À l'heure où l'Église s'interroge sur son avenir, ne faudrait-il pas d'abord se demander ce qu'en dit l'Écriture ? Alors que tant de nos contemporains sont inquiets devant le cours que prennent les événements du monde, n'y a-t-il pas dans l'Évangile quelque lueur d'espérance à leur communiquer ? Dans ses discours, Jésus parle principalement de ce qui va venir : sa Passion, sa Résurrection, la fin des temps, l'avènement du Royaume et la manière de s'y préparer. Il tient bien moins le rôle d'un maître de morale ou d'un législateur, rôle dans lequel on veut parfois l'enfermer à tort, que celui d'un sage, épris de liberté et de vérité, attentif au sens et à la finalité de l'existence, rappelant qu'en toute chose, pour vivre bien, il faut considérer la fin. Non seulement il ne cesse de le dire, mais il le vit. C'est en étant toujours tendu vers l'avant, vers sa Passion à Jérusalem et ultimement vers la Jérusalem céleste, qu'il enseigne aux foules errantes comme des brebis sans berger. En cela, son message est universel. Il le confie à ses disciples pour le transmettre au monde et les conduire ensemble vers de frais pâturages, comme le dit le psaume 22. Pourtant, l'Église parle peu de ce contenu eschatologique de l'Évangile. L'eschatologie, c'est, à partir de l'Écriture, l'étude de ce qui vient, une anticipation de ce vers quoi on chemine en retenant les leçons du passé pour mieux se situer dans l'actualité présente. C'est une mise en lumière de la parole de Dieu en ce qui concerne horizon de l'histoire humaine. C'est une recherche pour répondre aux questions existentielles fondamentales : vers où allons-nous ? Comment y allons-nous ? Pourquoi le mal entrave-t-il notre marche vers le bonheur et le souverain bien promis ?
« Parce qu'il n'y a pas de bon vent pour celui qui ne sait où il va », comme le disait Sénèque, il est essentiel, surtout lorsque la mer est agitée, de relever la tête hors de l'eau pour maintenir son cap. L'ambition de cette étude est d'apporter des pistes de réflexion pour prendre conscience de la nature profonde des ténèbres qui se propagent, mais surtout pour discerner les phares qui éclairent la route à suivre lorsque le soir tombe. Le prologue de saint Jean annonce que « la lumière luit dans les ténèbres et [que] les ténèbres ne l'ont pas arrêtée »1. Saurons-nous seulement la discerner ou nous laisserons-nous submerger par l'obscurité ? L'une et l'autre avancent de concert. Ces ténèbres, ce sont tous les maux qui pèsent sur notre humanité, sans raison apparente, de manière injuste et souvent absurde. C'est ce qu'on appelle communément le mystère du mal, si on le considère seulement en ses conséquences tangibles, ou de l'iniquité si on l'envisage plutôt en ses causes personnelles et morales. Mais au cœur de ce qui semble une sombre fatalité de notre nature, le Christ se présente lui-même comme cette lumière (Jn 8,12), qu'il transmet à ses disciples pour qu'ils soient eux-mêmes lumière du monde (Mt 5,14). C'est donc la vocation de l'Église, corps du Christ, assemblée de fidèles, d'être cette lumière qui luit dans les ténèbres pour les dissiper et ouvrir à l'espérance. Or, le propre de la lumière, c’est d'agir comme un révélateur pour permettre un discernement de la vérité et ouvrir un chemin de vie. Les chapitres 24 et 25 de l'Évangile de Matthieu, de manière toute particulière, mais non isolément dans l'Écriture, offrent cette perspective. Ils sont une apocalypse, c'est-à-dire, littéralement, une révélation de ce qui va venir à la fin des temps. Comment donc l'Église en assume-t-elle le message pour répondre à sa mission de porter dans le monde la bonne nouvelle du Royaume qui vient ?
