vendredi 19 juin 2015

En byzantinant... Divine liturgie de saint Jean Chrysostome

[ndvi] Dans sa Lettre Apostolique Orientale Lumen saint Jean-Paul II cite, parmi les voies pour progresser dans l'unité avec nos frères orthodoxes, la connaissance "des Liturgies des Églises d'Orient". J'ai eu la chance de participer, à Fribourg, à une messe catholique et byzantine. Je fus émerveillé ! Et un peu étonné par le fait que les réformateurs liturgiques d'après Vatican II ne s'en soient pas plus inspirés... On peut noter par exemple le "vrai" rôle du diacre, la singularisation (le prêtre nomme le lecteur, nomme les communiants...), la litanie de communion, la prière de communion que chacun proclame.

[...]
Canon eucharistique
Diacre. — Debout. Tenons-nous avec crainte. Soyons attentifs afin d’offrir en paix la sainte oblation.
Tous. — L’offrande de paix, le sacrifice de louange.
Le prêtre bénit le peuple depuis les portes royales : + Que la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint Esprit soient toujours avec vous.
Tous. — Et avec ton esprit.
Prêtre. — Élevons nos cœurs.
Tous. — Nous les élevons vers le Seigneur.
Prêtre. — Rendons grâce au Seigneur.
Tous. — Il est digne et juste d'adorer le Père et le Fils et le Saint Esprit, Trinité consubstantielle et indivisible.
Le diacre ferme les portes royales. Le prêtre revient à l’autel et récite à haute voix la prière de l’anaphore :
Prêtre. — Il est digne et juste de te chanter, de te bénir, de te louer, de te rendre grâce, de t’adorer en tout lieu de ta domination, car tu es un Dieu inexprimable, incompréhensible, invisible, insaisissable, existant de toute éternité, identique à toi-même, toi, ton Fils Unique et ton Esprit Saint.
C’est toi qui nous as conduits du non-être à l’être, qui nous as relevés après la chute et qui ne cesses de tout faire pour nous ramener au ciel et nous donner ton Royaume à venir.
Pour tout cela nous te rendons grâce, à toi, à ton Fils Unique et à ton Esprit Saint, pour tout ce que nous savons et pour tout ce que nous ignorons, pour les bienfaits visibles ou invisibles que tu as répandus sur nous.
Nous te rendons grâce aussi pour cette liturgie que tu daignes recevoir de nos mains, bien que tu sois servi par des milliers d’archanges, des myriades d’anges, par les chérubins et les séraphins aux six ailes et aux innombrables yeux, qui volent, sublimes, dans les hauteurs.
Chantant, clamant, criant l’hymne de la victoire et disant…
Le diacre enlève l’astérisque de dessus la patène, frappant légèrement les bords en signe de croix, le plie puis le dépose sur l’autel.
Tous. — Saint, Saint, Saint, le Seigneur Sabaoth. Les cieux et la terre sont remplis de ta gloire (Is 6, 3).
Hosanna au plus haut des cieux. Béni est celui qui vient au nom du Seigneur.
Hosanna au plus haut des cieux (Mt 21, 9).
Anaphore
Le prêtre poursuit à mi-voix puis à haute voix la prière de l’anaphore :
Prêtre. — Et nous aussi, avec ces puissances bienheureuses, Maître ami des hommes, nous clamons et nous disons :
Tu es Saint, parfaitement Saint, toi, ton Fils Unique et ton Esprit Saint.
Tu es Saint, parfaitement Saint, et ta gloire est magnifique.
Toi qui as aimé le monde jusqu’à donner ton Fils Unique, afin qu’aucun de ceux qui croient en lui ne périsse, mais possède la vie éternelle.
Et lui, étant venu, ayant accompli tout ton dessein en notre faveur, la nuit où il fut livré ou plutôt se livra lui-même pour la vie du monde, il prit du pain dans ses mains saintes, pures et immaculées, rendit grâce, le bénit +, le sanctifia, le rompit et le donna à ses saints disciples et apôtres en disant…
Le prêtre montre le pain de sa main droite ; le diacre en fait autant avec l’étole.
Prêtre. — Prenez et mangez, ceci est mon Corps qui est rompu pour vous en rémission des péchés (Mt 26, 26 ; 1 Co 11, 24).
Tous. — Amen.
Prêtre. — De même après le repas, il prit la coupe + en disant…
Le prêtre et le diacre montrent le calice.
Prêtre. — Buvez en tous, ceci est mon Sang, le Sang de la Nouvelle Alliance, qui est répandu pour vous et pour un grand nombre en rémission des péchés (Mt 26, 27-28 ; 1 Co 11, 25).
Tous. — Amen.
Le diacre, croisant les mains, prend la patène de la main droite et le calice de la main gauche, puis les élève, en faisant un signe de croix au-dessus de l’autel.
Prêtre. — Faisant donc le mémorial de ce commandement salutaire et de tout ce qui a été fait pour nous : de la Croix, du Sépulcre, de la Résurrection, de l’Ascension aux cieux, du Siège à la droite du Père, du second et glorieux Avènement, ce qui est à toi, le tenant de toi, nous te l'offrons en tout et pour tout.
Chœur. — Nous te chantons, nous te bénissons, nous te rendons grâce, Seigneur, et nous te prions, ô notre Dieu.
Épiclèse
Les célébrants font trois inclinations.
Prêtre. — Ô Dieu, purifie-moi, pécheur.
Le prêtre élève les mains et dit : Seigneur, qui à la troisième heure as envoyé ton Esprit Saint sur les apôtres, ne le retire pas de nous, ô Plein de bonté, et renouvelle nos âmes, nous qui t’implorons.
Diacre. — Ô Dieu, crée en moi un cœur pur, renouvelle un esprit droit dans mes entrailles (Ps 50, 12).
Ils s’inclinent.
Prêtre. — Seigneur, qui à la troisième heure as envoyé ton Esprit Saint sur les apôtres, ne le retire pas de nous, ô Plein de bonté, et renouvelle nos âmes, nous qui t’implorons.
Diacre. — Ne me rejette pas loin de ta Face, ne me retire pas ton Esprit Saint (Ps 50, 13).
Ils s’inclinent.
Prêtre. — Seigneur, qui à la troisième heure as envoyé ton Esprit Saint sur les apôtres, ne le retire pas de nous, ô Plein de bonté, et renouvelle nos âmes, nous qui t’implorons.
Ils s’inclinent.
Prêtre. — Nous t’offrons encore ce culte spirituel et non sanglant et nous t’invoquons, nous te supplions et nous te prions : envoie ton Esprit Saint sur nous et sur les dons ici présents.
Le diacre désigne le pain avec l’étole : Bénis, père, le pain sacré.
Le prêtre bénit le pain : + Et fais de ce pain le Corps précieux de ton Christ.
Tous. — Amen.
Le diacre désigne le calice : Bénis, père, le saint calice.
Le prêtre bénit le calice : + Et de ce qui est dans ce calice le Sang précieux de ton Christ.
Tous. — Amen.
Le diacre, désignant les saints dons : Bénis, père, l’un et l’autre.
Le prêtre les bénit ensemble en disant : + En les changeant par ton Esprit Saint.
Tous. — Amen. Amen. Amen.
Le diacre incline la tête devant le prêtre et dit : Souviens-toi de moi, père saint.
Prêtre. — Que le Seigneur se souvienne de toi dans son Royaume, en tout temps, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Diacre. — Amen.
Le prêtre continue la prière eucharistique.
