mardi 7 mai 2024

En chantant... Saint Germain, Hymne Acathiste

 


HYMNE ACATHISTE

Cette hymne est attribuée aujourd'hui à saint Germain, patriarche de Constantinople de 715 à 729. Akathistos signifie un morceau liturgique que l'on chante sans s'asseoir.

On remarquera le parti adopté : c'est une série de contemplations des mystères de Marie, évoqués chacun par une antienne et explosant en acclamations. Autrement dit, c'est la réalité même de notre Rosaire. En même temps, grâce à la variété de ces acclamations, c'est une série de litanies.

 

ANTIENNE I

Ô Conductrice victorieuse, nous, tes serviteurs, affranchis de nos ennemis, te chantons nos actions de grâces. Toi qui possèdes la puissance invincible, délivre-nous de tous maux, nous qui crions vers toi : Ave, épouse inviolée.

Eikos I

L'ange fut envoyé du ciel pour dire à la Mère de Dieu : Ave, et, frappé de stupeur en voyant à cette parole immatérielle le Seigneur s'incarner, se tenait devant elle en clamant ainsi :

Ave, rayonnement de joie,
Ave, destructrice de la malédiction,
Ave, relèvement d'Adam déchu,
Ave, tarissement des larmes d'Ève,
Ave, sommet inaccessible à la pensée humaine,
Ave, abîme impénétrable même aux yeux des anges,
Ave, trône du Roi céleste,
Ave, porteuse de Celui qui porte tout,
Ave, étoile annonciatrice du Soleil,
Ave, sein de l'Incarnation divine,
Ave, rénovatrice de toute créature,
Ave, toi en qui nous adorons le Créateur,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE II

La Très Sainte connaissant Sa pureté osait dire à Gabriel : « Ta parole si glorieuse est malaisée à admettre à mon âme, car comment parles-tu d'une naissance sans conception ordinaire, en clamant Alléluia ? »

Eikos II

La Vierge, essayant de comprendre ce qui est inaccessible à la raison, disait à l'ange : « Comment d'un sein immaculé pourrait naître un Fils, dis-le moi ? » - Et lui, avec toujours plus de vénération, l'appelait ainsi :

Ave, mystère de l'indicible Sagesse,
Ave, foi des quémandeurs de silence,
Ave, principe des miracles du Christ,
Ave, chef de ses commandements,
Ave, échelle céleste par laquelle Dieu descendit,
Ave, pont conduisant au ciel ceux qui sont sur la terre,
Ave, miracle proclamé par les anges,
Ave, blessure pleurante des démons,
Ave, génératrice de la Lumière indicible,
Ave, institutrice dépassant tout enseignement,
Ave, sommet surpassant la raison des plus sages,
Ave, illuminatrice de l'esprit des croyants,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE III

La force du Très-Haut couvrit de Son ombre l'épouse inépousée pour la rendre féconde et montra en Son sein fertile Sa douce demeure, source de salut pour tous ceux qui chantent : Alléluia.

Eikos III

La Vierge portant Dieu dans son sein alla chez Élisabeth dont l'enfant, reconnaissant Celle qui saluait sa mère, se réjouissait et, par ses bonds comme par des chants, clamait à la Mère de Dieu :

Ave, rameau du cep incorruptible,
Ave, récolte du Fruit immortel,
Ave, auteur du Bienfaiteur des Hommes,
Ave, génératrice du Semeur de notre vie,
Ave, champ produisant l'abondance des bienfaits,
Ave, festin offrant la plénitude de pureté,
Ave, floraison du paradis qui nous alimente,
Ave, organisatrice du refuge de nos âmes,
Ave, encensoir agréable de prières,
Ave, purification de l'univers,
Ave, bienveillance de Dieu pour les mortels,
Ave, audace des mortels devant Dieu,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE IV

Le chaste Joseph, intérieurement troublé par une tempête de doutes, te sachant sans époux et te croyant coupable, ô Très Pure, apprit que tu avais conçu par le Saint-Esprit et s'écria : Alléluia.

