vendredi 10 octobre 2014

En vénérant... Georges Duhamel, Paul Claudel dramaturge


Si l'on demandait à Claudel ce que c'est que le Théâtre, je pense qu'il reprendrait les paroles mêmes qu'il a mises dans la bouche de Lechy Elbernon :
Il y a la scène et la salle.
Tout étant clos, les gens viennent là le soir et ils sont assis par rangées les uns derrière les autres, regardant,
... Ils regardent le rideau de la scène.
Et ce qu'il y a derrière quand il est levé.
Et il arrive quelque chose sur la scène comme si c'était vrai.
... Je les regarde, et la salle n'est rien que de la chair vivante et habillée.
Et ils garnissent les murs comme des mouches jusqu'au plafond.
Et je vois ces centaines de visages blancs.
L'homme s'ennuie et l'ignorance lui est attachée depuis sa naissance.
Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c'est pour cela qu'il va au théâtre.
Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux.
Et il pleure et il rit, et il n'a point envie de s'en aller.
Et je les regarde aussi et je sais qu'il y a là le caissier qui sait que demain
On vérifiera les livres, et la mère adultère dont l'enfant vient de tomber malade,
Et celui qui vient de voler pour la première fois et celui qui n'a rien fait de tout le jour.
Et ils regardent et écoutent comme s'ils dormaient. 1
Vraiment, n'est-il pas un dramaturge, et un grand dramaturge, celui qui, définissant ainsi le théâtre, atteste une telle connaissance des hommes ?
Les drames constituent la majeure partie de l'œuvre de Claudel. Ce n'est point à l'aventure que le poète a choisi par-dessus tous autres le mode dramatique pour s'exprimer : aussi convient-il d'étudier de près Claudel, en tant que dramaturge.
§
Il est d'usage, lorsqu'on juge un drame, de prendre pour critérium le sentiment éprouvé par le spectateur collectif, idéal, qui remplit la salle du théâtre. Je veux dire qu'on attend, d'un drame, un ensemble d'émotions enchaînées les unes aux autres et susceptibles d'être ressenties dans l'ordre, en deux, trois ou quatre heures de temps. À cette série d'émotions essentielles, nécessaires, sont liées d'autres émotions accessoires que le drame donne ou au lecteur, ou à l'auditeur averti par une ou plusieurs représentations successives. Mais, en principe, le vrai drame doit supporter une épreuve « à vue ». Il doit donner son sens et sa signification générale, en l'espace d'une soirée, et l'art dramatique est pour cela même un art pénible, héroïque, ingrat et hasardeux.
Pour satisfaire à de telles conditions, le théâtre, comme je l'ai dit dans la première partie de cet essai, a proportionné ses réalisations aux facultés mêmes de l'auditoire. J'entends le bon, le meilleur théâtre, et non point ces spectacles qui prodiguent à un public fatigué les satisfactions de la plus basse et la plus brutale sensualité. Il est bien évident qu'une tragédie parfaite, une tragédie de Racine, Britannicus, par exemple, est faite à la mesure d'un esprit élevé et d'un goût délicat. Mais, voyez le souci avec lequel le poète surveille son auditoire : comme il varie le dialogue avec le besoin naturel de diversité qu'éprouve notre âme et avec la connaissance exacte des lois de la controverse courante. Chaque scène, par ses dimensions, met d'accord les nécessités de l'action et la puissance d'attention du spectateur : tout est dit, dans une scène, au moment précis où celui qui écoute souhaite un mouvement des personnages et commence à redouter de la fatigue. Si le poète excède ces limites courantes, il le fait prudemment, et avec tant de force ou d'habileté que le spectateur ne peut pas songer à lui en faire reproche.
En nous asseyant dans le fauteuil du spectateur, nous abandonnons, malgré nous, toutes nos vertus de lecteurs ; nous adoptons immédiatement un mode de curiosité et de patience qui ne souffre pas d'être déçu ou brutalisé. Quelles que soient nos résolutions, nous devenons exigeants, rétifs, sans force contre les sollicitations de la collectivité. Nous sommes prêts à trahir, à céder, à faire tout, sauf ce que nous nous étions promis.
Nous soutenons, dans la vie, des discussions qui peuvent durer plusieurs heures, mais la stylisation scénique ramène tout cela à des proportions qui ne doivent jamais, pratiquement, méconnaître l’urgence du théâtre.
Si l'on examine tous les grands tragiques, tous les grands dramaturges, on voit qu'ils n'ont pas échappé à ces nécessités. Shakespeare, avec son apparent mépris de certaines règles, a scrupuleusement respecté, dans ses œuvres, les tyranniques lois qui sont le fondement même de l'art dramatique. L'antique Eschyle subissait déjà cette législation obscure aussi vieille que le monde et le spectacle. Eschyle nous semble parfois parler plus haut et plus longtemps que d'autres, mais n'oublions pas qu'il portait un masque et des cothurnes...