Prêtre. — Afin qu’ils deviennent pour ceux qui les reçoivent purification de l’âme, rémission des péchés, communion du Saint Esprit, plénitude du Royaume des cieux, gage de confiance en toi et non jugement ou condamnation.
Diptyques
Prêtre. — Nous t’offrons aussi ce culte spirituel pour tous ceux qui reposent dans la foi, ancêtres, pères, patriarches, prophètes, apôtres, prédicateurs, évangélistes, martyrs, confesseurs, ascètes, et pour tout esprit juste décédé dans la foi.
Il encense les saints dons, disant à haute voix : Et en premier lieu pour la toute sainte, toute pure, bénie par-dessus tout, notre glorieuse Souveraine la Mère de Dieu et toujours Vierge Marie.
Hymne à la mère de Dieu
Chœur. — Il est digne en vérité de te célébrer, ô Mère de Dieu, bienheureuse et très pure et Mère de notre Dieu.
Toi plus vénérable que les chérubins et incomparablement plus glorieuse que les séraphins, qui sans corruption enfantas Dieu le Verbe, toi, véritablement Mère de Dieu, nous te magnifions.
Le prêtre donne l’encensoir au diacre qui encense lentement tout autour de l’autel en récitant les diptyques. Le prêtre continue à voix basse : Pour saint Jean Baptiste, prophète et précurseur, pour les saints, glorieux et illustres apôtres, pour saint N... dont nous célébrons la mémoire en ce jour et pour tous les saints ; par leurs prières, ô Dieu, abaisse sur nous ton regard.
Et souviens-toi de tous ceux qui se sont endormis dans l’espérance de la résurrection et de la vie éternelle, et particulièrement de N…, et fais-les reposer là où resplendit la Lumière de ta Face.
Nous te prions encore : souviens-toi, Seigneur, de tout l’épiscopat, de ceux qui dispensent fidèlement ta Parole de Vérité, de tous les prêtres, des diacres dans le Christ, de tous les ordres sacrés. Nous t’offrons encore ce culte spirituel pour l’univers tout entier, pour ta sainte Église catholique et apostolique, pour ceux qui mènent une vie pure et honorable, pour notre patrie et ceux qui nous gouvernent : accorde-leur, Seigneur, de gouverner en paix, afin que nous aussi, jouissant de la tranquillité qu’ils nous assurent, nous menions une vie calme et paisible en toute piété et dignité.
Puis à haute voix : Souviens-toi, Seigneur, en premier lieu, de notre pape N…, de notre métropolite N..., de notre évêque N..., accorde-leur pour ta sainte Église de demeurer en paix, en bonne santé et dans l’honneur, vivant de longs jours et dispensant fidèlement la Parole de ta Vérité. Souviens-toi, Seigneur, de tous et de tout.
Là où c'est l'usage, le diacre, devant les portes royales, proclame : Souviens-toi, Seigneur, de celui qui offre ces saints dons, le très pieux prêtre N..., pour le salut et la protection du peuple qui nous entoure, et en particulier pour tes serviteurs et tes servantes NN..., et de toutes les intentions de chacun, et de tous et de tout.
Tous. — Et de tous et de tout.
Prêtre. — Souviens-toi, Seigneur, de la cité que nous habitons, de toute ville, de tout pays et des fidèles qui y demeurent. Souviens-toi, Seigneur, des navigateurs, des voyageurs, des malades, des affligés, des captifs et de leur salut à tous. Souviens-toi, Seigneur, de ceux qui portent des fruits et font le bien dans tes saintes Églises, de ceux qui se souviennent des pauvres, et envoie sur nous tous tes miséricordes.
Et il conclut l’anaphore à haute voix : Et donne-nous de glorifier d’une seule bouche et d’un seul cœur ton Nom honorable et magnifique, Père, Fils et Saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Tous. — Amen.
Et se tournant vers le peuple, il le bénit : + Que les miséricordes de notre Grand Dieu et Sauveur Jésus Christ soient avec vous tous.
Tous. — Et avec ton esprit.
Litanie de communion
Diacre. — Ayant fait mémoire de tous les saints, encore et encore en paix prions le Seigneur.
Tous. — Kyrie eleison.
Diacre. — Pour les dons précieux qui ont été offerts et sanctifiés, prions le Seigneur.
Tous. — Kyrie eleison.
Diacre. — Pour que notre Dieu, ami des hommes, qui a reçu ces dons à son autel saint, céleste et spirituel, nous envoie en retour la divine grâce et le don du Saint Esprit, prions le Seigneur.
Tous. — Kyrie eleison.
Diacre. — Pour être délivrés de toute affliction, colère, péril et nécessité, prions le Seigneur.
Tous. — Kyrie eleison.
Diacre. — Secours-nous, sauve-nous, aie pitié de nous et garde-nous, ô Dieu, par ta grâce.
Tous. — Kyrie eleison.
Diacre. — Que ce jour entier soit parfait, saint, paisible et sans péché, demandons au Seigneur.
Tous. — Accorde, Seigneur !
Diacre. — Un ange de paix, guide fidèle, gardien de nos âmes et de nos corps, demandons au Seigneur.
Tous. — Accorde, Seigneur !
Diacre. — Pardon et rémission de nos péchés et de nos transgressions, demandons au Seigneur.
Tous. — Accorde, Seigneur !
Diacre. — Ce qui est bon et utile à nos âmes et la paix pour le monde, demandons au Seigneur.
Tous. — Accorde, Seigneur !
Diacre. — Pour achever le reste de notre vie dans la paix et le pénitence, demandons au Seigneur.
Tous. — Accorde, Seigneur !
Diacre. — Une fin chrétienne, sans douleur, sans honte, paisible, et notre justification devant son trône redoutable, demandons au Seigneur.
Tous. — Accorde, Seigneur !
Diacre. — Ayant demandé l’unité de la foi et la communion du Saint Esprit, confions-nous nous-mêmes, les uns les autres, et toute notre vie au Christ notre Dieu.
Tous. — À toi, Seigneur.
Prêtre. — Nous te confions notre vie toute entière et notre espérance, Seigneur, ami des hommes, et nous t’invoquons, te prions, te supplions de nous rendre dignes de recevoir les célestes et redoutables Mystères de cette table sacrée et spirituelle, avec une conscience pure, pour la rémission de nos péchés et le pardon de nos transgressions, pour la communion du Saint Esprit et l’héritage du Royaume des cieux, comme gage de confiance en toi, et non pour notre jugement et notre condamnation.
Et rends-nous dignes, Maître, d’oser avec confiance et sans condamnation te nommer Père, toi le Dieu du ciel, et dire :
Tous. — Notre Père qui es aux cieux, que ton Nom soit sanctifié, que ton règne arrive, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ("substantiel") et remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs, et ne nous soumets pas à l’épreuve mais délivre-nous du malin.
Prêtre. — Car à toi appartiennent le règne, la puissance et la gloire, Père, Fils et Saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Tous. — Amen.
Prêtre. — + Paix à tous.
Tous. — Et à ton esprit.
Diacre. — Inclinez la tête devant le Seigneur.
Tous. — Devant toi, Seigneur.
Prêtre. — Nous te rendons grâce, ô Roi invisible, toi qui as tout créé par ta puissance infinie et qui, dans l’abondance de ta miséricorde, as conduit toute chose du non-être à l’être.
Regarde du haut du ciel ceux qui inclinent leurs fronts devant toi. Ce n’est pas devant la chair et le sang qu’ils les ont inclinés, mais devant toi, Dieu redoutable.
Toi donc, Seigneur, partage entre nous tous et pour notre bien, selon les besoins de chacun, les dons ici présents.
