vendredi 14 septembre 2018

En jalonnant... RP Doncœur, Rayonnement du Christ



Gratuité et fierté sont les deux mots qu'il faut inscrire au seuil de ce dernier chapitre.
Nous sommes du Christ, fils de l’Église. Nous avons le bonheur d'être insérés sur la plus authentique, sur la plus ancienne tradition spirituelle de la France. Nous respectons trop les dons de Dieu pour en vouloir disposer d'autorité. Notre collaboration avec les non-chrétiens sera de fraternelle et parfaite courtoisie. Nous admirerons qu'ils nous dépassent parfois et nous apprendrons d'eux à mieux exploiter le don que Dieu nous a fait de la vérité et de la grâce. Nous nous garderons surtout de toute politique sournoise qui poursuivrait des fins non avouées et les servirait par des voies sans droiture. Mais nous aurions également honte de dissimuler ce que nous devons au Christ et à son Église, de sembler désavouer, ne serait-ce que par le silence, son Évangile. C'est pour pouvoir affirmer notre foi avec fierté que nous requérons de nous le plus loyal désintéressement. Ceci posé, nous n'hésitons pas à affirmer au plus grand jour notre foi au Christ et les attitudes pratiques qu'elle comporte.
Combien notre peuple est aujourd'hui déchristianisé et combien sont graves les conséquences de cette apostasie, il n'y a pas à le dissimuler à de jeunes chrétiens qui arrivent à l'âge des options personnelles. Il n'y a pas lieu de craindre un scandale, puisque le fait ne leur échappe pas. Mais il est excellent de le leur faire mesurer et analyser. Combien notre vie publique est étrangère à la pensée de Dieu et de l’Évangile ; combien notre vie mondaine et bourgeoise, dans les milieux dits catholiques, est en opposition avec l'enseignement de Jésus Christ ; combien notre religion est sentimentale, routinière et souvent peu intelligente ; combien il s'en faut que nous en soyons fiers comme il se devrait ! Des constatations provocantes amorceront une recherche des causes de cette infidélité (Exploration de l'Histoire, enquête sur l'état présent du pays, discernement des courants spirituels qui travaillent la pensée de nos contemporains).
Nous ne craindrons pas de leur ouvrir les yeux sur nos insuffisances individuelles ou corporatives qui font le scandale d'esprits loyaux qui, par notre faute, sont rejetés loin de l'Église.
En revanche, nous observerons les ruines morales ou sociales, les déchéances personnelles ou nationales qui résultent de l'abandon d'un christianisme viril.
2° Sur l'angoisse ainsi éveillée, il deviendra possible d'exciter dans des cœurs loyaux et prévenus de la grâce, une faim exigeante de lumière en quoi consiste le passage d'une adhésion subie à une foi choisie. Et c'est l'objet central de la foi chrétienne, c'est-à-dire la personne du Christ, que nous travaillerons à leur faire discerner. Dans les temps tragiques où ils vivent, on ne peut guère concevoir que des chrétiens demeurent fidèles, avec joie et fierté, s'ils n'ont pas fait cette découverte personnelle du Christ, sur quoi toute leur vie reposera.
Le rôle du prêtre auprès de nos jeunes chrétiens est de les amener à se poser la question, puis de les aider par une pédagogie respectueuse et cordiale à discerner les traits humains de Jésus Christ, dont peu à peu la transcendance leur apparaîtra comme le rayonnement voilé de la divinité.
Comme historiquement a agi le Christ, vivant le plus humainement dans les contacts quotidiens avec les gens de son village, puis se proposant à l'amitié de jeunes hommes et leur découvrant progressivement la splendeur, l'audace, la puissance de son message, pour, après de lentes préparations, les conduire à la croix, où il savait que tout s'écroulerait, sauf une secrète adhésion que le Saint Esprit ferait bientôt radieuse et conquérante ; ainsi nous ne pourrons mieux faire que de suivre avec nos garçons les chemins de la vie et de confronter leur expérience des hommes, voire leur propre détresse, avec les paroles du Christ, ou Ses actes, dont ils saisiront soudain la portée.
Lorsqu'ils seront fortement accrochés, virilement, intellectuellement plus que sentimentalement, à leur Maître, nous pourrons et nous devrons les introduire dans la connaissance du Mystère : paternité divine, communion au Christ dans l'Esprit Saint, toute l'économie de la grâce et de la vie sacramentaire dans le Christ mystique incarné dans l'Église. Mais nous n'oublierons pas que saint Paul lui-même n'a abouti à cette connaissance qu'après le choc de Damas, suivi d'années de prière, de contemplation, de grâces mystiques extraordinaires. Nous ne serons pas surpris que plusieurs ne s'ouvrent que tardivement à ces vérités.
