mercredi 15 mars 2017

En exposant... Jean Guitton, La Vierge Marie et le mystère de l'existence humaine


I
Nature méditative de la Vierge. Sa réflexion rétrospective et historique ; le développement de sa pensée concernant la signification des événements. Que les âges et les états de sa vie correspondent aux principaux mystères de toute existence humaine temporelle. Trois applications de ce principe. Le mystère de l'adolescence et de la vocation considéré dans l'attitude de la Vierge à l'Annonciation. Le Fiat. Le mystère de l'âge mûr, de la maternité considéré dans le Quinimo beati. La femme et l'histoire. Coopération passive de la femme à la vie publique de l'homme. Le mystère de la vieillesse et du sursis : vieillesse et jeunissement.
II
Que la Vierge contracte, résume et représente la durée de l'histoire humaine universelle, dans le mystère initial de l'Immaculée Conception et dans le mystère final de l'Assomption. L'Immaculée Conception considérée comme une vue sur l'état de l'humanité avant le péché d'origine, et comme capable de désassombrir la condition adamique. L'Assomption considérée comme une anticipation sur l'état final de l'humanité christique et comme l'application de la loi de sublimation.
III
Qu'enfin la Vierge, par la dévotion qu'elle suscite, nous permet de racheter le temps et de compenser son « évolution » qui dissipe et vieillit, par une involution qui concentre et qui rajeunit. La dévotion à la Vierge et le rajeunissement spirituel dans la voie d'enfance. Comment l'âme mariale involue et se simplifie pour remonter le temps et atteindre l'éternel. Rôle de la Vierge dans cette génération mystique. La Vierge et la fin du temps. La Vierge et la fin des temps. Rapport secret de la Vierge avec le temps. Sa médiation considérée comme facteur d'accélération du temps. L'heure de Cana. La Vierge reine des circonstances et des occasions. La Vierge souveraine du temps et figure de l'Église.

En approchant de la Bretagne 1, je considérais combien cette terre était mariale, ainsi que l'indiquent sa dévotion à sainte Anne, ses sanctuaires, ses traditions, la tendre, humide et mystérieuse profondeur de son paysage, caractère, pensais-je, qui ne se remarque pas seulement chez les héros de sa croyance, mais aussi chez ses hétérodoxes. On a remarqué que sans Chateaubriand, sans Renan et sans Lamennais, il n'y aurait pas eu au XIXe siècle de véritable innovation. Et je considérais, en approchant de vous, que ces deux derniers prophètes avaient gardé, au sein de leurs ténèbres, une attache à la foi de leur enfance par la dévotion mariale. Je songeais à ces regrets de Renan devant Pallas, dans sa prière sur l'Acropole, lorsqu'il disait, parlant des cathédrales bretonnes : « J'y trouvais Dieu. On y chantait des cantiques dont je me souviens encore : ‘Salut, étoile de la mer... reine de ceux qui gémissent dans cette vallée de larmes’ ; ou bien : ‘Rose mystique, Tour d'ivoire, Maison d'or, Étoile du matin...’ Tiens, déesse quand je me rappelle ces chants, mon cœur se fend... »
Dans une lettre écrite au P. Janssens, général des Jésuites, sur les Congrégations mariales, Pie XII demandait qu'on répandît leur esprit « à travers tous les courants de la société humaine, et par dessus tout dans la classe ouvrière et parmi ceux qui se livrent aux études supérieures ». Et il ajoutait : « Nous savons que le travail n'est pas facile et qu'il rencontre bien des obstacles ».
Je crois en particulier qu'on peut demander à la Vierge de nous éclairer indirectement, à sa manière en quelque sorte lunaire, par un reflet, sur certains problèmes concernant l'existence humaine dans le temps et la nature même du temps. Je ne parle pas ici de problèmes réservés et spéciaux, mais de ceux que tout homme peut comprendre, que tout homme doit se poser :
Pourquoi suis-je ici plutôt que là, maintenant plutôt que lors, disait Pascal. Que suis-je venu faire ? Que veut dire cette vie si courte avec ses événements, ses crises et son imprévisible histoire composant ma destinée ; qu'est-ce que venir en ce monde, mourir ? Quelle est la nature de cette existence éternelle qui nous a été promise ?
Voilà quelques-unes de ces questions primordiales qui se présentent à chaque conscience humaine, simplement quand elle s'aperçoit qu'elle est une partie de l'histoire universelle, engagée dans cette coulée du temps qu'elle n'a pas voulue.
Or, je suis porté à penser que la réflexion sur la Vierge Marie peut nous aider à pénétrer, à comprendre quelques aspects de ce mystère de notre existence, en tant qu'il est enveloppé et préfiguré dans le sien. Je retrouve là une loi de toute intelligence et de toute réalité et qui pourrait se formuler ainsi : « C'est le plus haut qui explique le plus bas ; c'est le plus mystérieux qui explique le plus ordinaire ; c'est le saint qui explique le pécheur ; c'est l'âme qui explique le corps, comme c'est Dieu qui explique l'homme ». Il y a sans doute plus de mystère, mais il y a aussi plus de lumière dans ce qui est le plus élevé que dans ce qui est le plus commun.
