mardi 16 juillet 2019

En quêtant… Adrienne von Speyr, La véritable confession




Pour tous les événements qui ne sont pas inéluctables et dans le déroulement desquels la liberté et le désir peuvent intervenir, l'homme a coutume de chercher une solution ou une issue et bien souvent aussi une explication, quoique l'issue se présente à lui plus aisément que l'explication. Il cherche ce qu'il pourrait faire pour améliorer sa situation, pour avoir une existence plus satisfaisante et davantage de succès. Ce n'est que lorsque ce dernier ne survient pas comme il le voudrait qu'il se met à chercher les causes de cet échec. Et, dans sa recherche, il en vient alors à s'interroger sur l'état de sa propre vie. Il cherche à comprendre sa situation, à la justifier, tout en devant peut-être reconnaître que les circonstances sont plus fortes que lui, qu'il ne peut rien faire pour sa situation parce qu'il doit lutter contre des puissances plus efficaces que lui. Et pourtant, au moment même où se justifiant il en arrive à conclure qu'il est innocent, se fait jour le plus souvent son inquiétude plus profonde, et l'intuition d'une faute cachée.
En général, il n'est pas capable de mener lui-même à terme l'analyse de sa destinée. Il a besoin d'un échange et il le recherche. Bien moins pour entendre ce que l'autre a à lui dire (de fait, l'autre n'est que rarement capable de l'éclairer sur sa situation de façon satisfaisante) que pour avoir plutôt une occasion d'exprimer correctement ce qui l'oppresse. Peut-être aussi surtout pour être conforté dans son opinion personnelle par le pouvoir de sa propre parole. C'est comme si, en vertu d'une force secrète de l'énonciation, ce qu'il exprimait acquérait une justesse définitive ; comme si lui-même, après s'être présenté, s'en trouvait par là sauvé ; comme si sa situation, de par les mots qu'il énonce et entend à la fois, s'en trouvait encadrée et consolidée. Et même si la parole en soi ne change pas la situation, elle apporte néanmoins ce soulagement bien particulier qui provient du fait que les choses ont trouvé leur place, qu'il doit nécessairement en être ainsi et pas autrement.
Pour bien des gens, cette sorte d'entretien constitue à tel point leur ancre de salut qu'une fois celui-ci terminé, ils s'enfoncent dans un certain désespoir. L'entretien constituait leur ultime espoir, et son échec prouve qu'il n'y a absolument plus rien à faire. Aussi deviennent-ils souvent, après un entretien qui ne s'est pas déroulé au bon endroit, plus tièdes qu'auparavant et sombrent-ils complètement dans la résignation.
Il faut dire que l'entretien est bien souvent configuré de manière à n'offrir, objectivement parlant, aucune possibilité d'échange. Il est même réglé d'avance, parce que celui qui décrit sa situation et qui prétend vouloir y changer quelque chose ne désire au fond aucun changement. Il élit un partenaire qui ne pourra guère intervenir avec efficacité et dont le rôle se borne à acquiescer d'un signe de tête et à ratifier en silence. Comme le partenaire est choisi de telle façon qu'il ne peut exprimer d'opinion personnelle et doit admettre sans discussion ce qu'on lui dit – pour la bonne raison déjà qu'on a soigneusement sélectionné ce qu'on va lui confier, et que l'image ainsi projetée ne correspond nullement à la réalité –, tout entretien demeure naturellement sans effet. Toujours est-il qu'il y a des gens qui se sont peut-être expliqués avec une voisine ou une autre personne se trouvant à pied d'égalité, et qui tout à coup s'adressent à quelque autorité qu'ils considèrent plus haut placée : par exemple au médecin, qui se distingue par sa science, sa position et son habitude de traiter avec les hommes. Le cabinet du médecin est probablement le lieu où se déroulent la plupart de ces entretiens. Mais ce qui lui est dit est généralement très unilatéral, précisément parce que bien peu de gens sont disposés à écouter un conseil inattendu. La plupart ne cherchent qu'une confirmation et ne sont prêts à quelque changement que dans des choses minimes. Et souvent ils veulent utiliser le jugement du médecin dans le seul but d'en jouer contre un tiers, pour changer le comportement des autres plutôt que le leur.
