mardi 21 janvier 2014

En philosophant... Vladimir Jankélévitch, L'Amour, la Liberté, Dieu sont plus forts que la mort. Et réciproquement !

Un débat infini oppose donc, comme deux absolus, la pensée de la mort et la mort de l'être pensant. La même ambiguïté se retrouverait dans toutes les manières que nous avons de protester contre le scandale de l'anéantissement, de combler le vide de l'au-delà, de fonder en dépit de la mort la perpétuité de notre être. Ainsi l'amour, selon la Diotime du Banquet et selon les Troubadours, pourrait tenir tête victorieusement à la mort, non parce que, comme la pensée, il en est la surconscience englobante, mais parce qu'il lui oppose son énergie drastique et son dynamisme. « Si tu as l'amour fou, si tu aimes insensément, si tu aimes absolument, la mort s'éloigne », dit Ionesco 1. L'amour est « celui qui dit oui », et en premier lieu celui qui répond non au non de la mort, ensuite qui répond oui au oui, répond affirmativement à l'affirmation et vitalement à la vie, fait écho à la positivité de l'être. Le Créateur, étant le Faire-être absolu, dit Fiat à l'être qui n'est pas encore, et il s'affirme en cela comme la position la plus miraculeuse de la positivité la plus totale. L'amour, qui est simplement recréateur, répond oui à la continuation d'un être préexistant : son improvisation, si l'on peut dire, est donc moins géniale. Certes l'amour est bien fondateur à sa manière, car sa fonction est d'inaugurer et d'instaurer ; il préside à la naissance et à la génération ; s'il ne crée pas un monde, il « fonde » une famille. Mais nous préférons dire : s'il ne garantit pas la continuation de l'être, il assure la perpétuation de l'espèce et la reconduction de la vie : car l'amour, en fait, est surtout une réponse, et plutôt un recommencement qu'un commencement ; il exprime que rien n'est jamais fini, et que tout recommence au contraire, comme le jour du renouveau, et rebondit pour un nouveau départ, et un nouvel été, et une seconde naissance. L'amour est la promesse d'un futur, que ce soit l'éphémère et médiocre futur de l'aventure galante ou le vaste avenir du mariage. Consentant à la futurition, l'amour délie la durée enrayée et favorise l'actualisation des possibles ; accélérant l'advenue d'un avenir, l'amour va dans le même sens que le devenir, et il abonde dans ce sens, et il en ratifie la vocation ; grâce à l'amour l'homme expérimentera des aventures, explorera des virtualités romanesques, improvisera une vie intense dont jamais il n'aurait eu l'idée sans cela ; l'amour dégèle l'avènement de quelque chose — car il accepte que quelque chose advienne, et stimule à fond la succession passionnante des événements. Ce sont ces événements que nous promet la fécondation : la fécondation implique que le commencement aura une suite et le maintenant un après, et l'actualité une postérité, que l'instant est gros de l'intervalle, que la rencontre amorce toutes sortes de conséquences échelonnées dans le cours de l'évolution ; l'instant fertilisant mobilise les transformations biologiques — germination, éclosion, floraison, fructification — grâce auxquelles le même devient toujours un autre ; en un mot l'amour anime et active l'altération du même et remet en marche l'être qui s'endort ; principe d'échange et de circulation vitale, l'amour donne une chance supplémentaire d'accomplissement et de réalisation à la conscience stoppée. Le thème de la femme stérile, si obsédant chez Lorca, sert peut-être d'alibi à l'obsession de la mort : cette malédiction de la femme qui, ayant vainement attendu l'amour, ne réussit pas à s'accomplir ni à mûrir ses possibles et se flétrit sans avoir enfanté, c'est un avant-goût de la mort ; la mort, dès cette vie, dessèche la futurition et tue la fécondité du oui vital. La progéniture est en effet l'œuvre 2 durable par laquelle l'instant se survit à lui-même. C'est pourquoi Diotime, dans le Banquet, dit que l'amour est désir d'immortalité 3 : par l'enfantement, la nature mortelle veut se perpétuer 4 ; en procréant, grâce à