Le Catéchisme y répond de manière un peu énigmatique et peu engageante dans ses numéros 675 à 677 en annonçant « qu'elle ne parviendra à la gloire du Royaume qu'à travers une ultime Pâque où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa résurrection ». Nous y reviendrons souvent, car la crise actuelle de l'Église, les conflits internationaux en cours, les désordres environnementaux et les troubles sociétaux nous pressent de nous questionner sur l'imminence de cette issue annoncée. Alors que certains s'effraient de cette conjecture funeste, n'est-il pas plus conforme à l'Évangile de l'interpréter comme le contexte de l'émergence heureuse de la finalité de l'Histoire, plutôt que comme les prémices d'un terme sans lendemain ? C'est à cette perspective que l'on voudrait faire droit, afin de refonder l'espérance chrétienne sur la promesse de la béatitude éternelle et sur les exigences qu'elle implique, plutôt que d'entretenir la peur de voir disparaître ce qui n'a pas vocation à durer.
Le sujet est peu traité, car il n'est pas aisé. Il suscite facilement un imaginaire fantastique débridé, des émotions contrastées, et ouvre de nombreuses portes à divers développements pratiques. Cette étude est donc dense et plurielle. Elle a son origine dans un travail de mémoire de fin d'études de Master de théologie qui, à partir de l'exégèse biblique, cherchait à approfondir la compréhension du dogme avec une visée pastorale et spirituelle. Elle suit le fil rouge du chapitre 24 de l'Évangile de Matthieu pour rendre compte du mystère du mal qui caractérise la fin des temps, préciser l'attitude que cela réclame et envisager ce que cela prépare. Elle fut motivée, outre par les paragraphes précités du Catéchisme de l'Église catholique, par les propos non moins énigmatiques du cardinal Ratzinger qui, dans les années soixante-dix, entrevoyait l'avenir de l'Église comme un renouveau de la foi à partir de petites communautés pauvres et ferventes.
De la crise d'aujourd'hui naîtra une Église qui aura beaucoup perdu, écrivait-il. Elle sera petite et devra pour ainsi dire repartir de zéro. […] Pour moi, il est certain que l'Église va devoir affronter des périodes très difficiles. La véritable crise vient à peine de commencer. Il faudra s’attendre à de grands bouleversements. Mais je suis tout aussi certain de ce qu'il va rester à la fin : une Église, non du culte politique, car celle-ci est déjà morte, mais une Église de la foi. Il est fort possible qu'elle n'ait plus le pouvoir dominant qu'elle avait jusqu'à maintenant, mais elle va vivre un renouveau et redevenir la maison des hommes, où ils trouveront la vie et l'espoir en la vie éternelle. 2
Cette intuition nous semble d'une criante actualité. Modestement, nous voudrions chercher dans la parole de Dieu ce qui la fonde et tenter de développer ce qu'elle implique pour le renouveau de l'Église.
Loin des débats idéologiques, des querelles d'opinion, des réactions émotives superficielles et des projets politiques orientés par les médias, une réflexion plus profonde, théologique et spirituelle sur l'Église eschatologique face au mystère d'iniquité, autrement dit sur l'Église à venir devant le scandale du mal, nous apparaît plus que jamais nécessaire pour bâtir son avenir. Les pages qui suivent entendent y contribuer en prenant du recul afin de marcher ensemble, selon l'étymologie de la synodalité, sans pour autant perdre de vue que La destination qui nous rassemble est un Royaume qui a ses exigences, sans compromission avec le mal, car ce Royaume « souffre violence et seuls les violents s’en emparent » (Mt 11,12).
Comment pouvons-nous donc préparer l'avènement de ce Royaume ? Le livre de l'Apocalypse, au chapitre 21, présente l'image d'une Église renouvelée, chargée d'apporter la lumière aux nations sous les traits de la Jérusalem céleste émergeant des décombres d'un monde maléfique en ruine. Quels enseignements pouvons-nous tirer de cette figure eschatologique pour les orientations pastorales contemporaines et la mission des chrétiens dans le monde de notre temps ? Quels critères de discernement offre-t-elle aux révélations privées qui fleurissent sur ce thème, en égarant parfois bien des gens, sans toujours faire l'objet d'une attention théologique rigoureuse ? Quelles perspectives d'action face au mal cette vision de la finalité nous ouvre-t-elle ? Il ne s'agit pas de questions de théologie fondamentale réservées à quelques spécialistes. Ce sont des questions de vie pour s'orienter avec plus d'assurance vers ce terme où le Seigneur nous attend.