La plupart des gens se trouvent des justifications. Il y a des femmes pour qui rien n'est plus agréable que de s'entendre dire : « Votre fille devrait bien finir par comprendre... », « Il serait temps que votre mari... » Elles sont reconnaissantes pour toute nouvelle arme qu'on leur fournit contre leur entourage. Et elles expliquent leur sort de telle manière qu'on comprend qu'il n'y a rien d'essentiel à y changer. Leur vie ne saurait être autrement. Elles n'éprouvent aucune joie à être avec leur mari, parce qu'elles sont trop fatiguées le soir. Elles ne l'accompagnent pas volontiers au cinéma, parce qu'elles ont une trop mauvaise vue. De même avec leur défauts : ils sont inévitables, puisque de toutes façons elles font de leur mieux. Elles se tiennent sur un échafaudage branlant et dangereux, et si quelqu'un y touchait, cela leur causerait une chute mortelle : « Mes nerfs ne pourraient pas supporter une nouvelle discussion avec mon mari ». Les jugements qu'elles portent sur leur entourage ne peuvent qu'être faux, pour la bonne raison qu'elles n'ont jamais pris la peine de comprendre de l'intérieur la vie des autres et de la partager avec eux dans l'amour. Mais elles se sentent poussées à raconter combien elles vont mal, combien leur vie est pénible et difficile. Elles veulent qu'on les plaigne et qu'on les conforte précisément dans leurs dispositions négatives à l'égard du prochain. Il est bien vrai qu'elles ont un besoin de s'expliquer, mais elles portent en elles-mêmes les normes du dialogue. Elles ne cessent de dire qu'elles voudraient bien s'expliquer un jour à fond, et elles rattachent à ce projet le vague espoir d'une amélioration générale de leur situation, mais un véritable changement ne les intéresse guère. Et parce qu'elles ne se soumettent à d'autre norme que la leur, elles se sentent tout à fait libres de s'expliquer comme bon leur semble, sans reconnaître à leur interlocuteur le moindre droit à l'objection. Elles parlent sans avoir réfléchi à l'avance à leur discours et sans en avoir sérieusement assumé la responsabilité. C'est pourquoi la plupart de ces entretiens ne sont que bavardages sur soi-même et sur sa situation présumée. Et c'est parce que l'essentiel est de parler et non pas d'avoir un dialogue responsable, qu'il y a tant d'entretiens qui ne se déroulent pas au bon endroit et tant de gens qui se livrent entre les mains d'individus sans formation, incompétents et sans conscience. Il en résulte peut-être un vague soulagement, auquel ne correspond cependant aucun changement réel.
Si l'on traçait devant ce genre de personnes l'image de la véritable confession, avec la préparation et l'examen intérieur qu'elle exige, pour fournir ainsi l'occasion d'une véritable direction spirituelle, soit elles ne verraient dans la confession qu'une variante de ce qu'elles appellent un entretien, soit elles seraient saisies d'un effroi mortel à l'éventualité de se voir pour une fois telles qu'elles sont. Car cela signifierait une soumission de toute leur existence à une norme de laquelle pourrait retentir une exigence implacable et imprévisible. Ce qu'elles appellent dialogue reste confiné dans une sphère extérieure à leur existence ; la nécessité qu'elles évoquent peut bien leur être intérieure, elle glisse, au cours de leurs paroles, à la périphérie et reste ainsi inexplorée, tant en ce qui concerne son origine que son contenu. Leur solitude ne fait qu'un avec leur incapacité d'avoir un authentique échange.
