir sur ce sujet MILLET, Iconographie de l’Évangile, Paris, Fontemoing, 1916, chap. II,
pp. 25-26-27.
6. Cet article fut écrit en
1926 ! [ndvi]
7. Collection des Livres liturgiques
byzantino-grecs, Rome, 1884.
8. Homélie sur Isaïe, M.G., LVI, col. 71.
9. Oratio 45 in
Sanctum Pascha, M.G., t. XXXVI, col. 624-644. Nous avons suivi le texte du Bréviaire monastique 2e
nocturne In die Resurrectionis.
10. DUMAINE,
O.S.B., Le
Dimanche chrétien, Bruxelles, 1922, voir surtout les chap. III et IV.
11. Du
Carême ancien, Maertens,
Bruges, 1920, pp. 8-9.
12. Ouvrage cité, p. 49.
13. D. A. L., t.
I, 2e partie, col. 1924.
14. Pentecostarion, Rome, 1884, p. 17.
15. Liturgie de saint Jean
Chrysostome, Saint-Pétersbourg, 1846, p. 118. La Missa græca, trad.
latine par le prince Maximilien de Saxe (Pustet, 1908), ne contient pas cette
prière, pas plus que La Divine Liturgie de saint Chrysostome, par Dom
Placide de Meester, Rome, 1925, p. 95. — Dom Moreau, Les Liturgies
Eucharistiques, Bruxelles, 1924, p. 185, n'en fait pas davantage mention.
16. Dom Moreau, ouvrage cité, p. 185.
17. Somme Théologique, 3a, 79,
2, 1.
18. Somme Théologique, 3a, 79,
2, in corpore.
19. Histoire de Rome et des Papes au
Moyen-Âge, livre V, chap. V et VIII.