L'Église, en tant qu'Une, est une réalité théologale incarnée dans une réalité humaine sociale. Peuple de Dieu en marche, elle rejoint les hommes dans le concret de leur vie et leurs misères pour les porter au salut et à la gloire promise de leur sublime vocation d'être image du Dieu trinitaire. Elle est le Corps du Christ portant sur lui le péché du monde pour en être victorieux par la charité. Au-delà des images convoquées par les théologiens pour essayer de rendre compte de la nature de l'Église, il apparaît surtout qu'elle est une vie, plus que l'institution dogmatique à laquelle on pense en premier lieu. Le théologien jésuite Henri de Lubac, au début de ses méditations sur l'Église, met en garde contre le danger de ne la regarder que du dehors pour disserter à son sujet. Il se demande :
s'il ne vaudrait pas mieux s'efforcer tout simplement d'en vivre. Toutes les analyses théologiques à son sujet sont-elles compatibles avec cette simplicité antique et cet esprit d'obéissance qui ont toujours caractérisé le fidèle enfant de l'Église ? Du reste, elle ne peut être parfaitement connue, mais elle reste cachée comme sous un voile, dépassant les capacités et les forces de notre intelligence, car elle est objet de foi et de méditation, plus que de spéculation. 3
Cet avertissement nous invite à concentrer précisément notre étude sur la vie de l'Église comme mystère, comme sacrement, ou plus concrètement à comprendre comment elle est signe visible de l'invisible, intermédiaire entre la terre et le ciel, et médiatrice de grâces là où le péché abonde. Que lui faut-il être et faire pour accomplir aujourd'hui dans le monde cette mission sacerdotale à la suite du Christ souverain prêtre ? Entre une réalité théologale et une réalité sociale, comment assume-t-elle son service de communion des hommes entre eux et avec Dieu ? Puisque le concile Vatican II nous invite à dépasser les catégories juridiques et institutionnelles de l'Église pour en considérer « le caractère eschatologique en pèlerinage et son union avec l'Église du ciel »4, nous nous laisserons guider par les perspectives des fins dernières pour envisager ce vers quoi doit tendre l'Église, et chacun de ses membres, pour répondre ainsi à son ultime vocation.
Le théologien Jean-François Chiron justifie le bien-fondé de cette approche :
On ne peut comprendre une réalité chrétienne qu'en prenant en considération ce qu'elle est appelée à être. Il y a comme un en avant de toute réalité chrétienne, avec une dimension chronologique mais aussi une dimension de sens, une finalité. C'est cette finalité qu'il s'agit de prendre en compte à propos de l'Église. Étudier le rapport entre Église et eschatologie invite donc à évoquer l'Église en son cœur, en son mystère 5, en ce qu'elle a (est) d'essentiel. 6
Comme le Christ intervient dans l'histoire de l'humanité en réponse à une situation donnée de péché, il nous apparaît assez clairement que l'Église qui poursuit sa mission dans le monde n'est pas un en-soi abstrait, mais une réalité contextualisée qui se détermine et ne peut s'appréhender convenablement qu'à partir de l'environnement qui la suscite. Elle accompagne des situations particulières personnelles ou collectives à différentes époques de l'histoire, pour y apporter la présence ultime de Dieu. L'eschatologie, comme science de l'avenir, dans l'acception courante que nous donnons à ce terme jusqu'à ce que nous en précisions les nuances, se décline ainsi à différents niveaux parfois mêlés dans la littérature apocalyptique : individuel, christologique, historique ou ultime et universel. Dans l'Écriture, la considération de ce qui va venir s'envisage à partir de fins intermédiaires significatives : la mort personnelle, la mort du Christ, la fin d'un empire ou d'une période de l'Histoire. Ici, on ne s'intéressera qu'à l'eschatologie universelle, autrement dit à la fin des temps, et non au jugement particulier qui confronte l'homme dans sa mort. On verra comment la mort du Christ ou certains événements historiques peuvent préfigurer et éclairer cet avenir ultime du monde.
