Pour tous les événements qui ne sont
pas inéluctables et dans le déroulement desquels la liberté et le désir peuvent
intervenir, l'homme a coutume de chercher une solution ou une issue et bien
souvent aussi une explication, quoique l'issue se présente à lui plus aisément
que l'explication. Il cherche ce qu'il pourrait faire pour améliorer sa
situation, pour avoir une existence plus satisfaisante et davantage de succès.
Ce n'est que lorsque ce dernier ne survient pas comme il le voudrait qu'il se
met à chercher les causes de cet échec. Et, dans sa recherche, il en vient
alors à s'interroger sur l'état de sa propre vie. Il cherche à comprendre sa
situation, à la justifier, tout en devant peut-être reconnaître que les
circonstances sont plus fortes que lui, qu'il ne peut rien faire pour sa
situation parce qu'il doit lutter contre des puissances plus efficaces que lui.
Et pourtant, au moment même où se justifiant il en arrive à conclure qu'il est
innocent, se fait jour le plus souvent son inquiétude plus profonde, et
l'intuition d'une faute cachée.
En général, il n'est pas capable de
mener lui-même à terme l'analyse de sa destinée. Il a besoin d'un échange et il
le recherche. Bien moins pour entendre ce que l'autre a à lui dire (de fait,
l'autre n'est que rarement capable de l'éclairer sur sa situation de façon
satisfaisante) que pour avoir plutôt une occasion d'exprimer correctement ce
qui l'oppresse. Peut-être aussi surtout pour être conforté dans son opinion
personnelle par le pouvoir de sa propre parole. C'est comme si, en vertu d'une
force secrète de l'énonciation, ce qu'il exprimait acquérait une justesse
définitive ; comme si lui-même, après s'être présenté, s'en trouvait par là
sauvé ; comme si sa situation, de par les mots qu'il énonce et entend à la
fois, s'en trouvait encadrée et consolidée. Et même si la parole en soi ne
change pas la situation, elle apporte néanmoins ce soulagement bien particulier
qui provient du fait que les choses ont trouvé leur place, qu'il doit
nécessairement en être ainsi et pas autrement.
Pour bien des gens, cette sorte
d'entretien constitue à tel point leur ancre de salut qu'une fois celui-ci
terminé, ils s'enfoncent dans un certain désespoir. L'entretien constituait
leur ultime espoir, et son échec prouve qu'il n'y a absolument plus rien à
faire. Aussi deviennent-ils souvent, après un entretien qui ne s'est pas
déroulé au bon endroit, plus tièdes qu'auparavant et sombrent-ils complètement
dans la résignation.
Il faut dire que l'entretien est bien
souvent configuré de manière à n'offrir, objectivement parlant, aucune
possibilité d'échange. Il est même réglé d'avance, parce que celui qui décrit
sa situation et qui prétend vouloir y changer quelque chose ne désire au fond
aucun changement. Il élit un partenaire qui ne pourra guère intervenir avec
efficacité et dont le rôle se borne à acquiescer d'un signe de tête et à
ratifier en silence. Comme le partenaire est choisi de telle façon qu'il ne
peut exprimer d'opinion personnelle et doit admettre sans discussion ce qu'on
lui dit – pour la bonne raison déjà qu'on a soigneusement sélectionné ce qu'on
va lui confier, et que l'image ainsi projetée ne correspond nullement à la
réalité –, tout entretien demeure naturellement sans effet. Toujours est-il
qu'il y a des gens qui se sont peut-être expliqués avec une voisine ou une
autre personne se trouvant à pied d'égalité, et qui tout à coup s'adressent à
quelque autorité qu'ils considèrent plus haut placée : par exemple au médecin,
qui se distingue par sa science, sa position et son habitude de traiter avec
les hommes. Le cabinet du médecin est probablement le lieu où se déroulent la
plupart de ces entretiens. Mais ce qui lui est dit est généralement très
unilatéral, précisément parce que bien peu de gens sont disposés à écouter un
conseil inattendu. La plupart ne cherchent qu'une confirmation et ne sont prêts
à quelque changement que dans des choses minimes. Et souvent ils veulent
utiliser le jugement du médecin dans le seul but d'en jouer contre un tiers,
pour changer le comportement des autres plutôt que le leur.