Ainsi, plus de lumière dans la Trinité que dans la conscience humaine pour comprendre la conscience humaine — plus de lumière dans le mystère de l' Incarnation pour comprendre l'union de l'âme et du corps que dans l'étude de cette union par l'expérience psychique — plus de lumière dans l'existence si privilégiée et si mystérieuse de la Vierge Marie pour comprendre notre existence que si nous examinions cette existence au simple niveau de l'homme.
I
Je disais que la Vierge d'abord peut nous servir de modèle pour son attitude à l'égard de l'existence, en tant que celle-ci constitue l'histoire.
Vous avez sans doute remarqué comment l'Évangile de Luc, qui sans doute avait connu la Vierge et son milieu (occupé qu'il était à chercher les « témoins oculaires dès le commencement ») comment cet Évangile, dis-je, insiste sur ce trait de caractère de la Vierge, qui était de comparer les événements, de les conserver, de les reprendre par le souvenir, de conférer, de méditer dans son cœur (II, 19). Il semble que Marie ait été parfois comme d'un temps en retard dans son intelligence de l'événement, qu'elle ne l'ait pleinement compris qu'après coup et dans la lumière rétrospective du souvenir. Cela est clair pour l'épisode de Jésus retrouvé au Temple, où, douze ans cependant après l'Annonciation, elle n'entend pas encore le sens de cette parole de Jésus : « Il faut que je sois aux choses de mon Père ». Mais, comment ne pas rapprocher cette compréhension obtenue par le mouvement de la réflexion avec ce que le même évangéliste nous raconte des disciples d'Emmaüs ? Tandis que les deux disciples cheminent avec le Voyageur inconnu, ils ne savent qui Il est et ils discutent avec Lui. Ils Le reconnaissent au moment même où Il disparaît ; c'est dans son absence qu'ils éprouvent sa présence.
Il y a là un aspect constant de notre existence. C'est lorsqu'un être cher disparaît qu'on commence seulement à saisir ce qu'il était soit pour nous, soit en lui-même ; c'est longtemps après l'enfance que l'on comprend l'enfance, ainsi d'ailleurs que chaque âge de la vie.
Jésus aussi n'a commencé de se faire pleinement comprendre qu'après que l'Esprit fut venu, comme il l'avait annoncé lorsqu'il avait dit qu'il était utile qu'il s'en allât pour envoyer, avec l'Esprit du Père, l'intelligence de lui-même. C'était d'ailleurs l'habitude des Juifs de connaître Dieu, à travers les événements remémorés de l'histoire juive. Le Dieu d'Israël était le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; et plus Israël avançait, plus il entendait la signification de ce qui au début lui avait été donné, mais obscurément. On imagine volontiers la Vierge, occupée à repasser ses propres mystères (comme le fait le dévot à son Rosaire, continuant ainsi son attitude temporelle) pour en tirer des significations chaque fois plus profondes ; pour mieux saisir la portée des appels et des consentements originels ; pour éclairer le passé avec le futur, afin de voir dans ce passé une première annonce (ainsi, après les trois jours du Tombeau, les trois jours, où elle avait cherché Jésus enfant durent prendre pour elle une valeur préfigurative) ; pour saisir enfin le plan de Dieu qui se réalise posément à travers les angoisses humaines, les actes et même les révoltes de la liberté.
Il y avait certes dans les états de la Vierge, dans ses paradoxes intérieurs, une matière propice pour la réflexion. Nous n'avons peut-être pas assez médité sur son humanité ; nous la mettons trop aisément au-dessus de l'humaine condition. Mais il est doux et bon de noter que sa vie se trouvait le type même d'une vie humaine. Elle a connu les principaux états qui constituent l'existence, les genres de crise qui se retrouvent en toute vie. La contradiction ne lui a pas été épargnée, ni le tragique quotidien, mais il semble que sa méthode pour résoudre les conflits était de les laisser dénouer par le temps, se bornant à une simplicité silencieuse et patiente. Dans son dialogue avec l'Ange, on voit, semble-t-il, ce caractère authentique, limpide et simple de son. caractère.
Le Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme ? c'est l'exposé d'un problème dont les termes, du côté de Marie sont nets. Le Qu'il me soit fait selon votre parole ! est la formule la plus simple de l'union de la grâce et de la liberté. La Vierge aurait pu dire à Dieu : Voulez. Cela aurait semblé mettre en question la liberté de la créature. Elle aurait pu dire : Je veux. Cela aurait trop donné à la créature. Elle dit : Qu'il me soit fait, conciliant ainsi ce qui relève de la créature et ce qui doit être rapporté à la prédestination : Qu'il me soit fait selon votre parole ! « Je vous donne quant à moi, puisque vous m'avez faite libre de recevoir ou de refuser vos dons, ce qui manque, sous ce seul rapport, à votre Toute-Puissance ».