En effet, si l'Église est le corps du Christ, elle ne peut que suivre celui qui en est la tête dans son acte rédempteur. Aussi doit-on envisager l'eschatologie de l'Église à la lumière ultime du mystère de Pâques dans toutes ses dimensions : mort et résurrection, ténèbres et lumière, pauvreté et gloire. C'est cette réalité fondamentale qu'exprime ce passage du Catéchisme de l'Église catholique qui inspire la présente étude :
Avant l'avènement du Christ, l'Église doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux croyants. La persécution qui accompagne son pèlerinage sur la terre dévoilera le mystère d'iniquité sous la forme d'une imposture religieuse apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au prix de l'apostasie de la vérité. L'imposture religieuse suprême est celle de l'Antichrist, c'est-à-dire celle d'un pseudo-messianisme ou l'homme se glorifie lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans la chair. [...] L'Église catholique n'entrera dans la gloire du Royaume qu'à travers cette ultime Pâque où elle suivra son Seigneur dans sa mort et sa résurrection.
Le Royaume ne s'accomplira donc pas par un triomphe historique de l'Église, selon un progrès ascendant, mais par une victoire de Dieu sur le déchaînement ultime du mal qui fera descendre du Ciel son Épouse. Le triomphe de Dieu sur la révolte du mal prendra la forme du jugement dernier après l'ultime ébranlement cosmique de ce monde qui passe. 7
Pour bien comprendre ce qui adviendra à la fin des temps, nous commencerons par détailler les éléments constitutifs du mystère de l'iniquité en essayant de mettre en lumière leurs connexions et tenter d'en percevoir le sens. À l'invitation du concile Vatican II, reprenant les exhortations même du Christ, on s'efforcera ainsi, tout simplement, de lire les signes des temps. 8
Cela permettra ensuite de discerner les opportunités ouvertes par ces ravins à combler et ces sentiers à aplanir pour préparer la venue du Seigneur.9 Nous étudierons l'attitude juste du croyant face au mal. Comment en être victorieux, au sens du vainqueur des sept Églises de l'Apocalypse, en étant porteur de l'Évangile dans un monde qui ne l'entend plus ?
Enfin, nous nous interrogerons sur le but de cet effort d'évangélisation. Comment l'Église est-elle une réalité en tension vers la plénitude du Royaume qui vient ? Est-elle déjà le Royaume en germe ou un moyen du salut ultérieur ? Et de quel Royaume parlons-nous ? S'agit-il d'une réalité spirituelle future et séparée du monde concret dont il faudrait s'affranchir, ou de quelque chose qui advient déjà dans notre temps et auquel nous sommes appelés à contribuer ?
Nous suivons en cela le plan condensé des versets 12 à 14 du chapitre 24 de l'Évangile de Matthieu, qui est comme le cœur de son exposé sur les fins dernières et la synthèse de toute la littérature apocalyptique auxquels se réfère explicitement le texte précité du Catéchisme :
Par suite de l'iniquité croissante, l'amour se refroidira chez le grand nombre. Mais celui qui aura tenu bon jusqu'au bout, celui-là sera sauvé. Cette bonne nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier, en témoignage à la face de tous les peuples. Et alors viendra la fin.
On recherchera alors ce qui dans l'Écriture inspire ou enrichit le discours eschatologique de Jésus rapporté par l'évangéliste, tout en interrogeant ce que les Pères de l'Église ou des théologiens plus contemporains ont pu en comprendre. Pour une meilleure compréhension, il sera utile au lecteur de suivre cet exposé avec une Bible, pour se reporter aux textes de référence qu'il serait trop long de citer.
En résumé, nous essaierons donc de préciser ce qu'est le Mystère d'iniquité (Mt 24,12 : première partie) pour mieux saisir comment il suscite une Église martyre en pèlerinage (Mt 24,13 : deuxième partie) vers l'Avènement du Royaume qu'elle prophétise (Mt 24,14 : troisième partie), suivant ainsi le Christ dans sa passion, sa mort et sa résurrection.