cette « pédogonie », une autre créature qui la relayera, elle aspire à exister par personne interposée dans sa propre postérité, et ceci pour tout le temps à venir 5. Mais comme la progéniture à son tour devra procréer pour sauver quelque chose du néant de sa mortalité, on peut conclure : c'est la génération elle-même qui est sempiternelle 6. Et ce n'est pas tout ! Non seulement l'amour dit non au non de la mort, mais il est capable, par amour, de dire oui à ce non. Non seulement l'amant survit en ses survivants par prolongation continue, mais parfois, il revit et renaît en eux après le hiatus béant de la mort-propre : l'individu meurt en donnant la vie à sa progéniture et rebondit lui-même du néant à l'être ; la mort nihilise la personne, mais la vitalité de l'espèce surmonte la mort : dans la mort de Snegourotchka, la fée des neiges, anéantie par le premier soleil du printemps, c'est le renouveau qui affirme son impérissable jeunesse. Le sacrifice biologique est à peine un sacrifice, car il n'est pas expressément voulu. Mais il arrive aussi que l'amant, par amour, consente délibérément à la mort. Ironie du paradoxe hyperbolique ! Extrême contradiction et suprême défi ! L'absurdité même du sacrifice tue la mort (tel est du moins notre espoir insensé) et fait vivre le héros par delà cette mort qu'il affronte et qui semble plus forte que lui. Le mourir-pour-l'autre dont parle Platon 7 n'évoque-t-il pas l'idée d'une miraculeuse homœopathie ? L'obstacle, selon les poètes, est magiquement transfiguré en moyen : par l'effet d'un renversement quasi-dialectique, la mort, qui est l'empêchement absolu, sert à nihiliser l'obstacle de notre finitude ; l'abnégation, lorsqu'elle renonce à la vie par amour pour l'autre, est littéralement la négation de toutes négations ; en sorte que l'immortalité résulte de l'excès même du mal ! Le mortel croit neutraliser sa mort quand il va au devant de cette mort, quand il la prévient et la choisit. Ce sacrifice est la mort de la mort. L'Alceste d'Euripide, mourant pour Admète, accède à une vie impérissable. La conscience moderne, qui découvre le romanesque, l'amour-passion et l'existence irréductible de l'autre, ajoutera ceci : l'amant retrouve dans la mort cet aimé dont la vie le sépara, la mort réunit ceux que la vie a retenus loin l'un de l'autre. L'homme s'enivre de ce néant, qui lui promet l'exaucement de ses vœux. « Viens, ma petite mort chérie, ma petite hôtesse désirée, conduis-moi dans la ville d'or où se repose mon fiancé » : ainsi parle la Fevronia de Kitiège qui achève son pèlerinage sur terre et s'abîme dans l'extase de la mort d'amour avant de rejoindre la Ville invisible, la Kitiège pleine de cloches où l'attend le prince Vsevolod. Ce qui est ici-bas empêchement deviendrait dans l'au-delà accomplissement : Ivan Iliitch, à la fin du roman de Tolstoï, se convertit soudain à la mort et, là où était la nuit, aperçoit une grande clarté ; c'est ainsi que l'âme de la morte, selon les paroles de Charles van Lerberghe 8, renaît en chant de lumière. Le jeune « Jasager » de Kurt Weill dit oui à la mort au nom d'un idéal absurde et gratuit : mais par son acceptation héroïque il donne un sens à l'injustice révoltante de cette mort. C'est pourtant la transfiguration par l'amour qui apparaît aux mystiques comme la plus miraculeuse : la mort cesserait d'être obstacle insurmontable et barrière infranchissable pour devenir transparente et unitive. Le oui d'amour, dès cette vie, rouvre la porte fermée, ou maintient la porte entr'ouverte en état d'ouverture. Mais notre espérance exige plus encore : nous voulons que l'amour s'engouffre dans le vide de la mort et reconstitue par delà ce vide un horizon infini en remplissant soudain l'éternel néant où les ténèbres ont failli régner. L'amour est, dans nos croyances, comme une passerelle jetée sur le précipice et sur la discontinuité vertigineuse qui bâille entre Ici-bas et Au-delà. C'est surtout l'amour qui donnerait aux hommes l'envie de s'écrier, avec l'apôtre Paul : où est-elle, mort, ta victoire ? — Tout cela est bel et bon. Mais outre que la survivance de la progéniture est pour le condamné à mort une compensation toute relative et une consolation très approximative, l'efficacité anti-mortelle de l'amour se réduit peut-être à une manière poétique de parler. L'amour ne vainc pas littéralement la mort-propre, et en ce sens le Banquet n'ajoute nullement au Phédon une nouvelle preuve de l'immortalité : l'amour surmonte seulement la mort de l'espèce, l'amour perpétue la vitalité en général. Surtout l'amour qui aime jusqu'au sacrifice total, l'amour qui aime à en mourir, l'amour hyperbolique ne triomphe pas de la mort physiquement, mais pneumatiquement et symboliquement ; l'immortalisation par la mort d'amour est à cet égard une belle métaphore et un prolongement magique de nos vœux. On compare quelquefois, comme si elles étaient sur le même plan, l'invincibilité de la mort et l'irrésistibilité de l'amour : mais l'amour est irrésistible comme l'Aphrodite mythologique, au sens figuré, tandis que la mort est invincible au sens propre. Le Cantique des cantiques 9 dit que l'amour est fort comme la mort : il ne dit pas que l'amour est plus fort — car rien en ce sens n'est plus fort que la mort, ni plus puissant que la toute-puissante. À la fin de l'admirable suite des Goyescas 10 que Goya inspira à Granados, la Ballade de l'Amour et de la Mort se termine par la mort du « majo » ; et tout s'achève sur la Sérénade du Spectre, qui disparaît en pinçant les cordes de sa guitare... En vérité l'amour est à la fois plus fort et moins fort que la mort, il est donc aussi fort qu'elle. Ou plutôt c'est la conscience qui est forte comme la mort : car la conscience survole la mort, au lieu que l'amour proteste contre elle. Dans le combat indécis d'Amour vainqueur et de la Mort triomphante, la victoire de l'amour est souvent la victoire d'un vaincu. L'amant est parfois fidèle jusqu'à la mort inclusivement : mais il meurt. Et en ce sens au moins, le Toujours de l'amant ne tient pas parole. Il n'y a que la mort qui tienne toujours parole. Pourquoi se griser avec cette ambroisie de l'amour ?
La liberté, à son tour, est une protestation contre le scandale incompréhensible et dérisoire de l'anéantissement. Kant parle de trois « postulats » de la raison pratique, qui seraient la liberté, l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme : dans notre langage, Dieu et la liberté seraient plutôt, comme l'amour lui-même, des garanties d'immortalité ; des assurances contre le non-être. Car il y a pour l'homme trois façons de remplir le vide du néant. Contrecarrant la terminaison mortelle, la liberté pose le commencement : ses décisions sont inaugurales et instauratrices ; la liberté elle aussi est « archée » ou principe puisqu'elle détient, dans tout travail et dans toute entreprise, l'initiative volontaire de l'action, puisqu'elle pose la première pierre. Elle est comme l'aurore perpétuelle d'un jour sans fin ou la nativité continuée d'une existence interminable. Et non seulement la liberté est inchoative, mais en outre elle assure, dans la continuation d'intervalle, la relance perpétuelle, et le rebondissement infatigable, et la reconduction indéfinie de nos actes ; source inépuisable d'événements innombrables, la liberté parie contre la mort. La mort est l'impasse et le cul-de-sac. Au désespoir de la situation sans issue, la liberté oppose le principe de la mobilité infinie — car elle est le pouvoir d'aller toujours plus loin, d'être toujours au delà. En outre le vouloir possède la toute-puissance presque infinie, l'omnipotence quasi-surnaturelle qui lui permet d'éterniser une promesse, un refus ou un renoncement. Inexpugnable, selon Epictète 11 est la citadelle de la volonté autocratique ; une volonté hégémonique qui s'enferme dans la chambre forte de la restriction mentale ne peut être forcée. « Qui pourrait triompher d'une de nos volontés, sinon notre volonté elle-même ? » Zeus nous a donné cette volonté, Zeus ne peut révoquer ce don. À la tentation irrésistible, la volonté