Saint Augustin dit que la veillée
pascale est la veillée-mère de toutes les saintes veillées, c'est-à-dire la
veillée par excellence.
Après que le diacre ait chanté
l'annonce de la Pâque et que le prêtre ait béni le feu auquel s'allume le
cierge pascal, les fidèles sont invités à se transmettre la lumière. On peut
alors commencer la liturgie de la Parole au cœur de l'église embrasée par la
lumière de tous les cierges. La liturgie de la Parole reprend sept grands textes
de l'Ancien Testament depuis la Genèse jusqu'au prophète Ézéchiel annonçant au
peuple en exil une eau pure, un cœur nouveau et un esprit nouveau. Toute
l'histoire d'Israël est reprise au cours de ces lectures montrant bien
l'accomplissement des prophéties.
Le texte principal est la lecture du
livre de l'Exode au chapitre 14,15 à 15,1. C'est la libération d'Israël par le
passage à pied sec de la Mer Rouge. Les eaux se fendent, les fils d'Israël
passent. Les eaux se referment, les Égyptiens qui poursuivaient les Hébreux
sont engloutis par la mer. L'essentiel est d'en saisir la signification
profonde. Les Hébreux sont libérés de l'esclavage des Égyptiens. Cette
libération symbolise la libération du péché et annonce la nouvelle naissance
dans l'eau du baptême.
À travers tout son passage dans le
désert, Israël découvre qu'il est vraiment le peuple de Dieu voué à lui seul.
Les fils d'Israël sont libérés d'Égypte pour aller rendre un culte à Dieu sur
le Sinaï. Le passage de la mer rouge nous renvoie en effet au chapitre 24 de
l'Exode. Moïse annonce au peuple que Dieu a fait alliance avec lui et pour le
montrer, Moïse fait un sacrifice en immolant à Dieu des jeunes taureaux en
sacrifice de communion. « Moïse ayant pris le sang, le répandit sur le
peuple et dit : « Ceci est le sang de l'Alliance que Dieu a conclue
avec vous moyennant toutes ses lois » (Exode 24,8). Le peuple est pris
dans la libération du Seigneur. C'est donc un texte cultuel. La libération du
peuple est toujours vue en perspective cultuelle. Il est important de le
souligner car on peut entendre parler de la théologie de la libération. Ne
tombons pas dans l'erreur commise trop souvent : la libération n'est pas
pour une libération humaine mais c'est une libération pour un culte en vue de
rendre gloire à Dieu.
Une remarque encore. On parle souvent
des genres littéraires, historiques ou poétiques des textes de l'Écriture. Il
faut s'attacher au sens spirituel de la Parole de Dieu et savoir que le
Seigneur utilise des procédés pour faire comprendre à son peuple ce qu'il porte
au plus profond de lui-même et qui le libère. L'exode est une libération
merveilleuse par le Seigneur mais il ne faut pas en rester aux images. Elles
sont là pour nous faire comprendre le dessein du Seigneur et pour nous faire
entrer dans son mystère d'amour.
La veillée pascale est centrée sur la
libération des fils d'Israël et sur le don de l'Esprit. Si des catéchumènes
sont baptisés dans la nuit de Pâques il y a la bénédiction de l'eau baptismale
avec une insistance sur le don de l'Esprit puisque nous participons de manière
tout à fait spéciale à la mort et à la résurrection du Christ avant de
participer à l'Eucharistie. N'oublions jamais que dans la tradition ancienne,
l'initiation chrétienne comprend toujours d'un seul tenant : le Baptême,
la Confirmation et l’Eucharistie.
Israël n'a pas été fidèle à
l'alliance. Dieu va promettre aux fils d'Israël de leur donner un cœur nouveau
et un esprit nouveau et ainsi renouvelle son alliance avec eux. De la même
manière, la liturgie nous invite, nous qui sommes baptisés, à renouveler les
promesses de notre baptême. Par là même, en cette veillée pascale, Dieu
réactualise notre baptême de façon solennelle et nous demande d'y correspondre
chaque jour.
Puis la liturgie eucharistique se
célèbre dans la joie de la résurrection.