Navigue avec les navigateurs, fais route avec les voyageurs, guéris les malades, ô médecin de nos âmes et de nos corps.
Par la grâce, les miséricordes et l’amour pour l’homme de ton Fils Unique, avec lequel tu es béni, ainsi que ton Saint, Bon et Vivifiant Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Le diacre croise son étole sur les épaules.
Tous. — Amen.
Prêtre. — Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu, regarde-nous de ta sainte demeure, du trône glorieux de ton Royaume, et viens nous sanctifier, toi qui sièges en haut avec le Père et qui es ici invisiblement présent avec nous.
Daigne nous distribuer de ta main puissante ton Corps immaculé et ton Sang précieux, et par nous à tout ton peuple.
Le diacre s’incline trois fois en disant à voix basse : Ô Dieu, purifie-moi, pécheur, et aie pitié de moi.
Élévation, Fraction et Immixtion
Le diacre proclame : Soyons attentifs.
Le prêtre élève le Pain sacré et dit à haute voix : Les Choses Saintes aux saints.
Tous. — Seul est Saint, seul est Seigneur : Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père. Amen (1 Co 8, 6 et Ph 2, 11).
Louez le Seigneur des cieux, louez-le dans les lieux très hauts (Ps 148, 1).
Alléluia, alléluia, alléluia.
Le diacre rentre dans le sanctuaire et le chœur chante l’hymne de communion propre au jour ou à la fête.
Diacre. — Romps, père, le Pain sacré.
Le prêtre rompt le Pain sacré en quatre parcelles suivant les incisions faites à la préparation, disant à voix basse :
Prêtre. — L’Agneau de Dieu est fractionné et partagé, le Fils du Père, il est fractionné sans être divisé, partout mangé et jamais épuisé, mais il sanctifie ceux qui le reçoivent.
Puis il dépose les parcelles sur la patène en forme de croix : IC en haut, NI à sa gauche, KA à sa droite, XC en bas. Le diacre montre avec son étole le calice et dit à voix basse :
Diacre. — Remplis, père, le saint calice.
Le prêtre prend la parcelle du Pain marquée des lettres IC, fait avec elle le signe de croix au-dessus de la coupe, puis l’y laisse tomber en disant : Plénitude du Saint Esprit.
Diacre. — Amen.
Le diacre prend le zéon (eau bouillante) et il le présente au prêtre, disant : Bénis, père, le zéon.
Prêtre. — + Bénie soit la chaleur de ta sainteté, en tout temps, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.
Le diacre verse quelques gouttes du zéon dans le calice : Chaleur de la foi pleine du Saint Esprit.
Le prêtre prend la parcelle du Pain portant les lettres XC et la fractionne avec la lance en autant de parcelles qu'il y a de concélébrants. Tous les célébrants se prosternent devant l’autel en disant :
Prêtre & Diacre. — Oublie, remets, purifie, pardonne, ô Dieu, toutes nos transgressions volontaires et involontaires, commises en paroles ou en actes, connues et ignorées, pardonne-les-nous car tu es bon et ami des hommes.
Après s’être relevés, ils se saluent mutuellement et s’inclinent devant le peuple en disant :
Prêtre & Diacre. — Pardonnez-moi, père et frères.
Communion du clergé
Le chœur chante les versets de communion.
Prêtre. — Approche, diacre N...
Le diacre vient à la gauche du prêtre : Voici que je m’approche du Christ, Roi immortel et notre Dieu.
Donne-moi, père, le très précieux et saint Corps du Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ, pour la rémission de mes péchés et la vie éternelle.
Le prêtre donne au diacre une parcelle de Pain sacré en disant à voix basse : Le précieux et très saint Corps de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ est donné à toi, diacre N..., pour la rémission de tes péchés et la vie éternelle.
Le diacre reçoit la parcelle dans le creux de la main droite croisée sur la gauche, baise la main de celui qui le communie et se rend derrière l’autel où il communie. Le clergé et les fidèles récitent la prière pour la communion :
Tous. — Je crois, Seigneur, et je confesse que tu es en vérité le Christ, le Fils du Dieu vivant, venu dans le monde pour sauver les pécheurs dont je suis le premier. Je crois encore que ceci même est ton Corps immaculé, et cela même ton Sang précieux. Je t’en prie donc, aie pitié de moi. Pardonne-moi mes fautes volontaires et involontaires, commises en paroles, en action, sciemment et par inadvertance. Et juge-moi digne de communier, sans mériter condamnation, à tes Mystères immaculés, pour la rémission de mes péchés et la Vie éternelle.
À ta mystique et sainte Cène, en ce jour, ô Fils de Dieu, donne-moi de participer. Devant tes ennemis je  ne dévoilerai pas tes Mystères et je ne te donnerai pas un baiser comme Judas. Mais comme le larron je m’écrie : souviens-toi de moi, Seigneur, dans ton Royaume !
Que la participation à tes saints Mystères, Seigneur, n’entraîne pour moi ni jugement ni condamnation, mais guérison de mon âme et de mon corps.
Amen.
Le prêtre prend une parcelle du Pain sacré en disant : Serviteur de Dieu et prêtre N..., je communie au précieux et très saint Corps du Seigneur Jésus-Christ pour la rémission de mes péchés et la vie éternelle.
Et il communie. Puis il prend dans ses deux mains le calice avec son voile et dit à voix basse : Serviteur de Dieu et prêtre N..., je communie au très saint et précieux Sang du Seigneur notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, pour la rémission de mes péchés et la vie éternelle.
Il boit par trois fois, il essuie ses lèvres et le calice avec le voile, baise le calice en disant : Ceci a touché mes lèvres, mes iniquités seront enlevées et mes péchés effacés (Is 6, 7).
S’il y a plusieurs prêtres concélébrants, ils communient au saint Sang à droite de l’autel, de la même manière que le célébrant, avant les diacres. Puis le célébrant invite le diacre : Approche encore, diacre N...
Le diacre, contournant l’autel, vient à la droite du prêtre : Donne-moi, père, le très saint et précieux Sang du Seigneur notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ pour la rémission de mes péchés et la vie éternelle.
Le prêtre lui donne par trois fois à boire au calice en disant : Le très saint et précieux Sang du Seigneur notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ est donné à toi, diacre N..., pour la rémission de tes péchés et la vie éternelle.
Il essuie ses lèvres au voile. Le prêtre lui dit : Ceci a touché tes lèvres, tes iniquités seront enlevées et tes péchés effacés.
Le prêtre met ensuite dans le calice les parcelles destinées à la communion des fidèles ; il recouvre le calice du voile de communion sur lequel il pose la cuiller.
Communion des fidèles
Le diacre reçoit le calice, se rend aux portes royales et, l’élevant, il invite le peuple en proclamant :
Diacre. — Avec crainte de Dieu, foi et amour, approchez (Ps 17, 26).
Chœur. — Béni est celui qui vient au nom du Seigneur (Lc 19, 38).
Le Seigneur Dieu nous est apparu (Ps 117, 27).
Le chœur chante pendant la communion des fidèles :
Chœur. — Recevez le Corps du Christ, buvez à la Source immortelle. Je recevrai la coupe du Salut, j’invoquerais le Nom du Seigneur.
Le prêtre donne la communion à chaque fidèle en disant :
Prêtre. — Serviteur (servante) de Dieu N..., reçois le Corps et le Sang de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ pour la rémission de tes péchés et la vie éternelle.
La communion terminée, le prêtre dit avant de retourner dans le sanctuaire :
Prêtre. — Ceci a touché vos lèvres, vos iniquités sont enlevées et vos péchés effacés.
