jeudi 14 janvier 2016

En envoyant... Père Koudelka, Le Salut, fin de notre mission

La fin de notre mission et de notre forme de vie, celle des Dominicains en particulier, doit être le salut des âmes par la prédication (les Constitutions primitives), et cela d'abord dans la communauté.
Qu'est-ce que le salut ? Au début de la nouvelle année, on souhaite le bonheur et la santé, non pas le salut. Cependant le bonheur dépend du hasard. Aujourd'hui je suis heureux, demain m'apporte un malheur. La santé est un bien relatif. Je suis plus ou moins en bonne santé. Pour nos contemporains, le salut est quelque chose dont ils se méfient, parce qu'ils ne l'attendent que pour la vie éternelle : ils pensent qu'une bonne santé leur permet de l'attendre encore longtemps dans cette vallée de larmes où ils sont bien à l'aise.
Salut, en latin, se dit salus qui, dans le latin classique, signifie en premier la santé, le bonheur, la béatitude, le fait d'être sauvé et tiré d'un danger mortel. Chez les chrétiens, il s'agit du salut auquel on associe les idées de perfection et d'intégrité, elles-mêmes liées à la notion de sainteté (sanctus, sacer, sacrus). Dieu seul est absolument intègre, parfait, absolument saint. Quand nous avons à travailler pour le salut, nous devons être d'abord sauvés nous-mêmes, c'est-à-dire être sains (psychiquement), parfaits, saints (relativement). Notre prédication doit profiter au salut des autres. Nous prêchons, nous annonçons la Parole de Dieu absolument saint qui est sauveur et qui guérit.
Les gens cherchent d'abord la santé. « Que Dieu nous garde en bonne santé ! » Le Christ a démythifié l'utopie de la santé absolue lorsqu'il a mis en face de la santé Son Salut, le Salut qu'Il apporte. Le Salut ne se situe pas au même niveau que la santé ou la maladie mais au niveau d'un secours absolu, de la perfection, de l'achèvement, de l'intégrité qui englobent aussi la santé. Le salut de l'âme ne peut pas être coupé du salut du corps (une personne humaine est un corps animé par l'âme).
La théologie spéculative a contribué à introduire dans la pensée le dualisme corps-âme, le Salut ne concernait plus que l'âme qui devait être sauvée, même au prix de la destruction du corps.
Cette théologie-là s'appuyait principalement sur Dieu Rédempteur et moins sur Dieu Créateur, et ainsi s'est consommé le déchirement entre l'homme et la nature. La nature est devenue un simple objet qu'on peut exploiter sans vergogne. L'Ancien Testament voyait déjà le salut dans la réalité totale de l'homme. Puisque l'homme est une unité, le salut doit concerner l'homme entier. Cela inclut son corps, le milieu social et naturel lui-même ainsi que les relations humaines. La Bonne Nouvelle est salvatrice, elle doit concerner le corps, l'âme et même le poids de l'oppression, les menaces de la vie quotidienne et tout ce qui en est cause.
Toutes ces formes de détresse orientaient l'action du Christ. Il guérissait le corps, il rassasiait les affamés et il leur procurait la nourriture. Il confirmait par cela sa nouvelle sur l'avenir de Dieu dans toute son étendue. La totalité de l'homme, toutes ses relations qui le font vivre sont incluses dans une réalité saine et salvatrice. L'action de Jésus, ce sont des signes. Des signes qui orientent nos regards vers l'avenir de Dieu qui se réalisera dans le salut final de l'homme total.
Jésus envoie ses disciples non seulement pour annoncer sa bonne nouvelle, mais aussi pour guérir les malades et chasser les démons. La sequela Christi à toutes les époques contient alors non seulement le devoir d'annoncer la Parole qui exprime l'amour de Dieu pour nous, mais aussi à travers l'action individuelle et sociale de guérir et de libérer les hommes de toutes sortes de détresse et d'oppression. Le salut des âmes ne doit pas être séparé des guérisons corporelles.