Arrêtons-nous, autant que nous
pouvons le faire, sur le contenu de la résurrection. Méditons pour commencer
sur le texte de la lettre aux Romains de saint Paul au chapitre 1, v. 1 à
7 :
Paul, serviteur du Christ Jésus,
apôtre par vocation, mis à part pour annoncer l'Évangile de Dieu que d'avance
il avait promis par ses prophètes dans les saintes Écritures, concernant son
Fils, issu de la lignée de David selon la chair, établi Fils de Dieu avec
puissance selon l'esprit de sainteté, par sa résurrection des morts,
Jésus-Christ notre Seigneur, par qui nous avons reçu grâce et apostolat pour
prêcher, à l'honneur de son nom l'obéissance de la foi parmi tous les païens,
dont vous faites partie, vous aussi, appelés de Jésus-Christ, à tous les
bien-aimés de Dieu qui sont à Rome, aux saints par vocation, à vous grâce et
paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ.
La longueur de la phrase indique
qu'il s'agit d'une affirmation extrêmement importante et solennelle ; elle
s'organise autour d'un centre dont tout dépend : Jésus-Christ notre
Seigneur. C'est une grande confession de foi dans laquelle saint Paul indique
que le but de l'Écriture est contenu dans l'Évangile, que la foi, l'apostolat,
l'envoi en mission, le salut universel nous sont donnés en Jésus-Christ.
Il y a un parallélisme remarquable
entre « Fils, issu de la lignée de David selon la chair » et
« Fils, établi Fils de Dieu avec puissance selon l'esprit de sainteté, par
sa résurrection des morts ». L'antithèse entre les deux natures du Christ
est la résurrection d'entre les morts. Celle-ci est la cause de la révélation
de Jésus comme Seigneur. C'est le cœur de la théologie de Paul et de la
théologie pré-paulinienne présente dans le message évangélique bien avant Paul.
Nous avons cette même doctrine de la christologie dans les actes des apôtres et
notamment dans le premier discours de Pierre au moment où il annonce, le jour
de la Pentecôte, le mystère du Christ :
Que toute la maison d'Israël le sache
donc avec certitude : Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous,
vous avez crucifié.
Actes 2, 36
Nous trouvons la même proclamation
dans le discours de Pierre chez Corneille :
Dieu a envoyé sa parole aux
Israélites, leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus-Christ :
c'est lui, le Seigneur de tous. Vous savez ce qui s'est passé dans toute la
Judée : Jésus de Nazareth, ses débuts en Galilée, après le baptême
proclamé par Jean ; comment Dieu l'a oint de l'Esprit Saint et de
puissance... Dieu l'a ressuscité le troisième jour... et il nous a enjoint de
proclamer au peuple et d'attester qu'il est, lui, le juge établi par Dieu pour
les vivants et les morts.
Actes 10, 36-38, 40, 42
La filiation divine de Jésus est mise
en relation directe avec la résurrection. Il est capital de retenir que la
filiation divine de Jésus est manifestée, c'est-à-dire rendue visible par sa
résurrection. La Résurrection ne crée pas la filiation de Jésus mais au
contraire la révèle et souligne l'acte de Dieu.
Le Christ est le Fils de Dieu par
excellence comme le souligne saint Paul dans la deuxième épître à
Timothée : « Souviens-toi de Jésus-Christ ressuscité d'entre les
morts issu de la race de David, selon mon Évangile » (2 Timothée 2,
8). Issu de la race de David : c'est toute l'histoire d'Israël qui
trouvera un jour son achèvement glorieux. Ressuscité d'entre les
morts : la résurrection des morts a inauguré des temps où l'Esprit
sera la marque d'une économie nouvelle. Jésus-Christ : Oint, le
Messie, implique l'idée de l'Esprit Saint. L'ère qui s'ouvre recevra le don de
l'Esprit qui emplit le Fils et qui est le déploiement de sa force. L'Esprit
lui-même agira en puissance. Jésus notre Seigneur n'est pas seulement celui
devant lequel on plie le genou mais il est la source de tout apostolat.
L'ancien Israël a fait place au véritable Israël, le premier étant restreint.
L'Église est universelle. Le premier Israël était lié à une race, désormais
c'est un peuple qui est élevé au rang du Seigneur Jésus-Christ, souverain de
tous les peuples. La résurrection n'est pas un fait statique, elle engage tout
le mystère du salut et toute l'humanité. La résurrection n'est pas une doctrine
extérieure à l'homme. Si celui-ci croit, l'évangile devient vivant et crée une
relation de personne à personne. La résurrection est cette création de
relations interpersonnelles. Il n'y a de foi que dans une rencontre en vertu de
laquelle le sujet croyant participe à l'action libératrice de Dieu.