Chœur. — Alléluia, alléluia, alléluia.
Prières après la communion
Le prêtre pose le calice sur l’antimension. Le prêtre se retourne vers le peuple et le bénit :
Prêtre. — + Ô Dieu, sauve ton peuple et bénis ton héritage.
Au temps pascal, le chœur chante le tropaire de Pâques, durant l’octave de l’Ascension le tropaire de l’Ascension, et aux autres temps :
Chœur. — Nous avons vu la vraie Lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la foi véritable. Adorons l’indivisible Trinité, car c’est Elle qui nous a sauvés.
Le diacre dépose dans le calice les parcelles restées sur la patène, disant là où c'est l'usage :
Diacre. — Ayant vu la résurrection du Christ, adorons le saint Seigneur Jésus, seul sans péché.
Nous vénérons ta Croix, ô Christ, nous chantons et glorifions ta sainte résurrection. Car tu es notre Dieu, nous n’en connaissons pas d’autre et c’est ton Nom que nous invoquons.
Venez, tous les fidèles, adorons la sainte résurrection du Christ. C’est par la Croix que la joie est venue dans le monde entier.
Bénissons sans cesse le Seigneur et chantons sa résurrection. Il a souffert pour nous la Croix et par sa Mort il a détruit la mort.
Resplendis, resplendis, nouvelle Jérusalem, car sur toi la gloire du Seigneur s’est levée. Réjouis-toi et exulte, Sion.
Et toi, Mère de Dieu très pure, réjouis-toi, car ton Fils est ressuscité.
Ô Pâque grande et sacrée, ô Christ, ô Sagesse, Verbe de Dieu et Force, accorde-nous en vérité de demeurer en communion avec toi, au jour sans crépuscule de ton Royaume.
Le diacre essuie soigneusement la patène au-dessus du calice avec l’éponge (ou le voile de communion) :
Diacre. — Lave, Seigneur, par ton Sang précieux et les prières de tes saints, les péchés de ceux dont il a été fait mémoire ici.
Le prêtre encense trois fois les saints Dons en disant à voix basse :
Prêtre. — Sois exalté, ô Dieu, par-dessus les cieux, et que ta gloire recouvre toute la terre.
Le prêtre donne la patène au diacre, prend le calice et dit à voix haute : Béni soit notre Dieu...
Puis, se tournant vers le peuple, il élève le calice en disant : …en tout temps, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Chœur. — Amen. Que nos lèvres s’emplissent de ta louange, Seigneur afin que nous chantions ta gloire, car tu nous as rendus dignes de communier à tes saints, divins, immortels et vivifiants Mystères.
Garde-nous dans ta sainteté afin que le jour entier nous apprenions ta justice.
Alléluia, alléluia, alléluia.
Pendant le temps pascal, ce chant est remplacé par le Tropaire de Pâques : "Christ est ressuscité des morts..." Le prêtre emporte le calice à la table de préparation, précédé du diacre qui encense. Le diacre se rend au milieu de l’église et proclame :
Diacre. — Debout. Ayant communié aux saints, divins, redoutables, immaculés et célestes Mystères du Christ, rendons de grâce au Seigneur.
Tous. — Kyrie eleison.
Diacre. — Secours-nous, sauve-nous, aie pitié de nous et garde-nous, ô Dieu, par ta grâce.
Tous. — Kyrie eleison.
Diacre. — Ayant demandé que ce jour tout entier soit parfait, saint, paisible et sans péché, confions-nous nous-mêmes et les uns les autres et toute notre vie au Christ notre Dieu.
Tous. — À toi, Seigneur.
Prêtre. — Nous te rendons grâce, Seigneur, ami des hommes, bienfaiteur de nos âmes, de nous avoir rendus dignes aujourd’hui de communier à tes célestes et immortels Mystères.
Redresse nos voies, confirme-nous dans ta crainte, sois le gardien de notre vie, affermis nos pas, par les prières et les supplications de la glorieuse Mère de Dieu et toujours Vierge Marie et de tous les saints, ...
Après avoir replié l’antimension, le prêtre trace avec l’évangéliaire un signe de croix sur l’autel :
Prêtre. — Car tu es notre sanctification et nous te rendons gloire, Père, Fils et Saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Tous. — Amen.
Le prêtre sort du sanctuaire par les portes royales et se place au milieu de l’église.
Prêtre. — Sortons en paix.
Chœur. — Au Nom du Seigneur.
Diacre. — Prions le Seigneur.
Chœur. — Kyrie eleison.
Prêtre. — Toi qui bénis ceux qui te bénissent et sanctifies ceux qui se confient en toi, Seigneur, sauve ton peuple et bénis ton héritage, garde la plénitude de ton Église, sanctifie ceux qui aiment la beauté de ta Maison.
Glorifie-les en retour par ta divine Puissance et ne nous abandonne pas, nous qui espérons en toi.
Accorde la paix à l’univers, à tes Églises, à tes prêtres, à ceux qui nous gouvernent et à tout ton peuple.
Car tout don excellent, toute grâce parfaite viennent d’en haut, descendent de toi, Père des lumières, et c’est à toi que nous rendons gloire, action de grâce et adoration, Père, Fils et Saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Tous. — Amen.
Chœur. — Que le Nom du Seigneur soit béni dès maintenant et à jamais. (ter)
Le prêtre, rentré dans le sanctuaire, bénit le diacre en disant à voix basse :
Prêtre. — + Ô Christ, notre Dieu, accomplissement de la loi et des prophètes, toi qui as accompli en notre faveur toute l’économie paternelle, remplis nos cœurs de joie et de bonheur, en tout temps, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Diacre. — Amen.
Congé
Puis se tournant vers les fidèles, le prêtre les bénit : + Que la bénédiction du Seigneur et sa miséricorde descendent sur vous par sa grâce et son amour pour l’homme, en tout temps, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Tous. — Amen.
Prêtre. — Gloire à toi, Christ-Dieu notre espérance, gloire à toi.
Tous. — Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Amen.
Kyrie eleison, Kyrie eleison, Kyrie eleison.
Père, daigne bénir.
Le prêtre prend la croix, sort par les portes royales, et tourné vers le peuple, donne le congé :
Prêtre. — Que celui qui est ressuscité des morts, le Christ notre Dieu, par les prières de sa très sainte Mère, de saint N..., de notre père saint Jean Chrysostome, dont nous célébrons la liturgie, ait pitié de nous et nous sauve, lui qui est infiniment bon et ami des hommes.
Tous. — Amen.
Les fidèles s'approchent, baisent la croix tenue par le prêtre et reçoivent un morceau de pain bénit, appelé antidore, destiné en premier lieu à ceux qui n'ont pas communié. Le prêtre rentre ensuite dans le sanctuaire, et on tire le rideau et ferme les portes royales. Le diacre, ou le prêtre, s'il célèbre sans diacre, se rend à la table de préparation où, après avoir dit la prière de consommation des saints dons, il les consomme. Puis il verse du vin et de l'eau dans le calice, avec lesquels il le rince et il consomme le tout.
Actions de grâce des célébrants
Les célébrants se lavent les mains et déposent leurs ornements liturgiques en récitant les prières d’action de grâce : Prêtre & Diacre. — Et maintenant, Seigneur, laisse ton serviteur selon ta parole s’en aller en paix, parce que mes yeux ont vu le salut qui vient de toi, que tu as préparé pour être mis devant tous les peuples ; lumière qui doit se révéler aux nations et gloire de ton peuple, Israël.