Le Mystère de l'Annonciation paraît typiquement représenter le caractère de l'âge premier de la vie (de l'adolescence, de la vocation), celui qui devait réapparaître, avec tant de couleur, dans cette image seconde de la Vierge Marie que fut Jeanne d'Arc, quatorze siècles après. L'adolescent a devant lui l'éternité sous la forme charmante, équivoque et obscure de l'avenir. Cette éternité, son éternité le prévient, en l'appelant par son nom, et en lui disant : Travaille au règne de Dieu ; agrandis Dieu dans le temps ; fais-le renaître dans le secret. Il hésite. Il se trouble. Il s'étonne d'avoir été choisi et non pas tel autre. Il sent entre ce qui lui est demandé et ce qu'il peut une immense disproportion. Et néanmoins il se soumet à des desseins incompréhensibles. Une seconde a suffi, et il entre alors dans l'engrenage des événements, qui sont tour à tour et parfois en même temps de joie, de peine et de triomphe.
À l'âge mûr, on voit paraître dans la Vierge le Mystère de la Mère. Considérez par exemple ces fameuses paroles du Christ à la femme qui avait loué sa Mère : Quinimo beati qui audiunt verbum Dei et custodiunt illud.
Ces paroles, quelque dures qu'elles soient, ne devaient pas heurter la Vierge, puisqu'elles mettaient en relief le mystère qui venait de se passer en elle ; la bénédiction liée au sang, à la race, au lait maternel, faisait place à la bénédiction liée à l'esprit, à l'obéissance, à la conversion intérieure en esprit et en vérité. Or, cette substitution est le mystère du cœur maternel. Une mère a tissé un fils d'homme avec une chair particulière ; elle lui a donné une langue particulière, un terroir spécial, une tradition de famille. Forcément, toutes ces choses sont des limites ; si elles demeurent, l'enfant sera enfant toute sa vie, fils de mère, répétant ce qui a été dit devant lui. Une vraie mère doit faire prévaloir sur le lien de chair le lien d'Esprit ; elle doit accepter que ce fils lui soit ravi, pour aller vers d'autres rives, pour parler d'autres langages, tirant des semences familiales certaines conséquences que la famille n'avait pas entrevues. Tel est le mystère de toute éducation familiale, de toute tradition humaine. Il lui faut se briser pour être fidèle.
On pourrait aussi remarquer dans l'existence de la Vierge sa coopération à la vie publique de Jésus-Christ. La vie d'un homme dans sa maturité se déplace presque nécessairement sous le signe de l'incompréhension et de la contradiction. Nous oublions trop que Jésus fut toute sa vie publique un homme poursuivi, obligé de coucher toujours en un lieu différent, un clandestin, un homme traqué par les polices et qui devait même se défier de sa propre famille. L'Évangile le plus ancien, celui de Marc, nous rapporte un trait terrible et qu'on croirait échappé d'un roman de Bernanos ou de Green. Le clan de Jésus vient pour se saisir de lui et le précipiter parce qu'il est « hors de lui-même » ; la Vierge n'a pas pu ne pas les suivre, ces parents qu'elle sait insensés : elle a été obligée de faire comme si elle aussi croyait que Jésus était devenu fou. Et on excipe de son nom pour tirer Jésus de ses entretiens : « Voici ta mère et tes frères qui sont là et te demandent ! » Cette mère est happée entre ses devoirs contraires. Nous saisissons déjà la croix en puissance. Nos temps sont assez clairs pour servir de contexte à ces textes qui, avant 1940, auraient pu paraître excessifs. Nous y voyons une femme mêlée aux secousses de la vie tumultueuse des cités en révolution, obligée de prendre apparemment parti contre celui qu'elle aime, murée, comme la femme du soldat ou du politique, dans le mutisme obligatoire. Silence et Présence, et malgré tout Confiance, c'est le lot de la Femme éternelle à côté de l'homme travailleur. L'homme s'agite et il fait l'histoire, mais la Femme, silencieuse au foyer, attendant le retour de l'homme vainqueur ou blessé pour le refaire et lui donner récréation, ressourcement, je ne dis pas qu'elle fait l'histoire, mais plutôt qu'elle souffre, qu'elle pâtit l'histoire. Et pour que l'histoire soit, qu'elle mérite devant l'Éternel et pour qu'elle enfante dans le temps quelque dessein de cet Éternel, il convient qu'elle soit faite par l'un et qu'elle soit soufferte par l'autre, faite publiquement par l'homme, soufferte silencieusement par la femme. Cela était dans les conditions de l'Incarnation, puisque Celui qui était capable infiniment et de faire l'histoire et de souffrir l'histoire a voulu toutefois qu'une femme issue de son esprit et à laquelle il avait pris sa chair, coopérât à sa Passion.