Eikos IV

Les pasteurs entendant les anges chanter la venue du Seigneur incarné, accoururent vers Lui comme vers leur Pasteur, et Le voyant comme un pur Agneau alimenté par Marie, la chantèrent, elle, en disant :

Ave, mère de l'Agneau et du Pasteur,
Ave, bergerie des brebis spirituelles,
Ave, tourment des ennemis invisibles,
Ave, accès aux portes du paradis,
Ave, toi par qui les cieux se réjouissent avec la terre,
Ave, toi par qui la terre jubile avec les cieux,
Ave, bouche jamais silencieuse des Apôtres,
Ave, fermeté invincible des Confesseurs,
Ave, affirmation inébranlable de la Foi,
Ave, science radieuse de grâce,
Ave, toi par qui se dépouille l'enfer,
Ave, toi par qui nous nous revêtons de gloire,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE V

Les Mages ayant aperçu l'étoile divinement dirigée, en suivirent la voie lumineuse et l'ayant devant eux comme un flambeau connurent par elle le Roi puissant et atteignirent l'Inaccessible, et remplis de joie lui chantèrent : Alléluia.

Eikos V

Les enfants de la Chaldée voyant dans les bras de la Vierge Celui dont le bras a créé l'homme et reconnaissant en Lui le Seigneur quoique dissimulé sous l'aspect humain, s'empressèrent de Le servir par l'offrande de présents en clamant à la Bienheureuse :

Ave, mère de l'Étoile sans crépuscule,
Ave, aurore du jour mystérieux,
Ave, extinction de la fournaise de séduction,
Ave, toi qui illumines, le mystère de la Trinité,
Ave, toi qui renverses la domination du tourmenteur inhumain,
Ave, ostensoir du Christ Seigneur, Ami des hommes,
Ave, toi qui nous délivres de la servitude des barbares,
Ave, toi qui nous libères des œuvres de ténèbres,
Ave, toi qui éteins l'adoration du Feu 1,
Ave, toi qui apaises le feu des passions,
Ave, éducatrice de chasteté pour les fidèles,
Ave, joie de toutes les générations humaines,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE VI

Les Mages porteurs du message divin revinrent à Babylone ayant réalisé la prophétie et proclamé devant tous le Christ, et abandonné le fourbe Hérode qui n'avait pas voulu apprendre d'eux à chanter : Alléluia.

Eikos VI

Ayant brillé en Égypte, Lumière de Vérité, Tu as chassé les ténèbres du mensonge car ses idoles, ô Sauveur, n'ayant pu résister à Ta force sont tombées. Délivrés d'elles, nous chantons à la Mère de Dieu :

Ave, réparation de l'humanité,
Ave, écroulement des démons,
Ave, toi qui brises la puissance séductrice,
Ave, toi qui as confondu le mensonge des idoles,
Ave, mer qui engloutit le Pharaon de l'esprit 2,
Ave, pierre qui désaltéra les assoiffés de vie,
Ave, colonne de feu qui guide dans les ténèbres,
Ave, abri du monde plus grand que le firmament,
Ave, aliment et réserve de manne céleste,
Ave, offrande de joie sainte,
Ave, terre de la promesse,
Ave, toi de qui coulent le miel et le lait,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE VII

Alors que Siméon désirait quitter ce monde séducteur, Tu y apparus à ses yeux sous l'aspect d'un Enfant et il reconnut en Toi le Dieu de perfection. Vénérant Ta sagesse indicible il s'écria : Alléluia.

Eikos VII

Le Créateur nous a montré une œuvre nouvelle de création en nous apparaissant, à nous créés par Lui, en germant d'un sein inviolé et en le conservant immaculé afin que, contemplant ce miracle nous chantions la Vierge en disant :

Ave, fleur de l'incorruption,
Ave, couronne de la chasteté,
Ave, rayonnement de la Résurrection,
Ave, image de la vie angélique,
Ave, arbre aux fruits de lumière alimentant les fidèles,
Ave, arbre au feuillage bienfaisant où beaucoup s'abritent,
Ave, toi dont les entrailles ont porté le libérateur des captifs,
Ave, génératrice du Guide des égarés,
Ave, toi qui obtiens miséricorde du Juge d'équité,
Ave, rémission de bien des péchés,
Ave, vêtement de courage pour ceux qui étaient nus,
Ave, amour vainqueur de tous désirs,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE VIII

En contemplant la naissance miraculeuse, détachons nos pensées du monde, élevons-les vers les cieux, car c'est à ces fins que le Dieu suprême est apparu sur la terre comme un humble humain pour attirer vers les hauteurs ceux qui Lui chantent : Alléluia.