Toute personne dont la profession consiste à s'occuper des problèmes d'autrui et qui, de plus, sait les rendre intéressants, se fera sans aucun doute une clientèle. Il se peut qu'elle ait simplement l'art d'écouter et que cela suffise à susciter la confiance, si bien que les gens affluent vers elle et lui racontent les histoires les plus incroyables ; pour ces gens, le fait qu'on leur consacre du temps constitue déjà une consolation et un succès. Cela les comble d'aise d'avoir été reçus et d'avoir pu s'expliquer. Mais ce n'est pas tout. Il existe aussi des méthodes et des techniques, comme celles de la psychanalyse, qui, pour aider et soulager les gens, remontent à ce qui est présent en l'homme et forment un tout de l'écho que l'on peut en attendre avec certitude ; elles mettent au grand jour la vie des instincts et la dimension de l'éros dans leurs manifestations plus ou moins conscientes pour expliquer par là tout le comportement de la personne et lui donner une signification qui provient entièrement de ses pulsions, mais laisse en elle le sentiment d'avoir été comprise de manière totalement nouvelle. Et comme un tel traitement dure longtemps, le patient se sent véritablement porté durant toute une période, et si celle-ci coïncide avec ses difficultés aiguës, il pensera après coup avoir été aidé de façon efficace et durable. Ceux qui sortent guéris du traitement sont souvent ceux auxquels on a expliqué quelque chose des éléments les plus primitifs en l'homme, de sorte qu'à l'avenir, dans tous les conflits, ils reviendront sans cesse à cette explication, ainsi rendus aveugles à tout ce qui n'entre pas dans le schéma des forces instinctives. Ce n'est pas à eux que les entretiens auront apporté une ouverture sur la richesse et la plénitude du monde réel. Bien au contraire, ce sont des gens à qui on a retranché et déclaré nul tout ce qui n'entre pas dans la méthode de l'école analytique. Les méthodes ne sont pas toutes nécessairement aussi étroites que celles de la psychanalyse classique. Nombreuses sont les voies par lesquelles on croit pouvoir aider les hommes. On peut les orienter vers une attitude plus sociale, leur dévoiler des aspects jusqu'alors inconnus de l'existence.
Mais toutes ces méthodes en fin de compte resteront toujours des méthodes humaines, des recettes que quelqu'un a inventées pour les appliquer, avec plus ou moins de souplesse ou de rigueur, à nombre de cas. Ce sont des choses inventées par les hommes, qui, de ce fait, ne peuvent embrasser, comprendre et guérir qu'un aspect nécessairement très limité de l'être humain. Il faudrait en dire autant d'une méthode qui utiliserait, comme aide méthodique, des éléments expressément religieux, comme la prière.
Seul le Créateur de l'âme pourra, en fin de compte, soigner l'âme humaine de manière à la rendre comme il en a besoin. Il n'y a que lui qui puisse la guérir, en lui faisant emprunter les voies qu'il est seul à connaître, frayer et prescrire en vue de la guérison. Toute autre relation entre un directeur et son dirigé se fonde sans doute sur un besoin. Mais la voie décisive, la voie de Dieu – la confession – repose sur l'obéissance. Et précisément sur l'obéissance tant du dirigé que du directeur à l'égard de Dieu. Bien sûr, l'homme peut éprouver un besoin de se confesser, mais s'il le fait ensuite vraiment, c'est par obéissance à Dieu. Quant au confesseur, c'est encore moins par besoin qu'il écoute les péchés d'autrui ; il le fait premièrement et exclusivement par obéissance à Dieu. Dieu lui-même a indiqué de façon tout à fait centrale l'endroit où il veut pratiquer la psychanalyse des pécheurs cet endroit, c'est la croix, et c'est la confession qui a été instituée après elle. C'est un acte central d'obéissance envers Dieu que d'emprunter cette voie qu'il a indiquée et qu'il a montrée comme étant la seule juste, la seule capable de guérir réellement.
Cela ne signifie pas que toute conversation portant sur des questions spirituelles d'ordre personnel et ayant lieu en dehors de la confession et du ministère ecclésiastique soit inutile ou nuisible. Mais si le besoin qu'on en ressent a un bon fondement et s'il est mis correctement en œuvre, alors la conversation conduira tôt ou tard, directement ou par des détours, à l'acte de la confession. Naturellement, tout ce qui est d'ordre périphérique peut être réglé de façon adéquate avec une méthode périphérique.
