Heureux les pauvres de l'Esprit, qui
attendent tout de Lui et ne veulent de salaire qu'injustifiable et joyeusement
immérité
Car voici le Fils prodigue de la
générosité de Dieu
L'Économe infidèle qui nous trouve
bien peu d'avidité et de hardiesse à piller l'amour
Venu nous enseigner le principe
unique de l'économie divine, fondée sur le déficit absolu et permanent de la
charité !
Heureux les doux, instruits par l'humilité
!
Les êtres faits pour passer que nous
sommes, ils n'attendent pas qu'ils ne soient plus pour les comprendre, ni
qu'ils aient disparu pour les interroger
Ils se souviennent de votre passage,
Christ Jésus, et en chacun de ceux qui les entourent, ils protègent ce que vous
avez laissé d'amour auprès de nous.
Heureux ceux qui pleurent, car il
n'est pas de larmes impures
En chacune d'elles brille un fragment
d'éternité, toute larme a sa source dans un autre monde,
Ceux qui pleurent savent qu'ils
aiment : il n'est pas de certitude plus précieuse que celle-là,
Et d'évidence par anticipation plus
douce que la réversibilité de la souffrance et de l'amour.
Heureux ceux qui ont faim et soif de
la justice, qui exclut la violence et la domination !
Heureux les pacifiques, qui n'en
peuvent plus des œuvres de la haine, et d'entendre ce gémissement qui monte de
la terre pour aller effrayer l'innocence de Dieu !
Heureux les miséricordieux, qui
savent que le pardon à recevoir et à donner est le besoin le plus profond de
l'âme exilée du premier jardin,
Et que l'on ne peut ôter à l'homme le
sens de son péché, par une mansuétude menteuse, sans lui retirer sa liberté en
même temps !
Heureux le cœur pur qui dans la
pénombre d'une chapelle se met tranquillement en présence de Dieu et pressent
peu à peu, à travers la pierre qui s'allège, et la vieille écorce des ors,
l'incroyable suavité qui est au-delà des choses et les forme devant elle en
calices !
Heureux ceux qui souffrent
persécution pour le Christ, qui fut parmi nous la pauvreté et la douceur, la
douleur et la justice, la paix, le pardon, la pureté, et qui nous donna de
surcroît cette bonne nouvelle que le diable avait perdu, et que nous n'étions
pas des dieux !
André Frossard, in L’art de croire