vendredi 29 juin 2018

En aimant... Xavier Grall, À mes Divines



Oui, j’ai aimé tout ce qu’il est possible d’aimer. J'ai aimé l'amitié, j'ai aimé l'amour. Je les ai aimés aussi sauvagement que la mer aime la rive. Comme le vent aime l'arbre. Je ne regrette pas cette avidité tremblante. J'ai donné, j'ai jeté ma vie, dans les bars et dans les cœurs. Je fus comme une auberge jamais fermée. J'ai jeté ma vie dans les rapsodies, les sagas, les ballades. J'ai aimé les matins et les soirs. Et les arbres. Et les bergeries. Et toutes les demeures humaines plantées dans l'éternel poème de la création. Quelle grâce insensée, presque tragique à force d'être violente ! Je vous en fais, mes Divines, les héritières.
J'ai aimé tout ce qu'il est possible d'aimer. Et c'est par ce canal brûlant que j'ai participé à la haute musique du monde et à la vérité de Dieu. J'ai aimé, j'ai pleuré, j'ai béni. J'ai aimé le soleil, les chiens humiliés, j'ai aimé mon pays, je me suis battu, j'ai admiré.
J'ai eu la perception presque physique du bien et du mal. C'était parfois atroce et quelquefois merveilleux. Je sais à présent que le mal est une ineptie et l'incroyance, une incroyable infirmité. Je sais que la fête existe et je peux vous dire aujourd'hui que c'est cette certitude qui m'a poussé à vous écrire cette folle missive.
Je fus créé. Et j'ai créé. J'ai honoré mon Père et j'espère que vous honorerez aussi mon pauvre nom, afin que vous vous reliiez aux vérités fondamentales de l'humanité. J'ai cru longtemps, dans mon pessimisme tenace et navré, que l'Histoire n'avait pas de sens et que l'humour de Dieu s'enracinait dans quelque cruauté inimaginable. Je ne suis pas loin de croire aujourd'hui que cette Histoire emprunte quelque route providentielle et qu'en définitive, malgré les embardées, les guerres qui tombent sur les saisons, les égarements de la pensée, les servitudes, les chaînes, le sang et la mort, l'homme sort gagnant de tout. L'espèce joue à cache-cache avec son Créateur. Ah oui, je tiens à vous le redire, Dieu est poésie et la poésie c'est de l'amour.
Je m'en irai à l'Esprit comme un vagabond chanteur de rue et j'aimerais dire dans un dernier souffle le mot « bonjour ».
J'ai aimé tout ce qu'il est possible d'aimer. J'ai ri avec le rire de la mer. J'ai pleuré avec les détresses des oiseaux. J'ai ragé, j'ai piaffé d'amour sur tous les chemins. Salut les hommes, disais-je, salut les seigles, salut les blés, salut les villes.
Après ce livre, peut-être ne ferai-je plus rien qu'une bonne chanson.
Mon âme gonflée comme une voile dans le violent noroît.
Je m'en irai à l'Esprit portant mémoire, mes Divines, de toutes les choses bonnes qui sont sur la terre, avec la rime des meilleurs poèmes, avec le soleil de la miséricorde.
Oui, je n'ai cherché que Dieu, partout, dans les chemins, dans les bars, dans les plaisirs, dans le regard des amis, dans l'amour des femmes. Dans les péchés de chair et de sang, dans la gloire des alcools.
Il y a dans ce monde, une énorme énergie d'amour. Tout l'univers s'enivre dans les bars des ports, dans les grands bols de sève qui coulent des arbres, dans les ruissellements des pluies, dans le vin des espaces.
J'irai à Thulé, chez les Atlantes, à Tir na Nog, à l'Éden et ce sera le Paradis. Et mon âme en feu s'étanchera de musique.
Cette rage d'avoir un poing dans le cerveau, et de ne pouvoir dire ce que je vois. Vogueurs d'infini, nos navires sont trop fragiles. Mais, mes Divines, à votre âme, assignez la Haute Mer.
Pour la Nature, j'ai nourri un amour insensé. Savoir chaque jour, saluer la lumière et la remercier d'être ; là. Rien ne meurt. Tout gîte dans tout.
Ma vie fut toujours un invisible départ vers autre chose, vers Quelqu'un. Et ce fut parfois amer, et déchirant. Risque spirituel : les âmes stagnantes sont des âmes mortes.
Bourgeois dans vos lits pourris, dans votre confort de fric et de morale, vous n'avez pas cinglé vers le large. Et peut-être seriez-vous damnés, si pour votre assomption, les poètes et les saints ne vous sauvaient dans leur nostalgie de l'Immense.
Aller loin, loin, loin : telle est la vocation de l'homme. Je plains les sédentaires de l'Esprit. Ils ont fermé leur âme à clé. Poussières...
Je m'en irai vers le royaume de splendeur emportant avec moi la souvenance des jours heureux. Et j'attendrai dans la nuit obscure le grand jour des cymbales et de la parousie où je ressusciterai avec mes os et avec mon corps afin de bénir la Voie, la Vérité et la Vie.
Le christianisme, mes Divines, c'est cette longue respiration. Cette amplitude de l'âme. Un fleuve. Un large et puissant fleuve Amour. Vous vous y baignerez.
Je m'en irai, je me dissoudrai dans l'amour des étoiles et des mondes et je retrouverai mes mortes parentés avant de revivre avec elles dans le pays impérissable.
Je m'en reviendrai avec ma musette pleine de larmes, de livres et de rêves et à mon tour, je dévorerai l'Inconnu dans une ineffable et éternelle étreinte. Je m'en viendrai avec la souvenance des paysages et des peuples. Chanteront les mers, danseront les galaxies, tressailliront les fleuves.
Donner, se donner, nous sommes tous dans la main du grand Amant et les premiers balbutiements de notre adoration sont les premiers moments de notre dignité.
À Dieu je m'abandonne. Les oiseaux de juin descendent dans le verger.
Juin 1970
Xavier Grall, in L’inconnu me dévore