Si un homme conçoit – serait-ce de façon fort primitive – qu'il se tient devant Dieu ; s'il sait qu'il a été créé par Dieu de même qu'Adam, qu'il a été sauvé par le Christ et que celui-ci lui ouvre, par Sa mort, l'accès au Père et la porte du ciel, alors, entre ces deux pôles de son existence — naissance et mort — où il se sent absolument pécheur, il attendra, par une sorte de nécessité, la confession. Il attendra que Dieu lui donne la possibilité de revenir sans cesse vers un centre que Lui-même indique et lui ouvre. Tout un chacun voit bien, d'une manière ou d'une autre, que pour lui ça ne peut plus continuer ainsi. Et de là se pose pour lui la question de savoir comment cela pourrait bien continuer et peut-être devrait continuer, du point de vue de Dieu. Comment Dieu s'est-il représenté sa vie, non seulement en général, mais à partir de ce moment présent ? N'y a-t-il pas une certaine attente de Dieu à laquelle il pourrait et devrait correspondre d'une certaine manière, indiquée par Dieu lui-même ? Il sent peut-être qu'il ne peut répondre à cette attente de Dieu tant qu'il dépend seulement de sa propre liberté ou d'autres personnes qui vivent dans une liberté semblable à la sienne. Qu'il ne suffit pas de s'expliquer en suivant sa propre recette ou celle d'un autre et de décharger les choses sur autrui, pour retrouver la profonde justesse et le droit fil qui relie sa naissance à sa mort. Tout ce qu'il peut concevoir comme forme d'entretien en dehors de la confession peut certes lui procurer un soulagement momentané ; mais même le plus simple d'esprit constatera que ce moment de soulagement ne reste qu'un moment parmi tant d'autres de sa vie, et qu'il faudrait les saisir tous en une unité.
Supposons que tu sois mon ami et que je te dise : « Je ne peux pas continuer comme ça ». Nous discuterons ensemble de la situation et nous découvrirons peut-être l'endroit où s'est produite une erreur d'aiguillage, cela nous ramènera peut-être jusqu'à l'enfance, et ce que nous aurions compris m'aiderait à repartir à neuf. Mais dans tout entretien de ce genre, l'individu serait considéré comme un être isolé, sans qu'apparaisse clairement qu'il vit dans une communion, tant de saints que de pécheurs. Or, les lois de la communion des saints, comme celles de la communion des pécheurs ne peuvent être connues que de Dieu seul. Dans la confession je suis, certes, ce pécheur isolé, mais je suis en même temps un membre de l'humanité, un de ses membres déchus. C'est pourquoi, ce que l'on saisit dans la confession diffère totalement de ce que transmet l'analyse ; il s'agit d'une compréhension à la fois personnelle et sociale, et même totale, qui prend en considération le monde en son ensemble, la relation de Dieu avec le monde, les fins premières et dernières, même si cette connexion n'est entrevue qu'en un éclair et qu'indirectement expérimentée. Et parce que la situation est tout autre, les remèdes le sont aussi. Ce qui est en jeu, c'est la vérité de Dieu et non la vérité de l'homme, pas même la vérité de son âme, de son existence, de sa structure profonde, mais, de façon décisive, la vérité de Dieu. Aucune des méthodes humaines ne prend cette vérité divine au sérieux ; elles la réservent tout au plus pour l'heure de la mort, et elles n'aident pas l'homme à devenir tel qu'il devra être à l'heure de sa mort.
Tant que l'aide apportée à l'homme est proposée par l'homme et se meut à l'intérieur de la sphère humaine, elle ne peut opérer qu'avec des moyens humains. Tout ce qui s'approche de l'homme du dehors ne peut être considéré que comme l'effet du hasard, comme un élément extérieur, pourvu d'un signe positif ou négatif, mais l'unité entre l'intérieur et l'extérieur ne peut pas se faire. La consultation psychologique ne peut me proposer que des modèles de comportement, valables peut-être pour le moment présent, mais qui peuvent et doivent être modifiés dès lors que ma destinée change. La confession au contraire met l'homme devant sa destinée divine et le conduit au cœur de cette même destinée, au sein de ce qui est ultime et définitif.
Tant qu'on ne se confesse pas, on se sent libre de dire ou de taire ce que l'on veut. Ce que l'on déteste alors dans la confession, ce n'est pas tant l'humiliation de l'aveu, ni le fait d'être un pécheur – car cela, d'une certaine manière, on le sait déjà –, mais c'est de devoir capituler face à l'aveu total et, dans cet aveu total se voir enlever la liberté de choisir et n'avoir plus d'autre choix que d'ouvrir ou tout ou rien. C'est l'homme tout entier qui est malade et qui doit être guéri, il n'est plus question de procéder de façon éclectique. Telle est la première humiliation. La deuxième provient du fait qu'on est un individu parmi beaucoup d'autres et qu'on doit accepter les mêmes modalités que tout le monde, y compris certaines formalités, comme d'avoir à se présenter au confessionnal à une heure précise. Cette façon d'être marqué. La disparition de toutes les différences extérieures. L'industriel et le concierge, la dame et sa cuisinière, tout le monde est sur le même pied. Au moment même où l'on avoue ce qu'il y a de plus intime, on n'a plus ni choix ni préférence, on est logé à la même enseigne que tous les pécheurs. On est un qui se confesse dans la file des pénitents. Et il n'est plus guère question des particularités de mon cas, qui me semblaient le rendre si intéressant et que j'aurais tant voulu expliquer à fond à mon interlocuteur. La confession est avant tout un acte de reconnaissance, non seulement de mes propres péchés, mais encore de Dieu, de ses prescriptions et institutions, de son Église aussi, avec ses faiblesses et ses nombreux aspects pouvant prêter à malentendu ou susciter le scandale.