Eikos VIII

Le Verbe indescriptible fut dans les régions inférieures sans quitter les cieux, car Sa descente fut divine, Son passage [dans la chair] s'effectua sans rupture [de la chair] par la Vierge divinement élue qui Lui donna naissance et nous entend clamer :

Ave, tabernacle du Dieu incommensurable,
Ave, porte du mystère sacré,
Ave, trouble des infidèles,
Ave, gloire connue des fidèles,
Ave, char sacré de Celui qui siège sur les Chérubins,
Ave, maison glorieuse de Celui qui siège sur les Séraphins,
Ave, toi qui unis ce qui était opposé,
Ave, toi qui unis la virginité et la maternité,
Ave, toi qui délies les liens de la faute,
Ave, toi qui ouvris le paradis,
Ave, clef du royaume du Christ,
Ave, espoir des biens éternels,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE IX

Tous les êtres angéliques admiraient le grand mystère de l'Incarnation, voyant le Dieu inaccessible devenu homme accessible à tous et résidant parmi nous, et nous entendant tous chanter : Alléluia.

Eikos IX

Les orateurs les plus illustres sont muets comme des poissons pour parler de toi, ô Mère de Dieu, car ils ne peuvent expliquer comment, conservant ta virginité, tu as pu enfanter. Et nous, admirant avec étonnement ce mystère, nous te chantons avec foi :

Ave, tabernacle de la Sagesse de Dieu,
Ave, trésor de Sa Providence,
Ave, toi qui fais apparaître insensés les sages,
Ave, toi qui convaincs de non sens l'astuce des paroles,
Ave, car par toi les chercheurs du mal sont confondus,
Ave, car par toi les mythologues ont dépéri,
Ave, toi qui as déchiré les filets athéniens,
Ave, toi qui remplis les filets des pêcheurs,
Ave, toi qui nous retires des abimes de l'ignorance,
Ave, toi qui illumines tant d'intelligences,
Ave, nef de ceux qui veulent se sauver,
Ave, havre dans les navigations de la vie,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE X

Le Bienfaiteur qui orne tout, voulant sauver le monde vint à lui selon Sa propre promesse. Dieu, notre Pasteur, vint à nous comme un homme, nous appelant à Lui par cette similitude et Il nous entend Lui chanter comme à notre Dieu : Alléluia.

Eikos X

Ô Mère de Dieu et Vierge, tu es le mur de soutien des vierges et de tous ceux qui ont recours à toi, car le Créateur du ciel et de la terre l'a ainsi fait, ô très pure, en entrant dans ton sein et enseignant à tous l'invocation :

Ave, colonne de virginité,
Ave, porte du salut,
Ave, maîtresse d'édification spirituelle,
Ave, dispensatrice de la grâce divine,
Ave, tu as rénové ceux qui étaient conçus dans la honte,
Ave, tu as instruit ceux dont l'esprit s'était égaré,
Ave, toi qui chasses le corrupteur des pensées,
Ave, toi qui as enfanté le Semeur de pureté,
Ave, palais d'épousailles immaculées,
Ave, union des fidèles au Seigneur,
Ave, exquise nourriture des vierges,
Ave, toi qui pares de leur vêtement nuptial les âmes saintes,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE XI

C'est en vain que nos chants s'efforcent de s'étendre à la multitude de tes nombreux bienfaits, ô Roi très Saint ; te les apporterions-nous aussi nombreux que les grains de sable, que nous n'atteindrons jamais d'une manière digne ce que tu nous as donné à nous qui te chantons : Alléluia.