La nouvelle théologie s'efforce de le comprendre. Ce qui rend l'homme malade va aussi contre son salut. Ce qui menace le salut de l'homme a des causes très diverses, autant de facettes que le mal. Ces causes se trouvent normalement dans l'hérédité ou dans le milieu de vie de l'homme : la nature, le milieu physique avec ses catastrophes naturelles, le milieu social et son influence sur l'homme : le stress, la technique, l'inquiétude, le bruit, mais aussi les hommes — et même les prêtres et les théologiens. Les hommes avec leur désir de puissance, leur agressivité, leur manque d'amour.
L'homme se soumet à ce milieu et aux influences extérieures : les drogues, la concupiscence, la dépendance des médicaments, une alimentation nocive, le manque de mouvement. Les influences négatives du milieu de vie ou l'hérédité suscitent et causent dans l'homme des mécanismes qui s'efforcent de le détruire. Il est alors menacé et reçoit des coups de toutes parts. Partout où il y a manque d'amour, où il y a le mal, il n'y a pas de salut.
La gamme qui va de l'absence de salut au salut effectif est très large. Le but de notre action comme dominicains, c'est le salut. Mais par quoi commencer ?
Aujourd'hui on parle beaucoup des priorités. Malheureusement les besoins et les détresses dans le monde s'avèrent très différents selon les continents et les lieux de vie. Sur certains continents, c'est principalement la pauvreté matérielle. Chez nous en Europe, il s'agit surtout de la pauvreté spirituelle qui est à la racine des vices, de l'absence de salut et aussi de la pauvreté matérielle dans les pays dits du tiers-monde.
Nous ne sommes pas païens. Nous pensons que nous avons foi en Dieu, mais nous agissons comme si Dieu n'existait pas. La plus grande détresse qui est toujours et partout actuelle c'est le manque de foi. Saint Dominique a fondé son ordre comme réponse à cette détresse. De ce fait, notre prédication doit être l'annonce de la foi.
La foi en tant que confiance a pour effet de guérir l'homme en son intégralité, elle est donc bonne pour vaincre toute détresse. La pauvreté matérielle de son époque n'était pas indifférente à Dominique, cependant il donnait la plus grande importance à l'annonce de la foi et à l'affermissement des fidèles dans la foi, comme cela ressort des différents documents.
Aujourd'hui encore, le problème fondamental de l'Église est la transmission de la foi aux hommes de notre époque, dans notre situation présente et dans nos conditions actuelles : l'effort de la catéchèse le confirme. La situation dans laquelle nous vivons devrait nous inciter à vivre notre foi de manière plus personnelle et avec plus de responsabilité. Mais notre foi doit passer aussi par des épreuves pour devenir crédible. L'expérience a montré que la foi en exil dans la diaspora ou dans les circonstances défavorables est beaucoup plus vivante.
Les épreuves révéleront si notre foi est véritable, plus précieuse que l'or périssable que l'on vérifie par le feu (voir 1 Pierre 1, 5-9).
Dans notre monde occidental actuel, ces épreuves nous manquent. La foi n'est pas habituellement contrariée, elle s'évapore. Nous observons, en même temps, le développement d'une vague religiosité irrationnelle, sans contours précis et en dehors des Églises. C'est le signe du désir humain de religiosité, du symbolisme et de la mystique (une réaction au rationalisme et à la technique). Nous devons selon l'Évangile témoigner de notre espérance. Nous devons sentir ce qui influence l'homme moderne, de quoi il souffre. Si c'est par exemple la peur, il faut annoncer la foi comme confiance. Notre prédication de la Parole de Dieu devrait aider les autres à discerner entre ce qui est bon et ce qui est faux, ce qui est futile et ce qui est important, ce qui est divin et ce qui est humain, entre le désespoir et l'espérance. Ils pourraient ensuite reconnaître que le royaume de Dieu est déjà là, que c'est le Christ suspendu à la croix avec ses mains et ses pieds transpercés.
La confiance, c'est l'attitude de l'homme qui trouve son soutien en ce qui ne peut pas décevoir.