Tout cela m'amènera-t-il à dire que l'œuvre dramatique de Claudel n'est pas du théâtre au sens strict du mot ? — Certes, c'est autre chose que ce qu'on nomme couramment du théâtre.
J'imagine les drames de Claudel représentés avec un appareil scénique différent de celui que nous connaissons, avec des acteurs possédant des moyens vocaux exceptionnels et possédant une âme, devant un auditoire purifié, restreint, prévenu, jalousement choisi. Le théâtre de Claudel prendrait alors sa signification totale, définitive. Je ne dirai pas de Claudel qu'il a écrit des poèmes dramatiques : ses ouvrages ne sont pas de ceux qui n'empruntent au drame que la commode forme du dialogue. Ils ont toutes les vertus du drame, mais à un degré incompatible avec l'état actuel de l'auditoire humain. Cela est vrai, même pour les derniers drames de Claudel, comme L'Otage, même pour ceux dans lesquels il observe une mesure plus commune, sans toutefois reconnaître encore les prérogatives d'un public, dût ce public être composé justement avec ce qu'on nomme l'élite intellectuelle.
Il n'en demeure pas moins que les drames de Claudel représentent une forme supérieure, anormale, du théâtre. Et c'est bien du point de vue dramatique qu'il faut les considérer.
§
Le théâtre de Claudel est lyrique, par essence, et l'est constamment. Mais l'évolution du théâtre de Claudel constitue à cet égard un précieux enseignement.
Dans toutes les pièces qui appartiennent à la première série du théâtre de Claudel on découvre comme un parti pris de lyrisme. Ce mot ne comporte, bien évidemment, aucun sens péjoratif. Je crois, et je ne suis pas seul à le croire, qu'il ne peut y avoir de grand théâtre sans lyrisme. On conçoit donc que l'une des façons d'adapter le lyrisme sur la scène soit de l'admettre a priori, la convention du langage lyrique étant une convention de plus dans un art qui vit de conventions.
Or, à lire les derniers ouvrages dramatiques de Claudel, on constate que son lyrisme a changé sinon de nature, du moins de position. Ce n'est plus le lyrisme préconçu de Tête d'Or, ou du Repos du septième jour : c'est un lyrisme déterminé, conditionné par les nécessités dramatiques mêmes. Il ne préexiste pas au drame, il ne commence pas avec lui ; il se déchaîne seulement lorsque les caractères, amenés au contact les uns des autres et entrés en conflit, ne peuvent plus s'exprimer qu'à condition d'employer la langue lyrique, les mots et les moyens lyriques.
Je suis porté à croire que cette seconde forme de lyrisme (le lyrisme résultant) est bien la plus logique, la plus efficace. Il faut acclimater le lyrisme sur la scène, et, lorsqu'il apparaît, il faut qu'il satisfasse un secret et impérieux besoin chez le spectateur.
Or un des plus grands problèmes soulevés avec cette question du lyrisme dramatique est celui de la diversité des caractères.
Le mot lyrique, appliqué à la poésie, a longtemps voulu signifier l'expression d'émotions, de sentiments personnels. L'introduction des moyens lyriques dans le drame pourrait nuire à la caractérisation de personnages auxquels le poète doit être tenté de prêter ses images, son vocabulaire familier et son instinctive méthode de notation. Or, je constate que Claudel a résolu dans la plupart des cas cette difficulté capitale. Certes, il demeure Claudel, il n'obtient ni ne cherche, sans doute, cette dépersonnalisation complète réalisée à un haut degré par un romancier comme Balzac, par exemple, et réalisé par un auteur, dramatique comme Molière ; mais Claudel donne parfois dans le même temps à son lyrisme deux ou trois faces si dissemblables, si adverses, que l'on sent aussitôt que le problème a reçu un solution magnifique.
Les héros de Claudel sont tous différents les uns des autres et sont cependant bien tous les créations filiales d'un même homme. Il y a là une mesure à laquelle le Claudel des derniers drames s'est parfaitement tenu. Si nous considérons L'Otage, par exemple, nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître la même source lyrique à l'origine des divers caractères : Sygne, Georges de Coûfontaine, Badilon, Toussaint Turelure. Toutes ces figures se font violemment opposition ; mais la ruse et la truculence d'un Toussaint Turelure sont empreintes d'une grandeur inévitable, dirai-je, que n'altèrent pas les trivialités stylisées du langage.
Voici comment s'exprime Georges de Coûfontaine, l'homme de l'ancien régime :
Comme la terre nous donne son nom, je lui donne mon humanité.
En elle nous ne sommes pas dépourvus de racines, en moi par la grâce de Dieu elle n'est pas dépourvue de son fruit, qui suis le Seigneur.