Jean-François Chiron explique encore la pertinence de cette approche par la fin :
Il faut prendre acte de la redécouverte de la résurrection du Christ dans la théologie du XXe siècle notamment sous la forme du mystère pascal, [...] alors qu'on a habituellement pensé l'Église par rapport à l'Incarnation (dont elle est le prolongement) et à la Passion (elle est née du côté du Christ en croix) sans référence aussi bien à la Résurrection qu'aux derniers temps. Or, [...] l'avenir influence le présent, le transforme fondamentalement, l'oriente puisqu'il est déjà présent en puissance en lui.
C'est toute la différence entre la nature et le mystère : la nature d'une réalité qu'on peut analyser telle qu'elle est donnée, dans le présent ; le mystère orienté vers sa fin, réalisation du projet de Dieu. Le lien entre Église et eschatologie, c'est d'abord dans la résurrection du Christ qu'il faut le chercher. [...] Qui dit résurrection du Christ dit référence à l'eschatologie puisque nous sommes dans les derniers temps.
[...] Il faut penser le statut de l'Église dans un entre-deux (Pâques-Parousie) et non comme le prolongement de ce que le Christ incarné a institué. [...] C'est donc bien la résurrection qui est le point de départ de l'Église. L'Église est le peuple qui annonce la Résurrection. Elle est le peuple qui est constitué par la Résurrection. Le peuple de ceux qui la reconnaissent et la proclament. [...] On ne peut penser l'Église qu'en fonction du Royaume annoncé par Jésus et en fonction de Jésus annonçant non l'Église, mais le Royaume, et en fonction du Christ ressuscité inaugurant le Royaume ! 10
C'est ce dont nous voudrions rendre compte, en explicitant ce qui, dans l'Église d'aujourd'hui confrontée au mal, peut être signe de cette réalité eschatologique de l'avènement du Royaume qu'elle anticipe.
Charles Bonin, in Faut-il se préparer à la fin des temps ?
1. Jean 1,5. Pour les références bibliques de l'ouvrage, on utilisera dans l'ensemble les traductions de la Bible de Jérusalem, de la Bible Osty ou la traduction officielle pour la liturgie (AELF), selon ce qui semblera le plus pertinent.
2. Joseph RATZINGER, Foi et Avenir, Mame, Paris, 1971, p. 111 à 130. Cf. Annexe 4.
3. Henri de LUBAC, Méditations sur l'Église, Aubier-Montaigne, « Foi vivante », Paris, 1968, p. 15-16.
4. Constitution dogmatique sur l'Église, Lumen gentium (LG), 1964, VII. 15
5. Lumen Gentium (LG) 1.
6. Jean-François CHIRON, « Église et eschatologie », in Eschatologie et morale, sous la direction de Olivier ARTUS. Desclée de Brouwer, Paris, 2009, p.21.
7. Catéchisme de l'Église catholique (CEC), n° 677.
8. Matthieu 16,1-4 ; Luc 12,54-59 ; Gaudium et Spes (GS) 44.
9. Isaïe 40,3-4, Jean 14,28.
10. Jean-François CHIRON, « Église et eschatologie » in Eschatologie et morale, op. cit., p. 28-33.
Annexe 4 : Prophéties du Cardinal Joseph Ratzinger sur l'Église
Je pense, non, je suis sûr, que le futur de l'Église viendra de personnes profondément ancrées dans la foi, qui en vivent pleinement et purement. Il ne viendra pas de ceux qui s'accommodent sans réfléchir du temps qui passe, ou de ceux qui ne font que critiquer en partant du principe qu'eux-mêmes sont des jalons infaillibles.