Eikos XI

C'est le flambeau allumé éclairant ceux qui sont dans les ténèbres, que nous voyons en la Vierge Sainte. Elle allume la flamme immatérielle, elle enseigne la connaissance du divin ; elle illumine l'esprit comme une aurore et c'est elle que nous vénérons dans cet appel :

Ave, rayon de soleil spirituel,
Ave, astre de lumière sans couchant,
Ave, éclair illuminant les âmes,
Ave, foudre qui terrifie les ennemis,
Ave, toi qui fais luire des lumières radieuses,
Ave, toi qui fais couler des fleuves abondants,
Ave, image vivante de l'eau du baptême,
Ave, toi qui laves les taches du péché,
Ave, lustration de la conscience,
Ave, coupe puisant la joie,
Ave, senteur des parfums du Christ,
Ave, vie de joie mystérieuse,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE XII

Celui qui efface les péchés des hommes ayant voulu couvrir de Sa grâce toutes les dettes anciennes, vint Lui-même à ceux qui s'étaient détournés de Sa grâce et, déchirant le rouleau de nos péchés, Il entend de nous tous s'élever vers Lui ce chant : Alléluia.

Eikos XII

Ô Mère de Dieu, nous chantons Ta maternité, nous Te glorifions comme un temple vivant. En effet, Il demeure en Ton sein Celui qui dans Sa main contient tout. Sanctifie-nous, illumine-nous, enseigne-nous à clamer vers Toi :

Ave, demeure du Dieu-Verbe,
Ave, sainte plus sainte que les saints,
Ave, arche dorée par l'Esprit,
Ave, trésor de vie inépuisable,
Ave, couronne glorieuse des monarques pieux,
Ave, louange glorieuse des prêtres dévots,
Ave, colonne inébranlable de l'Église,
Ave, mur indestructible de l'empire,
Ave, toi qui donnes les victoires,
Ave, toi qui disperses les ennemis,
Ave, guérison de mon corps,
Ave, salut de mon âme,
        Ave, épouse inviolée.

ANTIENNE XIII

Ô Mère tant chantée, qui enfantas le Verbe saint au-dessus de toute sainteté, accepte la présente offrande, délivre de tout mal et des tourments futurs tous ceux qui crient vers toi : Alléluia.

 

 

1. Allusion à la victoire sur les Perses, adorateurs du Feu.

2. Allusion à la fermeture de l'Académie d'Athènes par Justinien et à l'interdiction d'enseigner la philosophie païenne.

 

mardi 2 avril 2024

En éveillant... Saint Léon le Grand, Homélie pour le Grand et Saint Samedi

Samedi Saint

Que se passe-t-il ?

Un grand silence règne aujourd’hui sur la terre.

Un grand silence et une grande solitude.

Le Roi dort.

La terre a tremblé et elle s’est apaisée, parce que Dieu s’est endormi dans la chair et Il a éveillé ceux qui dorment depuis les origines. Dieu est mort dans la chair et le séjour des morts s’est mis à trembler.

Dieu va chercher le premier homme, comme Il alla chercher la brebis perdue. Il va aussi chercher ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort. Oui, c’est vers Adam captif, en même temps que vers Ève, captive elle aussi, que Dieu Se dirige, et Son Fils avec Lui, pour les délivrer de leurs douleurs.

Le Seigneur s’est avancé vers eux, muni de la croix, l’arme de Sa victoire. Lorsqu’il Le vit, Adam, le premier homme, se frappant la poitrine dans sa stupeur, s’écria vers tous les autres : « Mon Seigneur avec nous tous ! » Et le Christ répondit à Adam : « Et avec ton esprit ». Il le prend par la main et le relève en disant :

Éveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera.

C’est Moi ton Dieu, qui, pour toi, suis devenu ton fils ; c’est Moi qui, pour toi et pour tes descendants, te parle maintenant et qui, par ma Puissance, ordonne à ceux qui sont dans les chaînes : sortez. À ceux qui sont dans les ténèbres : soyez illuminés. À ceux qui sont endormis : relevez-vous.