Je voudrais parler maintenant d'un troisième mystère de l'existence humaine, qui est celui de la vieillesse. Et je m'appuierai ici sur quelques phrases que j'emprunte à nos Lettres. L'une paraît morose : elle est de Sainte-Beuve, qui disait : « On durcit sur certains points, on pourrit sur d'autres, on ne mûrit pas ». Quand on aborde l'âge médian de la vie, on éprouve la difficulté de mûrir, c'est-à-dire de continuer en progressant, sans regret, et sans enfantillage, et de recomposer en soi cette pure et jeune saison qu'est l'automne, saison d'accomplissement, de douceur et de lumière, où la mort vient détacher les fruits sans aucune secousse.
Le second mot que je voulais citer est celui qu'Henry Bordeaux a témoigné avoir recueilli de Barrès : « Quand la jeunesse vous quitte, il faut trouver mieux ». À quoi on pourrait ajouter cette note de V. Hugo sur l'amour des vieillards : « Quand on aime, vieillir, c'est s'identifier ».
Que ces pensées profanes nous aident à pénétrer le mystère de la Vierge Marie, mystère si fécond pour elle, qui va de la Passion à l'Assomption par la Pentecôte et par l'Église. Elle qui a si bien su mûrir. Elle qui a trouvé tellement mieux que la jeunesse. Elle pour qui vieillir a été s'identifier.
Après l'Ascension, on peut dire que la Vierge était morte-vivante. Le reste de ses jours, comme après la mort d'un époux tué à la guerre (je songe ici à Mireille Dupouey), était vraiment une durée de sursis, donnée comme par surcroît et qui appartenait de plein droit aux autres. La Vierge avait plus de raison que Paul à dire ce que celui-ci écrivait aux gens de Philippes : « Je suis tiraillé de deux désirs : ayant le désir de voir ce corps décomposé pour être avec le Christ (ce qui au fond serait bien meilleur pour moi !), ayant aussi le désir de demeurer longuement avec vous, ce qui vous est bien nécessaire... » (Et, pour le noter en passant, quel exercice serait de relire saint Paul en appliquant les expériences de l'Apôtre à la Vierge où elles ont nécessairement plus de densité, de vérité et de profondeur !) La Vierge demeurait donc avec Jean, immobile, pendant que les Onze voyageaient et missionnaient, les gardant dans sa sollicitude. Elle survivait pour l'Église, dont elle avait été l'Image anticipée, dont elle demeurait le sinus enveloppant.
Elle était en cela, vous disais-je, le type de ce que devraient être toute vieillesse, toute fin, toute retraite, tout veuvage, tout épiscopat, tout patriarcat, toute longévité.
Car celui qui survit, survit pour les siens : il devient pour eux source, pain azyme, lumière du soir. Il vieillit dans le temps selon l'apparence, mais selon la réalité il se dépouillé, il jeunit pour la vie éternelle, et il en fait anticiper la présence par ce jeunissement d'esprit.
La tradition rapporte que Jean l'Évangéliste arriva à la plus extrême vieillesse, ce qui était presque annoncé dans son Évangile, où l'on peut lire aussi qu'il fut donné à la Vierge. Il est permis de penser que c'est auprès de la Vierge qu'il apprit cette méthode du ressouvenir en Esprit et en Vérité qui rend son Évangile si spirituel, en même temps que si précis dans ses détails concrets. Et c'est là peut-être la grâce intérieure du vieil âge : recomposer l'enfance, revivre l'âge mûr et retrouver la signification en Dieu des événements de la Vie et des paroles entendues, cela dans une lumière égale et irénique. Jean arrivé au plus grand âge était encore feu, bien que ce feu ne fût plus foudre mais lumière. Il est permis de penser que la Vierge, plus encore, gardait une jeunesse croissante.
En fin de compte, le mystère de la vieillesse consiste en ceci que, tandis que le corps s'affaiblit, l'âme qui n'est pas liée au corps par son fonds et qui relève d'une autre loi, se possède, se purifie et s'allège.
II
Je voudrais maintenant approfondir mon sujet et chercher avec vous si la méditation sur la Vierge ne peut pas nous permettre de cerner le mystère de l'existence dans son principe et dans son terme, en nous plaçant, en deçà même de la naissance, jusqu'à l'origine temporelle et au delà de la mort jusqu'à la glorification du corps. Ceci nous invite à comparer ces mystères que l'on nomme dans le langage théologique l'Immaculée Conception et l'Assomption. Comme il est curieux de voir en la Vierge Marie ce raccourcissement, cette accélération, cette synthèse du Temps historique qui fait qu'en elle nous remontons jusqu'à un état antérieur à la catastrophe adamique, et que nous anticipons également sur l'état terminal et dernier, vers lequel gémit toute créature.