La plupart des gens se trouvent des
justifications. Il y a des femmes pour qui rien n'est plus agréable que de
s'entendre dire : « Votre fille devrait bien finir par comprendre... », « Il
serait temps que votre mari... » Elles sont reconnaissantes pour toute nouvelle
arme qu'on leur fournit contre leur entourage. Et elles expliquent leur sort de
telle manière qu'on comprend qu'il n'y a rien d'essentiel à y changer. Leur vie
ne saurait être autrement. Elles n'éprouvent aucune joie à être avec leur mari,
parce qu'elles sont trop fatiguées le soir. Elles ne l'accompagnent pas
volontiers au cinéma, parce qu'elles ont une trop mauvaise vue. De même avec
leur défauts : ils sont inévitables, puisque de toutes façons elles font de
leur mieux. Elles se tiennent sur un échafaudage branlant et dangereux, et si
quelqu'un y touchait, cela leur causerait une chute mortelle : « Mes nerfs ne
pourraient pas supporter une nouvelle discussion avec mon mari ». Les jugements
qu'elles portent sur leur entourage ne peuvent qu'être faux, pour la bonne
raison qu'elles n'ont jamais pris la peine de comprendre de l'intérieur la vie
des autres et de la partager avec eux dans l'amour. Mais elles se sentent
poussées à raconter combien elles vont mal, combien leur vie est pénible et
difficile. Elles veulent qu'on les plaigne et qu'on les conforte précisément
dans leurs dispositions négatives à l'égard du prochain. Il est bien vrai
qu'elles ont un besoin de s'expliquer, mais elles portent en elles-mêmes les
normes du dialogue. Elles ne cessent de dire qu'elles voudraient bien
s'expliquer un jour à fond, et elles rattachent à ce projet le vague espoir
d'une amélioration générale de leur situation, mais un véritable changement ne
les intéresse guère. Et parce qu'elles ne se soumettent à d'autre norme que la
leur, elles se sentent tout à fait libres de s'expliquer comme bon leur semble,
sans reconnaître à leur interlocuteur le moindre droit à l'objection. Elles
parlent sans avoir réfléchi à l'avance à leur discours et sans en avoir
sérieusement assumé la responsabilité. C'est pourquoi la plupart de ces
entretiens ne sont que bavardages sur soi-même et sur sa situation présumée. Et
c'est parce que l'essentiel est de parler et non pas d'avoir un dialogue
responsable, qu'il y a tant d'entretiens qui ne se déroulent pas au bon endroit
et tant de gens qui se livrent entre les mains d'individus sans formation,
incompétents et sans conscience. Il en résulte peut-être un vague soulagement,
auquel ne correspond cependant aucun changement réel.
Si l'on traçait devant ce genre de
personnes l'image de la véritable confession, avec la préparation et l'examen
intérieur qu'elle exige, pour fournir ainsi l'occasion d'une véritable
direction spirituelle, soit elles ne verraient dans la confession qu'une
variante de ce qu'elles appellent un entretien, soit elles seraient saisies
d'un effroi mortel à l'éventualité de
se voir pour une fois telles qu'elles sont. Car cela signifierait une
soumission de toute leur existence à une norme de laquelle pourrait retentir
une exigence implacable et imprévisible. Ce qu'elles appellent dialogue reste
confiné dans une sphère extérieure à leur existence ; la nécessité qu'elles
évoquent peut bien leur être intérieure, elle glisse, au cours de leurs
paroles, à la périphérie et reste ainsi inexplorée, tant en ce qui concerne son
origine que son contenu. Leur solitude ne fait qu'un avec leur incapacité
d'avoir un authentique échange.