C'est pourquoi précédé du de, je suis l'homme qui porte son nom par excellence [...]
Ainsi la nation n'avait pas à se fabriquer elle-même ses chefs et ses lois, défendue contre les rêves.
Mais la nature dans toute la France les lui donnait avec ses autres productions, bons ou mauvais, depuis le roi jusqu'au juge,
Au tournant de chaque vallée, au flanc de chaque coteau, chacun en sa saison refleurissant de son pied ou de sa souche,
Comme les fleurs et les fruits en leur variété. 2
Et voici comment s'exprime Toussaint Turelure, l'homme du régime nouveau :
Seigneur ! que nous étions jeunes alors, le monde n'était pas assez grand pour nous !
On allait flanquer toute la vieillerie par terre, on allait faire quelque chose de bien plus beau !
On allait tout ouvrir, on allait coucher tous ensemble, on allait se promener sans contrainte et sans culotte au milieu de l'univers régénéré, on allait se mettre en marche au travers de la terre délivrée des dieux et des tyrans !
C'est la faute aussi de toutes ces vieilles choses qui n'étaient pas solides, c'était trop tentant de les secouer un petit peu pour voir ce qui arriverait !
Est-ce notre faute si tout nous est tombé sur le dos ? Ma foi, je ne regrette rien.
C'est comme ce gros Louis Seize ! la tête ne lui tenait guère. 3
Que ces deux exemples fassent comprendre les modifications objectives que peut admettre le lyrisme, selon qu'il emplit l'une ou l'autre personne.
Je trouve, dans le Magnificat, une phrase qui exprime admirablement ce que peuvent être cette unité et cette diversité des créations du même poète : « De cet esprit que vous avez mis en moi, dit Claudel, voici que j'ai fait beaucoup de paroles et d'histoires inventées, et personnes ensemble dans mon cœur avec leurs voix différentes »4.
Ce qu'il faut reconnaître, c'est que Claudel ne confie pas le lyrisme à tous ses personnages. Certains en sont totalement dépourvus. Il y a quelques individus, comme le Tribun du peuple, dans Tête d'Or, à qui Claudel prête brusquement un langage nu, certes savoureux de vérité et de naturel, mais résolument différent de la langue parlée par ses personnages de prédilection, qu'ils soient bons ou mauvais. De telles différences tranchées sont fréquentes dans Tête d'Or, très fréquentes dans la première version de La Ville, relativement rares dans L'Otage et dans L'Annonce faite à Marie, où la fusion des styles est fort harmonieuse. Je mets de côté Partage de Midi, qui représente à mon sens une œuvre de transition, mais parfaite, et où Claudel saute d'un extrême dans l'autre avec une si magnifique audace qu'on est aussi vite conquis qu'ébranlé.
Avant de quitter ce chapitre du lyrisme dramatique, remarquons encore, dans les premiers ouvrages de Claudel, l'abondance de beautés d'un ordre proprement lyrique et, dans les ouvrages de la maturité, l'abondance de beautés d'ordre dramatique. Dans Tête d'Or, dans Le Repos du septième jour, dans La Ville, on a souvent ,l'impression d'une lutte à distance entre les personnages. Le conflit, les met aux prises, mais le lyrisme les isole souvent. Ils parlent pour eux, peu soucieux de la réplique ; ils s'expriment longuement et plus encore par des paroles que par des actes. Dans certaines scènes, ils semblent exilés les uns des autres, bien qu'en proie au même drame et déchaînés dans le même cirque.
Mais, avec L’Échange et toutes les autres pièces, on voit s'épanouir les vertus plus strictement dramatiques du poète. Le dialogue se resserre ; les personnages se contemplent et s'attaquent de front. Le lyrisme, d'un souffle aussi puissant qu'à l'origine, fait plus étroitement corps avec l'action ; il la sert mieux, il l'aggrave plus régulièrement et lui emprunte plus volontiers ses mobiles. Voyez plutôt le prologue de L'Annonce faite à Marie et le premier acte de ce même drame, le second acte de L'Otage, les deux premiers actes de L’Échange et toutes les scènes essentielles de Partage de Midi.
§
En discutant du lyrisme dramatique de Claudel j'ai dû déjà parler des caractères. Il faut y revenir. De tous les genres littéraires, le théâtre est celui qui vise le plus à l'imitation de la nature, et le but du théâtre est bien la création d'hommes et de femmes, la création de caractères qui se manifestent à l'occasion d'un conflit.
Claudel a la gloire d'avoir créé des types, de grands types. Louis Laine , Marthe, de L’Échange, Violaine et Mara, Ysé, Amalric et Mesa, Sygne, Turelure, Coûfontaine et Badilon, autant de figures inoubliables. Nous ne connaissions rien de semblable avant Claudel et, maintenant, voilà des noms qui, pour nous, signifient des êtres vivants auxquels nous pensons comme à des personnes que nous aurions connues.