Au préalable, il sera plus aisé et plus juste d'apprendre à nos garçons à se faire un cœur vraiment chrétien, à s'identifier vitalement au Christ, à le reproduire, non par une copie extérieure, mais par une inspiration profonde de son esprit ; à juger du monde, des événements à cette lumière, et à porter leur témoignage sans peur.
Car il est inconcevable qu'un chrétien de cette trempe ne fasse pas resplendir dans toute sa vie la grâce dont il est pénétré. Telle est la plus juste forme du témoignage. C'en est la plus humble, mais aussi la plus efficace.
Il sera beau que ces jeunes chrétiens apportent à la communauté chrétienne, à la paroisse, la sève de leur foi vivace : que par eux le culte de Dieu reprenne splendeur et fraîcheur ; qu'ils renouvellent la liturgie si souvent avilie, ennuyeuse, efféminée, par un style cérémonial, par une qualité du chant et en général par de beaux et hardis « Retours en chrétienté ». La tradition chrétienne des baptêmes, fiançailles, mariages, funérailles, débarrassés des formes mondaines et rendus à leur vérité primitive, sera pour nos jeunes hommes beaucoup plus qu'une joie personnelle, elle apportera de plus en plus à la paroisse une vitalité féconde. Il y aura encore beaucoup à redécouvrir dans cet ordre : célébration des fêtes, cycle du temps, fêtes saisonnières, rogations, fêtes des Mères, du travail, fêtes nationales, etc.
Il faut surtout qu'ils créent dans la communauté chrétienne cette atmosphère d'amitié fraternelle qui rendra du courage à beaucoup (à commencer par les prêtres), qui fera plaisir à Dieu et qui exercera autour de nous une séduction très puissante. Le « Voyez, comme ils s'aiment ! » a attiré plus de païens au Christ que les traités savants des Apologètes.
Leur action sera beaucoup plus orientée vers la charité opérante que vers la dispute ou l'éloquence. C'est ici que l'héroïsme, si connaturel à la véritable jeunesse, retrouvera sa place, si l'amour du Christ inspire à nos garçons des générosités et des hardiesses qui briseront avec l'égoïsme bourgeois où se meurt notre christianisme. Il sera bon d'être en éveil pour leur proposer des réalisations un peu aventurées au delà des positions de tout repos : l'hospitalité, par exemple, aura dans ce temps des occasions nombreuses d'affirmer que des chrétiens croient à la parole du Christ : « Qui vous reçoit me reçoit ».
À de jeunes hommes on peut proposer une charité encore plus fidèle aux enseignements du Christ : celle d'une loyale et pure amitié donnée aux pécheurs, à ceux qui ne sont pas de la paroisse, aux non-croyants, aux égarés, aux déchus, aux bannis. Ils y gagneront beaucoup plus qu'ils ne risqueront d'y perdre. Leur foi y trouvera souvent le choc violent qui les conduira droit au Christ vivant et parfois jusqu'au sacerdoce.
Il est clair qu'instruits par l'Église des doctrines sociales qui conditionnent l'ordre et la prospérité des sociétés, nos jeunes chrétiens devront, dans leur famille (leur femme leurs enfants, leurs domestiques, leurs amis et leurs voisins), dans leur métier, dans la cité, faire agir et triompher les vérités de l'Évangile, dans la justice, dans l'amour, dans le sacrifice de chacun au bien de tous, et enfin dans l'offrande de toute la communauté terrestre aux fins qui la dépassent : la Rédemption du monde et la Gloire de Dieu.
Les prêtres nés de nos mouvements de jeunesse achèveront l'effort de leurs frères, et ceux qui — nombreux, plus nombreux — partiront dans les pays païens comme missionnaires du Christ, donneront à la France le gage le plus sûr de sa durée, en même temps qu'ils seront le plus beau fruit de son peuple. Nous dépassons ici tout l'ordre des événements temporels qui nous attristent ou nous enivrent, qui nous occupent à l'excès ; des œuvres du temps nous atteignons aux œuvres éternelles. Avec Péguy, aux pires heures, la pensée qui fera notre force sera de savoir « qu’il y va du salut éternel de la France ».
Ce sera la force et ce sera la joie de notre vie.
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À chacun d'imaginer ce qui incarnera authentiquement les belles intentions qui deviendront, dans des entreprises proportionnées à ses moyens, la réalité d'une France rajeunie et vivante.
Soyez sûrs qu'alors de belles maisons se bâtiront et se rassembleront pour offrir à Dieu un beau Pays, digne du bon Peuple Jardinier, du Peuple qui a fait la Croisade et les Cathédrales.
Révérend Père Paul Doncœur, in Jalons de route