Toute personne dont la profession
consiste à s'occuper des problèmes d'autrui et qui, de plus, sait les rendre
intéressants, se fera sans aucun doute une clientèle. Il se peut qu'elle ait
simplement l'art d'écouter et que cela suffise à susciter la confiance, si bien
que les gens affluent vers elle et lui racontent les histoires les plus
incroyables ; pour ces gens, le fait qu'on leur consacre du temps constitue
déjà une consolation et un succès. Cela les comble d'aise d'avoir été reçus et
d'avoir pu s'expliquer. Mais ce n'est pas tout. Il existe aussi des méthodes et
des techniques, comme celles de la psychanalyse, qui, pour aider et soulager
les gens, remontent à ce qui est présent en l'homme et forment un tout de
l'écho que l'on peut en attendre avec certitude ; elles mettent au grand jour
la vie des instincts et la dimension de l'éros dans leurs manifestations plus
ou moins conscientes pour expliquer par là tout le comportement de la personne
et lui donner une signification qui provient entièrement de ses pulsions, mais
laisse en elle le sentiment d'avoir été comprise de manière totalement
nouvelle. Et comme un tel traitement dure longtemps, le patient se sent
véritablement porté durant toute une période, et si celle-ci coïncide avec ses
difficultés aiguës, il pensera après coup avoir été aidé de façon efficace et
durable. Ceux qui sortent guéris du traitement sont souvent ceux auxquels on a
expliqué quelque chose des éléments les plus primitifs en l'homme, de sorte
qu'à l'avenir, dans tous les conflits, ils reviendront sans cesse à cette
explication, ainsi rendus aveugles à tout ce qui n'entre pas dans le schéma des
forces instinctives. Ce n'est pas à eux que les entretiens auront apporté une
ouverture sur la richesse et la plénitude du monde réel. Bien au contraire, ce
sont des gens à qui on a retranché et déclaré nul tout ce qui n'entre pas dans
la méthode de l'école analytique. Les méthodes ne sont pas toutes
nécessairement aussi étroites que celles de la psychanalyse classique.
Nombreuses sont les voies par lesquelles on croit pouvoir aider les hommes. On
peut les orienter vers une attitude plus sociale, leur dévoiler des aspects
jusqu'alors inconnus de l'existence.
Mais toutes ces méthodes en fin de
compte resteront toujours des méthodes humaines, des recettes que quelqu'un a
inventées pour les appliquer, avec plus ou moins de souplesse ou de rigueur, à
nombre de cas. Ce sont des choses inventées par les hommes, qui, de ce fait, ne
peuvent embrasser, comprendre et guérir qu'un aspect nécessairement très limité
de l'être humain. Il faudrait en dire autant d'une méthode qui utiliserait,
comme aide méthodique, des éléments expressément religieux, comme la prière.
Seul le Créateur de l'âme pourra, en
fin de compte, soigner l'âme humaine de manière à la rendre comme il en a
besoin. Il n'y a que lui qui puisse la guérir, en lui faisant emprunter les
voies qu'il est seul à connaître, frayer et prescrire en vue de la guérison.
Toute autre relation entre un directeur et son dirigé se fonde sans doute sur un
besoin. Mais la voie décisive, la voie de Dieu – la confession – repose sur l'obéissance.
Et précisément sur l'obéissance tant du dirigé que du directeur à l'égard de
Dieu. Bien sûr, l'homme peut éprouver un besoin de se confesser, mais s'il le
fait ensuite vraiment, c'est par obéissance à Dieu. Quant au confesseur, c'est
encore moins par besoin qu'il écoute les péchés d'autrui ; il le fait
premièrement et exclusivement par obéissance à Dieu. Dieu lui-même a indiqué de
façon tout à fait centrale l'endroit où il veut pratiquer la psychanalyse des
pécheurs cet endroit, c'est la croix,
et c'est la confession qui a été
instituée après elle. C'est un acte central d'obéissance envers Dieu que
d'emprunter cette voie qu'il a indiquée et qu'il a montrée comme étant la seule
juste, la seule capable de guérir réellement.
Cela ne signifie pas que toute
conversation portant sur des questions spirituelles d'ordre personnel et ayant
lieu en dehors de la confession et du ministère ecclésiastique soit inutile ou
nuisible. Mais si le besoin qu'on en ressent a un bon fondement et s'il est mis
correctement en œuvre, alors la conversation conduira tôt ou tard, directement
ou par des détours, à l'acte de la confession. Naturellement, tout ce qui est
d'ordre périphérique peut être réglé de façon adéquate avec une méthode
périphérique.