Il ne viendra pas non plus de ceux qui empruntent la voie de la facilité, qui cherchent à échapper à la passion de la foi, considérant comme faux ou obsolète, tyrannique ou légaliste, tout ce qui est un peu exigeant, qui blesse, ou qui demande des sacrifices. Formulons cela de manière plus positive: le futur de l'Église, encore une fois, sera comme toujours remodelé par des saints, c’est-à-dire par des hommes dont les esprits cherchent à aller au-delà des simples slogans à la mode, qui ont une vision plus large que les autres, du fait de leur vie qui englobe une réalité plus large. Il n'y a qu'une seule manière d'atteindre le véritable altruisme, celui qui rend l'homme libre: par la patience acquise en faisant tous les jours des petits gestes désintéressés. Par cette attitude quotidienne d'abnégation, qui suffit à révéler à un homme à quel point il est esclave de son ego, par cette attitude uniquement, les yeux de l'homme peuvent s'ouvrir lentement. L'homme voit uniquement dans la mesure où il a vécu et souffert. Si de nos jours nous sommes à peine encore capables de prendre conscience de la présence de Dieu, c'est parce qu'il nous est tellement plus facile de nous évader de nous-mêmes, d'échapper à la profondeur de notre être par le biais des narcotiques, du plaisir, etc. Ainsi, nos propres profondeurs intérieures nous restent fermées. S'il est vrai qu'un homme ne voit bien qu'avec le cœur, alors à quel point sommes-nous aveugles ?
Quel rapport tout cela a-t-il avec notre problématique ? Eh bien, cela signifie que les grands discours de ceux qui prônent une Église sans Dieu et sans foi ne sont que des bavardages vides de sens. Nous n'avons que faire d'une Église qui célèbre le culte de l'action dans des prières politiques. Tout ceci est complètement superflu. Cette Église ne tiendra pas. Ce qui restera, c'est l'Église du Christ, l'Église qui croit en un Dieu devenu homme et qui nous promet la vie éternelle. Un prêtre qui n'est rien de plus qu'un travailleur social peut être remplacé par un psychologue ou un autre spécialiste. Un prêtre qui n'est pas un spécialiste, qui ne reste pas sur la touche à regarder le jeu et à distribuer des conseils, mais qui, au nom de Dieu, se met à la disposition des hommes, est à leurs côtés dans leurs peines, dans leurs joies, dans leurs espoirs et dans leurs peurs, oui, ce genre de prêtres, nous en aurons besoin à l'avenir.
Allons encore un peu plus loin. De la crise actuelle émergera l'Église de demain – une Église qui aura beaucoup perdu. Elle sera de taille réduite et devra quasiment repartir de zéro. Elle ne sera plus à même de remplir tous les édifices construits pendant sa période prospère. Le nombre de fidèles se réduisant, elle perdra nombre de ses privilèges. Contrairement à une période antérieure, l'Église sera véritablement perçue comme une société de personnes volontaires, que l'on intègre librement et par choix. En tant que petite société, elle sera amenée à faire beaucoup plus souvent appel à l'initiative de ses membres.
Elle va sans aucun doute découvrir des nouvelles formes de ministère, et ordonnera à la prêtrise des chrétiens aptes, et pouvant exercer une profession. Dans de nombreuses petites congrégations ou des groupes indépendants, la pastorale sera gérée de cette manière.
Parallèlement, le ministère du prêtre à plein temps restera indispensable, comme avant. Mais dans tous ces changements que l'on devine, l'essence de l'Église sera à la fois renouvelée et confirmée dans ce qui a toujours été son point d'ancrage: la foi en un Dieu trinitaire, en Jésus Christ, le Fils de Dieu fait homme, en l'Esprit Saint présent jusqu'à la fin du monde. Dans la foi et la prière, elle considérera à nouveau les sacrements comme étant une louange à Dieu et non un thème d'ergotages liturgiques.
L'Église sera une Église plus spirituelle, ne gageant pas sur des mandats politiques, ne courtisant ni la droite ni la gauche. Cela sera difficile pour elle, car cette période d'ajustements et de clarification va lui coûter beaucoup d'énergie. Cela va la rendre pauvre et fera d'elle l'Église des doux. Le processus sera d'autant plus ardu qu'il faudra se débarrasser d'une étroitesse d'esprit sectaire et d'une affirmation de soi trop pompeuse.
On peut raisonnablement penser que tout cela va prendre du temps. Le processus va être long et fastidieux, comme l'a été la voie menant du faux progressisme à l'aube de la Révolution française – quand un évêque pouvait être bien vu quand il se moquait des dogmes et même quand il insinuait que l'existence de Dieu n'était absolument pas certaine – au renouveau du XIXe siècle.
