Chrétiens, nous sommes des voyageurs.
Toute la Bible le dit à partir d'Abraham : « Il s'en alla sans savoir
où il allait ». Au début de notre vie, nous ne savons pas où nous allons.
Au milieu de notre vie, nous ne savons pas comment nous finirons.
Mais nous savons que nous pouvons
toujours marcher avec Dieu. Quelle certitude ! Quel soleil dans n'importe
quelle nuit ! Par la foi, nous tenons la main de Dieu, nous n'avons rien
de plus précieux que la foi : « Par la foi, répondant à l'appel,
Abraham obéit et partit pour un pays qu'il devait recevoir en héritage »
(Hébreux 11, 8). C'est notre grand voyage et, à l'intérieur de celui-ci, tous
nos voyages.
Ou plutôt nos pèlerinages, car le
voyage chrétien n'est pas une route ordinaire, puisqu'il se fait avec Dieu. Et
il est trilogie selon le grand modèle biblique de l'Exode : le départ, la
traversée du désert et l'entrée en Terre promise.
Deux moments festifs encadrant un
moment difficile, c'est la clé de l'existence chrétienne et nous vivons mal
quand nous ne savons pas reconnaître un de ces trois temps.
Un seul sera pure joie : le
grand final, la rencontre, l'entrée dans les soleils d'éternité. On y pense un
peu à vingt ans, beaucoup à partir de soixante-dix ans ; on l'oublie trop
en pleine maturité active. L'Évangile, pourtant, ne cesse de nous rappeler que
nous sommes embarqués. Nous ne saurons ce qu'était la vie, ce qu'était un homme
et qui est Dieu qu'en débarquant sur l'autre rive.
En attendant, il y a les grands et
les petits départs, à la manière de notre père Abraham. À la manière de Jésus,
Verbe éternel quittant le Père pour s'engager dans l'aventure humaine. À la
manière de Marie quittant la très ordinaire vie de Nazareth pour commencer
l'extraordinaire chemin de l'Assomption.
Nous avons nous aussi nos
commencements et, en fait, nous sommes toujours en train de faire nos valises :
le départ du nid pour la maternelle, les débuts d'une vie professionnelle (le
premier salaire !), le mariage, la paternité, la vocation religieuse et
nos cent départs, changements de vie, voyages-vacances, voyages-famille. Ils
sont le plus souvent des exodes joyeux, des appels à s'ouvrir à d'autres
frères, d'autres réalités de la vie. Qui n'est pas souple au changement n'est
pas fait pour la vie.
La partie longue de la route est
souvent la traversée d'un désert. Une chose importante que les jeunes doivent
apprendre : partout les attend l'épreuve de la durée. Même pour une simple
croisière de plaisir, après l'excitation du départ, il y a les incidents, les
petites déceptions, les ennuis physiques, les gens désagréables.
À plus forte raison, la croisière de
l'existence exige cette endurance dont nous parlent tant les lettres des
apôtres. Tenir ! Un homme est un homme dans la mesure où il tient. C'est
moins glorieux que les grands rires des départs et les émerveillements des
arrivées, mais les longues patiences sont aussi notre grandeur.
Elles, surtout, tiennent la main de
Dieu. Traversée du deuil, de la solitude, de la maladie, avancée vers la
dernière escale. Quand Dieu appelle et que nous nous lançons vers une autre
rive, c'est toujours une offre de traversée dans les eaux de la foi.
André Sève, in Mes quatre saisons