Quant aux autres vertus, elles se trouvent dans une position semblable à celle de la foi-confiance. Elles sont aussi une force qui guérit, qui agit en vue du salut. Par exemple l'une des quatre vertus cardinales, la tempérance, la sobriété dans les plaisirs (tout le contraire de la concupiscence effrénée, des excès de nourriture, de l'alcoolisme). Ou bien encore le courage qui ne consiste pas en une forme d'agressivité mais dans le fait de supporter les difficultés.
Les sectes contemporaines, surtout les sectes orientales, proposent à l'homme sous couvert de religion une meilleure santé, l'équilibre psychique, etc. Cela ne doit pas nous devenir étranger. Mais notre devoir est de témoigner au monde et aux jeunes gens de l'avenir et de l'espérance. Comme Dieu se tourne vers nous par sa fidélité qu'Il ne révoque jamais, notre foi est le bien le plus précieux qui nous a été confié. Dans la foi, Dieu nous donne non seulement quelque chose, mais Il se donne lui-même.
La responsabilité de l'Église, et celle des Dominicains, consiste précisément en cela que nous recevons ce don et nous nous efforçons de le transmettre. Les jeunes gens veulent expérimenter ce qu'est une journée vécue en chrétien. L'histoire personnelle de chacun lui enseigne que nous recevons la foi des hommes qui croient, de la même manière que nous apprenons à aimer et à avoir confiance des personnes dignes de confiance et qui aiment vraiment, qui risquent l'amour et la confiance.
La foi se transmet dans une rencontre personnelle, dans un échange ouvert, dans l'écoute attentive de la Parole de Dieu, dans une relation pleine d'amour avec d'autres personnes. Nos relations se doivent d'être saines pour devenir ensuite source de salut. Notre prédication de la Parole de Dieu a justement pour but de favoriser ces rencontres personnelles, et par conséquent leur efficacité comme moyen qui sert au salut des hommes.
Chacun de nous reçoit la Parole de Dieu et les sacrements dans l'Église et par le moyen de l'Église, et cela doit se perpétuer.
Depuis toujours il y a eu dans l'Église des éléments humains, qui existent encore aujourd'hui. De nombreux chrétiens souffrent, mais tous ne souffrent pas avec l'Église, dans l'Église et pour l'Église. Enfin l'Église est telle que nous nous la faisons parce que nous sommes ses membres. Elle est influencée par ce que nous lui donnons ou bien par ce que nous lui prenons. Cependant elle est nécessaire en tant que moyen de salut.
Nous ne devons pas annoncer et prêcher notre foi, mais la foi de l'Église. Ici, il peut y avoir une faille qui fait apparaître un nouveau dualisme. L'idéal reste. Ma foi doit être la foi de l'Église, et réciproquement. En ce cas naît une harmonie, avec la force de la conviction.
De même que nous devons entendre aujourd'hui la Parole de Dieu, de même nous devons prêcher cette Parole aujourd'hui et pour le présent, pour qu'elle ait de la force. La Parole de Dieu rayonne dans toute sa force lorsqu'elle est incarnée dans l'aujourd'hui. La Parole du Christ ne devient Vie que si elle est confrontée à la vie d'aujourd'hui, aux événements du présent. Ensuite l'Écriture n'est pas seulement inspirée, mais elle devient inspiratrice, elle nous inspire, nous et nos proches à qui nous devons annoncer cette Parole. Jésus veut réaliser ses promesses aujourd'hui, par notre bouche, nos mains, nos pieds, notre cœur. En les lui prêtant, nous construisons un pont entre son époque et la nôtre.

Jésus-Christ,
en toi nous rencontrons le salut, en guérissant ;
en toi nous rencontrons l'amour, en aimant ;
la liberté, en cherchant à libérer ;
la vie, en mettant notre vie au service de la vie.
Nous te remercions, Seigneur et Dieu,
parce que tu nous donnes tout par le Salut et la Rédemption
en Jésus-Christ.


Vladimir Koudelka, op, in Le bonheur du Don (cerf)