Je te l’ordonne : éveille-toi, ô toi qui dors, Je ne t’ai pas créé pour que tu demeures captif du séjour des morts. Relève-toi d’entre les morts : Moi, je suis la vie des morts. Lève-toi, œuvre de Mes mains ; lève-toi, mon semblable qui as été créé à Mon image. Éveille-toi, sortons d’ici. Car tu es en Moi, et Moi en toi, nous sommes une seule personne indivisible.

C’est pour toi que Moi, ton Dieu, je suis devenu ton Fils ; c’est pour toi que Moi, le Maître, J’ai pris ta forme d’esclave ; c’est pour toi que Moi, qui domine les cieux, Je suis venu sur la terre et au-dessous de la terre ; c’est pour toi, l’homme, que Je suis devenu comme un homme abandonné, libre entre les morts ; c’est pour toi, qui es sorti du jardin, que J’ai été livré aux Juifs dans un jardin et que J’ai été crucifié dans un jardin.

Vois les crachats sur Mon visage ; c’est pour toi que Je les ai subis afin de te ramener à ton premier souffle de vie. Vois les soufflets sur Mes joues : Je les ai subis pour rétablir ta forme défigurée afin de la restaurer à Mon image.

Vois la flagellation sur Mon dos, que J’ai subie pour éloigner le fardeau de tes péchés qui pesait sur ton dos. Vois Mes mains solidement clouées au bois, à cause de toi qui as péché en tendant la main vers le bois.

Je Me suis endormi sur la croix, et la lance a pénétré dans Mon côté, à cause de toi qui t’es endormi dans le paradis et, de ton côté, tu as donné naissance à Ève. Mon côté a guéri la douleur de ton côté ; Mon sommeil va te tirer du sommeil des enfers. Ma lance a arrêté la lance qui se tournait vers toi.

Lève-toi, partons d’ici. L’ennemi t’a fait sortir de la terre du paradis ; Moi je ne t’installerai plus dans le paradis, mais sur un trône céleste. Je t’ai écarté de l’arbre symbolique de la vie ; mais voici que Moi, qui suis la vie, je ne fais qu’un avec toi. J’ai posté les chérubins pour qu’ils te gardent comme un serviteur ; Je fais maintenant que les chérubins t’adorent comme un Dieu.

Le trône des chérubins est préparé, les porteurs sont alertés, le lit nuptial est dressé, les aliments sont apprêtés, les tentes et les demeures éternelles le sont aussi. Les trésors du bonheur sont ouverts et le royaume des cieux est prêt de toute éternité.

 

 


vendredi 29 mars 2024

En souffrant... Jean-Pierre Siméon, Il fallait cette ténèbre pour qu'on voit clair

 


Vendredi Saint

Au palais de Caïphe, c'est grand concours de foule, ils sont tous là : les scribes, les prêtres, les anciens. Ils sont ceux qui commandent et possèdent, ils ont le pouvoir, le savoir et l'avoir. Qu'est-ce que leur haine de Jésus, la haine de la Loi faite pour ce qui la défait, la haine des chaudement assis pour l'étranger aux pieds nus. Le Nazaréen, ils l'ont déjà condamné, mais Caïphe aime que tout soit en ordre : de la justice, il aime le semblant, cela suffit. Il fait venir deux faux témoins qui disent… qu'importe ce qu'ils disent : répéter leur mensonge serait mentir deux fois. Jésus regarde Caïphe, et se tait. Allons dit Caïphe, on t'accuse, réponds !

Jésus tombe et se relève. Il relève la tête. Il songe à tous les innocents que la haine gifla. Il ferme les yeux, Il se tait, et pardonne. Mais il faut à Caïphe l'aveu qui condamne, ainsi font les tyrans. Ils tuent mais répandent sur le meurtre l'encens des convenances. Voyons, dit le Grand Prêtre, enflant sa voix, et réponds haut pour que Jérusalem entende : es-tu, toi, le Messie, le Fils de Dieu ? Oui, Je le suis, Je suis ce que tu dis. Blasphème ! Blasphème ! hurle Caïphe, et tous autour, comme lui, éructent leur colère, et trépignent, et crachent, et brandissent le poing. Que faut-il ? crie Caïphe, que faut-il pour le blasphémateur ? La mort ! la mort ! crie la fureur.