Si un homme conçoit – serait-ce de
façon fort primitive – qu'il se tient devant Dieu ; s'il sait qu'il a été créé
par Dieu de même qu'Adam, qu'il a été sauvé par le Christ et que celui-ci lui
ouvre, par Sa mort, l'accès au Père et la porte du ciel, alors, entre ces deux
pôles de son existence — naissance et mort — où il se sent absolument pécheur,
il attendra, par une sorte de nécessité, la confession. Il attendra que Dieu
lui donne la possibilité de revenir sans cesse vers un centre que Lui-même
indique et lui ouvre. Tout un chacun voit bien, d'une manière ou d'une autre,
que pour lui ça ne peut plus continuer
ainsi. Et de là se pose pour lui la question de savoir comment cela
pourrait bien continuer et peut-être devrait continuer, du point de vue de
Dieu. Comment Dieu s'est-il représenté sa vie, non seulement en général, mais à
partir de ce moment présent ? N'y a-t-il pas une certaine attente de Dieu à
laquelle il pourrait et devrait correspondre d'une certaine manière, indiquée
par Dieu lui-même ? Il sent peut-être qu'il ne peut répondre à cette attente de
Dieu tant qu'il dépend seulement de sa propre liberté ou d'autres personnes qui
vivent dans une liberté semblable à la sienne. Qu'il ne suffit pas de
s'expliquer en suivant sa propre recette ou celle d'un autre et de décharger
les choses sur autrui, pour retrouver la profonde justesse et le droit fil qui
relie sa naissance à sa mort. Tout ce qu'il peut concevoir comme forme
d'entretien en dehors de la confession peut certes lui procurer un soulagement
momentané ; mais même le plus simple d'esprit constatera que ce moment de
soulagement ne reste qu'un moment parmi tant d'autres de sa vie, et qu'il
faudrait les saisir tous en une unité.
Supposons que tu sois mon ami et que
je te dise : « Je ne peux pas continuer comme ça ». Nous discuterons ensemble
de la situation et nous découvrirons peut-être l'endroit où s'est produite une
erreur d'aiguillage, cela nous ramènera peut-être jusqu'à l'enfance, et ce que
nous aurions compris m'aiderait à repartir à neuf. Mais dans tout entretien de
ce genre, l'individu serait considéré comme un être isolé, sans qu'apparaisse
clairement qu'il vit dans une communion, tant de saints que de pécheurs. Or,
les lois de la communion des saints, comme celles de la communion des pécheurs
ne peuvent être connues que de Dieu seul. Dans la confession je suis, certes,
ce pécheur isolé, mais je suis en même temps un membre de l'humanité, un de ses
membres déchus. C'est pourquoi, ce que l'on saisit dans la confession diffère
totalement de ce que transmet l'analyse ; il s'agit d'une compréhension à la
fois personnelle et sociale, et même totale, qui prend en considération le
monde en son ensemble, la relation de Dieu avec le monde, les fins premières et
dernières, même si cette connexion n'est entrevue qu'en un éclair et
qu'indirectement expérimentée. Et parce que la situation est tout autre, les
remèdes le sont aussi. Ce qui est en jeu, c'est la vérité de Dieu et non la
vérité de l'homme, pas même la vérité de son âme, de son existence, de sa
structure profonde, mais, de façon décisive, la vérité de Dieu. Aucune des
méthodes humaines ne prend cette vérité divine au sérieux ; elles la réservent
tout au plus pour l'heure de la mort, et elles n'aident pas l'homme à devenir
tel qu'il devra être à l'heure de sa mort.
Tant que l'aide apportée à l'homme
est proposée par l'homme et se meut à l'intérieur de la sphère humaine, elle ne
peut opérer qu'avec des moyens humains. Tout ce qui s'approche de l'homme du
dehors ne peut être considéré que comme l'effet du hasard, comme un élément
extérieur, pourvu d'un signe positif ou négatif, mais l'unité entre l'intérieur
et l'extérieur ne peut pas se faire. La consultation psychologique ne peut me
proposer que des modèles de comportement,
valables peut-être pour le moment présent, mais qui peuvent et doivent être
modifiés dès lors que ma destinée change. La confession au contraire met
l'homme devant sa destinée divine et le conduit au cœur de cette même destinée,
au sein de ce qui est ultime et définitif.
Tant qu'on ne se confesse pas, on se
sent libre de dire ou de taire ce que l'on veut. Ce que l'on déteste alors dans
la confession, ce n'est pas tant l'humiliation de l'aveu, ni le fait d'être un
pécheur – car cela, d'une certaine manière, on le sait déjà –, mais c'est de
devoir capituler face à l'aveu total et, dans cet aveu total se voir enlever la
liberté de choisir et n'avoir plus d'autre choix que d'ouvrir ou tout ou rien.
C'est l'homme tout entier qui est malade et qui doit être guéri, il n'est plus
question de procéder de façon éclectique. Telle est la première humiliation. La
deuxième provient du fait qu'on est un individu parmi beaucoup d'autres et
qu'on doit accepter les mêmes modalités que tout le monde, y compris certaines
formalités, comme d'avoir à se présenter au confessionnal à une heure précise.