Miroir des divers états de la vie humaine, miroir des divers âges et des diverses phases de cette vie, elle est encore le miroir des mystères abyssaux du commencement et de la fin.
Le mystère du commencement de son être, après avoir été longtemps laissé à la discussion libre des théologiens, a été défini en 1854 sous le terme depuis longtemps classique d'Immaculée Conception. Nous disons, nous affirmons, comme faisant partie du dépôt de la foi, que la Vierge Marie a été conçue, en prévision des mérites du Christ, sans la tache du péché d'origine qui affecte, dans la race adamique, toute naissance. On n'a peut-être pas assez considéré encore quelle lumière, cette affirmation concernant la Vierge peut nous donner sur notre existence. Car, sans tomber dans les excès du jansénisme, nul ne peut contester que l'idée d'un héritage de condamnation pesant sur l'être humain dès sa naissance, ne vienne assombrir l'existence humaine et lui communiquer un caractère douloureux, et presque injuste. Mais précisément, dans la Vierge et dans la Vierge seule, ressuscite l'état premier de la créature, la condition de l'homme telle qu'elle aurait dû être avant le péché. La Vierge est vraiment l'Ève première, l'Ève nouvelle, l'Ève renouvelée et rachetée. Ainsi le voile sombre et lourd qui pesait sur l'existence humaine, du fait même de la naissance et des origines, voici qu'en un seul point, il se déchire et que, par cette seule trouée, apparaît le rayonnement d'une autre lumière. Ici, le péché d'origine se trouve comme soumis, dépassé, vaincu, puisque ce péché n'atteint pas celle qui est vraiment notre Mère selon la grâce, et dont, à ce titre, nous participons. Je ne puis pas développer cette vue comme je le désirerais : qu'il me suffise de dire que, pour la balance des vérités catholiques, de même qu'il ne faut jamais songer à l'Enfer sans penser au Calvaire rédempteur, de même on ne devrait jamais penser au péché d'origine sans penser à l'Immaculée Conception. Et, s'il y a quelque tristesse indéniable, quelque anxiété presque raciale chez nos frères protestants (ou même chez notre Pascal), c'est parce qu'ils n'ont pas pu comprendre à la fois le sombre de l'existence et le lumineux de l'existence, parce qu'ayant fixé le péché, ils n'ont pas encore tiré toutes les conséquences de l'amour ; or l'amour de Dieu pour nous ne se propose jamais mieux que dans l'idée d'une mère ayant en elle une puissance d'éducation divine. Je crois que, plus on réfléchira sur la mariologie, plus on désassombrira l'adamologie, plus on garantira aussi la christologie. Seulement, ces développements demandent plusieurs siècles de pensée et de prière. Et il y a quinze siècles que nous méditons sur le péché originel dans le sillage de saint Augustin. La méditation théologique officielle sur la Vierge est récente ; la définition dogmatique de la Conception a juste cent ans.
L'étude des origines de l'existence conseille d'examiner ce pendant de l'origine qu'est la fin, ce contraire de la naissance qu'est la mort. Il est clair que la méditation sur la Vierge est capable d'éclairer la mort.
Pour bien comprendre ce que c'est que la mort, il faudrait pouvoir séparer ce qui en elle procède du plan de Dieu et ce qui découle en elle de la défaillance de l'homme, comme conséquence du péché. Il faudrait aussi apercevoir que le plan premier, s'il a été modifié à cause de l'expiation, n'a pas été supprimé dans son principe. Et c'est pour cela que la méditation sur la Vierge assumée nous paraît d'un grand secours, Car, plus encore que dans le cas de la Conception, l'idée d'Assomption nous permet ce que Malebranche appelait une expérience métaphysique, en nous faisant voir en un moment privilégié ce qui avait été, ce qui demeure en quelque façon le plan de Dieu sur la vie et sur la mort, sur le passage du temps à l'éternité ; de même, une île émergeant hors des flots est l'organe témoin d'une chaîne primitive.
On entend dire parfois que, dans le premier plan de Dieu, avant le péché, l'homme ne mourrait pas. Prise à la lettre, cette affirmation est impensable. Imaginons en effet une humanité qui se reproduirait, tout en étant incapable de mourir, où il n'y aurait pas de départs, mais sans cesse de nouvelles arrivées ; les ressources de la planète demeurant restreintes, ce serait vite la famine ou l'entremangement. Cela laisse à penser que le premier Adam serait passé de la terre au ciel par une mutation soudaine, sans doute très différente de ce que nous appelons la mort et qui aurait été cependant une métamorphose de la vie temporelle en une vie éternelle sans la séparation de l'âme et du corps.
C'est ici que la croyance en l'Assomption nous aide. Nous voyons dans la Vierge Marie une mort qui n'est cependant pas une mort, mais une sublimation de l'être entier, où tout ce qui est mortel se trouve absorbé dans la vie, où l'espace-temps corporel est emporté dans une sorte de pneumatosphère, transformé en esprit, glorifié sans cesser d'être lui-même.