Le fait de parler à quelqu'un de ma vie ne m'engage pas à aller plus loin. Il se peut que j'éprouve un sentiment de gratitude ou au contraire de gêne à l'égard de celui qui m'a écouté. Mais je reste cet être libre qui peut de nouveau se refermer sur lui. La confession n'est pas dans le même sens un acte particulier en elle, rien ne doit être isolé, l'acte de confesser implique expressément tout l'homme, toute sa vie, toute sa vision du monde, tout son rapport à Dieu.
Si je raconte à un tiers que je me confie à quelqu'un pour lui parler de tout ce qui concerne ma vie, il me donnera généralement son approbation : « Tu fais bien, dira-t-il, je me réjouis que tu aies trouvé quelqu'un qui t'aide ». J'en serai de quelque manière grandi à ses yeux. Mais si je lui dis que je vais me confesser et que cela me procure la rédemption, j'en serai diminué à ses yeux, car tous ceux qui ne se confessent pas auront toujours beaucoup à objecter à la confession : elle porte atteinte à la liberté de l'homme, à sa légitime fierté, c'est une pratique démodée, moyenâgeuse, parce que liée à tant de formes extérieures. Ceux qui ne se confessent pas se sentent tous supérieurs à la confession ; en allant me confesser, je me range à leurs yeux dans une classe inférieure. Alors que chacun sait ce qu'est un entretien humain, le choisit ou le rejette comme bon lui semble et n'y recourt que lorsque cela lui convient, pour celui qui se confesse, il n'existe plus de cela me convient.
Quand des gens se retrouvent pour s'expliquer, poussés par quelque nécessité de la vie, ils devraient en persévérant parvenir à regarder en face cette nécessité, à percevoir les mobiles qui les poussent et à être suffisamment arrachés, un instant au moins, à l'idée qu'ils se font de leur situation, immuable à leurs yeux, pour que leur véritable faute en la matière puisse émerger. Parvenir ne serait-ce qu'à penser qu'il pourrait y avoir un véritable lien entre leur situation et leur faute. Car la plupart du temps, même lorsqu'ils savent et admettent qu'ils ont fait un certain nombre d'erreurs, qu'ils ont commis des injustices et continuent à en commettre, ils ont néanmoins l'habitude de se considérer eux-mêmes comme une entité qui n'est pas vraiment influencée par leur péché. Seul celui qui regarde son péché en face découvrira le lien, un lien qui est bien plus qu'un simple parallélisme entre destinée et faillibilité, comme la plupart des gens le considèrent. Ceux-ci voient d'un côté leur situation faussée, leur pénible destinée, et de l'autre, ils se voient eux-mêmes, sans doute avec quelques défauts. L'unité de ces deux aspects, nous ne parvenons à la voir que lorsque Dieu lui-même nous présente le miroir – si toutefois nous avons le courage d'y jeter un regard.
Or, le miroir que Dieu nous présente, c'est Son Fils fait homme, qui nous est devenu semblable en tout, excepté le péché. Quiconque désire apprendre à se confesser doit donc commencer par plonger son regard dans la vie du Fils de Dieu pour y apprendre ce qu'est la confession, comment elle y est prévue et quels en sont les effets.
Fondement trinitaire de la confession
Dieu se tient devant Dieu dans l'attitude qui est due à Dieu. Cette attitude peut être qualifiée, par analogie, d'attitude de confession parce que c'est l'attitude dans laquelle Dieu se montre tel qu'il est, parce que cette révélation est attendue de Dieu lui-même et que d'elle procède la situation toujours nouvelle de la vision et de l'amour. Dieu montre à Dieu ce qu'Il fait et, en dévoilant Son action, Il se dévoile Lui-même, montre comment Sa divinité se répercute dans Son action et en attend une prise de connaissance, une approbation et un encouragement, afin de procéder à l'acte suivant dans cet échange où l’on montre et s'entend l'un avec l'autre. Car Dieu n'est pas un être stagnant, Il est vie éternelle sans cesse jaillissante.