Mais quand les épreuves de cette période d'assainissement auront été surmontées, cette Église simplifiée et plus riche spirituellement en ressortira grandie et affermie. Les hommes évoluant dans un monde complètement planifié vont se retrouver extrêmement seuls.
S'ils perdent totalement de vue Dieu, ils vont réellement ressentir l'horreur de leur pauvreté. Alors, ils verront le petit troupeau des croyants avec un regard nouveau. Ils le verront comme un espoir de quelque chose qui leur est aussi destiné, une réponse qu'ils avaient toujours secrètement cherchée.
Pour moi, il est certain que l'Église va devoir affronter des périodes très difficiles. La véritable crise vient à peine de commencer. Il faudra s'attendre à de grands bouleversements. Mais je suis tout aussi certain de ce qu'il va rester à la fin : une Église, non du culte politique car celle-ci est déjà morte, mais une Église de la foi.
Il est fort possible qu'elle n'ait plus le pouvoir dominant qu'elle avait jusqu'à maintenant, mais elle va vivre un renouveau et redevenir la maison des hommes, où il trouveront la vie et l'espoir en la vie éternelle. L'Église catholique survivra malgré les hommes et les femmes. Pas nécessairement grâce à eux, et nous avons encore notre rôle à jouer. Nous devons prier et cultiver la générosité, l'abnégation, la fidélité, la dévotion sacramentelle et une vie centrée sur le Christ.
Interview du 25 décembre 1969 sur la radio Hessische Rundfunk,
dans Joseph Ratzinger, Foi et Avenir,
Mame 1971, p. 127-130.
J'avais prévu que l'Église deviendrait petite, que ce serait un jour une Église des minorités, qu'ensuite elle ne pourrait plus subsister dans ses grands espaces, ses vastes organisations, mais devrait s'organiser de manière plus modeste. Peut-être devons-nous dire adieu à l'idée d'une Église rassemblant tous les peuples. Il est possible que nous soyons au seuil d'une nouvelle ère, constituée tout autrement, de l'histoire de l'Église, où le christianisme existera plutôt sous le signe du grain de sénevé, en petits groupes apparemment sans importance, mais qui vivent intensément pour lutter contre le mal et implantent le bien dans le monde; qui ouvrent la porte à Dieu. [...]
L'Église ressemblera moins aux grandes sociétés, elle sera davantage l'Église des minorités, elle se perpétuera dans de petits cercles vivants, où des gens convaincus et croyants agiront selon leur foi. Mais c'est précisément ainsi qu'elle redeviendra sel de la terre. L'Église peut précisément être moderne en étant antimoderne, en s’opposant à l'opinion commune.
À l'Église incombe un rôle de contradiction prophétique et elle doit en avoir le courage. [...] Il serait faux, voire présomptueux, de projeter aujourd'hui un modèle plus ou moins achevé de l'Église de demain, qui sera plus clairement qu'aujourd'hui l'Église d'une minorité. Mais je pense que bien des gens qui vivent avec elle de l'extérieur et aussi intérieurement à leur manière, s'appuieront plus ou moins sur elle. Malgré tous les changements auxquels on peut s’attendre, la paroisse restera, selon ma conviction, la cellule essentielle de la vie commune. Mais on ne pourra guère maintenir tout le système paroissial actuel, qui d'ailleurs est en partie assez récent. On devra apprendre à aller les uns vers les autres et ce sera un enrichissement. Comme cela se produit presque toujours dans l'histoire, il y aura à côté de la paroisse des groupements qui, par un charisme particulier, par la personnalité d'un fondateur, maintiendront un chemin spécifiquement spirituel. Entre la paroisse et le mouvement, un échange plus fructueux est nécessaire : le mouvement a besoin d'un lien avec la paroisse pour ne pas devenir sectaire, la paroisse a besoin des mouvements pour ne pas se pétrifier. De nouvelles formes de vie monacale se sont déjà formées au milieu du monde. Si l'on veut bien regarder, on peut trouver aujourd'hui une étonnante multiplicité de formes de vie chrétienne, grâce auquel l'Église de demain est déjà très nettement au milieu de nous.
Joseph Ratzinger, Le sel de la terre, Cerf/Flammarion 1997, p. 16, 214, 256.