À demi nu, humilié, frappé, le corps en sang, Jésus se tient debout, muet dans Sa douleur. Non, se dit-Il, cela n'est pas en vain, que Mon Sang soit rédemption à tous les humiliés.

Pendant ce temps, dans le crépuscule du matin, les milices de Caïphe courent les rues de la ville, et ramènent dans la cour du palais, la foule des égarés de la nuit. Crapules, ivrognes, idiots, mendiants, tout un peuple d'effarés prêts à baiser les pieds du puissant, pourvu qu'il livre à leur rancœur, un plus faible, un plus maudit qu'eux-mêmes. Ce sont les figurants de la farce funèbre. Parmi eux, s'est glissé Pierre, le premier des Douze, il se cache dans l'ombre, il entend les clameurs, il ne peut rien qu'être celui qui pleure. Une vieille le voit et le désigne aux autres : celui-là, crie-t-elle, il était avec le Galiléen ! On l'entoure, il prend peur : non, souffle-t-il, je le jure je ne connais pas cet homme. Et il s'enfuit tête basse vers le portail. Lui ! crie un autre, qui barre le chemin, il en était ! Il était avec le faux roi ! Non, non, redis Pierre, je le jure, je ne connais pas cet homme ! Mais on le presse, on le menace : tu mens, tu n'es pas d'ici, tu as l'accent de ceux de Galilée ! Non ! non ! non ! trois fois non ! redit Pierre, je le jure, je ne connais pas Celui dont vous parlez !

Alors, dans cette aube du dernier jour, Pierre entend au loin le chant du coq. Le désespoir crie dans sa bouche : arrache-moi, Seigneur, arrache l'herbe débile qui se couche au premier vent ! Soudain la foule explose et bouscule. Jésus est là dans les chaînes qu'on emmène, son pas faillit sous les crachats et les injures. Jésus, regarde Pierre, quand Pierre le regarde, et Lui, dont tout le corps saigne, Ses yeux disent : Pierre mon ami je te plains, la plaie que l'on se donne est la pire des plaies. Va, Pierre, courage, Je t'aime et je comprends. Et ce grand gaillard de Pierre fort comme un pilier du temple, il pleure maintenant comme un enfant. Jésus lui fait ainsi le don ultime, le don le plus précieux qui est le don des larmes. Aux plaies de l'âme, oui, il faut des pleurs, voilà le bon vulnéraire.

Et c'est pour n'avoir pas su se donner aux larmes que Judas, dont nous sommes si frères, ne voit en lui-même qu'un effroi sans retour : il veut rendre les deniers comme on voudrait effacer son visage, mais les prêtres le lui refusent. Ce malheur est à toi, garde-le ! Alors Judas, qui ne peut racheter son âme, vient au jardin de Gethsémani, et sous l'arbre où il embrassa Jésus, dans le silence vide, il se pend.

On traîne chez le gouverneur romain, celui dont le supplice sauve l'homme malgré l'homme. Pilate est assis, dans son siège à dorures, il regarde, étonné, Celui qu'on lui amène. Ce pauvre bougre en loques, qui vacille, serait-ce Lui le Grand Comploteur, Lui le rusé séditieux que craignent les Pharisiens ? Lui dont le pouvoir menace Samarie et Judée ? Es-Tu donc le Roi des Juifs ? demande-t-il. Je suis ce que tu dis, répond Jésus. Imposteur ! hurlent les Grands Prêtres, blasphémateur ! agitateur du peuple ! Allons ! dit Pilate, que réponds-tu, Nazaréen ? Mais Jésus se tait, et se tait encore. Curieux prêcheur, soupire Pilate, curieux prêcheur qui se tait toujours. Il dit à la foule : Celui-là n'est pas mon homme, je ne vois rien en Lui qui mérite la mort, vous criez contre Lui mais cri n'est pas raison.