On a parlé du symbolisme de Claudel. Je sais bien qu'à tout type créé doit correspondre une série de significations secondaires. Toute grande figure du théâtre représente un certain nombre d'idées et, en cela, elle est symbolique. Mais elle m'intéresse surtout parce qu'elle représente un être humain.
Claudel écrit, dans l'Art poétique : « Il n'est science que du général, il n'est création que du particulier »5. Je m'empare de cette phrase avec joie ! Pour qu'un visage créé par un peintre, par un sculpteur ou par un poète atteigne à cette grande généralité qui est la suprême vertu de l'art et la garantie de l'œuvre dans le temps, il faut qu'il soit inspiré par tout ce que la vie invente de particulier, de précaire et d'individuel.
Pour moi, je n'ai cure de savoir si Lechy Elbernon représente l'esprit de destruction, et Lâla la folie, et Marthe l'ordre et la paix affectueuse. Je vois trois femmes, je les écoute et les sens d’autant mieux réelles, qu'elles parlent plus pour elles-mêmes et moins pour un type...
Je suis reconnaissant à Claudel d'avoir créé, à côté de ses grands héros, une foule de personnages qu'il a placés, avec précision et sans hasard, dans des régions dont l'accès périlleux est, d'ordinaire, sans bénéfice.
Repousser un traître dans les bas-fonds du vice, élever au petit bonheur, et aussi haut que possible, un noble cœur vers l'empyrée, voilà qui demande plus de vigueur dramatique que de justesse et de certitude. Il en va autrement quand l’écrivain, ayant entrepris de dépeindre un homme-moyen, fait dans ce dessein l'effort nécessaire, exact, suffisant.
Ibsen, en écrivant Le Canard sauvage, a exécuté le portrait en pied d'un certain photographe dont la création m'apparaît comme aussi importante que celle de Polyeucte.
En considérant toutes les figures nobles ou viles que Claudel a groupées autour de Violaine, dans L'Annonce faite à Marie, je ne peux m'empêcher de reconnaître en la curieuse silhouette d'Élisabeth Vercors une des plus audacieuses réalisations du dramaturge.
Le théâtre choisit le plus souvent, entre les traits distinctifs d'un caractère, ceux qui sont les plus saillants, les plus immédiatement perceptibles. Tandis que le roman peut s'arrêter aux plus ténus linéaments, le théâtre recherche volontiers les reliefs décisifs : les dramaturges peignent par masses et par volumes.
J'aime en Claudel ce souci de détails subtils que l'on n'entend pas toujours, mais dont la présence assure au tableau entier une profonde et minutieuse vérité.
On a reproché devant moi au personnage de Thomas Pollock Nageoire, de L'Échange, ses violentes couleurs et son serti, brutal. Mais a-t-on bien remarqué la délicatesse du pinceau qui s'est appliqué à fixer, sur la même toile, l'image de Marthe et celle de Louis Laine ?
Ce dernier, au cours d'une querelle, dit à sa femme : « Tu te fais ton pain toi-même : car tu ne peux pas manger le même que les autres ». Et Marthe répond, avec son calme têtu d'exilée : « Je ne puis pas manger le pain qu'on fait ici, il n'est pas cuit »6. C'est une réponse qui semble sans importance et qui, à mon sens, fait plus pour le caractère et pour le drame que bien d'autres déclarations.
Il est loin de mon esprit ce goût qu'ont les critiques de prodiguer leur admiration aux créations de second plan pour désapprouver avec plus d'éclat les figures centrales d'un drame. J'admire en Claudel le peintre de Violaine, de Sygne, de Simon Agnel et de tant d'autres, mais j'ai de l'affection pour ces comparses, voués à une destinée dramatique sans grandeur, et que le poète aime pour eux-mêmes, plus que pour leur utilité scénique. La majesté de Tête d'Or ne me fait pas oublier Cébès, et la falote silhouette d'Élisabeth Vercors n'est pas, à mes yeux, sacrifiée dans un drame où passent les plus lumineux et les plus sombres masques.
Dirai-je que je ne pense jamais sans curiosité à la pièce que pourrait écrire un dramaturge assez dépourvu de parti pris de construction pour, à la longue, découvrir un héros dans un personnage de dixième plan et lui laisser finalement l'avant-scène ?
Mais la question est de savoir s'il y a des personnages accessoires dans les drames de Claudel. M. Henri Ghéon semble en douter, et il écrit à propos de L'Échange : « Quatre personnages, pas plus, quatre protagonistes en présence. Et c'est un fait digne de remarque, le plus frappant sitôt qu'on aborde L'Échange et d'ailleurs tous les drames de Paul Claudel, que rien jamais ne s'interpose entre les principaux personnages, ni une figure secondaire, ni un confident, ni une utilité ; rien de ce qui facilita la tâche de nos grands classiques ; rien de ce qui supplée, chez nos auteurs en vogue, à la création poussée des caractères : cette foule de comparses croqués lestement, vivement mêlés et qui ne servent qu'à combler les vides »7.
