Citations extraites des
lettres
d'un vieux démon expérimenté à son neveu, novice de la tentation
Matérialisme
Les slogans, et non le raisonnement,
seront tes meilleurs alliés pour l'éloigner de l'Église. Ne perds pas ton temps
à essayer de le convaincre que le matérialisme est vrai ! Fais-lui croire
qu'il est fort, vigoureux, courageux - que c'est la philosophie de l'avenir.
Car c'est à ce genre de chose qu'il est sensible.
Raisonnement
L'inconvénient à faire appel au
raisonnement c'est que l'Ennemi a l'avantage du terrain. Il sait fort bien
argumenter. Tandis que dans le genre de propagande pragmatique que je préconise,
il s'est montré depuis des siècles bien inférieur à notre Père d'en bas. Par le
simple fait d'argumenter, tu éveilles l'esprit de ton protégé. Et une fois
qu'il est éveillé, qui peut en prévoir les répercussions ?
Recherches récentes
Le mieux c'est encore de ne le
laisser lire aucun ouvrage scientifique mais de lui donner l'impression qu'il
sait tout et que tout ce qu'il peut glaner dans ses conversations ou ses
lectures est le résultat des recherches les plus récentes.
Ridicule
Grâce à notre Père d'en bas, ton
protégé est un sot. Il suffit que l'un de ses voisins chante faux, que ses
chaussures craquent, qu'il ait un double menton ou des vêtements bizarres pour
qu'il soit prêt à trouver ridicule la religion d'un tel homme.
Tâches spirituelles
Détourne son attention des devoirs
les plus élémentaires pour la diriger vers des tâches plus élevées et plus
spirituelles. Accentue chez lui ce trait si humain qui nous est si
utile : l'horreur ou simplement la négligence d'obligations qui semblent
pourtant évidentes.
Ferveur religieuse
La meilleure tactique sera, chaque
fois que cela est possible, d'empêcher ton protégé de prendre sérieusement la
résolution de prier. Pour un débutant, cela voudra dire qu'en fait il
s'efforcera d'éveiller une vague ferveur religieuse qui n'a rien à voir avec
son intelligence ou sa volonté.
Orienter sur
eux-mêmes
Quand les hommes fixent toute leur
attention sur la personne de l'Ennemi, nous sommes vaincus d'avance. Mais il y
a moyen de les en empêcher. La façon la plus simple, c'est de détourner de lui
leurs regards et de les orienter sur eux-mêmes.
Mélange
Tu peux faire ce que tu veux, il y
aura toujours un mélange de bienveillance et de malveillance dans l'âme de ton
protégé. L'essentiel est de diriger toute sa malveillance contre ses voisins
les plus proches, ceux qu'il rencontre chaque jour, et de l'amener à montrer de
la bienveillance aux gens qui vivent à l'autre bout du monde et qu'il ne
connaît guère.
Croire au diable
S'il y avait le moindre indice qu'il
soupçonne ton existence, présente-lui un personnage en pantalon collant rouge.
Convaincu par toi qu'il ne peut pas croire à de pareilles niaiseries (ce moyen
de créer la confusion est consigné dans notre Méthode classique), il finira par
comprendre qu'il ne peut pas croire en toi.
Religieux
Aussi longtemps qu'il attachera plus
d'importance aux réunions, aux pamphlets, à la politique, aux mouvements, aux
causes et aux croisades qu'aux prières, aux sacrements et à l'amour du
prochain, il sera des nôtres et plus il sera religieux (comme nous
l'entendons), plus sûrement il nous appartiendra.
Obéissance
Ne t'y méprends pas, mon cher
Wormwood. Notre cause n'est jamais autant menacée que quand un homme qui ne
désire plus faire la volonté de l'Ennemi, mais qui l'accomplit quand même,
contemple un monde où toute trace de l'Ennemi semble avoir disparu, demande
pourquoi il a été abandonné - et obéit tout de même.
Modération
Insiste sur la modération en
toutes choses. Si tu réussis à l'amener au stade où il pense que la
religion, c'est très bien à condition de ne pas aller trop loin, tu
n'auras plus de soucis à te faire pour son âme. Une religion modérée vaut tout
autant pour nous que pas de religion du tout, et c'est bien plus amusant.
Les amis
Tout semble aller pour le mieux. Ce
qui me réjouit surtout c'est d'apprendre que ses deux nouveaux amis l’ont
maintenant introduit dans leur cercle. D'après nos archives, ce sont des gens
qui sont constants dans leur mépris, des humains qui, sans commettre de crimes
spectaculaires, progressent doucement mais sûrement vers la maison de notre
Père.
Puritanisme
Tout cela, ton protégé le
qualifierait probablement de puritanisme – et permets-moi, en
passant, de te faire remarquer que la connotation que nous avons réussi à
donner à ce mot est un de nos plus grands triomphes au cours des cent années
passées. Grâce à elle, nous sauvons chaque année des milliers d'hommes de la
tempérance, de la chasteté et de toutes les formes de sobriété.
L’ironie
Une fois l'habitude prise, l'ironie
entoure l'homme de la carapace la plus efficace contre l'Ennemi. De plus elle
ne l'expose à aucun des dangers que comportent les autres causes du rire. Elle
est aux antipodes de la joie ; elle tue l'esprit au lieu de l'aiguiser ;
et elle ne crée aucun lien d'affection entre ceux qui la pratiquent.
Accumulation
Mais rappelle-toi que la seule chose
qui compte est la mesure dans laquelle tu as réussi à séparer ton protégé de
l'Ennemi. Peu importe que ses péchés soient véniels, pourvu que leur
accumulation ait pour effet de l'écarter tout doucement de la lumière pour le
conduire dans le néant. En effet, le chemin le plus sûr pour l'enfer est celui
qui y mène progressivement. C'est la pente douce, bien feutrée, sans virages
trop brusques, sans bornes kilométriques ni poteaux indicateurs.