La mort ! recrie la foule qui ne veut rien entendre, comme la bête à qui l'on retire sa proie. Elle double sa colère et rugit : à la croix, à la croix ! L'étranger, tue-Le, tue Le pour nous. Eh bien, dit Pilate, qui hésite entre l'injuste et le sage, voici Barabbas, voleur et tueur ; et voici ce pauvre fou, innocent. C'est la fête de la Pâque, choisissez : des deux je relâcherai qui vous voulez. La multitude qui tempête à ses pieds n'a qu'une seule voix : Barabbas ! la mort pour le faux roi ! relâche Barabbas ! Eh bien, bon, dit Pilate que tout cela fatigue, c'est votre affaire, pas la mienne, et prenant de l'eau, il se lave les mains : je ne veux pas sur moi du sang de l'innocent, voici votre homme, je vous Le laisse. Mais c'est votre main qui tiendra le marteau, qui forcera les clous dans Sa chair.

Et nous voici au pied de l'échelle des douleurs. Voici pour le Dieu qui se fit homme, voici le début du désastre de Sa mort. On l'attache au pilier, le Dieu qui aime, et les lanières du fouet cinglent et mordent dans la chair offerte. Il geint, et l'on rit de Sa plainte. Et les rires claquent dans le fouet, puis on délie le corps martyrisé, et les soldats romains en font un jeu grotesque : on Le met nu, ha ha ha, la bonne farce ! on jette sur Son dos un manteau écarlate, on jette sur Sa tête une ronce tressée qui fait suer le sang sur Son front, et dans Sa main, ha ha ha, la bonne farce ! on lui fait tenir un roseau. Salut roi des juifs ! dit l'un qui s'agenouille. On jette sur Lui le juron, le crachat, le sarcasme, et pour ne pas finir la fête qu'on se donne, chacun le frappe du roseau. Mais… même de torturer un Dieu, on se lasse, on remet Jésus dans ses vêtements souillés. C'est la Croix, maintenant. La Croix pour l'épaule… c'est à peine s'Il peut porter Son propre corps et voilà qu'Il doit porter la croix sur la montagne, Lui qui porte déjà sur Son dos, une montagne, la montagne des peines et de l'erreur humaine, la montagne de toutes les misères humaines, la montagne des âmes de tous les suppliciés. Ah ! comme le monde pèse sur Jésus. Ah ! il faut bien de l'amour pour le supporter.

Jésus titube dans les pierres du chemin, le poids de la Croix accable son courage. Il est au pied du Golgotha, Il tombe. De la foule en furie un homme se défait, il prend à son épaule une part de la peine. Ah ! qu'il y ait toujours près de nous un Simon de Cyrène qui porte à son épaule une part de nos peines !

Jésus avance dans la poussière sèche, la route est longue en toutes les souffrances, mais cette route là, on la dirait sans fin. Jésus tombe à genoux une deuxième fois, Il entend les hoquets obscènes de la foule. Ses yeux ne voient plus dans Ses larmes de sang, mais Il sent soudain une présence proche, puis une main douce, comme une main de mère, qui pose sur Sa Face une étoffe légère, elle efface et les larmes et le sang et il voit une femme à genoux qui pleure, comme on pleure quand on aime. Moins lourd, alors, le bois de la croix.