La philosophie contemporaine a souvent retrouvé sur son chemin l'idée d'intégration, de sublimation. Le fruit ne détruit pas la fleur, il l'intègre ; il la dépasse, mais il la restaure ; il la remplace mais il la sublime. Les organes qui se trouvaient dans la fleur prennent dans le fruit une destination plus haute et plus nécessaire.
Or, quand nous parlons de résurrection de la chair, nous voulons dire : « Je crois que rien de ce qui est en moi, rien de ce qui m'appartient dans l'ordre de la chair, dans l'ordre de ce corps corruptible, de ce visage, de ces mains que d'autres ont tant aimés, dans l'ordre de mes souvenirs historiques, dans l'ordre de mon caractère, de mes goûts temporels, de mes singularités, de ma mission — rien de cela n'est appelé à disparaître et à se néantiser — mais tout cela (et pas seulement mon âme, mon esprit ou mon moi) sera repris et réédifié ; « non dévêtu, mais supervêtu », selon un mode d'existence inimaginable.
Ainsi ne sera pas éternisée seulement l'âme, comme le pensait Platon qui « enlevait, selon saint Thomas, à la gloire du créateur », mais aussi le corps, c'est-à-dire l'enveloppe de l'âme. C'est ce qui se lit sur les tombeaux : Vita mutatur, non tollitur. Or, ces pensées sont exprimées par ce simple mot : ASSOMPTION.
La Vierge est donc l'image, non seulement du Paradis terrestre, c'est-à-dire de l'alpha, mais encore de l'oméga, c'est-à-dire du Paradis céleste. Bien plus, son Assomption est le type même de cette dernière transformation ou transmutation de toute créature (dont les apparitions du Christ ressuscité nous avaient donné une sorte d'expérience), où l'Esprit (le pneuma) viendra se substituer à l'âme (la psyché) comme élément animateur et informateur de la chair et de la matière selon le mot de saint Paul :
On met en terre, comme le semeur, un corps qui avait été informé par une âme et voici que surgit et ressuscite un corps qui est animé par l'Esprit. En ce moment nous portons l'image de l'homme terrestre ; alors nous porterons l'image de l'homme céleste.
III
Dans la première partie de cet exposé, j'avais montré comment la Vierge Marie était pour nous un modèle de la condition humaine temporelle, en tant qu'elle avait vécu les mystères de cette condition virginité, maternité, féminité — adolescence, âge mûr, accomplissement.
Dans une seconde partie, j'ai tenté de m'élever plus haut et de vous faire remarquer qu'elle rachète le temps, en un autre sens, plus méta-historique, parce qu'elle condense le commencement et la fin, parce qu'elle est un mémorial et un anticipateur, qu'elle raccourcit le temps. On pourrait dire que le temps en elle est une draperie dont elle tiendrait dans ses mains les deux bouts ; elle préparerait le moment dernier, où l'étoffe de la durée serait non plus dépliée, déployée, mais au contraire repliée, ramassée et unifiée.
Mais il existe encore un troisième sens plus secret dans lequel on peut dire qu'elle rachète le temps et qu'elle renverse pour ainsi dire son mouvement.
On peut dire, en effet, sans entrer dans les querelles des Écoles, que la loi des existences temporelles est celle de l'évolution en ce sens que les semences deviennent des fleurs et des fruits, que les enfants deviennent des hommes et des vieillards, que la matière primitive des nébuleuses-spirales se concrétise en étoiles, parfois en planètes, que sur ces planètes douées d'atmosphère, les premiers vivants, à peine différenciés au début, se distinguent en espèces de plus en plus organisées ; que les clans primitifs deviennent des tribus, puis des peuples, puis des Empires — que l'Église d'abord résumée dans le sein d'Abraham, puis dans la race d'Israël, se répand après le Christ sur toutes les nations — et d'une manière plus générale que tout, en ce monde historique, passe d'un état primordial d'enveloppement à un état final de déploiement par un développement continu. Appelons cette loi l'évolution.
Or, il existe, du moins en principe, une loi inverse, que Platon avait rêvée dans le fameux mythe du Politique, que Nicodème, dans l'Évangile de saint Jean, énonce avec scepticisme devant Jésus (IV, 4), et qui voudrait que, par un brusque renversement du temps, les vieillards redeviennent des enfants et rentrent dans le sein de leurs mères. Les fruits redeviendraient des fleurs, et les fleurs des semences, comme dans les films invertis. Les planètes rentreraient dans les étoiles et celles-ci dans les spirales originelles. L'histoire se récapitulerait dans ses origines. Appelons cette loi de retour à l'origine, non pas l'évolution, mais l’involution. Est-elle si fantaisiste ?