Saint Dieu, Saint Fort, Saint Immortel, aie pitié de nous. (ter)
Notre Père qui es aux cieux, que ton Nom soit sanctifié, que ton règne arrive, que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain substantiel, et remets-nous nos dettes comme nous avons remis à nos débiteurs, et ne nous soumets pas à l’épreuve, mais délivre-nous du malin.
Prêtre. — Car à toi appartiennent le règne, la puissance et la gloire, Père, Fils et Saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.
Tropaire de Saint Jean Chrysostome
Prêtre & Diacre. — De tes lèvres comme un flambeau la grâce a jailli, ô Jean à la bouche d’or, et ton enseignement a illuminé l’univers ; tu as découvert au monde les trésors de la pauvreté et les grandeurs de l’humilité, soutiens-nous par tes paroles, ô Jean Chrysostome, notre père, et prie le Christ Dieu de sauver nos âmes.
Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit, et maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Amen.
Tropaire de la Mère de Dieu
Prêtre & Diacre. — Protectrice assurée des chrétiens, médiatrice sans défaillance devant le Créateur, ne dédaigne pas la voix suppliante des pécheurs.
Mais dans ta bonté ne tarde pas à nous secourir nous qui t’invoquons avec foi, sois prompte dans ton intercession et empressée dans ta prière Ô Mère de Dieu secours constant de ceux qui t’honorent.
Kyrie eleison. (12 fois)
Toi plus vénérable que les chérubins et plus glorieuse incomparablement de que les séraphins, qui sans tâche enfantas Dieu le Verbe, toi véritablement la Mère de Dieu nous t’exaltons.
Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit, et maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Amen.
Diacre. — Père, daigne bénir.
Prêtre. — Par les prières de nos pères saints, Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu, aie pitié de nous.
Diacre. — Amen
S'étant lavé les mains, le prêtre et le diacre font trois inclinations devant l'autel, qu'ils baisent. 

lundi 15 juin 2015

En arrachant... Paul Claudel, Adieu, Marthe. Les dieux m'appellent

ACTE II
Même scène. L'après-midi du même jour.
Entre Louis Laine. — Marthe est assise devant la cabane :
elle fait tomber quelques miettes de pain qui sont restées sur sa robe.
LOUIS LAINE
Eh bien, on a dîné ?
MARTHE
Je n'avais pas faim.
LOUIS LAINE
Un morceau de pain tout sec, n'est-ce pas ?
« Je n'avais pas faim... ».
C'est pour me faire honte d'avoir été chez eux ?
Et tu te fais ton pain toi-même ! car tu ne peux pas manger le même que les autres.
MARTHE
Je ne puis manger le pain qu'on fait ici, il n'est pas cuit.
LOUIS LAINE
Et pourquoi es-tu toujours à travailler ? Ce n'est pas moi qui te le demande.
MARTHE
Mais il n'y a personne pour nous servir.
LOUIS LAINE
Et pourquoi es-tu toujours mal habillée ! J'étais honteux tout à l'heure
Devant eux. Regarde la robe que tu as !
MARTHE
Elle est assez bonne pour moi.
LOUIS LAINE
Pourquoi n'es-tu pas venue dîner avec nous ?
MARTHE
Je ne veux pas manger avec eux.
LOUIS LAINE
Pourquoi ? qu'est-ce que tu as contre eux ? Voyons, parle !
Ils ne nous ont jamais fait que du bien. Ils t'invitent gentiment, et tu refuses avec grossièreté. Tu es restée de ton pays.
MARTHE
Je ne mangerai point avec eux.
LOUIS LAINE
Pourquoi, mauvaise ? Voyons ! dis ce que tu as à dire !
Ils te valent bien.
Qu'est-ce que c'est que ces manières que tu fais ? Vous aimez mieux manger votre pain toute seule, pas vrai ?
Mais c'est pour me contrarier, parce que tu crois que j'aime à aller chez eux.
Mais tu es jalouse de tout ce qui m'amuse.
Et cela ne m'amuse pas, mais je le fais cependant, vois
Parce que c'est mon intérêt. Mais toi,
Tu n'es qu'une égoïste, voilà tout.
MARTHE
Laine, pourquoi me parles-tu ainsi ?
Pourquoi veux-tu que je voie cette femme ?
LOUIS LAINE
Cette femme ! tu pourrais être polie.
Elle te vaut bien ! O je sais ce que tu veux dire ! mais il ne faut pas parler sans savoir.
Ce n'est pas ce que tu crois, elle m'a tout expliqué.
Mais tu te penses plus raisonnable que tout le monde.
Ce n'est pas tout que d'être terre à terre. Il y a l'intelligence !
Elle m'écoute quand je parle, et l'on peut causer avec elle, et elle ne trouve pas que je suis un moron.
MARTHE
O ! Je n'ai jamais dit que tu étais un fou, Louis ! (Elle pleure)
Ce n'est pas ma faute si je ne suis pas plus intelligente.
LOUIS LAINE
Allons, ne pleure pas ! Voyons ! Ne pleure pas, voyons !
C'est vrai, j'ai été brutal. Pardonne-moi.
MARTHE
Tu n'es plus le même que tu étais.
LOUIS LAINE
Douce-Amère, tu es simple et débonnaire.
Tu es constante, et unie, et on ne t'étonnera point avec des paroles exagérées. Telle tu fus et telle tu es encore.
Ce que tu as à dire, tu le dis. Tu es comme une lampe allumée, et où tu es, il fait clair.
C'est, pourquoi il arrive que j'ai peur et je voudrais me cacher de toi.
MARTHE
Peur ? de moi ? Est-ce que je puis te faire du mal ? Et que craindras-tu de me découvrir ?
LOUIS LAINE
Oui.
Tu sembles bien sage, et cependant il faut qu'il y ait un vice en toi.
Car
Comment se serait-il fait que tu m'eusses aimé, moi qui n'étais qu'un enfant,
Et quelqu'un qui vient d'on ne sait où ? Car tu ne savais pas qui j'étais.
Mais je n'ai eu qu'à te prendre la main et tu es venue avec moi.
Quelle honte cela a dû faire !
Car quelqu'un qui t'aurait vue eût pensé
Que tu eusses épousé qui tes parents t'auraient dit et que tu eusses été contente d'être sa femme.
Oui, j'étais un étranger, et si un autre fût venu... Sans doute que tu t'ennuyais chez toi.
MARTHE
Laine, tu ne parles pas ainsi de toi-même ! Pourquoi m'humilies-tu ainsi ?
Est-ce que j'ai fait mal de t'aimer ? et ne t'ai-je pas épousé légitimement ?
LOUIS LAINE
Je n'étais qu'un enfant. Mais toi, tu aurais dû savoir et ne pas écouter ainsi ce que je te disais.
MARTHE
Il est trop tard ! Rappelle-toi ce que je t'ai répondu : « Me voici et je t'appartiens !
« Prends garde à moi ! Car tu me garderas toujours avec toi, que je te paraisse douce ou déplaisante ! Et je serai suspendue à toi, lourde ».
Et tu me disais que tu m'aimais.
LOUIS LAINE
Certes, je t'aimais ! et je t'aime bien encore.
Va, Marthe, je ne te ferai point de reproche.
Mais c'est moi qui ai agi étourdiment ! Jamais je n'aurais dû t'épouser.
L'homme a des devoirs. J'ai pris des devoirs envers toi. Oui, je ne les méconnais pas.
Mais je ne puis pas les remplir.
Je ne puis pas te faire vivre. Cela va bien encore maintenant, mais comment est-ce que nous ferons quand nous aurons des enfants, y as-tu songé ?
Il faut songer à l'avenir aussi.