Alors qu'est-ce que la
résurrection ? Le Christ reprend un corps, son corps qui n'a jamais
cessé d'être uni à la divinité, qui a été séparé de son âme mais qui n'a pas
été séparé de la divinité. Jésus a un corps glorifié, c'est-à-dire un corps
véritable. Les Évangiles insistent beaucoup sur le fait de toucher le Christ :
« Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi des doutes montent-ils en votre
cœur ? Voyez mes mains et mes pieds, c'est bien moi ! Palpez-moi et
rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en
ai » (Luc 24,38). Le Christ est un vivant en relation personnelle avec
chacun d'entre nous par la foi. C'est un vivant empli de l'Esprit Saint qui
n'est là que pour donner la plénitude de l'Esprit à chacun d'entre nous. La
résurrection du Christ n'est pas comme la résurrection de Lazare. Lazare est
ressuscité selon la chair, il n'est pas ressuscité selon l'Esprit. Il est
ressuscité et doit mourir de nouveau. La résurrection du Christ est un passage
à un monde nouveau. Le Christ vit dans l'Esprit Saint et a un corps tout entier
transfiguré par la présence de l'Esprit Saint. C'est un homme, issu de la
lignée de David qui vit sous l'emprise de l'Esprit Saint.
Le Christ ne ressuscite pas le
Vendredi Saint, ni au moment de sa mort. Il a été réellement mort trois jours
au sens biblique du mot. C'est une formule qui marque l'action eschatologique
de Dieu comme nous la trouvons déjà dans le prophète Osée : « Venez,
retournons vers le Seigneur, Il a déchiré, Il nous guérira ; Il a frappé,
Il pansera nos plaies. Après deux jours, Il nous fera revivre, le troisième
jour Il nous relèvera et nous vivrons en Sa présence ». (Osée 6, 1-2).
Ce texte dit la puissance de Dieu à l'œuvre dans le monde et dans nos vies.
Dans l'Église primitive, la
profession de foi faisait dire aux chrétiens : « Je crois au Saint Esprit
dans l'Église catholique pour la résurrection d'entre les morts ». Nous
participons ainsi à ce qui a été le mystère du Christ. Saint Paul nous dit dans
l'épître aux Colossiens :
Du moment que vous êtes ressuscités
avec le Christ, recherchez les choses d'en-haut, là où se trouve le Christ
assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d'en-haut, non à celles de la
terre. Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en
Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous
aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire.
Colossiens
13, 1-4
Notre vie est cachée en Dieu mais
nous faisons déjà l'expérience de la résurrection de façon mystérieuse. Nous
sommes marqués du signe de la résurrection pourtant non encore rendue présente
visiblement. Cela se manifeste dans la charité fraternelle en attendant les
embrassades du ciel.
Il faut voir le ciel de façon
réaliste : c'est notre monde transfiguré. L'Esprit est à œuvre, il nous
fait vivre de la Gloire de Dieu, de la Vie même de Dieu. La résurrection est
l'affirmation de la Vie de Dieu pénétrant notre être jusqu’au plus profond de
nous-même.
Le Christ agit dans son corps à
travers les sacrements parce qu'il est empli de l'Esprit. Il n'y aurait pas de
sacrements si le Saint Esprit n'était pas agissant dans le corps du Christ
glorieux. On aurait pu imaginer que le Christ nous sauve sans contact avec lui.
Il veut que nous le rencontrions dans sa mort, dans sa résurrection, dans le
pardon des péchés, dans toute notre vie. Il s'agit d'annoncer au monde entier
que le Christ est le Ressuscité. Voilà pourquoi l'Église chante le jour de
Pâques : « Ô ma joie, Christ est ressuscité, oui, Il est vraiment
ressuscité ». C'est le bonjour des chrétiens ce jour-là, ils se rencontrent
dans le Ressuscité. Cela demande un regard de foi, il s'agit d'entrer dans ce
mystère de résurrection, mystère de la vie du Christ.
Marie-Joseph Le Guillou, in Entrons
dans la Passion et la Gloire du Christ