vendredi 1 juin 2018

En Homérant... Sylvain Tesson, Remettons la vaisselle à demain !



Vous souvenez-vous du temps de notre enfance où nous devions lire ces textes à longues barbes ? Nous étions en sixième, Homère au programme. Nous étions faits pour courir les bois. Nous nous ennuyions ferme et regardions par la fenêtre de la classe un ciel où n'apparaissait jamais aucun char. Pourquoi ne pas laisser infuser en nous un poème d'or, d'une modernité électrique, éternel parce que originel, un chant de bruit et de fureur, riche de leçons, et d'une beauté si douloureuse que les poètes continuent aujourd'hui à le murmurer en pleurant ?
Un conseil dadaïste : quittons nos préoccupations accessoires ! Remettons la vaisselle à demain ! Éteignons les écrans ! Laissons pleurer les nourrissons, et ouvrons sans tarder l'Iliade et l'Odyssée pour en lire des passages à haute voix, devant la mer, la fenêtre d'une chambre, au sommet d'une montagne. Laissons monter en nous les chants inhumainement sublimes. Ils nous aideront dans le brouillard de notre temps. Car d'horribles siècles s'avancent. Demain, des drones surveilleront un ciel pollué de dioxyde, des robots contrôleront nos identités biométriques et il sera interdit de revendiquer une identité culturelle. Demain, dix milliards d'êtres humains connectés les uns aux autres pourront s'espionner en temps continu. Des multinationales nous proposeront la possibilité de vivre quelques décennies de plus en monnayant des opérations de chirurgie génique. Homère, vieux compagnon d'aujourd'hui, peut chasser ce cauchemar post-humaniste. Il nous offre une conduite : celle d'un homme déployé dans un monde chatoyant et non pas augmenté sur une planète rétrécie.
Sylvain Tesson, in Un été avec Homère