M. Henri Ghéon, dans une note, fait une exception pour Tête d'Or, et il a raison. Il faudrait faire encore exception pour La Ville et pour L'Annonce faite à Marie, pièces dans lesquelles Claudel a dessiné des personnages de second plan. À cela près, il faut reconnaître avec quelle sévérité Claudel isole sur la scène les acteurs essentiels du drame. Le fait, frappant pour L'Échange, ne l'est pas moins pour Le Partage de Midi.
On doit louer Claudel d'avoir su mener à bien des œuvres dramatiques considérables avec un nombre aussi restreint de protagonistes ; on doit admirer ce dédain des utilités, dont parle Henri Ghéon. Néanmoins, je ne me plains pas quand Claudel ouvre plus grande la porte et laisse rentrer d'autres bonshommes que ceux qui lui sont apparemment indispensables.
S'il veut demeurer fidèle à la vie, dont il est la stylisation, mais non la réduction, le théâtre doit ne pas ignorer certaines figures dont la vérité même est au second plan.
Pour en avoir introduit d'innombrables dans ses drames, Shakespeare ne s'est pas cru dispensé de pousser ses caractères. La perspective exige ces contrastes. Je suis persuadé que ce n'est pas dans le but de faciliter sa tâche qu'Ibsen a placé, dans la demi-teinte de ses grands tableaux, une foule de personnages dont la destinée dramatique même est de demeurer à l'état de croquis, à l'imitation de tous ces gens qui ne sont dans la vie, que des croquis, mais qui cependant vivent et dont on ne saurait se désintéresser.
Il n'y a rien là d'absolu, Claudel le croit, qui ne s'est importuné d'aucune règle.
§
En lisant un drame de Claudel, il ne faut pas se hâter de construire un scénario : on s'exposerait à trop de déconvenues. Claudel n'est pas de ces dramaturges qui conduisent avec ménagement le spectateur où celui-ci souhaitait précisément aller.
Il y a un certain métier dramatique qui consiste à fournir les données d'un conflit d'une façon sommaire et assez franche, puis à résoudre le problème comme l'aurait résolu le bon sens qui s'assied dans les fauteuils d'orchestre. Quelle n'est pas l’habileté de cet écrivain qui donne sans cesse raison à la psychologie déterministe de son public ! Il ne suffit pas d'émouvoir ; il faut, avant tout, faire dire : « Ça y est ! je l'avais bien prévu ! »
Claudel compose seul. Rien ne motive ses décisions créatrices que la vie même de ses héros et leurs passions. Le vieux Corneille estimait, avec une candeur rusée, de quel prix est « l'amitié du spectateur ». Mais Claudel semble ignorer l'existence du spectateur. Rien ne permet d'ailleurs de prévoir l'attitude que celui-ci pourrait prendre par représailles.
Pour moi, j'admire en Claudel ce besoin d'aller où bon lui semble. Il juge en dernier ressort ; il sait mieux que nous ce que ses personnages peuvent faire. Et nous devons toujours reconnaître à ses combinaisons dramatiques des mobiles puissants que la méditation justifie.
§
Il n'a qu'un style, le sien, mais il semble écrire dans les plus divers, ce qui est proprement dramatique. Les propos du soldat déserteur, à la fin de Tête d'Or, sont du réalisme le plus violent, mais l'air est encore ébranlé de cette voix que l'esprit parle, à son tour...
Partage de Midi offre le plus hardi mélange des langages. Entendez Mesa, ce même homme qui chantera bientôt son divin cantique dans la solitude de l'agonie, entendez-le deviser avec Ysé :
Vous voudriez me faire parler ! dites, cela vous amuserait de me voir faire le veau !
Vous le savez très bien que ces pauvres diables d'hommes, ces gros garçons,
Cela n'aime rien tant que parler, mentir, montrer son noble cœur.
Combien j'ai souffert, combien je suis beau.
Je n'ai rien à vous dire. Vous, vous êtes heureuse, cela suffit. 8
C'est dans cette même conversation que la femme, considérant soudain l'homme, lui jette cet avertissement mystérieux dont le sens me semble si tragique :
Mesa, je suis Ysé, c'est moi. 9
Je ne peux m'arrêter sur l'audace avec laquelle Claudel mêle, dans un tel ouvrage, le lyrisme et l'esprit, l'invraisemblable et le vrai, le pittoresque et le sublime. J'ai déjà, maintes fois, cité les versets les plus pathétiques de cette pièce ; je ne crois pas moins utile d'en reproduire d'autres passages. Voici Amalric, qui cause avec Mesa et Ysé, cependant que, le drame se noue sourdement entre eux tous :
AMALRIC. — Tout cela est trop fin pour moi. Diable ! s'il fallait qu'un homme tout le temps
Se tracassât précieusement de sa femme, pour savoir si vraiment il a bien mesuré
L'affection que mérite Germaine ou Pétronille, vérifiant l'état de son cœur, quel coton !