Jésus repart sur la pente dernière, et dans un ultime effort exténué, Il parvient au sommet du calvaire. Il s'effondre et il semble que tout s'effondre sur Lui : la croix, les cris, le ciel, et le monde. On arrache de Lui Ses vêtements qu'on se dispute comme la meute la curée. Il faut cette honte encore. L'homme est nu et Il tremble, Il n'a plus sur la peau que Sa tunique de sang. Il est l'heure qu'on Le cloue, le répudié d'entre les hommes. Que l'on cloue sur le bois, la Pauvreté et l'Amour. Qu'on La cloue dans Son corps cette Âme trop grande qui excède. Et voilà que l'on dresse la croix très haut dans le soleil de midi, car il faut qu'on Le voit bien, ce corps mourant, écartelé dans Sa douleur. Voyez ce que l'on fait, voyez, à Celui qui renverse la coutume, Celui qui maudit le riche et embrasse le lépreux, qui dit qu'un mendiant vaut un prince, qui dit la nullité de tout pouvoir, et qu'il n'est de royauté que dans l'amour. Eh bien, ça nous fait un drôle de roi, un roi nu à couronne de ronce. C'est écrit au-dessus de Sa tête qui tombe : Jésus, roi des Juifs. Un roi, ça ? et un dieu ? Ha ha ha ! ah oui, roi des mouches et du vent, et dieu de ses misères. Amen ! Ainsi se moquent les deux larrons qu'on a mis aux deux côtés de Jésus. Si tu es Fils de Dieu, ricanent-ils, que ton père te décloue ! Descends, descends de ta croix, et nous croirons en toi.

Jésus entend tout cela, et se tait. Il consent à l'insulte, Il consent au mépris, il faut qu'Il vive toutes les morts en une, Il lui faut la mort entière, Il doit comprendre l'homme jusqu'au bout. Jésus sur la croix dans son dernier respire, Il est la parabole de la détresse humaine, Il épuise l'abîme de toute vie humaine, Il est le Pauvre dans les poux, il est le pestiféré qu'on lapide, le malade qui vomit son ventre, la fille humiliée et la mère dévastée, l'estropié qu'on bouscule, l'enfant qui agonise. L'inouïe pesée du drame universel, en cet instant, elle est sur Jésus, seul. C'est trop, c'est impossible : Son âme éclate, et le cri de Jésus déchire le ciel. Les mains, ni les pieds troués ne font ce cri, et ni les chairs rompues par la lance, mais la solitude achevée de l'Homme devant Sa mort. Père, Mon Père, dit ce cri qui déchire, pourquoi M'as-Tu abandonné ?

La foule, les soldats, tous, soudain se figent. Si terrible, la plainte du Crucifié, qu'en chacun le cœur cesse de battre. L'heure, l'air, la lumière, tout se tient immobile. Et, dans un dernier cri, Jésus expire, qui accomplit par amour le désastre de Sa mort. C'est comme si, avec Lui, le Ciel avait baissé sa paupière.

Une nuit d'hiver saisit le Golgotha. Le monde, stupéfait, semble sur le point de rompre. Les nuées s'amassent, les pierres se fendent, et sur la terre qui tremble, ceux qui sont là, ceux de l'insulte et du crachat, voilà qu'ils cachent leur visage, et crient qu'on les pardonne. C'est Dieu qu'on a cloué, le vrai Dieu sur la Croix.

Il fallait cette ténèbre pour qu'on voit clair, enfin. Le monde s'agenouille devant le Sacrifié. Il Te reste maintenant, Seigneur, Toi qu'on a si patiemment détruit, d'aller au terme de Ta chute humaine, et qu'on Te porte, pauvre Mort, dans la nuit close du tombeau. Après les clous, le repos, et la tendresse enfin. Ta mère est là, et Marie-Madeleine. Leur cœur est le premier tombeau. Elles lavent de leurs larmes le cadavre, et l'entourent de leurs bras car il faut aux morts autant d'amour qu'aux vivants. Cet amour qui fait aux morts le don d’une seconde vie. Tandis que les femmes bercent dans leurs sanglots, comme un enfant, le Corps martyrisé, vient Joseph d'Arimathie, qui a obtenu pour Jésus le droit au Sépulcre. Il Le fait porter dans un drap blanc. Non loin de là, dans l'ombre d'un jardin, il y a ici un pli ouvert dans la roche. Ce sera le lit de pierre où Jésus dormira Sa mort humaine.

C'est le soir, à présent, sur Jérusalem, l'air est limpide dans le jour qui s'achève. La branche fait silence, l'oiseau ferme ses ailes, la terre est en prière. Jésus attend, dans Sa mort accomplie. L'amour attend. Qu'en chaque peine, en chaque sourire, l'homme le recommence.