Laisse-moi aller ! Laisse-moi aller et ne me retiens pas, comme quelqu'un qu'on tient par la main, lui éclairant la figure avec une lumière !
J'irai là où il n'y a personne avec moi.
Est-ce que je puis te faire vivre ? Regarde, qu'est-ce que je sais faire ? J'ai demandé à Thomas Pollock Nageoire
Si j'étais capable de faire quelque chose, et il m'a dit que non.
Silence.
MARTHE
C'est ce qu'il me disait aussi tout à l'heure.
LOUIS LAINE
Vraiment ? est-ce qu'il t'a parlé de cela déjà ?
MARTHE
Déjà ?
LOUIS LAINE
Dis. Qu'est-ce que tu penses de lui ?
MARTHE
Je pense qu'il est fort riche.
LOUIS LAINE
Riche ? Sûr qu'il est riche !
MARTHE
Oui.
LOUIS LAINE
Une poussée terrible ! C'est comme les tugs : il y en a qui poussent et il y en a qui tirent.
MARTHE
Oui.
LOUIS LAINE
On parle de lui partout ! Quel nerf ! quel coup d'œil ! Si riche, si simple ! J'ai été surpris de voir qu'il pouvait aimer quelqu'un.
Et un vrai roi, je te dis !
MARTHE
Oui.
LOUIS LAINE
Il a donné cent mille dollars à l'hôpital des Éthiques. — Je ne me rappelle plus, je crois que c'est une société de culture.
Un roi !
Il prend d'une main et il donne de l'autre. Et celle qu'il épouserait...
MARTHE
Comment ? est-ce qu'il n'est pas marié déjà ?
LOUIS LAINE
Marié ! marié !
Tu ne vois pas les choses comme il faut.
Le mariage est un contrat et il se dissout par le consentement des parties.
Tu comprends ? Par le consentement des parties.
Un contrat, ça se dissout par le consentement des parties. Je suis sûr d'avoir lu ça quelque part.
— Pour Lechy, elle ne tient pas à rester sa femme.
Tu sais, c'est une artiste, elle ne tient pas à l'argent. Et il ne l'a jamais aimée.
Il l'a, eh bien, comme on a un cheval.
MARTHE
Oui.
LOUIS LAINE
Ce n'est pas la même chose ! C'est un homme réfléchi et qui ne laissera point capricieusement ce qu'il a aimé une fois pour de bon.
Avoir
Une femme simple et douce, voilà ! — Je voudrais que tu fusses heureuse, Marthe !
Je voudrais avoir réparé ce tort que je t'ai fait.
Écoute. Peut-être que tu sais déjà ce que je vais te dire ?
MARTHE
Peut-être que je le sais ?
LOUIS LAINE
Écoute, et ne prends point à mal ce que je vais te dire, et songe que cela m'est bien dur.
Mais réfléchis, et peut-être que tu as déjà réfléchi.
  Je ne sais ce qu'il t'a dit ce matin.
Regarde-moi bien et vois si tu as à attendre de moi
Autre chose que tourment et peine.
Laisse-moi aller et ne t'attache point à moi.
Car un esprit terrestre est en moi et la raison n'y peut rien.
Et tu ne feras pas de moi ce que tu voudras.
  Je ne sais ce qu'il t'a dit ce matin.
Mais
Si c'est qu'il aurait voulu de toi pour être sa femme...
MARTHE
... Si c'est de moi qu'il aurait voulu pour être sa femme...
LOUIS LAINE, lent.
Juste la femme peut-être bien (très rapide) qui était faite pour lui...
MARTHE
Et juste la femme peut-être bien qui était faite juste pas pour toi ?
LOUIS LAINE
Pas peut-être bien, sûr !
Sûr ! Juste la femme, toi, qui étais faite juste pas pour moi !
Croirais-tu ? J'ai compris cela tout de suite du premier coup en te voyant.
MARTHE
Et c'est pour cela que tu m'as demandée et prise ?
LOUIS LAINE
Sûr ! Pas peut-être bien, sûr !
MARTHE
Regarde ! Lève-toi ! Retourne-toi ! Il y a quelqu'un derrière toi qui te fait signe.
Il se lève et regarde.
LOUIS LAINE
Je ne vois personne.
MARTHE
Retourne-toi encore.
LOUIS LAINE
Il n'y a personne.
MARTHE, le prenant entre ses bras par derrière et se collant à lui.
Tu es sûr qu'il n'y a personne ?
LOUIS LAINE
Il y a quelqu'un derrière moi qui se figure qu'il est plus fort que moi.
MARTHE
Ce n'est pas vrai que je suis plus forte que toi ?
LOUIS LAINE
C'est tellement vrai que la journée...
MARTHE
Continue... la journée ?
LOUIS LAINE
Ne se passera pas...
MARTHE
... Ne se passera pas... ?
LOUIS LAINE
Avant que parti je sois parti. Plus de Laine. Louis Laine ? Plus de Louis Laine !
MARTHE
Tu as juré cela cette nuit à quelqu'un ?
LOUIS LAINE
C'est vrai, j'ai juré cela cette nuit à quelqu'un. Il faut tenir sa parole, non ?
MARTHE
Et c'est défendu que de te dire adieu ?
LOUIS LAINE
Ce n'est pas une manière de dire adieu aux gens que de vous fourrer son corps avec le sien !
MARTHE
Et mon âme, est-ce que je ne te l'ai pas fourrée aussi ? Grince des dents ! Oui, oui, je t'entends qui grince des dents !
LOUIS LAINE
Et moi, je t'ai donné la mienne. Pas donné.
MARTHE
Prise ?
LOUIS LAINE
Prise.
MARTHE
Qui te l'a prise ?
LOUIS LAINE
Mon ennemie.
MARTHE
Ce n'est pas ton ennemie qui te tient en ce moment entre ses bras.
LOUIS LAINE
On ne prend pas une âme ! et je l'entendais en moi qui se laisse prendre avec des cris terribles !
MARTHE
Je te la rends.
Elle le lâche.
LOUIS LAINE
Merci.
Il va s'asseoir sur la balançoire.
MARTHE
Je me demande pourquoi que tu as monté cette balançoire ?
LOUIS LAINE
J'aime ne tenir à rien. J'aime me sentir propriétaire de mon propre poids.
MARTHE, s'asseyant près de lui.
Mais si je m'assieds près de toi, cela ne fait plus qu'un seul poids. On est deux, et deux ensemble, cela ne fait qu'un seul poids.
LOUIS LAINE
Tu connais le mien, je suppose ?
MARTHE
Écoute, Louis, il ne faut pas me lâcher.
Pause.
LOUIS LAINE
La nuit ça va.
MARTHE
Qu'est-ce que tu veux dire : « la nuit ça va ».
LOUIS LAINE
Ça va. Je ne vois plus tes yeux. Tu ne me regardes pas. Je n'ai plus peur. Ça va.
MARTHE
C'est de mes yeux que tu as peur ?
LOUIS LAINE
Ça va ! Et alors tout ce que je te raconte ! On n'a pas idée ! C'est étonnant tout ce que je trouve à te raconter quand tu ne me regardes pas !
MARTHE
Crois-tu que je ne t'écoute pas ?
LOUIS LAINE
Non, tu ne m'écoutes pas ! Je ne te dirais rien si tu m'écoutais. Tout ce que je te dis, tu ne l'écoutes pas. Comment dire ? Tu ne l'écoutes pas, tu le dors.
Tu le dors !
Entre mes bras.
MARTHE
Et c'est heureux, ce que tu me racontes ? Une belle histoire pleine d'amour que tu me racontes ?