Tout le sentiment, c'est le petit ménage des femmes, comme ces boîtes où elles rangent un tas de fils, et de rubans, et toute espèce de boutons et des baleines de corsets.
Et ce qui est dégoûtant, c'est qu'elles sont tout le temps malades.
Enfin elle est là, n'est-ce pas ? Elle manquerait si elle n'y était pas.
C'est gentil à avoir de temps en temps.
Que dites-vous, Mesa ? Soyez franc, mon garçon. Ai-je raison ou pas ?
YSÉ. — Amalric... Comment donc, dit-il, notre ami le voyageur en cuirs ?
« Vous êtes un lapin ». Amalric, vous êtes un lapin. 10
Il m'est agréable de copier quelques citations un peu longues, choisies à dessein dans de tels passages du drame. Elles aideront peut-être à faire connaître Claudel à certains critiques obstinés qui ne veulent voir en ce grand poète qu'un personnage solennel, plus préoccupé par la littérature que par la vie.
En fait, Claudel donne souvent, dans ses pièces, l'impression trouble de la vie qui ne conclut rien, n'éclaircit rien et ne moralise guère.
Il paraît que, pendant les batailles, la majeure partie des hommes, occupés à d'obscures besognes, méconnaissent le sens général de l'action à laquelle ils concourent, aussi bien que leur utilité propre et leur position sur la carte. Il en est ainsi de cette vie confuse où la majorité des hommes poursuivent des destins dont ils ignorent tout et font des gestes dont les raisons et la fin leur échappent.
Claudel se plaît parfois à donner, sur la scène, l'impression de ce tumulte et de cette inconscience. J'en prends pour exemple le second acte de La Ville (première version). Les faits et les paroles se succèdent dans une apparente incoordination ; l'atmosphère dramatique est bien celle, véhémente et fumeuse, qu'un homme respirerait, étant descendu dans la rue un jour de révolution. Tout s'y retrouve : les erreurs de perspective et d'orientation, la succession irrégulière des figures et des propos, l'emmêlement des volontés et des désirs. Mais le dramaturge est demeuré sur la montagne et ne cesse pas de comprendre le mouvement des masses. Il sait, d'un mot, nous restituer l'intelligence de l'ensemble et nous donner le sens du spectacle.
J'ai dit que Claudel ne s'était importuné d'aucune règle. C'est ainsi que dans son dernier drame, il a fait intervenir le merveilleux chrétien : L'Annonce faite à Marie a reçu, de ce chef, le titre de Mystère. Je n'ai pas loisir de poursuivre une discussion sur le rôle que peut jouer le miracle au théâtre, en ce temps de dramaturgie psychologique ; mais j'avoue, après avoir lu et relu le troisième acte de L'Annonce faite à Marie, qu'il est difficile de faire du merveilleux un usage plus modéré, plus opportun et plus pathétique.
§
En général, Claudel ne situe pas ses drames dans le temps ni dans l'espace ; voilà qui est du plus haut intérêt.
La façon la plus courante d'innover sur la scène, c'est de réagir. Or, rien n'a plus gravement contribué à retirer toute portée au théâtre contemporain que la localisation des événements dramatiques dans un endroit et dans une époque. C'est qu'il y a souvent bénéfice à emprunter aux conditions ethniques ou géographiques des éléments d'intérêt... La curiosité du public se satisfait volontiers de particularités qui n'ont rien à voir avec l'action, mais qui lui constituent un cadre séduisant.
La couleur locale et les milieux curieux, on sait ce que cela vaut pour le spectateur fatigué qui juge du conflit par le décor et du caractère par l'habit.
La question du temps n'est pas moins intéressante. Il ne suffit pas de voir ce péril où le goût de l'actualité peut entraîner le drame ; on peut également manquer du sens des choses éternelles dans une pièce moderne et dans une pièce historique. C'est pourquoi ces deux genres sont parallèlement entrés en décadence dès que les dramaturges ont fondé leurs ouvrages sur ce qui était ou ce qui est encore passager.
Mais ce sont là des querelles oiseuses quand on trouve en l'adversaire, ce qui est généralement le cas, un homme voué non pas à l'erreur, mais au calcul d'effets congrûment combinés.
Claudel, pour ses premiers drames, n'a pas donné d'indications effectives en ce qui concerne le lieu de l'action et son époque. Pour Tête d'Or, c'est chose rigoureuse, comme pour La Jeune fille Violaine. La première version de La Ville comporte une précision qui n'existe plus dans la seconde version. Le Repos du septième jour n'est qu'en apparence situé dans l'espace.
