lundi 11 juillet 2011

En citant... CS Lewis, Tactique du diable


Citations extraites des
lettres d'un vieux démon expérimenté à son neveu, novice de la tentation

Matérialisme
Les slogans, et non le raisonnement, seront tes meilleurs alliés pour l'éloigner de l'Église. Ne perds pas ton temps à essayer de le convaincre que le matérialisme est vrai ! Fais-lui croire qu'il est fort, vigoureux, courageux - que c'est la philosophie de l'avenir. Car c'est à ce genre de chose qu'il est sensible.
Raisonnement
L'inconvénient à faire appel au raisonnement c'est que l'Ennemi a l'avantage du terrain. Il sait fort bien argumenter. Tandis que dans le genre de propagande pragmatique que je préconise, il s'est montré depuis des siècles bien inférieur à notre Père d'en bas. Par le simple fait d'argumenter, tu éveilles l'esprit de ton protégé. Et une fois qu'il est éveillé, qui peut en prévoir les répercussions ?
Recherches récentes
Le mieux c'est encore de ne le laisser lire aucun ouvrage scientifique mais de lui donner l'impression qu'il sait tout et que tout ce qu'il peut glaner dans ses conversations ou ses lectures est le résultat des recherches les plus récentes.
Ridicule
Grâce à notre Père d'en bas, ton protégé est un sot. Il suffit que l'un de ses voisins chante faux, que ses chaussures craquent, qu'il ait un double menton ou des vêtements bizarres pour qu'il soit prêt à trouver ridicule la religion d'un tel homme.
Tâches spirituelles
Détourne son attention des devoirs les plus élémentaires pour la diriger vers des tâches plus élevées et plus spirituelles. Accentue chez lui ce trait si humain qui nous est si utile : l'horreur ou simplement la négligence d'obligations qui semblent pourtant évidentes.
Ferveur religieuse
La meilleure tactique sera, chaque fois que cela est possible, d'empêcher ton protégé de prendre sérieusement la résolution de prier. Pour un débutant, cela voudra dire qu'en fait il s'efforcera d'éveiller une vague ferveur religieuse qui n'a rien à voir avec son intelligence ou sa volonté.
Orienter sur eux-mêmes
Quand les hommes fixent toute leur attention sur la personne de l'Ennemi, nous sommes vaincus d'avance. Mais il y a moyen de les en empêcher. La façon la plus simple, c'est de détourner de lui leurs regards et de les orienter sur eux-mêmes.
Mélange
Tu peux faire ce que tu veux, il y aura toujours un mélange de bienveillance et de malveillance dans l'âme de ton protégé. L'essentiel est de diriger toute sa malveillance contre ses voisins les plus proches, ceux qu'il rencontre chaque jour, et de l'amener à montrer de la bienveillance aux gens qui vivent à l'autre bout du monde et qu'il ne connaît guère.
Croire au diable
S'il y avait le moindre indice qu'il soupçonne ton existence, présente-lui un personnage en pantalon collant rouge. Convaincu par toi qu'il ne peut pas croire à de pareilles niaiseries (ce moyen de créer la confusion est consigné dans notre Méthode classique), il finira par comprendre qu'il ne peut pas croire en toi.
Religieux
Aussi longtemps qu'il attachera plus d'importance aux réunions, aux pamphlets, à la politique, aux mouvements, aux causes et aux croisades qu'aux prières, aux sacrements et à l'amour du prochain, il sera des nôtres et plus il sera religieux (comme nous l'entendons), plus sûrement il nous appartiendra.
Obéissance
Ne t'y méprends pas, mon cher Wormwood. Notre cause n'est jamais autant menacée que quand un homme qui ne désire plus faire la volonté de l'Ennemi, mais qui l'accomplit quand même, contemple un monde où toute trace de l'Ennemi semble avoir disparu, demande pourquoi il a été abandonné - et obéit tout de même.
Modération
Insiste sur la modération en toutes choses. Si tu réussis à l'amener au stade où il pense que la religion, c'est très bien à condition de ne pas aller trop loin, tu n'auras plus de soucis à te faire pour son âme. Une religion modérée vaut tout autant pour nous que pas de religion du tout, et c'est bien plus amusant.
Les amis
Tout semble aller pour le mieux. Ce qui me réjouit surtout c'est d'apprendre que ses deux nouveaux amis l’ont maintenant introduit dans leur cercle. D'après nos archives, ce sont des gens qui sont constants dans leur mépris, des humains qui, sans commettre de crimes spectaculaires, progressent doucement mais sûrement vers la maison de notre Père.
Puritanisme
Tout cela, ton protégé le qualifierait probablement de puritanisme – et permets-moi, en passant, de te faire remarquer que la connotation que nous avons réussi à donner à ce mot est un de nos plus grands triomphes au cours des cent années passées. Grâce à elle, nous sauvons chaque année des milliers d'hommes de la tempérance, de la chasteté et de toutes les formes de sobriété.
L’ironie
Une fois l'habitude prise, l'ironie entoure l'homme de la carapace la plus efficace contre l'Ennemi. De plus elle ne l'expose à aucun des dangers que comportent les autres causes du rire. Elle est aux antipodes de la joie ; elle tue l'esprit au lieu de l'aiguiser ; et elle ne crée aucun lien d'affection entre ceux qui la pratiquent.
Accumulation
Mais rappelle-toi que la seule chose qui compte est la mesure dans laquelle tu as réussi à séparer ton protégé de l'Ennemi. Peu importe que ses péchés soient véniels, pourvu que leur accumulation ait pour effet de l'écarter tout doucement de la lumière pour le conduire dans le néant. En effet, le chemin le plus sûr pour l'enfer est celui qui y mène progressivement. C'est la pente douce, bien feutrée, sans virages trop brusques, sans bornes kilométriques ni poteaux indicateurs.