LOUIS LAINE
Non, ce n'est pas heureux. Une belle histoire pleine d'amour ? Non. C'est triste — pas triste — aucun sens, quelque chose à faire pleurer à chaudes larmes.
Je vais mourir, tu sais ?
MARTHE
Vous l'entendez, il dit qu'il va mourir, cette espèce de Louis Laine ! et alors dis-moi un peu, espèce de Louis Laine, puisque c'est comme ça que tu t'appelles, à quoi est-ce que je sers ! À quoi est-ce qu'elle sert, cette Marthe ?
LOUIS LAINE
Tu n'as pas pu tout de même m'empêcher de revenir à ce pays qui est le mien et qui te faisait tellement peur.
MARTHE
Et toi, tu n'as pas pu m'empêcher de revenir avec toi, je tiens bon ! Ah ! tu en as fait un joli coup, mon petit lapin, de venir me prendre ! Je tiens bon ! Ah ! je l'ai compris tout de suite, espèce de Peau-Rouge, de quoi il s'agissait ! Je suis celle qui empêche de se sauver ! Ce n'est pas moi à qui l'on fait des tours ! Je suis celle qui est là pour t'empêcher de mourir, comme tu dis ! De mourir, a-t-on idée ! et tu as raison plus que tu ne crois !
LOUIS LAINE
L'araignée. L'araignée, tu te rappelles qui m'avait mis son fil autour du poignet pour m'apprendre mes prières ! Je n'aime pas beaucoup être le mari d'une araignée. Le mariage de la mouche et de l'araignée. Le mâle de Madame !
MARTHE
Ce n'est pas ce que tu aimes qui est important. Et ce n'est pas seulement au poignet que je t'ai mis un fil. Un fil qui part du cœur.
LOUIS LAINE
Il s'agit d'être la plus forte.
MARTHE
Précisément il s'agit de ça. Oui. Il s'agit d'être la plus forte.
LOUIS LAINE
Ça va, tu es la plus forte.
MARTHE
Mais moi, à ta place, cela m'embêterait d'être le plus faible.
LOUIS LAINE
De l'eau, c'est si faible que ça ?
MARTHE
Qu'est-ce que tu veux dire avec ton eau ?
LOUIS LAINE
Elle fuit.
MARTHE
Mais il y a la terre toujours qui arrive à la rattraper afin d'en faire de la boue !
Fuir ! où çà, fuir ! s'en aller ! se cacher ! Espèce de sauvage ! Tu as eu beau faire, comme si je n'avais pas réussi à te trouver, une fois pour toutes ! Comme si tu pouvais t'en débarrasser, de ce goût que je t'ai communiqué ! Le goût de la vérité.
LOUIS LAINE
Tu es sûre que c'est le pays de la vérité, ici ?
MARTHE
Moi, je suis la vérité. Regarde-moi !
Réveille-toi ! Sois un homme !
Je suis bien une femme, pourquoi est-ce que tu ne réussirais pas à être un homme ?
Est-ce que ça n'a pas aussi un tout petit peu de goût, la vérité ?
Se sauver ! On a beau se sauver ! Vagabond, poltron ! est-ce que ce n'est pas une belle invention tout de même que d'aboutir ? D'aboutir quelque part.
Le goût de la nécessité. Est-ce que je n'ai pas réussi tout de même un petit peu à te l'apprendre, ce que c'est, le goût de la nécessité ?
LOUIS LAINE
Je suis le gibier des dieux.
MARTHE
Quelle espèce de gibier ? Un lapin ? C'est amusant, d'être un lapin ?
LOUIS LAINE
Je suis un aigle cassé qui essaye de se dérober aux pourvoyeurs de la Zoo.
MARTHE
Ni un aigle ni un lapin ! Une anguille.
Tu sais, les anguilles ? paraît qu'elles vont en Amérique pour s'apparier. Faut ça. Toi, c'était le contraire, on dirait !
LOUIS LAINE
C'est fini, il n'y a plus qu'à nous séparer.
MARTHE
Il faut être deux pour se séparer.
LOUIS LAINE
Et alors c'est qu'on aurait réussi à me prendre, je suis pris ?
MARTHE
On t'a pris, espèce d'anguille ! espèce d'aigle cassé ! On t'a trouvé un endroit ! Pas moyen de s'envoler, espèce de vautour !
LOUIS LAINE
Quel endroit ?
MARTHE
Mets-moi la main sur le ventre...
Il lui met la main.
Qu'est-ce que tu sens ?
LOUIS LAINE
Un cœur qui bat.
MARTHE
C'est toi qui bats.
Entre Lechy Elbernon.[...]

ACTE III
[...] Louis Laine est là.
MARTHE
Que viens-tu faire ici ?
LOUIS LAINE
Ce que je viens faire ici ? et cet argent, lui, qu'est-ce qu'il fait là sur la table, s'il te plaît ?
MARTHE
C'est vrai, on ne peut pas laisser là cet argent à ne rien faire. C'est terrible, de l'argent qui ne fait rien. Prends-le.
LOUIS LAINE
Bien entendu, non, tu ne penses pas que je sois venu pour autre chose que cet argent.
MARTHE
Je ne pense rien.
Un temps.
LOUIS LAINE
Marthe... Tu ne dis rien.
MARTHE
J'écoute.
LOUIS LAINE
Tu vois cette planche qui est là suspendue        on ne sait comment
Avec des cordes ? C'est une épave, suppose que ce soit une épave et nous, nous sommes des naufragés, des naufragés de cette mer qui est le clair de lune.
Tu n'as plus si longtemps à me voir. On peut causer. Cette balance à âmes... Viens nous mettre dessus.
Ils se dirigent vers la balançoire.
Non, pas comme cela... Sens devant dimanche. Comme nous aimions. On est mieux. On ne se voit pas. On est plus libre.
Ils s'assoient en effet sens devant dimanche, lui face au public.
Bonjour, Marthe.
MARTHE
Bonjour, Louis
LOUIS LAINE
C'est fini toutes ces histoires ?
MARTHE
C'est fini.
LOUIS LAINE
Et pour le Thomas Pollock Nageoire je ne t'en veux pas. Tu as bien fait de me lâcher ainsi tranquillement comme tu l'as fait
Pour lui. Il n'y avait pas moyen autrement. Bien que ce me soit dur. Je ne l'aurais pas cru.
MARTHE
Je ne t'ai pas lâché.
LOUIS LAINE
Il n'y avait pas moyen autrement.
(Brusque et violent) Si tu pouvais savoir comme je désirais te quitter !
Jamais, jamais ne plus te revoir ! Il le fallait !
(Changement de ton) Je t'aime, Marthe.
MARTHE
Mets ta main là, au-dessous du sein. Qu'est-ce qu'il fait, mon cœur ?
LOUIS LAINE
Il bat.
MARTHE
Il bat. Et figure-toi, il y en a un autre qui bat par-dessous.
LOUIS LAINE
Je l'entends qui bat.
Cet enfant il faut bien le protéger (la joue contre la joue) Douce-Amère, quand je ne serai plus là. Ce père qui n'a rien pu pour lui que te quitter. Les dieux m'appellent.
MARTHE
Je saurai faire.
LOUIS LAINE
Tu n'essayes pas de me retenir ?
MARTHE
J'ai essayé. Je ne suis pas plus forte que les dieux.
LOUIS LAINE
Et pourquoi que tu ne partirais pas avec moi ?
MARTHE
Non.
LOUIS LAINE
Pourquoi non ?
MARTHE
Tu serais bien attrapé si je te disais oui.