Mais il y aurait aussi quelque excès à exclure d'un texte tout ce qui semble propre à évoquer une date ou un endroit. Claudel, sûr d'élever ses conflits à la plus haute généralité, ne s'est pas arrêté à des détails. À lire Tête d'Or, on ne sait dès l'abord si les personnages portent la toge ou le pourpoint, et, tout à coup, un propos jeté au hasard nous transporte au cœur des temps modernes, un autre nous ramène en France ; mais à aucun moment on ne cesse d'être en pleine humanité.
L'Échange semble un drame strictement moderne : cet américanisme, ces héros, ce langage... ce ne sont pourtant qu'apparences. Dès les premières scènes, on sent que le conflit est indépendant de certaines inventions et de certains dispositifs scéniques : il se noue et se résout dans l'absolu.
L'Otage, il est vrai, a bien des allures du drame historique. Mais à celui qui voulait mettre aux prises ce qui change et ce qui demeure, la grande révolution n'offrait-elle pas l'exemple le plus impérieux, le plus prochain, le plus illustre ? La particularité historique est parfois si complètement significative de la généralité humaine que ce serait inutilement plagier la vérité que rendre l'histoire anonyme.
Pour L'Annonce faite à Marie, Claudel a encore une fois varié la solution du problème. Dans les quelques lignes qui précèdent le Prologue, il écrit : « Tout le drame se passe à la fin d'un moyen âge de convention, tel que les poètes du moyen âge pouvaient se figurer l'antiquité ». Claudel ne pouvait pas mieux situer une pièce qu'il appelle très justement un Mystère ; il montre en outre à quel point le drame lui semble dégagé des servitudes chronologiques.
Un détail encore curieux, à ce point de vue, c'est lu nature des noms que Claudel donne à ses personnages. Ils sont tantôt empruntés au plus vulgaire calendrier, tantôt inventés de toutes pièces. Je ne crois pas inutile de citer les noms inventés par Claudel : ils sont parfois de la plus étonnante fantaisie, comme Thomas Pollock Nageoire, tantôt d'une incomparable beauté, ce sont bien des noms de héros. J'aime à prononcer le nom de Cœuvre, celui de Violaine, celui d'Ysé. À les prononcer je reconnais le caractère de qui les porte. Et c'est ainsi que je comprends pourquoi Louis Laine ne s'appelle pas Besme et pourquoi Amalric ne s'appelle par Mesa.
§
À l'heure où j'écris cette étude, je sais qu'on répète, à Paris, L'Annonce faite à Marie. J'attends cette représentation avec la plus grande impatience.
Je comprends les motifs pour lesquels Claudel a préféré voir monter cette pièce plutôt que toute autre. J'avoue cependant que L'Otage ou L'Échange me semblaient agiter des problèmes plus sensibles pour le public de nos contemporains.
J'ai assisté, voici quelques mois, à une lecture que M. Jacques Copeau a faite de L'Échange. Une coupure insignifiante avait été pratiquée ; je ne l'ai pas jugée inutile. J'ajouterai que M. Jacques Copeau fait preuve, comme lecteur, de mérites exceptionnels et d'une connaissance des textes que les acteurs n'ont pas toujours le temps de prendre...
Toujours est-il que cette lecture a produit sur un public ni choisi, ni prévenu, une impression profonde qui était aussi une impression immédiate. Il est permis, après cette épreuve, d'attendre beaucoup d'une manifestation plus complète et d'une interprétation qui saurait s'inspirer de l'indication donnée ainsi, une fois, par le rare talent de Jacques Copeau. Le jour où, grâce à la collaboration heureuse de beaucoup de bonnes volontés, les personnages de Claudel monteront sur la scène, une des œuvres dramatiques les plus considérables de notre littérature recevra son expression définitive et sa consécration. 11
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Dans une de ses plus belles œuvres lyriques, dans une ode qui est une ardente prière, Claudel s'écrie : « Faites que je sois comme un semeur de solitude et que celui qui entend ma parole rentre chez lui inquiet et lourd »12.
J'apporterai donc à Claudel ce témoignage : J'ai commencé d'écrire l'essai que je lui consacre aujourd'hui dans un moment où les événements m'inclinaient à me préoccuper plus assidûment de moi-même que de toute autre personne. Claudel m'a, pendant de longs mois, contraint à détourner les yeux de mes soucis personnels, des luttes de l'amour-propre et des entreprises de l'ambition. Il m'a, chaque jour, arraché à la contemplation de mes désirs et de cet être haïssable dont parle Pascal. Il a été un « semeur de solitude » et je n'aurai jamais assez d'occasions de confesser ce qu'à cet égard je lui dois.