Grandes promesses
Si je comprends bien, il ne fait plus de grandes promesses de vie vertueuse. Il ne s'attend même plus à être en état de grâce pour le reste de ses jours. Tout ce qu'il espère c'est d'obtenir à chaque heure de chaque jour les forces nécessaires pour surmonter la tentation. Tout ceci est très mauvais.
L’orgueil de l’humilité
Toutes les vertus deviennent moins redoutables pour nous dès qu'un homme en a pris conscience, et cela est particulièrement vrai de l'humilité. Attrape-le au moment où il est vraiment pauvre en esprit et souffle-lui à l'oreille la réflexion flatteuse : « Pardi ! Me voilà devenu humble », et tu verras, presque instantanément, l'orgueil – l'orgueil qu'il tire de son humilité – faire son apparition.
Mariage
Il doit exister dans l'entourage de ton protégé plusieurs jeunes femmes qui sauraient lui rendre la vie chrétienne extrêmement difficile, si seulement tu pouvais le décider à épouser l'une ou l'autre. S'il te plait, fais-moi un rapport sur ce point dans ta prochaine lettre.
Désir
De cette façon, nous orientons de plus en plus le désir de l'homme vers quelque chose qui n'existe pas – laissant l'œil jouer un rôle toujours plus important dans sa vie sexuelle tout en rendant ses exigences toujours plus difficiles à satisfaire. Ce qui va en résulter, tu n'as pas de peine à l'imaginer !
Propriété
En général, il faut encourager le sens de la propriété chez les hommes. En fait, ils sont toujours en train de revendiquer tel ou tel droit de propriété, ce qui semble aussi bizarre au ciel qu'à l'enfer. Mais il faut les laisser faire. Le discrédit que l'on jette actuellement sur la chasteté provient en grande partie de cette idée qu'ont les hommes qu'ils sont propriétaires de leur corps.
Justice sociale
La chose à faire, c'est, au début, de faire apprécier à un homme la justice sociale parce que l'Ennemi l'exige, et, ensuite, de l'amener au stade où il appréciera le christianisme parce qu'il peut mener à la justice sociale.
Religion d’initiés
Certaines théories auxquelles il risque d'être confronté dans les milieux chrétiens d'avant-garde peuvent t'être d'une grande utilité. Le genre de théories auxquelles je pense fait dépendre l'avenir de la société d'un cercle fermé de clercs, d'une minorité de théocrates bien formés. Que ces théories soient justes ou fausses, cela n'est pas ton affaire. La seule chose qui compte est de faire du christianisme une religion à mystères dont ton protégé se prend pour un des initiés.
Toujours les mêmes choses
Cette aversion pour toujours les mêmes choses est une des passions les plus utiles que nous ayons produites dans le cœur humain. C'est une source intarissable d'hérésie en matière de religion, de folie dans les conseils, d'infidélité dans le mariage, d'inconstance dans l'amitié.
Cris d’indignation
Nous orientons les cris d'indignation de chaque génération contre les vices qui la menacent le moins et la poussons à donner son approbation à la vertu la plus proche du vice que nous aimerions voir se répandre. Notre tactique est de les faire courir tous avec des extincteurs en cas d'inondation et de les entasser tous du côté du bateau qui est déjà en train de sombrer.
Questions pertinentes
S'ils continuent à se demander : « Est-ce en accord avec la tendance générale de notre époque ? Est-ce conforme aux idées progressistes ou aux opinions réactionnaires ? Est-ce dans le sens de l'Histoire ? », ils laisseront de côté les questions pertinentes.
Méthode historique
Nous sommes arrivés à ce résultat en leur inculquant la méthode historique. En deux mots, cela veut dire que lorsque l'un de ces savants se trouve devant un texte quelconque d'un auteur ancien, il cherche à savoir tout sauf si ce qu'il dit est vrai. […] La pensée que l'auteur ancien aurait quelque chose à lui apprendre ou que ses écrits pourraient éventuellement modifier sa façon de penser et d'agir — l'érudit la qualifierait de puérile et de simpliste.
Prospérité
La prospérité enchaîne l'homme au monde. Il croit y avoir trouvé sa place, alors qu'en fait, c'est le monde qui a trouvé sa place en lui. Sa réputation grandissante, son cercle d'amis qui s'élargit sans cesse, le sentiment de sa propre importance, la pression croissante d'un travail absorbant et agréable — tout cela crée en lui le sentiment qu'il est bien chez lui ici-bas. Et c'est exactement ce que nous souhaitons.
Aveuglement
En temps de paix, nous réussissons à garder bien des gens dans une ignorance totale du bien et du mal. Mais quand ils sont en danger, cette question s'impose à eux avec une telle évidence que même nous, nous n'arrivons pas à les maintenir dans l'aveuglement.
Désespoir
Il reste encore une autre possibilité : non pas de chloroformer son sentiment de honte mais de l'accentuer jusqu'à ce qu'il soit au bord du désespoir. Ce serait là un grand triomphe pour nous. Cela prouverait qu'il n'a cru au pardon de l'Ennemi pour ses autres fautes que parce qu'il n'avait pas senti toute la gravité du mal qu'il avait fait ; mais que pour ce seul vice dont il a pu pleinement sonder l'infamie, il n'ose plus demander miséricorde, ni même croire qu'il pourrait l'obtenir.

Clive Staples Lewis, in Tactique du diable


[ndvi : les intertitres sont de mon cru]