Cette façon d'être marqué. La disparition de toutes les différences
extérieures. L'industriel et le concierge, la dame et sa cuisinière, tout le
monde est sur le même pied. Au moment même où l'on avoue ce qu'il y a de plus
intime, on n'a plus ni choix ni préférence, on est logé à la même enseigne que
tous les pécheurs. On est un qui se confesse dans la file des pénitents. Et il
n'est plus guère question des particularités de mon cas, qui me semblaient le rendre si intéressant et que j'aurais
tant voulu expliquer à fond à mon interlocuteur. La confession est avant tout
un acte de reconnaissance, non seulement de mes propres péchés, mais encore de
Dieu, de ses prescriptions et institutions, de son Église aussi, avec ses
faiblesses et ses nombreux aspects pouvant prêter à malentendu ou susciter le
scandale.
Le fait de parler à quelqu'un de ma vie ne m'engage pas à aller plus loin. Il
se peut que j'éprouve un sentiment de gratitude ou au contraire de gêne à
l'égard de celui qui m'a écouté. Mais je reste cet être libre qui peut de
nouveau se refermer sur lui. La confession n'est pas dans le même sens un acte
particulier en elle, rien ne doit être isolé, l'acte de confesser implique
expressément tout l'homme, toute sa vie, toute sa vision du monde, tout son
rapport à Dieu.
Si je raconte à un tiers que je me
confie à quelqu'un pour lui parler de tout ce qui concerne ma vie, il me
donnera généralement son approbation : « Tu fais bien, dira-t-il, je me réjouis
que tu aies trouvé quelqu'un qui t'aide ». J'en serai de quelque manière grandi
à ses yeux. Mais si je lui dis que je vais me confesser et que cela me procure
la rédemption, j'en serai diminué à ses yeux, car tous ceux qui ne se
confessent pas auront toujours beaucoup à objecter à la confession : elle porte
atteinte à la liberté de l'homme, à sa légitime fierté, c'est une pratique
démodée, moyenâgeuse, parce que liée à tant de formes extérieures. Ceux qui ne
se confessent pas se sentent tous supérieurs à la confession ; en allant me
confesser, je me range à leurs yeux dans une classe inférieure. Alors que chacun sait ce qu'est un entretien
humain, le choisit ou le rejette comme bon lui semble et n'y recourt que
lorsque cela lui convient, pour celui qui se confesse, il n'existe plus de cela
me convient.
Quand des gens se retrouvent pour
s'expliquer, poussés par quelque nécessité de la vie, ils devraient en
persévérant parvenir à regarder en face cette nécessité, à percevoir les
mobiles qui les poussent et à être suffisamment arrachés, un instant au moins,
à l'idée qu'ils se font de leur situation, immuable à leurs yeux, pour que leur
véritable faute en la matière puisse émerger. Parvenir ne serait-ce qu'à penser
qu'il pourrait y avoir un véritable lien entre leur situation et leur faute.
Car la plupart du temps, même lorsqu'ils savent et admettent qu'ils ont fait un
certain nombre d'erreurs, qu'ils ont commis des injustices et continuent à en
commettre, ils ont néanmoins l'habitude de se considérer eux-mêmes comme une
entité qui n'est pas vraiment influencée par leur péché. Seul celui qui regarde
son péché en face découvrira le lien, un lien qui est bien plus qu'un simple
parallélisme entre destinée et faillibilité, comme la plupart des gens
le considèrent. Ceux-ci voient d'un côté leur situation faussée, leur pénible
destinée, et de l'autre, ils se voient eux-mêmes, sans doute avec quelques
défauts. L'unité de ces deux aspects, nous ne parvenons à la voir que lorsque
Dieu lui-même nous présente le miroir – si toutefois nous avons le courage d'y
jeter un regard.
Or, le miroir que Dieu nous présente,
c'est Son Fils fait homme, qui nous est devenu semblable en tout, excepté le
péché. Quiconque désire apprendre à se confesser doit donc commencer par
plonger son regard dans la vie du Fils de Dieu pour y apprendre ce qu'est la
confession, comment elle y est prévue et quels en sont les effets.
Fondement trinitaire de la confession
Dieu se tient devant Dieu dans
l'attitude qui est due à Dieu. Cette attitude peut être qualifiée, par
analogie, d'attitude de confession parce que c'est l'attitude dans laquelle
Dieu se montre tel qu'il est, parce que cette révélation est attendue de Dieu
lui-même et que d'elle procède la situation toujours nouvelle de la vision et
de l'amour. Dieu montre à Dieu ce qu'Il fait et, en dévoilant Son action, Il se
dévoile Lui-même, montre comment Sa divinité se répercute dans Son action et en
attend une prise de connaissance, une approbation et un encouragement, afin de
procéder à l'acte suivant dans cet échange où l’on montre et s'entend l'un avec
l'autre. Car Dieu n'est pas un être stagnant, Il est vie éternelle sans cesse
jaillissante.