oppose sa résistance infinie ; aussi le tortionnaire n'extorquera-t-il pas son secret au vouloir qui s'y refuse et qui dit désespérément non, non jusqu'à la mort. Nunquam ! à aucun prix, sous aucune forme. Epictète semble déjà parler pour ces héros de la Résistance qui gardaient le silence dans les tortures les plus atroces, et sont morts sans avoir parlé — Cette volonté forte comme la mort est-elle plus forte que la mort ? Il serait beau de pouvoir dire que la mort résulte d'un faiblissement de la « causa sui », d'un consentement de notre pouvoir discrétionnaire... Hélas ! Le héros a vaincu le bourreau, puisqu'il n'a pas cédé, mais il est mort. Le héros tient héroïquement parole, et il meurt, hélas ! Vouloir, c'est en effet pouvoir. Mais je ne veux pas mourir, et je ne peux pas survivre. Le Toujours de nos serments, de nos vœux, de notre fidélité peut s'obstiner « usque ad mortem », le Jamais du veto moral peut résister à l'épreuve suprême : le Toujours de la volonté ne survit en aucun cas au Jamais de la mort ! Et d'autre part, pas plus que Dieu et l'amour, la liberté n'est à la lettre un remède contre la mort ou un élixir de longévité. Dieu, mystère essentiellement équivoque, ne peut être du même ordre ni sur le même plan matériel que le désastre tristement incontestable dont il est censé nous protéger. Et quant à l'amour, qui est, lui, tout entier d'ici-bas, qui est charnel et sensible au cœur, sa vertu immortalisante est un vœu et une chimère de notre espérance : l'immortalisation par l'amour est sans doute une métaphore comme sont des métaphores l'immortalité qu'on doit à l'art et celle qu'on doit à la renommée. Et il n'en va pas différemment de la liberté. Certes la liberté est plus qu'un espoir platonique, un vœu magique ou une ivresse lyrique : mais elle est bien moins aussi qu'une action efficace ; la mort tue l'homme libre, et le défi que l'homme libre lance à la mort est un défi désespéré. C'est ce qu'exprime l'idée même de protestation : contre le fait brutal et incompréhensible de la mort, contre une nihilisation inévitable autant qu'injustifiable, l'homme libre ne peut que protester. Protester : c'est tout ce que l'on peut faire quand le destin est à la fois absurde et inflexible.
Dieu enfin serait pour l'être en danger de mort une possibilité de rallonge ou de prolongation indéfinie par delà le naufrage. Angelus Silesius oppose Dieu qui dit Oui et le Diable qui dit Non 12. Car Dieu affirme ce que l'amour confirme ! Créant l'être et posant l'essence, cette affirmation nie secondairement le non-sens et le non-être. Si Dieu peut être pour notre raison une garantie contre la nihilisation maligne des vérités éternelles, a fortiori peut-il être pour notre vie une assurance de reconduction. Dans l'hypothèse d'un instant continué, Dieu nous garantit la continuation et la pérennité du temps. L'espoir fondamental espère essentiellement la continuation de l'être, si misérable que soit cet être ; et par conséquent l'« espoir en Dieu » est avant tout un espoir de sursis et une confiance dans l'ajournement de la « cessation ». Telle est peut-être la vocation de la grande et belle espérance dont parle à maintes reprises le Phédon. Certes Platon nous promet dans le langage de la mythologie la félicité ultérieure. Mais avant d'espérer les récompenses célestes, le luxe d'un mieux-être, l'être fini espère tout simplement que la fin n'est pas la fin et que la mort n'interrompt pas définitivement la continuation. Puissent les bons être rémunérés dans l'au-delà, mais avant tout puisse-t-il y avoir quelque chose en général, τι, n'importe quoi, mais quelque chose : ce « quelque chose » ne représente-t-il pas le minimum élémentaire et littéralement vital d'une espérance « evelpidienne » ? C'est peut-être en ce sens qu'il est dit dans le Deutéronome : l'Eternel est ta vie et la longueur de tes jours. Et le prophète Isaïe s'exclame : ce sont les vivants qui te louent, et non pas les habitants de l'Enfer 14. Le Christ, et surtout selon saint Jean, dit de lui-même qu'il est la