Le christianisme ne se nourrit pas davantage de confiture que tout un chacun. Mon garçon, Dieu n’a pas demandé que nous soyons le miel de la terre, mais le sel. Aujourd'hui, notre pauvre monde ressemble au vieux Job, plein de larmes et d'ulcères, sur son tas de fumier. Le sel, sur une peau, est vivant : il brûle, mais il empêche aussi la pourriture.
Georges Bernanos,
journal d’un curé de campagne
Ainsi,
si quelqu'un nous demandait pourquoi devenir saint, il nous faudrait
lui répondre, à la manière de Bernanos : afin de ne pas pourrir.
Notre
vie risque, à chaque instant, de basculer vers la pourriture. Ne
pensez pas qu'il s'agisse ici de propos pessimistes. Bien au contraire ! Seul
risque de pourrir ce qui est vivant, ce qui déborde même de vie. Tout ce
qui est mort, desséché, ne risque plus la pourriture. Lorsque la vie
disparaît, le risque disparaît aussi. Le sang jaillit d'un corps vivant ; une
maladie se développe là où il y a la vie ; une blessure fait souffrir ce qui vit...
La sainteté, justement, cherche à maintenir vraiment vivante la vie,
dans un juste équilibre. Quelle erreur de penser la sainteté comme
un angélisme de quatre sous ! C’est bien davantage une douceur de
grand prix, comme seul le sel sait le faire sur une plaie.
À une période
de ma vie, j’ai imaginé la sainteté comme un mélange
mielleux, bien peu en adéquation avec ma propre existence. Je me souviens de
ces week-ends avec mes amis enfants de chœur, sur le thème de la vocation.
Presque chaque soir, nous regardions ensemble
des diapositives sur la vie d’un saint. Ces images étaient alors accompagnées
de musique et de voix racontant la vie du saint du jour. Et je garde beaucoup
de nostalgie de ces moments-là. Dans mon
cœur, grandissait alors le désir de prendre
au sérieux la foi en Christ,
même si je vivais dans un monde habitué
à la foi comme on l’est à une chanson populaire ou à un
geste de la main pour saluer un ami
dans la rue. Le problème était cependant cet imaginaire, et non pas
le désir qui grandissait dans mon cœur. Longtemps, j'ai pensé
que la sainteté était une vision romancée de la réalité, où le triomphe des
bons sentiments et des sourires était comme la marque des
saints. Être un héros simplement en étant bon. Hélas, j 'ai appris à mes
dépens que la sainteté est une question plus brûlante. Être un héros
en demeurant humain malgré la vie. Et pour demeurer humain, être
fort et non pas bon. Rusé, et non pas naïf. Décidé, et non pas docile.
Paradoxalement, la déception liée aux couleurs des diapositives m'a rapproché
des saints qu'elles voulaient raconter.
Par un
mystérieux dessein de la Providence, j'ai eu l'occasion de rencontrer de
nombreuses personnes, diverses communautés, plusieurs
manières de vivre le christianisme. J'ai eu la grâce de fréquenter
le silence des monastères, mais aussi les cantiques chantés à tue-tête
des grands rassemblements. J’ai rencontré beaucoup de paroisses
normales et j’ai parlé à ceux dont la
vie a été bouleversée par des
événements inimaginables. Quel est le point commun entre toutes
ces personnes ? Qu'est-ce que je me suis efforcé de partager avec eux tous ? Simplement,
quelle que soit la façon de vivre sa vie et sa foi,
il y a, à la base, un dénominateur commun. Il s’agit du baptême nous ayant fait
fils, nous donnant la certitude d'être aimés, la certitude de vivre sur un
horizon marqué
par la bonté et de savoir que l'Amour
est le présupposé de toute vie digne de ce nom. Ce sont la Foi,
l'Espérance et la Charité. Ce que nous avons reçu comme don au
baptême et que nous sommes appelés à exprimer, quelle que soit notre
vie.
C'est
une affaire sérieuse, car la qualité du reste du monde dépend de sa réussite :
Vous êtes le sel de la terre. Mais si
le sel devient fade, comment lui rendre
de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné
par les gens. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une
montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la
mettre sous le boisseau : on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous
ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant
les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire
à votre Père qui est aux cieux.
Matthieu 5, 13-16
Pour
qu'ils voient et que leur vienne le désir de lever le regard sur l'Autre.
Les
mots de ce livre sont issus de ces rencontres. J’ai entendu beaucoup
de paroles moi aussi ; je les ai prononcées telles que
me le suggérait
le regard de la personne en
face. Il serait fastidieux de faire la
liste de toutes les personnes, de
toutes les communautés, de tout ce que
j'ai partagé avec chacun et dont ces pages sont un modeste reflet.
Ma gratitude va à tous.
Luigi Maria Epicoco, in La foi n’est pas un bonbon au miel