Il est remarquable qu'il existe, dans cet univers si varié, certains secteurs où l'involution se trouve réalisée. C'est par exemple celui de la vie intérieure, et particulièrement celui de la piété mariale. Le Christ énonçait ce principe d'involution, lorsqu'il disait : « Si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez pas comme de petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux ». Les mystiques ont souvent exprimé la même pensée en plaçant au sommet de la vie spirituelle un état de simplicité, d'enfance, et, comme disait Bergson, dans les Deux Sources, d’innocence acquise.
C'est ici que la médiation de la Vierge peut être favorable. Traduite dans la perspective mariale, la maxime du Christ pourrait s'exprimer de la sorte : « Si vous ne devenez pas semblables à des enfants, issus de la maternité mariale, et enveloppés dans sa sphère, vous entrerez plus difficilement dans le royaume ». Le fond de la vie chrétienne est de comprendre et de réaliser cet état qui dépasse tout désir et qui consiste à être réellement enfants de Dieu. Et l'on peut dire que l'existence nous est donnée pour que nous assimilions, autant qu'il est en nous, ce privilège. Devenir ce que nous sommes, c'est-à-dire, être de plus en plus conscients de cette filiation, en tirer les conséquences dans notre conduite personnelle, vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis des autres hommes nos frères, telle est la signification de la vie humaine. Mais, pour que cette découverte et cette conduite soient possibles, surtout pour qu'aucun temps ne soit perdu, et qu'il y ait sans cesse en nous un silencieux accroissement de lumière et de capacité, la sagesse multiforme et suave du Dieu vivant a disposé des moyens, des secours, des médiations. La plus secrète, quoique la plus commune, est la voie de la mystique mariale, par laquelle l'âme, parcourant les phases du temps comme à rebours, rentre dans le sein de sa mère. Plusieurs spirituels ont observé que la piété mariale obéit à une sorte de loi de simplification dans laquelle les écarts se résorbent, à l'inverse de la croissance normale qui accroît, au contraire, les dissimilitudes. L'homme mûr est plus loin de sa mère que le nouveau-né, le nouveau-né est plus loin que l'embryon... Mais, dans le domaine spirituel où l'homme fait doit redevenir un petit enfant, il aspire à racheter le temps, à retrouver la simplicité initiale.
Ce sont là des perspectives de dévotion sur lesquelles il serait indiscret de s'appesantir. Mais, de même que les systèmes complexes des philosophes traduisent souvent une intuition du sens commun, de même les dévotions les plus subtiles peuvent traduire aussi une vue de la foi. La dévotion mariale de Bérulle, d'Olier, de Jean Eudes ou de Grignion de Montfort explicite et développe le contenu de l'Idée de la Vierge Marie, mère de Dieu et mère des hommes. Le mot et doit ici être spécialement souligné, car il existe une analogie entre ces deux maternités, bien qu'elles n'aient pas le même sens.
La Vierge, mère du Christ, a permis à la nature humaine du Seigneur d'évoluer à partir de la conception jusqu'à la naissance, puis après la naissance, par les soins de l'éducation, jusqu'à l'âge parfait.
La Vierge, mère des âmes qui lui ont été données par le Christ, les aide à se préparer à la vie divine, à devenir ce qu'elles sont : enfants de Dieu. Elle les évoque, elle les enveloppe, elle les rajeunit ; elle les porte en quelque manière dans son sein jusqu'à ce moment de la mort, qui sera celui de leur naissance définitive et véritable.
Et, de même que la Vierge, sous l'action de l'Esprit, par une évolution mystérieuse, a tiré pour ainsi dire le Verbe de l'éternité pour le donner au temps — de même, par une involution mystique, elle nous rassemble hors de la dispersion, elle nous purifie de la corruption, elle nous confère un rajeunissement, une enfance, une pauvreté d'esprit — à la limite, elle nous harmonise, elle nous identifie à nous-mêmes, nous tirant lentement hors de la durée pour nous engendrer à l'éternité.
C'est en ce sens précis que nous parlons ici de sa puissance d'involution, ou d'enveloppement par rapport à nous.
Et ceci nous permet de donner une portée neuve à ces expressions de la prière commune : « Maintenant et à l'heure de notre mort ». Car le passage du temps à l'éternité comporte deux points privilégiés : le nunc qui est lieu de la liberté et l'hora mortis qui est le dernier instant où l'acte de la liberté est possible.
Si la Vierge a rapport avec l'heure de la mort, ce n'est pas seulement parce que cette heure est plus angoissante que toute autre, c'est aussi parce que la mort est l'heure de l'éternelle naissance.