vie et le pain de vie ou, dans notre langage, le pain de la continuation. Le pain de la quotidienneté. Platon compare le Bien au soleil, et cette métaphore elle-même laisse entendre que le divin est plénitude vitale et que l'éternité est un autre nom pour cette parfaite plénitude sans éclipses. La Déité, dit Angelus Silesius, est la sève qui fait verdoyer et fleurir le vivant. L'infinité positive de Dieu nous paraît seule capable de compenser l'infinité négative du néant : sans Dieu, le néant serait incompensable. Dieu seul assure notre sauvetage. Et d'autre part il est le milieu commun à l'Ici-bas et à l'Au-delà, il relationne l'homme naturel et l'homme surnaturel. — Hélas ! appeler Dieu à l'aide pour conjurer le néant, n'est-ce pas donner un nom de baptême à notre incertitude ? Nous savons, dit Pascal, qu'il y a un Dieu, et nous ne savons pas ce qu'il est ; Dieu serait donc, comme la mort, certain dans sa quoddité et incertain dans ses déterminations. Mais d'abord la seule espérance qui demeure entrebâillée dans notre désespoir, c'est précisément l'indétermination du quando de la mort. Espérance certes bien négative et indirecte ! espoir de pauvre, si l'on veut ! Pourtant ce n'est pas à Dieu, mais à l'Hora incerta elle-même que nous devons notre seule ouverture vers l'avenir. Ensuite il s'en faut de beaucoup que la quoddité de Dieu soit aussi évidente que la certitude de devoir mourir. Nous avons de bonnes raisons de croire à la nécessité de la mort, et n'en avons aucune de conclure à l'existence d'un Dieu irrémédiablement caché : cette existence est l'objet d'une très douteuse entrevision. La mort est une triste certitude tandis que Dieu est un beau pari. La mort, nécessité biologique et physiquement inéluctable, est l'événement le plus réel du monde, tandis que Dieu est obstinément ambigu, déroutant, invisible : nul vivant n'a jamais entendu sa voix ni vu son visage 14. Dieu n'est ni une évidence, ni une certitude apodictique, ni un fait constatable ; Dieu n'est ni démontrable ni vérifiable. On peut contester. Le sauveteur n'est donc pas du même ordre que le naufrage. Mais justement pour cette raison la plénitude suprasensible qui nous sert à combler le néant de l'au-delà mérite de s'appeler un avenir : de l'avenir elle a en effet la nature équivoque, aléatoire et chanceuse. Dieu est passionnément espéré, ardemment souhaité, inlassablement invoqué et d'autant plus que notre avenir est plus douteux : faute d'assurances précises nous alléguons je ne sais quelles promesses et supplions sa bonté d'allonger la vie brève, de perpétuer l'être à travers le non-être, de remplir le rien posthume par lequel tout finira. Dieu... ou rien — à cette alternative se ramène en somme le pari de Pascal. C'est quand on cesse de croire en Dieu que la mort redevient ce qu'elle est littéralement, obstacle absolu et mur infranchissable : le futur sombre alors dans le néant, et le désespoir de continuer prend possession de l'homme. Et inversement c'est quand on recommence à croire en Dieu que la possibilité de tous les possibles fait à nouveau battre le cœur et tient l'homme en suspens : nous ne tomberons pas dans le lac obscur ; décidément il y aura quelque chose, quand il pouvait ne rien y avoir... Non les cloches de Pâques de la joie jamais ne carillonneront assez fort pour annoncer cette bonne nouvelle !
Vladimir Jankélévitch, in La Mort

1. Ionesco, Le Roi se meurt (Marie, au roi).
2. Έργον : le mot est dans le Banquet, 209 e.
3. 207 a.
4. 207 d.
5. 208 e. Cf. c : ές τόν άεί χρόνον.
6. 206 e.
7. Banquet, 207 b, 208 cl. Cf. 179 b, 180 a. Sur les morts d'amour : saint François de SALES, Traité de l'amour de Dieu, VII, 9-14.
8. Inscription sur le sable (Entrevisions : Jeux et songes).
9. Cant., 86.
10. Goyescas, 2e partie de « Los Majos Enamorados » : V, El Amor y la Muerte.
11. Entretiens, IV, 1.
12. Le Pèlerin chérubique, éd. Susini, II, 4 (cf. 249), et la note d'E. Susini.
13. Cf. Is., 25, 8.
14. Jean, 537, 1, 18. I Ep., Jean, 4, 12. Cf. I Tim. 6, 16 ; Jean, 6, 46 ; Exode, 33, 20.