Pour Dieu, c'est une béatitude que de
Se dévoiler devant Dieu. Bien sûr, le Dieu qui voit tout aurait la possibilité,
humainement parlant, de voir même sans qu'on ne Lui montre rien.
Par exemple quand Dieu voit le péché
de l'homme qui, comme Adam, se cache devant Lui. Mais il y a en Dieu la
béatitude de Se montrer et la béatitude de voir ce qui est montré, la joie de
la communication réciproque, qui comprend à la fois le fait de montrer et celui
de recevoir ce qui est montré. Ainsi Dieu se tient-Il en face de Lui-même dans
l'attitude de Dieu. Dans une attitude qui correspond toujours à l'actuel
présent de l'éternité et ne cesse d'en jaillir, dans une attitude de confiance,
de remerciement, de don de soi et d'accueil. Quand le Fils institue à Pâques la
confession, il voudrait mettre à la portée des hommes cette attitude divine,
leur transmettre quelque chose de la vie trinitaire.
Et pour que cette attitude soit
véridique, il choisit le péché comme objet à montrer. Car le péché est en fin
de compte ce sur quoi l'homme se leurre le moins. C'est en même temps ce qui a
tant éloigné l'homme de Dieu, ce à quoi l’on remonte si l’on veut indiquer où
(à quelle distance) l'homme se trouve par rapport à Dieu. Ce qu'Adam a inventé
pour s'éloigner de Dieu, c'est cela même dont Dieu se sert pour le ramener à
Lui.
Comprend-on le Père comme celui qui
engendre, le Fils comme l'engendré et l'Esprit comme celui qui procède des
deux, alors on comprend aussi que chaque Personne doit être entièrement et
exclusivement ce qu'Elle est pour que l'échange dans l’unique nature de Dieu
soit possible.
Chaque Personne est totalement
Elle-même par amour des Autres et, par amour des Autres, Elle se révèle à elles
totalement. Ainsi, c'est par gratitude envers le Père que le Fils se montre à Lui
comme celui qui a été engendré par le Père, dans une attitude qui est
l'archétype de la confession. Et Il attend la réponse du Père afin de pouvoir
s'orienter toujours à nouveau sur Lui. Dans la confession instituée par le
Fils, nous cherchons de même à être de ces pénitents qui avouent totalement,
qui s'ouvrent totalement, pour faire une expérience totale de Dieu et vivre une
vie nouvelle en vertu de cette expérience.
Ainsi, le sacrement offert par le
Fils et qui est le fruit de sa passion portera quelque chose du caractère
personnel du Fils : il est révélation du Père, il est une part du don que le
Père nous fait dans le Fils, et il est la communication d'une attitude
fondamentale du Fils à l'égard du Père. L'Esprit, qui procède du Père et du
Fils, en œuvrant dans le sacrement, révélera quelque chose des propriétés de
L'un et de L'autre et par là fera connaître Sa propre Personne. Ce qu'Il
manifeste, Il le réalise, et Il le réalise aussi bien dans l'attitude de
confession de celui qui avoue que dans celle du confesseur, à travers qui il
parle et forme le pénitent.
Voir et imiter l'attitude de
confession du Fils n'est pas si difficile, d'abord parce qu'en tant qu'homme Il
la vit sous nos yeux, et ensuite parce qu'Il est né du seul Père : il est
expression du Père et réponse au Père. L’attitude de confession de l'Esprit est
peut-être plus difficile à saisir, parce qu'Il procède des deux et que le
caractère personnel de Son être ne va pas autant de soi pour nous. L’Esprit est
visible spécialement dans la synthèse des caractères ministériel et personnel
en la personne du confesseur, et de façon générale dans le déroulement de la
confession. Quant à l'attitude du Père, on peut dire qu'elle se trouve à
l'origine de l'attitude du Fils et de l'Esprit : elle est l'élément originaire
dans la divinité, cette volonté immémoriale de se révéler soi-même dans
l'engendrement du Fils et la spiration de l'Esprit et de rendre ainsi manifeste
ce qu'est Dieu réellement.
Adrienne von
Speyr, in La confession