LOUIS LAINE
J'ai fait la proposition.
MARTHE
Mon Lou, dès le moment que tu as couché avec moi, est-ce que je n'ai pas compris que tu n'avais qu'une idée, c'est de t'en aller !
LOUIS LAINE
Je t'aimais, Marthe !
MARTHE
Bien sûr que tu m'aimais. O comme tu brûlais de t'en aller !
LOUIS LAINE
Donc c'est toi maintenant qui me lâches ?
MARTHE
Oui, je veux bien, c'est moi maintenant qui te lâche.
Elle lui prend la main.
LOUIS LAINE
Il n'y aurait qu'à rester, n'est-ce pas ?
MARTHE (Accentuation de la pression)
Oui, il n'y aurait qu'à rester.
LOUIS LAINE
Je ne peux pas ! Il y a cet argent sur la table que j'ai assez reçu pour que je ne puisse pas le rendre !
MARTHE
Pars donc.
LOUIS LAINE
Et il y a en toi avec toi cet autre Louis Laine qui a pris ma place. Tant pis pour le Number One !
MARTHE
C'est cela.
Elle s'éloigne de lui.
LOUIS LAINE
Thomas Pollock Nageoire...
MARTHE
Eh bien, Thomas Pollock Nageoire...
LOUIS LAINE
Thomas Pollock Nageoire... Tu peux te fier à lui. C'est un cœur simple, sûr.
Sûr il vous protégera.
Moi-même, c'est dommage que j'aie un rendez-vous...
Marthe Marie ! Croirais-tu, que je ne l'ai jamais mieux senti qu'avec cette femme      combien j'aurais pu être heureux avec toi !
MARTHE
C'est bon, la honte.
LOUIS LAINE
Ça empêche, la honte ? (d'un seul trait) les deux cœurs ensemble comme à présent de se causer l'un à l'autre, ça empêche, la honte ? Il faut que je m'en aille ?
MARTHE
Reste.
LOUIS LAINE
Tu te rappelles ce vieux château délabré dans les Alpes quand nous avons fait connaissance,
Tous les deux      sur le même lit,
Et le torrent au-dessous de nous à une grande profondeur qui racontait le journal.
Toi endormie... Tu me dormais ! Ce n'est pas vrai qu'on peut dormir quelqu'un ? Je le sentais bien, que tu me dormais !
MARTHE
C'était le même clair de lune      comme cette nuit.
LOUIS LAINE
Non, ce n'était pas le même clair de lune ! quelque chose d'entrecoupé.
Ces poussées de lumière par la fenêtre tout à coup comme pour nous donner le fouet      et puis la nuit      et puis de nouveau ce regard exorbitant et la lune là-haut dans le ciel déchiqueté qui galopait sur son cheval jaune !
Et moi sur le lit      qui me débattais contre cette personne, sur le lit paisiblement comme un enfant en train de dormir, en train de me dormir...
Ça n'aime pas être capturé, un aigle !
MARTHE
Tu as réussi à te délivrer.
LOUIS LAINE
Sûr que j'y ai réussi ?
MARTHE
Non, ce n'est pas sûr que tu y aies réussi.
LOUIS LAINE
Les dieux sont venus me rechercher.
Il y a un esprit en moi, au dedans de moi ; et il me pousse, comme avec une épée tirée.
Tu sais, les choses qu'on ne veut pas faire, qu'on est absolument décidé à ne pas faire...
Et tout à coup l'occasion se présente, toutes les occasions à la fois, une facilité      inconvenante      irrésistible ! Ce serait un péché de ne pas en profiter.
MARTHE
On est bien de l'autre côté du péché ?
LOUIS LAINE
Oui.
C'est de ce côté-là que tu seras toujours sûre de me retrouver.
MARTHE
Ce serait bon, le péché, s'il n'y avait pas ce goût de savon.
LOUIS LAINE
Ce goût de savon ? Tu te rappelles ?
MARTHE
J'aimerais mieux ne pas me rappeler.
LOUIS LAINE
C'est quand j'étais malade et tu me soignais. J'avais la fièvre... Je suis sorti...
— Ces deux hommes qui portaient une pièce de bois sur leurs épaules, c'était la porte, je suppose. La porte pour sortir.
— Et l'autre, cette espèce d'individu à tête d'élan, derrière la haie, qu'est-ce qu'il fait là à herser la neige ?
— Des pays ! des pays ! des pays ! Il y en avait à traverser, des pays ! des pays à n'en plus finir ! Il y en avait à traverser, des pays, à l'envers et à l'endroit ! Et à la fin l'eau noire, de vastes marais... Je m'y suis reconnu, on est arrivé, c'était chez moi dans l'Ouest. C'est là que les Indiens des Pueblos une fois par an vont chercher les âmes de leurs parents morts ! et avec de grandes lamentations ils s'en reviennent portant des paniers pleins de tortues,
Et le sachem vint à ma rencontre, mon arrière-grand-père de la tribu des Ratons,
Et il me tendit un aliment pour que je le mange,
Et j'y enfonçai les dents, un goût de savon ça avait...
MARTHE
Tu n'as jamais réussi à t'en débarrasser.
LOUIS LAINE
Il faudrait me secouer fort !
MARTHE, sautant à bas de la balançoire et le secouant violemment.
Eh bien, je te secouerai et je te secouerai et je te resecouerai s'il ne faut que cela pour t'en débarrasser de ton morceau de savon !
Rêveur ! rêveur ! rêveur de rêves ! Je n'y réussirai donc jamais à t'en débarrasser, de ton morceau de savon, et de ton sacré vieux boucané d'arrière-grand-père de la tribu des Ratons !
Je n'y réussirai donc jamais à te retirer de c'te saleté de balançoire et à te planter debout sur les deux pieds.
Elle l'arrache à l'instrument en question.
 Et à t'apercevoir de ta main gauche à gauche.
Elle lui prend la main gauche avec sa main droite
et sa main droite avec sa main gauche : en croix.
Et de ta main droite à droite et de ces deux bras à droite et à gauche pour t'en servir.
Très en colère, mais pas tout à fait sérieux.
Bougre de propre à rien !
Et à te pomper un homme à la fin de dessous le dessous de tes souliers,
Un vrai homme avec cette parole dans chaque main que la main droite n'en a jamais fini de jurer à la main gauche !
Elle lui rejette les bras avec un rire tout près des sanglots.
LOUIS LAINE
Qu'attends-tu de moi ?
MARTHE
Cet argent sur la table que tu le prennes et que tu le rendes à ce pendu dépendu du bungalow.
LOUIS LAINE
Je ne peux pas le rendre, il y a une brique dessus.
MARTHE
Louis !
LOUIS LAINE
Eh bien !
MARTHE
Ne pars pas ! ne me laisse pas ce remords.
LOUIS LAINE
Précisément, c'est un remords que je veux te laisser.
MARTHE
Écoute. Je sais : il y a un cheval sellé qui t'attend
Et il y a aussi quelqu'un sur le chemin qui t'attend et qui prête l'oreille.
LOUIS LAINE
Tu veux dire ce nègre ?
MARTHE
Je veux dire ce nègre. Quelqu'un à l'affût.
LOUIS LAINE
Adieu, Marthe. Les dieux m'appellent.
MARTHE
N'as-tu rien à me dire de plus ?
LOUIS LAINE
C'est vrai, j'ai quelque chose à te dire de plus !
MARTHE
Quoi donc ?
LOUIS LAINE, arrachant violemment et triomphalement le scarf de Marthe.
Hourra !

Paul Claudel, in L’Échange (2ème version)