samedi 31 mars 2018

En veillant... Paul Claudel, La Nuit de Pâques


À travers la fenêtre sans rideau, depuis longtemps je vois une petite étoile me luire.
Je ne dors pas. Mais entre le Samedi Saint et Pâques la nuit n'est pas faite pour dormir.
Les montagnes et les forêts attendent, elles m'entourent dans une émanation lumineuse.
La pleine lune pas à pas élève, suspend sa face pieuse.
La pleine lune sans un mouvement rayonne au milieu de l'éternité.
Heureuse nuit qui toute seule sait l'heure où Jésus est ressuscité !
Rien ne résiste à ce vainqueur : portes closes il passe de l'autre côté du mur.
C'est ainsi qu'à travers le temps il passe sans qu'il en rompe la mesure.
Nous ne savons qu'une chose arrive que si déjà elle est arrivée.
Nous apprenons tout à coup que le Seigneur est ressuscité !
Ce silence de tous les siècles avant Moi, il n'y avait pas moyen qu'il continue !
Il n'y avait pas moyen de la terre interrogée que l'on dise plus longtemps : elle s'est tue !
Les étoiles, ce qu'elles ont vu, l'une à l'autre en tumulte se sont mises à le raconter !
La terre a rompu le silence, tout à coup elle s'est mise à dire ce qu'elle sait !
Le soleil n'est pas levé encore : il y a une heure encore de cette immense solitude !
Il n'y a pour garder le tombeau que ces millions d'étoiles en armes, vigilantes depuis le Pôle jusqu'au Sud !
Et tout à coup dans le clair de lune les cloches en une grappe énorme dans le clocher,
Les cloches au milieu de la nuit comme d'elles-mêmes, les cloches se sont mises à sonner !
On ne comprend pas ce qu'elles disent, elles parlent toutes à la fois !
Ce qui les empêche de parler, c'est l'amour, la surprise toutes ensemble de joie !
Ce n'est pas un faible murmure, ce n'est pas cette langue au milieu de nous-mêmes qui commence à remuer !
C'est la cloche vers les quatre horizons chrétiennes qui campane à toute volée !
Les deux plus claires par-dessus l'une sur l'autre qui montent dans un dialogue infatigable !
Et les quatre plus graves à coups profonds par-dessous à leur tour qui se sont mises à table !
Après les siècles révolus, au milieu de cette éternité à la fin autour de nous lumineuse et étalée,
Parce que l'heure est venue tout à coup, surprise que l'on soit capable de parler !
Ce n'est point une parole humaine, c'est le triomphe, la vendange énorme de toutes les étoiles du ciel !
C'est la terre délivrée vers Dieu coup sur coup qui pousse cet aboiement solennel !
C’est l'âme à moitié déshabillée déjà qui pousse cette acclamation délirante !
C’est les morts de tous les cimetières à moitié vivants qui se mêlent à ces cloches énormes et bredouillantes !
C’est le chaos du monde avec le péché dans une étreinte inextricable
Qui sur son visage tout à coup a ressenti l'impression de ces lèvres ineffables !
Vous qui dormez, ne craignez point, parce que c'est vrai que J'ai vaincu la mort !
J'étais mort et Je suis ressuscité dans Mon âme et dans Mon corps !
La loi du chaos est vaincue et le Tartare est souffleté !
La terre qui dans un ouragan de cloches de toutes parts s'ébranle vous apprend que Je suis ressuscité !
Femmes, que cherchez-vous dans la tombe ? Mais non ! Vous n'avez plus rien à faire avec ceci !
Les linges sont roulés dans un coin. Jésus vit, Il n'est plus ici !
Mon âme à son tour de la tombe s'arrache avec un rire éperdu !
Moi aussi j'ai vaincu la mort et je crois en mon sauveur Jésus !
Au centre du monastère tout seul, il médite, le haut veilleur tout seul peu à peu il s'apaise en frémissant.
C'est le tour de toutes les églises là-bas de répondre dans le soleil levant !
Elles s'éveillent l'une après l'autre, tour à tour je les entends qui s'interrogent dans la nuit.
Pour chaque étoile qui s'éteint il s'éveille une brebis.

Paul Claudel, in Toi, qui es-tu ?
Abbaye Saint-Maurice-et-saint-Maur de Clairvaux
Pâques 1934