Ici nous retrouvons l'idée de Grignion de Montfort, et de plusieurs spirituels, que la Vierge a rapport avec la fin du temps. On peut certes donner à cette pensée une signification concrète (qui était sans doute celle de Grignion de Montfort), admettre que l'heure filiale approche, et que la Vierge va guider les apôtres des derniers temps. En ce moment, certains croient discerner certains signes annonciateurs d'une fin possible de l'histoire. Mais toute époque en un sens est la dernière, toute époque présente des signes avant-coureurs de ce jour et de cette heure qui sont cachés à tous les hommes, qui l'étaient même au Fils de l'Homme. Ce qui paraît digne d'être retenu, c'est que la Vierge Marie a été pré-ordonnée pour aider, en chacun de nous comme dans l'humanité, la période de l'ultime métamorphose, celle par laquelle tout ce qui existe (et même l'élément matériel et charnel) sera transformé et sublimé, où, comme le dit saint Paul, « ce qui est mortel sera absorbé par la vie ». Là encore, nous retrouvons l'idée de Mère. De même que Marie a été conçue comme la première des Voies divines, et le premier canal, la première enveloppe et le premier moule, de même on peut penser qu'elle participera à ce Moment de récapitulation, de grand retour, de restitution, où se fera par le Christ et en Lui l'oblation suprême, où, pour parler encore avec saint Paul, le mortel ayant revêtu l'immortel, « le Fils se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous ».
* * *
Nous avons voulu montrer dans cet exposé le rapport de la Vierge avec le temps : elle le représente, elle le raccourcit, elle le rachète.
Ce rapport avec le temps a été enseigné mystiquement dès l'origine, dans l'Évangile johannique des Noces de Cana. À sa mère qui lui fait remarquer que le vin manque (ce vin, superflu et pourtant indispensable, de la joie sensible, que la Femme, épouse, fille ou mère, sait disposer), Jésus dit : « Que t'importe ! Mon heure n'est pas encore venue ». Et quand on cherche ce que signifie cette expression d'heure dans l'Évangile de saint Jean, on remarque sa portée. Ainsi, au moment de sa Passion, le Christ dit : Père, voici que l'heure est venue. Et il appelle l'enfantement l'heure de la femme... L'heure est ce moment solennel, arrêté si l'on peut dire de toute éternité, où va se passer quelque événement capital. On comprend que l'heure de la manifestation du Messie ne fût pas venue à Cana, au cours d'un repas de noces et pour un service si futile. Et toutefois, à la demande de la Vierge Marie, le Christ accélère le temps, avance Son heure, satisfait à la hâte des hommes.
La Vierge a donc, on le voit, un singulier rapport avec le temps, comme il était à prévoir, étant la mère, selon la chair, donc selon l'histoire, de celui qui est le Roi du temps, étant le Roi des siècles. Reine du temps, mais aussi reine de ce qui, dans le temps, regarde la vie spirituelle : reine des Kairoi, reine des Hôrai, reine de la précipitation et de l'accélération du temps, puisqu'elle a le pouvoir de le raccourcir et de le rendre plus rapide dans le sens du bien et du salut. Reine de l'autre sentiment que le temps suscite en nous : cette patience qui est son usage en même temps que son fruit. Reine enfin du temps intermédiaire, de ce développement purificateur qui nous rend dignes du ciel et que l'on nomme le purgatoire.
Et c'est précisément parce que la Vierge a un rapport si intime avec le Temps qu'elle est, à mon sens, la figure de l'Église. Qu'est-ce, en effet, que l'Église sinon le nom donné à cette coulée qui commence à Abraham, trouve sa forme plénière dans le Christ, se continue par l'épiscopat uni à Pierre jusqu'à la fin des temps ? Or, la Vierge, à la charnière des temps, représente tout ce passé juif préparatoire dans sa plus haute pureté ; et elle enveloppe après la Pentecôte l'apostolat hiérarchique après avoir reçu à la Croix la mission d'être mère de l'Église en Jean, l'apôtre privilégié. Il est vrai aussi de dire qu'au sens spirituel l'Église est la patrie du renouveau, de la simplification intérieure et qu'alors qu'elle se développe selon la dimension du temps historique, elle involue en quelque sorte les âmes et elle se rajeunit elle-même intimement par un retour à ses sources, chez ses pontifes, ses mystiques et ses docteurs. Par tous ces traits de présence temporelle, il existe entre la Vierge et l'Église une relation intime, qu'il appartiendra sans doute à notre temps de pénétrer davantage, à mesure qu'on approfondira l’œuvre de l'Esprit-Saint, cet inconnu sublime, lien de l'Église, corps du Christ et de la Vierge Pneumatophore. La Vierge et l'Église s'éclairent l'une l'autre, en ce sens que la Vierge est comme une monade privilégiée où le mystère de l'Église, étendu sur la durée historique, s'est figuré, ramassé et accompli. Il n'y a sans doute pas de proposition concernant la Vierge qui n'ait, dans la réflexion sur l'Église, son analogue et son harmonique. Et, inversement, il n'est pas de lumière sur le mystère de l'Église qui ne vienne jeter sa phosphorescence sur le mystère de la Theotokos.
Jean Guitton, in La Vierge Marie

1. Leçon donnée en juillet 1949 au Congrès marial de Rennes.