J'ai, en de telles circonstances, connu qu'il ne fallait pas aborder cet auteur avec un esprit distrait et un cœur léger. On ne peut pas parcourir les œuvres de Paul Claudel. Il ne participe pas de la précipitation du siècle. Comme une île amarrée dans le milieu d'un fleuve rapide, il ne saurait accueillir ceux qui ne veulent pas résister au courant et s'arrêter.
Il échappe à l'information ; on ne peut ni le résumer ni le diminuer. La substance de son œuvre ne tiendra jamais dans une colonne de journal. Trop de gens veulent comprendre en une couple d'heures ce qu'un homme a pris trente ans pour composer.
La lecture d'une étude comme celle que j'achève ne saurait renseigner utilement que les hommes bien décidés à donner à l'œuvre de Claudel tout le temps nécessaire.
J'avais tout d'abord cru pouvoir intituler ces pages : Introduction à la lecture de Paul Claudel.
J'ai renoncé à ce titre qui, pour être assez modeste, n'est encore que trop présomptueux. Le titre que je laisse n'est qu'une indication...
C'est comme indication également que je donnerai l'ordre dans lequel il est bon, selon moi, de lire les ouvrages de Claudel, si l'on veut, en dépit de la chronologie, lier avec cet écrivain une connaissance progressive.
Je ne pense pas qu'il serait habile de mettre un lecteur non prévenu en contact avec les premiers ouvrages dramatiques. Je recommande, ainsi que le faisait Jules Romains dans un article récent, de débuter par Connaissance de l'Est. La fragmentation de ce livre, son objectivité habituelle, autan t de choses propres à faciliter la méditation, à venir en aide à l'esprit.
Il est ensuite indiqué de lire L'Otage, puis L’Échange, puis L'Annonce faite à Marie. En comparant ce drame à La Jeune fille Violaine, qui en est comme la première version, on se préparera à comparer utilement entre elles les deux versions de Tête d'Or et de La Ville.
Je mets un peu à part ce Partage de Midi, à qui vont toutes mes préférences, mais que l'on aimera d'autant plus qu'on aura lié avec Claudel une plus profonde intimité.
J'ai dit que l'Art poétique était comme un avertissement à l'œuvre de Claudel. Il est d'usage de lire les préfaces après avoir lu les livres. Jamais cette coutume ne m'a paru plus juste et je pense qu'il est bon de lire en dernier lieu l'Art poétique, alors qu'on aura déjà fait connaissance avec les Odes, avec les Hymnes, avec le Repos du septième jour et ceux des ouvrages de Claudel que je n'aurais pas encore signalés.
Les jeunes gens de mon temps ont perdu l'habitude de la vénération. Pour moi je me trouve fort honoré de compter parmi mes contemporains Claudel, que je n'ai jamais vu et dont je ne connais pas la figure. Mais il n'importe ! Paul Claudel respire en même temps que moi sur la terre, et cette idée ne peut pas se présenter à mon esprit sans me donner du plaisir et de la fierté. Le monde des lettres n'a sans doute jamais été aussi avili qu'à l'époque actuelle, cela pour mille raisons qu'il serait oiseux d'analyser. Mais la présence, dans un siècle, de quelques hommes tels que Paul Claudel permet à ce siècle de faire noblement figure en face de l'histoire.
Le moment n'est pas encore venu de rechercher l'influence qu'exerce et qu'exercera Claudel sur les hommes et sur les écrivains présents où à venir.
D'autres que moi s'emploieront à ce travail avec plus de recul et plus de documents.
Je contemple Claudel, seul, vraiment seul, à cette place qu'il a choisie, et je lui dis, comme Besme dit à Cœuvre : « Ainsi tu te tiens isolé entre tous les hommes ».
Certes, il est seul. Et il nous est donné à tous. Je le comprends d'autant mieux qu'il me semble l'entendre murmurer, comme jadis Simon Agnel, mais en regardant un ciel désormais clément : « Et qui ai-je, moi ? et qui ai-je, moi ? »
Georges Duhamel, in Paul Claudel (1913)

1. Théâtre, III, pp 195-196.
2. L'Otage, p. 25.
3. L'Otage, p. 100.
4. Cinq grandes Odes, p.66.
5. Art poétique, édit., p. 47.
6. Théâtre, III, L'Échange, p. 212.
7. Henri Ghéon, Nos directions.
8. Partage de Midi p. 37.
9. Ibid., p. 40
10. Partage de Midi p. 57.
11. Pendant qu'on imprimait cette étude, le Théâtre de L’Œuvre a joué L'Annonce faite à Marie. Cette représentation a été une révélation pour tout le monde et le jugement du public a été ratifié par la presse qui, dans une mesure générale, a manifesté autant d’admiration que de respect.
12. Cinq grandes Odes, p. 134.