Grandes promesses
Si je comprends bien, il ne fait plus
de grandes promesses de vie vertueuse. Il ne s'attend même plus à être en état de grâce pour le reste de ses jours. Tout ce qu'il espère
c'est d'obtenir à chaque heure de chaque jour les forces nécessaires pour
surmonter la tentation. Tout ceci est très mauvais.
L’orgueil de
l’humilité
Toutes les vertus deviennent moins
redoutables pour nous dès qu'un homme en a pris conscience, et cela est
particulièrement vrai de l'humilité. Attrape-le au moment où il est vraiment
pauvre en esprit et souffle-lui à l'oreille la réflexion flatteuse : « Pardi ! Me voilà devenu humble », et tu verras, presque
instantanément, l'orgueil – l'orgueil qu'il tire de son humilité – faire son
apparition.
Mariage
Il doit exister dans l'entourage de
ton protégé plusieurs jeunes femmes qui sauraient lui rendre la vie chrétienne
extrêmement difficile, si seulement tu pouvais le décider à épouser l'une ou
l'autre. S'il te plait, fais-moi un rapport sur ce point dans ta prochaine
lettre.
Désir
De cette façon, nous orientons de
plus en plus le désir de l'homme vers quelque chose qui n'existe pas – laissant
l'œil jouer un rôle toujours plus important dans sa vie sexuelle tout en
rendant ses exigences toujours plus difficiles à satisfaire. Ce qui va en
résulter, tu n'as pas de peine à l'imaginer !
Propriété
En général, il faut encourager le
sens de la propriété chez les hommes. En fait, ils sont toujours en train de
revendiquer tel ou tel droit de propriété, ce qui semble aussi bizarre au ciel
qu'à l'enfer. Mais il faut les laisser faire. Le discrédit que l'on jette
actuellement sur la chasteté provient en grande partie de cette idée qu'ont les
hommes qu'ils sont propriétaires de leur corps.
Justice sociale
La chose à faire, c'est, au début, de
faire apprécier à un homme la justice sociale parce que l'Ennemi l'exige, et,
ensuite, de l'amener au stade où il appréciera le christianisme parce qu'il
peut mener à la justice sociale.
Religion d’initiés
Certaines théories auxquelles il
risque d'être confronté dans les milieux chrétiens d'avant-garde peuvent t'être
d'une grande utilité. Le genre de théories auxquelles je pense fait dépendre
l'avenir de la société d'un cercle fermé de clercs, d'une
minorité de théocrates bien formés. Que ces théories soient justes ou fausses,
cela n'est pas ton affaire. La seule chose qui compte est de faire du
christianisme une religion à mystères dont ton protégé se prend pour un des
initiés.
Toujours les mêmes
choses
Cette aversion pour toujours les
mêmes choses est une des passions les plus utiles que nous ayons
produites dans le cœur humain. C'est une source intarissable d'hérésie en
matière de religion, de folie dans les conseils, d'infidélité dans le mariage,
d'inconstance dans l'amitié.
Cris d’indignation
Nous orientons les cris d'indignation
de chaque génération contre les vices qui la menacent le moins et la poussons à
donner son approbation à la vertu la plus proche du vice que nous aimerions
voir se répandre. Notre tactique est de les faire courir tous avec des
extincteurs en cas d'inondation et de les entasser tous du côté du bateau qui
est déjà en train de sombrer.
Questions
pertinentes
S'ils continuent à se demander : « Est-ce en accord avec la tendance générale de notre époque ? Est-ce
conforme aux idées progressistes ou aux opinions réactionnaires ? Est-ce
dans le sens de l'Histoire ? », ils laisseront de côté les questions
pertinentes.
Méthode historique
Nous sommes arrivés à ce résultat en
leur inculquant la méthode historique. En deux mots, cela veut dire que lorsque
l'un de ces savants se trouve devant un texte quelconque d'un auteur ancien, il
cherche à savoir tout sauf si ce qu'il dit est vrai. […] La pensée que l'auteur
ancien aurait quelque chose à lui apprendre ou que ses écrits pourraient
éventuellement modifier sa façon de penser et d'agir — l'érudit la qualifierait
de puérile et de simpliste.
Prospérité
La prospérité enchaîne l'homme au
monde. Il croit y avoir trouvé sa place, alors qu'en fait, c'est le monde qui a
trouvé sa place en lui. Sa réputation grandissante, son cercle d'amis qui
s'élargit sans cesse, le sentiment de sa propre importance, la pression
croissante d'un travail absorbant et agréable — tout cela crée en lui le
sentiment qu'il est bien chez lui ici-bas. Et c'est exactement ce que nous
souhaitons.
Aveuglement
En temps de paix, nous réussissons à
garder bien des gens dans une ignorance totale du bien et du mal. Mais quand
ils sont en danger, cette question s'impose à eux avec une telle évidence que
même nous, nous n'arrivons pas à les maintenir dans l'aveuglement.
Désespoir
Il reste encore une autre possibilité :
non pas de chloroformer son sentiment de honte mais de l'accentuer jusqu'à ce
qu'il soit au bord du désespoir. Ce serait là un grand triomphe pour nous. Cela
prouverait qu'il n'a cru au pardon de l'Ennemi pour ses autres fautes que parce
qu'il n'avait pas senti toute la gravité du mal qu'il avait fait ; mais
que pour ce seul vice dont il a pu pleinement sonder l'infamie, il n'ose plus
demander miséricorde, ni même croire qu'il pourrait l'obtenir.
Clive
Staples Lewis, in Tactique du diable
[ndvi : les
intertitres sont de mon cru]