Pour Dieu, c'est une béatitude que de Se dévoiler devant Dieu. Bien sûr, le Dieu qui voit tout aurait la possibilité, humainement parlant, de voir même sans qu'on ne Lui montre rien.
Par exemple quand Dieu voit le péché de l'homme qui, comme Adam, se cache devant Lui. Mais il y a en Dieu la béatitude de Se montrer et la béatitude de voir ce qui est montré, la joie de la communication réciproque, qui comprend à la fois le fait de montrer et celui de recevoir ce qui est montré. Ainsi Dieu se tient-Il en face de Lui-même dans l'attitude de Dieu. Dans une attitude qui correspond toujours à l'actuel présent de l'éternité et ne cesse d'en jaillir, dans une attitude de confiance, de remerciement, de don de soi et d'accueil. Quand le Fils institue à Pâques la confession, il voudrait mettre à la portée des hommes cette attitude divine, leur transmettre quelque chose de la vie trinitaire.
Et pour que cette attitude soit véridique, il choisit le péché comme objet à montrer. Car le péché est en fin de compte ce sur quoi l'homme se leurre le moins. C'est en même temps ce qui a tant éloigné l'homme de Dieu, ce à quoi l’on remonte si l’on veut indiquer où (à quelle distance) l'homme se trouve par rapport à Dieu. Ce qu'Adam a inventé pour s'éloigner de Dieu, c'est cela même dont Dieu se sert pour le ramener à Lui.
Comprend-on le Père comme celui qui engendre, le Fils comme l'engendré et l'Esprit comme celui qui procède des deux, alors on comprend aussi que chaque Personne doit être entièrement et exclusivement ce qu'Elle est pour que l'échange dans l’unique nature de Dieu soit possible.
Chaque Personne est totalement Elle-même par amour des Autres et, par amour des Autres, Elle se révèle à elles totalement. Ainsi, c'est par gratitude envers le Père que le Fils se montre à Lui comme celui qui a été engendré par le Père, dans une attitude qui est l'archétype de la confession. Et Il attend la réponse du Père afin de pouvoir s'orienter toujours à nouveau sur Lui. Dans la confession instituée par le Fils, nous cherchons de même à être de ces pénitents qui avouent totalement, qui s'ouvrent totalement, pour faire une expérience totale de Dieu et vivre une vie nouvelle en vertu de cette expérience.
Ainsi, le sacrement offert par le Fils et qui est le fruit de sa passion portera quelque chose du caractère personnel du Fils : il est révélation du Père, il est une part du don que le Père nous fait dans le Fils, et il est la communication d'une attitude fondamentale du Fils à l'égard du Père. L'Esprit, qui procède du Père et du Fils, en œuvrant dans le sacrement, révélera quelque chose des propriétés de L'un et de L'autre et par là fera connaître Sa propre Personne. Ce qu'Il manifeste, Il le réalise, et Il le réalise aussi bien dans l'attitude de confession de celui qui avoue que dans celle du confesseur, à travers qui il parle et forme le pénitent.
Voir et imiter l'attitude de confession du Fils n'est pas si difficile, d'abord parce qu'en tant qu'homme Il la vit sous nos yeux, et ensuite parce qu'Il est né du seul Père : il est expression du Père et réponse au Père. L’attitude de confession de l'Esprit est peut-être plus difficile à saisir, parce qu'Il procède des deux et que le caractère personnel de Son être ne va pas autant de soi pour nous. L’Esprit est visible spécialement dans la synthèse des caractères ministériel et personnel en la personne du confesseur, et de façon générale dans le déroulement de la confession. Quant à l'attitude du Père, on peut dire qu'elle se trouve à l'origine de l'attitude du Fils et de l'Esprit : elle est l'élément originaire dans la divinité, cette volonté immémoriale de se révéler soi-même dans l'engendrement du Fils et la spiration de l'Esprit et de rendre ainsi manifeste ce qu'est Dieu réellement.

Adrienne von Speyr, in La confession